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Extrait de La Banquise, n°2, 1983


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le roman de nos origines

4/6

Avant 1968, il existait des groupes incapables de diffuser leur théorie au-delà du cercle des initiés. C'était la raison d'être de la librairie. En 1972, les idées révolutionnaires circulaient, entre autres parce que la société avait besoin de la théorie révolutionnaire pour se comprendre et aménager ses contradictions. Mais tout effort collectif révolutionnaire était, et reste, d'une grande fragilité.

Echouant à politiser les conflits du travail, le gauchisme n'avait pas réussi après 1968 son passage de l' usine à la sphère du pouvoir, et se repliait sur l'extra-travail, le quotidien (VLR et son journal Ce que nous voulons: Tout !). Après 1972, la politique déclina et les divers néo-réformismes de la vie quotidienne s'épanouirent. Face aux gauchistes spécialistes du pouvoir, ces mouvements, en un sens, posaient de vrais problèmes. Mais chacun s'enlisait dans sa spécialité. Par rapport à eux, le milieu "communiste" n'avait à opposer qu'un point de vue global qui apparaissait comme son contraire: comme un discours politique de plus, un point de vue particulier de plus, mais, au contraire des autres, absolument inopérant. Toute critique partielle était fausse, la critique globale sans point d'application.

 

L'affaire Puig Antich

En Espagne, dans les dernières années du franquisme, un mouvement social renaissait. Des grèves se succédaient, que la répression ne faisait que durcir. A l'instar de ce qui s'était passé en France, le besoin d'une théorie de la révolution pour notre époque suscitait un regain d'intérêt pour le passé révolutionnaire, I'Espagne de 36-39, mai 37 à Barcelone et aussi les ancêtres allemands et italiens. Mais cet effort théorique était concomitant avec une lutte armée suscitée par la rencontre de la violence étatique et de l'impatience révolutionnaire. L'opposition de larges fractions de la population à une dictature inadaptée au capitalisme moderne alimentait chez nombre de révolutionnaires la croyance en la vertu de l'exemple ou en la nécessité de créer un "foyer" autour duquel se concentreraient les énergies prolétariennes.

Les camarades avec lesquels nous étions en relation étaient engagés dans un double processus de clarification et de confusion. La VT était en contact depuis plusieurs années avec un groupe qui avait donné naissance au Mouvement de Libération Ibérique, qui avait publié Notes pour une analyse de la révolution russe (texte ultra-gauche de 1967} et bien d'autres textes faits par des gens proches de la VT ou l'ayant fréquentée. Le MIL possédait la double structure qu'on trouve généralement dans les organes cherchant à remplacer I'Etat (comme l'IRA ou l'ETA): une branche politique et une autre militaire. La première appuyait des grèves, publiait des textes, etc., la deuxième pratiquait braquages et attentats .

Une erreur fondamentale de la VT et du MC fut de ne pas davantage clarifier leurs relations avec les groupes rencontrés, et particulièrement avec les groupes étrangers. On discutait, on critiquait les erreurs, mais si cette critique était acceptée (souvent en paroles seulement), un accord formel scellait une collaboration qui laissait dans l'ombre des positions inacceptables. Le critère antistalinien, par exemple, nous entraîna à diffuser des tracts démocratiques sur la Tchécoslovaquie en 1970. On entretint longtemps des rapports peu critiques avec un petit parti mexicain dont il s'avéra qu'il participait parfois aux élections.

On connaissait les actions illégales du MIL. On ne l'avait pas assez formellement mis en garde contre le processus dans lequel la pratique le plaçait, contre la transformation de ses membres en révolutionnaires professionnels, incapables de vivre autrement que de braquages, de plus en plus déconnectés du mouvement social, et utilisant les idées communistes comme idéologie, justification d'une activité ressemblant trop à celle des groupes léninistes .

Puig Antich, qui souhaitait arrêter l'action armée et convaincre les autres de l'imiter fut arrêté avec plusieurs membres du MIL en octobre 1973. Ils risquaient la mort. Des membres du MIL vinrent demander au MC d'aider à briser le mur de silence qui avait entouré cette arrestation, et à éviter un procès expéditif et des condamnations dans l'indifférence générale.

Deux types d'action furent menés parallèlement. D'une part, on s'efforça de combattre la version de l'Etat espagnol qui présentait Puig et ses camarades comme des gangsters: cette lutte prit la forme du comité Vidal-Naquet (comité classique de personnalités démocrates). D'autre part, il fallait dire ce que nous pensions de l'affaire en tant que révolutionnaires (ce fut, entre autres, le n·6 du Mouvement Communiste ). P. Guillaume, qui déclara quatre mois plus tard qu'il ne considérait pas ce numéro comme un bon texte, se consacra presque exclusivement à contacter des personnalités, des journalistes pour faire pression sur Franco. Il y eut vite scission entre les deux activités. Pouvait-il en être autrement?

Le milieu révolutionnaire, en tout cas, nous attaqua (Négation, Révolution Internationale), ou resta indifférent (GLAT). On accusa le Mouvement Communiste de mettre un pied dans l'antifascisme. Le Fléau Social, venu du Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire et ayant rompu avec lui, fut le seul groupe organisé à nous soutenir.

Puig Antich fut exécuté, sans doute principalement du fait de l'attentat réussi de l'ETA contre Carrero Blanco, le premier ministre d'alors. Mais même s'il avait vécu, le bilan de l'affaire eût été fondamentalement négatif: le MC avait échoué à clarifier la question de la violence et de la solidarité révolutionnaire, il avait échoué à faire comprendre son point de vue aux révolutionnaires français et espagnols.

Les révolutionnaires n'ont pas besoin de martyrs. Le communisme est aussi fait de solidarité spontanée. Notre activité inclut une fraternité sans laquelle elle perd son contenu. Nous ne sommes pas une armée qui déplace des pions: cela demeure vrai jusque dans les phases militaires d'une révolution .

Cependant, comme nous l'avons déjà dit (voir: Pour un monde sans morale), la survie biologique n'est pas pour nous une valeur absolue. Dans l'élan d'une insurrection, la notion de sacrifice perd tout sens car les insurgés se portent d'eux-mêmes au devant du danger. Mais en dehors d'une période d'affrontement massif? Comment manifester notre solidarité à un révolutionnaire menacé de mort sans dénaturer le sens de son action? Il n'y a pas de réponse précise à cette question. On peut seulement énoncer quelques principes simples.

Il n'existe pas de pureté révolutionnaire que la plus petite compromission souillerait irrémédiablement. Puig Antich préférait être sauvé par des interventions bourgeoises plutôt que de mourir dans la "pureté révolutionnaire". Que des démocrates bourgeois intervinssent pour lui sauver la vie, nul dans nos rangs n'aurait songé à s'y opposer. Mais toute la question était de savoir comment susciter de telles interventions. Il faut prendre au mot la démocratie et faire en sorte que les démocrates fassent leur travail sans dissimuler ce que nous pensons de la version démocratique du capitalisme: plus facile à dire qu'à faire. Les révolutionnaires ne peuvent faire bouger l'opinion publique, car dès l'instant où l'on se place sur son terrain, on cesse d'être révolutionnaire. On peut écrire dans un journal pour exercer une pression au profit de quelqu'un, jamais pour faire passer des positions de fond.

Nous n'avons pas le culte du héros et si un camarade se reniait au moment du danger, nous ne le jugerions pas davantage que tous les prolétaires qui "acceptent" chaque jour de se soumettre à la dictature du salariat. Simplement, il tomberait en dehors de notre activité commune. Dans le cas de Puig, c'était une chose de contacter telle ou telle personnalité pour lui exposer la vérité, c'en était une autre de constituer un comité qui devait inévitablement vivre sa vie de comité, mener une existence propre, franchir une limite au-delà de laquelle la logique démocratique l'emportait sur tout le reste. S'il ne recherche pas la mort et s'il n'hésite pas à profiter des contradictions de l'ennemi (en l'occurrence, la lutte entre démocratie et dictature) le radical en guerre contre l'ordre social ne peut faire tout à coup comme s'il ne jouait plus, simplement parce qu'il risque de perdre la vie, sous peine d'ôter toute portée à ses actes.

Il y avait une ambiguité fondamentale à se battre pour qu'on épargne Puig et ses camarades en essayant de les faire reconnaître comme des politiques et en refusant l'étiquette "gangster": c'était vouloir substituer une étiquette à une autre, et si Puig était radical, il ne pouvait guère se reconnaître dans un statut de prisonnier "politique", statut que nous avions reproché aux maoistes français de réclamer. Quitte à se battre sur le terrain de la démocratie, le minimum aurait peut-être été de proclamer que nous ne dissocions pas le cas de Puig de celui des autres condamnés à mort du franquisme. Et de fait, Franco fit exécuter en même temps que Puig un "droit commun", pour faire bonne mesure. Le malheureux, plus encore que Puig, fut le dindon de cette sinistre farce.

Le manque de clarté sur ce point n'était qu'une parmi toute une série d'erreurs. Erreur du court texte initial écrit par P. Guillaume et approuvé par le MC, présentant l'affaire aux journaux dans une version à mi-chemin de nos positions et de ce qu'il fallait dire pour être recevable. Erreur d'un n·6 insuffisant, justifiant la violence du MIL par le contexte espagnol, critiquant seulement le dérapage de cette violence, alors que c'était toute la "lutte armée" du MIL qui était fautive. Erreur surtout de notre présence dans ou derrière le comité Vidal-Naquet.

Le n·6 du MC fut le dernier. La lamentable affaire espagnole, dans laquelle il avait perdu sur tous les tableaux, révélait la faiblesse du MC, encore aggravée par le fait qu'il ne dressa pas le bilan de son activité. La brochure de G. Dauvé, Violence et solidarité révolutionnaire (1974), s'efforçait de faire le point. Les critiques qu'elles contenaient ne furent jamais discutées entre les ex-"membres" du MC. Ce texte n'était que relativement satisfaisant, car il ne s'attaquait pas au principe même de l'action dans le comité Vidal-Naquet. Il se concluait par le programme suivant:

"1. Constater la non-communauté (au moins provisoire) avec toutes sortes de gens (...).

2. Refuser de cautionner des suicides collectifs. En pratique, rompre, non pas obligatoirement avec ceux qui font une analyse différente de la violence, mais par principe avec tous ceux qui sont incapables de donner une définition claire de leur propre usage de la violence.

3. Reprendre la théorie, en développant, comme on peut, liens et contacts.

4. En particulier, reprendre l'analyse du mouvement communiste actuel. On déplacerait le problème en le centrant sur les groupes qui ont failli (...). L'important est de voir de quoi ces faillites sont le signe et le produit."

Seuls les deux premiers points ont été réalisés les années suivantes. La Banquise s'efforce d'appliquer les deux derniers, mutatis mutandis.

Le manque de ligne générale, aussi bien que le défaut d'approfondissement des principes d'une action révolutionnaire s'étaient traduits en 1972 et avant par une agitation désordonnée. En 1973, lorsque le MC se trouva confronté à une question de vie ou de mort, ces lacunes se révélèrent fatales. Les liens entre les gens qui avaient produit le MC se distendirent. Si l'action de ce dernier groupe fut critiquable, l'inertie du milieu révolutionnaire confronté à l'affaire espagnole ne valait pas mieux. L'incapacité de ce milieu à prendre une position commune sur la question, à conduire une action collective qui aurait pu aussi bien se résumer à la diffusion de textes, cette incapacité ne fut pas pour rien dans la dérive terroriste qui prit la forme des GARI.

Crise et autonomie

La crise économique n'a que trop servi à expliquer tout et n'importe quoi. L'adhésion ouvrière au capitalisme a été successivement expliquée par la prospérité (la carotte des augmentations de salaire) et par la dépression (le bâton du chômage). Dans notre courant, certains ont cru que la crise ne pourrait qu'"attiser" la subversion prolétarienne surgie autour de 1968. Non pas parce que la misère pousserait les prolétaires à se révolter, mais parce que la crise "montre la fragilité du système et multiplie les occasions d'intervention du prolétariat" (King Kong International, n·1, 1976, p. 3).

Nous ne disons ni "vive la crise!" ni ne faisons des "adieux" prématurés au capital et au prolétariat. Certains se laissent obnubiler par la crise et surveillent la baisse du taux de profit, comme si au-delà d'un seuil critique elle devait entraîner nécessairement une explosion sociale. Or, la question des crises n'est pas une question économique, et la baisse du taux de profit est seulement l'indice de la crise d'une relation sociale. Aussi, quand le marxisme, adoptant un point de vue capitaliste, se demande si les usines vont ou non fermer, il dépouille la crise de sa portée sociale.

Dans la IIe comme dans la IIIe Internationale, on a presque toujours conçu la lutte de classe comme extérieure à la crise. Dans cette conception, lorsque l'économie entre en crise, elle met les prolétaires en mouvement, et ce qu'ils font alors est sans rapport avec leur être dans le salariat. Pour le communisme théorique, la société est une, et la lutte de classe, même réformiste, contribue à la crise, dans laquelle le prolétariat peut ou non faire éclater le rapport social qu'il constitue.

"[...] Ceux qui tablent sur une crise de surproduction avec son cortège de dizaines de millions de chômeurs dans chaque pays, pour que se produise ce qu'ils appellent "la prise de conscience du prolétariat", se trompent très dangereusement [...]. Les masses de chômeurs chercheront du travail et rien que du travail, ce qu'il faut pour rétablir le circuit venimeux de la marchandise [...]. Certes, Lénine, Trotsky et même Marx, ont cru parfois déceler des possibilités révolutionnaires dans les coutumières crises cycliques, sans jamais les considérer indispensables. La réalité a été à l'encontre de l'espoir, très nettement pendant la dernière vraie crise (1929-33) [...] les problèmes concrets de la révolution communiste ne se dessinaient pas comme aujourd'hui, nettement, à travers tous les rapports du capitalisme, éprouvés de plus en plus comme autant de contraintes insupportables et inutiles. C'est à partir de là, et non pas de la panne des fonctions économiques que le prolétariat doit s'organiser contre le système."

"Miser sur la crise de surproduction est refuser de se battre sur un autre terrain que le plus avantageux à l'ennemi [...]. Les actions de classe qui réveilleront la conscience révolutionnaire chez des dizaines de milliers de travailleurs, puis chez des centaines de millions, devront être entreprises à partir des conditions de travail, non de chômage, à partir des conditions politiques et des conditions de vie sous leurs multiples aspects [...]. La pratique révolutionnaire à l'heure actuelle prend son point de départ dans la négation de tous les aspects fonctionnels du capitalisme, et doit opposer à chacun de ses problèmes les solutions de la révolution communiste. Aussi longtemps qu'une fraction au moins de la classe ouvrière n'entreprendra pas ce type de luttes, quelle que soit la conjoncture capitaliste il pourrait y avoir une crise dix fois plus forte que la dernière, que la conscience révolutionnaire reculerait encore. Car, en dehors de la lutte pour changer les structures et superstructures devenus réactionnaires, étouffantes même lorsqu'elles fonctionnent dans les meilleures conditions, il ne peut y avoir conscience, ni parmi le prolétariat, ni chez les révolutionnaires.

Ce qui doit servir de réactif à la classe ouvrière, ce n'est pas l'accident d ' une grande crise de surproduction qui ferait regretter les 10 ou 12 heures de corvées à l'usine ou au bureau, mais la crise du système de travail et d'association capitaliste, qui, elle, est permanente, ne connaît pas de frontières, et s'aggrave même avec une croissance optimale du système. Ses funestes effets n'épargnent ni les zones industrialisées, ni les arriérées, la Russie et ses satellites pas plus que les Etats-Unis. C'est là le plus important atout du prolétariat mondial. Il s'en rendra mieux compte dans des conditions "normales", où la réalité n'apparaît pas masquée par une situation de famine." (Munis, pp 96 et 97).

Le facteur décisif n'est jamais l'essor ou le blocage de la croissance, mais la configuration des forces sociales en présence. En 1917-21, l'attaque prolétarienne démarra sur une crise politique et économique. Après 1929, malgré l'arrêt de l'expansion (d'ailleurs partielle) des années 20, le rapport de force penchait lourdement du côté du capital, des bourgeoisies occidentales comme de la contre-révolution en URSS. Alors qu'en 1917-21 le prolétariat avait profité (mal, mais tout de même...) des contrastes politico-sociaux, en 1929, il était dans l'incapacité de tirer parti de la dépression. Lorsqu'éclata la crise de 1929, la vague principale de l'assaut prolétarien avait déjà déferlé et, à l'échelle de la planète, le prolétariat était battu. Tel n'est pas le cas aujourd'hui. Pourtant, la thèse de Munis semble garder toute sa valeur, comme le montre le comportement des prolétaires depuis 1974.

Cette année-là apparut au grand jour une crise qui depuis n'a cessé de s'approfondir. Elle s'attaque aux prolétaires directement -- leur pouvoir d'achat baissant de 10% aux Etats-Unis en 1979 et 1980, et indirectement -- le chômage leur rendant plus vive la concurrence avec les enfants des classes moyennes pour l'accession aux postes de petits employés. Contrairement aux années 60, le noyau jusque-là protégé des salariés (le travailleur adulte, masculin et national, c'est-à-dire le qualifié ou le syndiqué, ou les deux) voit ses avantages rognés. Il fait à son tour l'expérience du travail précaire. La bourgeoisie ébranle ses points d'appui en milieu ouvrier, elle rationalise la production en éliminant les moins productifs et en laissant se dégrader les services sociaux. Dans un premier temps, elle tente de relever les cadences pour rattraper la perte de productivité, ce qui déclenche les nombreuses grèves sauvages du début des années 70. Elle s'efforce désormais de restructurer la production en profondeur. Depuis sept ans, les travailleurs mènent une action défensive qui remporte le plus souvent un demi-succès. Ni le capital ni le travail ne s'imposent, le second réagissant aux coups du premier. La capacité du système à amortir les coups est frappante.

L'enjeu immédiat des luttes ouvrières est le plus souvent de conserver un salaire intact et un emploi. Lip est l'exemple le plus fameux du phénomène caractéristique de la période: la défense communautaire contre les fermetures d'usine. De telles luttes, qui constituent les travailleurs en communautés d'entreprise et les y enferment, étaient apparues avant Lip, dans le textile par exemple, et ne sont cantonnées ni à la France ni à l'Europe: le Japon aussi connaît de nombreux mouvements comparables.

A l'inverse de ce que croient ou disent les ouvriers de ces work-in, du moins de ceux qu'on connaît, ils ne cherchent pas à produire autrement tout en restant salariés, ils sont d'abord en quête d'une entreprise: ils deviennent leur propre patron en attendant d'en trouver un vrai.

Ces mouvements naissent en réaction à la réorganisation industrielle. Il est arrivé que des ouvriers, à l'instar des métallurgistes du Bade-Wurtemberg en 1978, fassent payer au capital leur déclassification, les patrons s'engageant à garantir aux salariés touchés par l'évolution technologique un emploi équivalent et leur paie antérieure. Obtenu par 16 jours de grèves et 13 de lock-out pour 240.000 salariés, cet accord concerne 40% des métallurgistes allemands. Mais de tels aménagements sont l'exception. Pour l'instant, la réorganisation est encore dans les limbes et autant on connaît les projets et débuts de réalisation en robotique, autant on ignore le rythme de son introduction. La question est bien loin d'être purement technologique: le degré et la rapidité de la robotisation, les formes prises par les investissements et l'innovation dépendent des relations entre les classes. D'une manière générale, il semble que le capital ne peut plus recycler les exclus de l'industrie comme il recycla autrefois les exclus des campagnes.

On s'aperçoit mieux que la chute de la rentabilité découle des contraintes que fait peser la parcellarisation excessive du travail sur la valorisation, et des contraintes de la reproduction de toutes les conditions de vie par le capital, car cette production inclut des services qui ne sont pas reproductibles comme des objets de consommation faits en série. Dans les services collectifs, la productivité ne peut être celle de l'industrie. Et si l'Etat les prend en charge, c'est au détriment de la collectivité capitaliste.

L'une des solutions serait de passer du système des machines au système automatique, qui a sa cohérence interne (feedback, autorégulation, programmation et non simple exécution d'ordres donnés). Les machines sont asservies, c'est-à-dire réglées entre elles, l'objectif étant de réaliser un auto-contrôle. Il s'agit moins de se passer de l'homme que de le rendre plus productif. On le surveille mieux, mais surtout on l'organisera de façon à ce que le travail, même sans surveillance, ne puisse qu'être bien fait, la contrainte machinique y suffisant.

C'est bien un autre visage de l'utopie capitaliste. Quand "l'enrichissement des tâches" était censé remédier au "travail en miettes"(G. Friedmann) de l'OS, on a exagéré la portée de l'expérience Volvo, qui donna des effets sociaux et économiques médiocres. Avec ou sans le renfort de l'électronique, l'auto-exploitation prolétarienne ne sera jamais un phénomène massif.

Jusqu'à présent, il ne semble pas que le capital soit apte à dégager et installer les investissements énormes nécessaires à cette restructuration. Une dévalorisation générale, dans une secousse sociale dont on ne peut prévoir la forme, les rendrait plus aisés. La dévalorisation apportée par une crise est plus qu'un fait économique, c'est une redistribution des cartes au sein de la bourgeoisie et une réorganisation politique, de nouvelles formes de pouvoir, de nouvelles médiations travail-capital, comme on le vit à la faveur du double choc de 1914-18, puis de 1939-45.

Du point de vue des travailleurs, l'enjeu, comme au moment de l'instauration de l'OST, n'est pas uniquement l'emploi et la rémunération. Il s'agit de la transformation du travail, que l'évolution capitaliste voudrait plus rythmé par l'entreprise, mieux contrôlé. Tout travail simple peut être automatisé. Le choix est social: faut-il transférer un poste de travail dans un pays à main-d'oeuvre bon marché? Mais alors, que faire des chômeurs ainsi produits dans le pays industriel avancé? Ou bien, va-t-on robotiser l'usine? Mais comment réagir à ce que les salariés vont exiger? En 1974, les OS de l'automobile française, immigrés de fraîche date, avançaient des revendications classiques. En 1983, les OS peintres de Renault, souvent immigrés de la seconde génération et désireux de demeurer en France, dans l'entreprise, ont lutté dans un atelier menacé d'automatisation, pour obtenir le statut d'OP qui garantit un recyclage après la modernisation de l'atelier. Vivant des divisions matérielles, les syndicats hésitent à les soutenir mais ne peuvent non plus les ignorer.

Nés des ratés de la croissance, les "nouveaux mouvements sociaux" ont prospéré avec la récession, qui suscite des difficultés dans tous les domaines: logement, transports, loisirs, etc. Une partie des usagers prennent eux-mêmes en charge les secteurs qui fonctionnent trop mal. Une frange d'entre eux se radicalise, notamment dans la violence .

Cette radicalisation d'une marge s'inscrit dans ce qui est le seul vrai produit social de la crise: le phénomène autonome. On l'a vu, aucun organe ouvrier de masse n'est né depuis 1968 ni depuis 1974. Les gauchistes s'y sont pourtant essayés, avec une belle constance! Périodiquement, il naît des organes ouvriers, et pas seulement en France, mais ils ne dépassent jamais le niveau local. Il n'y a plus de place pour une sorte d'anarcho-syndicalisme ou d'lWW. L'autonomie, au sens où nous l'employons ici, c'est la manifestation d'Overney à la dimension d'un mouvement social. Cette manifestation avait concrétisé le profond ressentiment de fractions actives de la population contre l'ordre social, contre la politique traditionnelle et contre les appareils. Un tel ressentiment, répandu un peu partout en Occident, a pu prendre deux formes opposées: celle du mouvement "alternatif", condamné à se mettre à la remorque des appareils, ou à en créer de nouveaux, pour servir de stimulant au réformisme d'Etat, et celle du terrorisme, qui se confond rapidement avec un néo-léninisme, va ou retourne au tiers-mondisme, au mao-populisme. Contre ces deux tentations, et sans cesse menacée de céder à l'une ou à l'autre, l'autonomie fut l'expression du ressentiment antipolitique et anticapitaliste, porté par des couches plus ou moins marginalisées suivant les pays.

Ce n'est pas un hasard si l'autonomie a tant proliféré en Italie. En raison des particularités de la formation de l'unité nationale, l'Etat italien est moins présent, de manière moins directe qu'en France, dans une vie sociale et politique moins centralisée . S'il existe en Italie un fort secteur nationalisé, ses unités sont devenues des fiefs échappant à l'Etat. L'économie italienne affronte la crise en s'appuyant sur l'initiative d'entreprises privées et même d'entrepreneurs sauvages, dans la sidérurgie (région de Brescia) comme dans le textile. Les exportations italiennes bénéficient de la surexploitation d'un prolétariat employé dans un secteur semi-légal de petites firmes. On estimait en 1979 que 13.000 entreprises textiles, avec un personnel moyen de cinq salariés, avaient exporté autant que les quatre grandes entreprises françaises de l'armement.

La stratégie étatique italienne consiste à ne rien contrôler dans le détail pour mieux garder la maîtrise de l'ensemble. Depuis 1969, la société italienne a implosé, créant des vides où l'initiative, échappant aux forces centrales de l'ordre établi, revient à une multitude de groupes et de tendances. Il en va ainsi dans tous les domaines: en économie, dans les médias (prolifération des radios et télés privées), en politique (complots, terrorisme, autonomie, etc.). L'autonomie s'est frayée sa voie dans une société en proie à une sorte de guerre civile froide entre des tendances centrifuges que les forces conservatrices du capital s'emploient à jouer les unes contre autres. La contestation mine la cohésion sociale sans pour autant rien modifier -- pour le moment -- l'essentiel. Il fallait mal connaître la nature de l'Etat pour voir, comme l'on fait les situationnistes, l'imminence de la révolution dans la société italienne. Mais on serait myope si l'on n'y voyait que confusion.

Il est vrai que la violence a souvent comblé un vide et qu'à l'instar du Mai français, la phrase a souvent remplacé l'acte. Mais la "lutte armée" suicidaire ou manipulée fut l'aspect autonomisé d'une violence née dans des usines ou dans des villes où les prolétaires répondaient à la pression patronale et étatique et à l'encadrement syndical par des incendies, des sabotages, des bombes. De plus en plus isolés de la majorité des ouvriers, ils ont été conduits à se donner de plus en plus en "exemple" à la masse pour la pousser à la lutte .

Là où il n'y a plus que la violence, elle est le signe d'un échec. Un mouvement prolétarien peut s'en prendre aux chefs ou aux machines, ponctuellement ou dans une insurrection. En érigeant la violence en système, en prétendant en faire l'âme d'une stratégie aussi illusoire que toute stratégie extérieure au mouvement social, le terrorisme se substitue à ce dernier. La violence se borne à approfondir la crise politique et transforme les prolétaires en spectateurs d'un match qui ne les concerne plus.

L'autonomie italienne fut aussi la réaction de couches salariées nouvelles, ni ouvriers d'usine, ni employés traditionnels, délaissés par les syndicats parce que trop instables pour se laisser organiser par eux.

Un tel mélange a engendré une nouvelle forme d'anarchisme, couplé parfois à une reprise des gauches communistes. Les autonomes agissent en anarchistes en se dressant contre l'autorité par la pratique, non par l'utopie.

A son origine, l'autonomie italienne est un phénomène plus vaste que le gauchisme français, le produit d'une violence ouvrière plus virulente, d'un rejet social plus ample qu'en France. L'autonomie ouvrière est un effet de la crise, non sa solution. De nombreux prolétaires ne veulent plus des syndicats sans faire ce qui les débarrasserait des syndicats. C'est le refus de la politique sans pouvoir ni vouloir communiser le monde. Car si on le faisait, on ne parlerait plus d'autonomie, on agirait forcément de façon autonome par rapport à tous les appareils, mais en les rendant inutiles, en détruisant ce qui leur donne une base et une fonction sociales. L'"autonomie" en tant que telle est le fait d'un prolétariat qui fait sécession, qui s'écarte (provisoirement) de la norme, sans pouvoir tout let se) bouleverser. Théoriser cet écart, c'est justifier un manque, faire passer une insuffisance pour son remède.

Après 1969, qui voit la première grève générale unitaire à but social (le logement), c'est l'action ouvrière qui oblige les syndicats à l'unité. Les centrales syndicales ne peuvent pas fonctionner comme structures autoritaires. Encore moins que les partis, elles ne peuvent être un appareil s'imposant aux salariés. Le syndicat doit être perméable à l'autonomie ouvrière et s'en nourrir. Quant aux nombreux organes autonomes ouvriers surgis depuis une dizaine d'années, et pas seulement en Italie, ils forment une structure autre, fondée sur une autre rationalité que la négociation syndicale, mais plongée malgré tout dans l'organisation capitaliste du travail. Il n'y a pas de séparation évidente entre revendiquer des avantages dans son travail et participer à l'organisation de ce travail. L'un conduit à l'autre. Demander un droit de regard sur les conditions de travail et de salaire, c'est commencer à organiser le travail. De même les "droits" ouvriers (réunion, communication, affichage...) deviennent des droits syndicaux.

Ces organes ouvriers autonomes ne peuvent donc, en tant que tels, et tant qu'ils demeurent sur le terrain revendicatif, proposer une alternative révolutionnaire. Ils sont le lieu de l'expérience prolétarienne à condition de quitter le terrain qui leur a donné naissance. Or, inévitablement, la plupart s ' en tiennent à vouloir défendre les salariés, mieux que les organismes officiels. Par conséquent, ce ne sont pas des structures potentiellement révolutionnaires, ni d'ailleurs assimilables telles quelles par les institutions, car leur anti-hiérarchisme, leur basisme sont incompatibles avec l'ordre social, y compris syndical. Mais les institutions peuvent en digérer des morceaux.

Après le choc de 1969-70, les syndicats ont en effet tenté de se rénover par des structures démocratiques et un "pouvoir syndical" dans l'entreprise. Leurs initiatives sont battues en brèche en 1977, et le chef de la CGIL est expulsé de force de l'université où il tenait un meeting. Mais l'autonomie, se figeant dans une situation bloquée, renouvelle les erreurs conseillistes de 1969-70. Elle ne peut être que l'auto-organisation d'une fraction de la société, tenue à l'écart, et qui prend directement en mains certains aspects de sa vie (squatterisation, autoréduction de charges trop lourdes). Or, se portant sur le terrain social, sans liaison réelle entre la production et l'espace extra-production, les luttes s'y heurtent aux mêmes problèmes et reproduisent les contradictions des luttes classiques de l'usine. Les énergies dépensées se dispersent et se perdent sur le lieu d'une économie qui n'est pas remise en cause.

Dans les pays plus avancés dans le capitalisme, il y a moins de demi-solution. Les mouvements "parallèles" américain, allemand de l'ouest, hollandais, voire danois, ont donné le jour à une vraie marginalité organisée, palliant les carences du capital normal par un capital marginal. Là, à la différence de la France et de l'Italie, la crise de l'Organisation Scientifique du Travail n'a pas coincidé avec sa mise en place définitive. E-U et RFA ont donc connu le ghetto-marginal, là où l'Italie, sous la forme de l'autonomie, engendrait un mouvement confusément radical.

L'autonomie italienne a été la pointe la plus extrême d'un gauchisme plus social et moins politique qu'en France. (De même le PCI est de longue date plus "ouvert" que le PCF: il a annoncé il y a près de dix ans ce que fait aujourd'hui la gauche, déclarant en 1974 accepter l'austérité à condition qu'elle serve des réformes de structure.) Le gauchisme italien a bénéficié d'un renouveau intellectuel dans les années 60, au moment où la France subissait le structuralisme et, dans la foulée, Althusser, etc.

Après 1969, Potere Operaio voulait apporter une organisation à un mouvement double (ouvrier et étudiant) de travailleurs déqualifiés revendiquant un être collectif et prenant le pouvoir politique, non pour gérer la production, ou l'humaniser, mais afin de changer toute la société. Il y avait là la compréhension de ce que la révolution n'est pas d'abord un problème ouvrier, mais dans une perspective encore classiste-sociologique. Au lieu d'une classe ouvrière au sens habituel, on fait en sorte que beaucoup de monde se retrouve dans "la classe". Cette tendance à un refus de l'idéologie du travail, même exprimée à l'intérieur d'une vision politique, était sans doute le maximum auquel pouvait se hisser le gauchisme.

C'était aussi un effort pour réunifier les prolétaires, par le retour au conseil (Gramsci aidant) et à l'unité de la classe. Partant de la réalité nouvelle (en fait analysée par Marx, mais perçue comme nouvelle) du travailleur collectivement producteur de plus-value, Tronti et Negri ont parlé d'ouvrier-masse, d'ouvrier collectif, c'est-à-dire d'une union par le processus de travail, quand il faudrait au contraire sortir de la pure et simple défense de la condition prolétarienne.

La proposition d'un salaire garanti à chacun, travailleur occupé ou chômeur, femme au foyer, étudiant, marginal, ambitionnait de solidariser lés couches laborieuses: en fait tout le monde, à part une minorité de bourgeois et de cadres. Ce salaire dit "politique" correspondait à l'exigence concrète de suppression des zones de salaires en Italie, et d'augmentations uniformes de salaires. Il s'agissait ni plus ni moins de créer un prolétariat par la salarisation universelle. La plate-forme autonome choisissait pour horizon théorique une utopie capitaliste. Son égalitarisme, à la fois uniformisation de la condition prolétarienne, et solidarisation, était en quête d'une unification qui ne pourra se faire que dans la révolution, sur des objectifs communistes.

En France, l'autonomie fut surtout le fait d'une frange de jeunes hors-travail, ce qui à nos yeux ne suffit certes pas à la condamner. Le prolétariat se constitue aussi à partir des chômeurs plus ou moins volontaires, des travailleurs intérimaires, des petits délinquants, des intellectuels déclassés. La force et la radicalité d'un mouvement prolétarien se reconnaîtra entre autres au fait qu'il intégrera les exclus du salariat, ce qui l'aidera à ne pas s'enfermer dans la limite des entreprises. Mais, en France bien plus qu'en Italie, l'autonomie qui s'est revendiquée comme telle a dans la pratique tout axé sur la violence de la marge. Les autonomes étaient à juste titre dégoûtés de la politique, de la gauche et des gauchistes. Ils avaient raison de refuser de jouer le jeu d'une démocratie qui est la meilleure garante de la paix civile. Mais ils ont sombré dans le fétichisme de la violence et de l'illégalité. Ni l'une ni l'autre ne sont des critères absolus de radicalité, et elles ne peuvent pas non plus transformer en acte subversif ce qui ne l'est pas. La pratique du débordement de manif, si elle correspond à un élan massif contre les appareils, est une critique en acte de la politique. Quand elle se systématise au point de devenir à elle-même son propre but, elle est aussi dérisoire et impuissante qu'une manif traîne savate. Ainsi le vit-on dans les manifs anti-nucléaires comme celle de Malville {1977). A la majorité d'écologistes pacifiques, se juxtaposait une minorité décidée à se battre, qui surajoutait sa violence à une manifestation globalement réformiste. Les occupations d'appartements s'attaquent à l'un des aspects importants de l'organisation capitaliste de la vie. Réduites à la constitution de ghettos, elles sombrent dans la marge, quelle que soit la violence verbale ou physique dont font montre les occupants.

Le 23 mars 1979, quand les sidérurgistes lorrains condamnés au chômage par la restructuration vinrent manifester dans Paris à l'appel de leurs syndicats, ce qui se passa dans les rues résume fort bien la situation des dernières années: limites des luttes ouvrières, violence impuissante des autonomes, inexistence publique du courant révolutionnaire. Bon nombre de sidérurgistes étaient venus pour en découdre, et s'étaient équipés en conséquence. Ce qu'ils n'avaient pu faire dans leur ville industrielle, c'est-à-dire dépasser la condition prolétarienne, ils le remplaçaient par une exaltation destructrice. Une radicalité ouvrière s'affirmait. Il ne s'agissait pas simplement de défense de l'emploi. Le saccage du centre marchand et financier de Paris et la recherche de l'affrontement avec la police exprimait l'hostilité à tout un système. Il y a une différence qualitative entre s'insurger dans sa ville, "chez soi", et porter cette contestation au coeur géographique du capital national.

Les syndicats furent débordés, mais non remis en cause. Ils avaient gardé la maîtrise de l'organisation matérielle de la manif et s'employèrent à limiter la casse et les contacts entre ouvriers et autonomes. Ces derniers, qui participèrent activement aux affrontements avec la police et aux saccages, étaient incapables d'un autre lien, d'une autre pratique commune avec les ouvriers, que le "baston". Aucun projet social, nul balbutiement théorique n'animaient ces bagarres. La caractéristique du mouvement apparu vers 1968 persistait. Il était essentiellement négatif, ne se donnait pas d'objectif concret, il ne comprenait pas encore dans et par sa pratique que la destruction du capitalisme inclut obligatoirement des mesures positives de transformation sociale. Il aurait été utile que nous intervenions le 23 mars 1979, sur nos propres bases. Nous ne pouvions certes pas à nous seuls abolir les limites de cette agitation, encore moins lui donner un programme dont elle n'était pas porteuse. C'eût été verser dans le gauchisme, c'est-à-dire dans la gestion des luttes des autres -- ce qu'ont tenté de faire les idéologues de l'autonomie, en France comme en Italie. La diffusion de nos thèses durant cette journée de colère n'aurait pas eu d'effets visibles immédiats, mais il n'est pas douteux qu'elle nous aurait permis de nouer des liens et qu'elle aurait laissé des traces. Entre 1968 et 1973, il avait existé en France un courant révolutionnaire assez homogène pour se mobiliser quand c'était nécessaire, sans s'arrêter aux délimitations de groupes. En 1977, une partie de ce courant, issue de la VT et de ses environs, avaient encore su se regrouper pour intervenir dans l'affaire Baader. En 1979, ce courant était trop désarticulé pour intervenir de manière unitaire. Il garda le silence -- ou fut extrêmement discret.

Dans un mouvement social, l'absence de projet n'est pas à déplorer parce qu'il faudrait que tout geste subversif s'accompagne de son explication théorique, et que chacun soit à même de définir le communisme. C'est la situation du prolétariat qui déclenche son action, et la conscience n'apparaît que comme conscience de l'acte, non avant. Comme idéologie, l'autonomie est aujourd'hui à peu près morte. Mais les pratiques que les idéologues autonomes avaient voulu organiser subsistent, de façon plus diffuse. La volonté de refuser le vieux monde dans tous les moments de la vie, isolée d'un mouvement social, verse immanquablement dans l'un ou l'autre des travers énoncés plus haut -- la marge plus ou moins clochardisée ou le terrorisme, ou dans leur synthèse: la délinquance à justification politique. Nous ne prétendrons pas critiquer la manière dont se débrouillent pour survivre ceux qui ont en commun avec nous le refus du vieux monde, et la volonté de vivre ce refus dès à présent dans la pratique, autant que faire se peut. Mais des pratiques qui ignorent le mouvement social qui les a produites se condamnent à foncer dans le brouillard, vers le réformisme ou le suicide. S'il est exact que la politique et le militantisme se nourrissent de théorie dégradée en idéologie, le refus pur et simple de la théorie revient à se perdre dans l'immédiat c'est-à-dire à se soumettre au capital qui l'organise, ou à mourir. "Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire"...

Le surgissement autonome fut le fruit d'une crise sociale encore insoluble, pour le capital comme pour le prolétariat. Il a confirmé l'existence, dans les usines et ailleurs, d'une faible minorité résolue et prête à agir. Mais à agir pour quoi? Ici la carence théorique est grave. Les autonomes ont souffert à un stade aigu d'une maladie récurrente en milieu révolutionnaire: la démangeaison activiste. Durutti aussi avait voulu agir sans s'embarrasser de bavardages intellectuels. Mais, malgré le mythe entretenu sur lui par les anarchistes, par l'IS et par tant d'autres jusque dans la musique rock, on ne doit pas perdre de vue l'essentiel: son besoin d'agir le mit au service de l'Etat républicain contre une forme étatique rivale. Si la conscience ne précède pas l'action, elle en est un moment indispensable.

Dans un autre registre, l'évolution du GLAT témoigne aussi de la crise de la théorie révolutionnaire. En 1978, ce groupe décida de continuer son travail théorique, mais cessa de publier son bulletin, l'une des principales nourritures spirituelles du révolutionnaire depuis plusieurs années, au moment où cette réflexion et l'apport du GLAT étaient des plus vitaux. Le GLAT disait ne plus voir la relation entre son travail et le reste du monde. Niant la fonction sociale de la théorie révolutionnaire, il entendait pourtant poursuivre plus que jamais ses recherches, à seule fin d'aider l'intellectuel à se dépasser comme intellectuel.

Cette extraordinaire position était le pendant de celle de Camatte affirmant au même moment la nécessité de l'errance théorique, au nom de la vie. Le GLAT et Camatte montraient ainsi leur incompréhension du rapport entre la théorie et le reste. Le GLAT oubliait que son bulletin, même sans écho perceptible, faisait son chemin et alimentait une maturation. En préférant la vie aux idées, Camatte prouvait qu'il avait jusque là accordé à l'intellect un privilège qu'il ne peut avoir, sous peine de mutiler l'individu, et son intelligence même: il avait voulu faire entrer toute la vie dans la théorie. Constatant l'impossibilité de l'entreprise, au lieu de prendre la théorie pour ce qu'elle est -- une approximation, la forme la plus adéquate possible à un réel multiforme, un point de vue sur le monde qui ne contient pas le monde mais est contenu par lui, un effort de compréhension qui ne peut jamais se comprendre tout à fait lui-même -- Camatte a jeté par-dessus bord toute prétention à la cohérence.

Le triomphe du capital n'est pas tant d'exporter des idées fausses dans le mouvement révolutionnaire que de faire perdre à ce dernier le sens de sa relation avec la société dans son ensemble. Au lieu de développer les germes du mouvement social apparu en 1968-72, la crise économique a ajouté de nouvelles limitations à celles de 1968, tout en produisant une nouvelle génération de révolutionnaires.

"La crise actuelle du capitalisme n'a pas produit de nouveau mouvement révolutionnaire, elle n'a fait paradoxalement qu'approfondir la crise de la théorie révolutionnaire moderne." (L'Internationale Inconnue, la Guerre Civile en Pologne, 19761)

 

Le Monde Diplomatique pirate

La mort de Baader et de ses camarades (1977) et les réactions qu'elle suscita, notamment dans la presse, donnèrent à deux ou trois d'entre nous l'idée de fabriquer un faux Monde Diplomatique. L'initiative regroupa pendant quelques jours des énergies momentanément isolées, et d'autres alors organisées ailleurs. L'essentiel fut rédigé et fabriqué par des personnes qui animent aujourd'hui la Banquise, avec l'aide de membres et amis de la Guerre sociale, et quelques autres. Une partie des textes fut reproduite en 1978 dans le n·2 de la Guerre sociale.

C'était une réaction au renforcement spectaculaire de l'Etat en période de crise, qui révélait non seulement l'étendue de ses moyens policiers mais encore, rassemblait derrière lui la quasi-totalité des médias et des forces politiques et intellectuelles. Plus encore que sous les traits de l'Etat policier tant dénoncé, la contre-révolution apparaissait sous la forme du consensus organisé. En RFA comme ailleurs, le dispositif policier fonctionnait grâce au conformisme entretenu par l'inertie sociale et grâce aux détenteurs du monopole de la parole: intellectuels, journalistes, politiciens, professeurs, experts, etc., qui s'employaient à exacerber et à gérer une hystérie populaire qui n'avait sans doute pas eu de précédent en Europe depuis la dernière guerre mondiale. Les voix discordantes ne faisaient exception que pour en appeler à une "vraie" démocratie, comme si le consensus hystérique n'était pas justement un pur produit de la démocratie.

Cette inertie sociale est rendue possible non par la "passivité" des travailleurs, qui n'en continuent pas moins de mener des luttes, mais par le respect des limites nécessaires au fonctionnement normal du capital et de sa démocratie. Il est évident qu'un mouvement communiste actif aurait trouvé, à la place ou en plus de ce détournement d'un média, d'autres formes d'action, autrement offensives. Nous ne cherchions nullement à employer contre la presse ses propres armes. Face à la servilité journalistique qui s'étalait dans les médias, nous n'en appelions pas à un "véritable" journalisme moins respectueux des pouvoirs.

Nous avions choisi le Monde Diplomatique à la fois pour des raisons de commodité -- sa périodicité, et parce que le public de cet organe -- intellectuels libéraux et de gauche, était précisément celui que nous voulions en particulier attaquer. La technique du faux permettait à la fois de faire connaître nos positions (diffusion en librairie et de la main à la main) et d'attaquer les médias par un procédé analogue à celui du sabotage dans la sphère de la production .

Dépourvus de moyens d'attaquer effectivement l'Etat, par exemple par une manifestation ou tout autre acte plus virulent, nous intervenions dans le domaine des idées, et dans un milieu limité. Le faux Monde Diplomatique faisait ce que la presse est censée faire en période de crise et qu'elle ne fait évidemment pas: exercer l'esprit critique à un moment critique pour le pouvoir. Nous utilisions à cette fin l'ironie, le déguisement: arme puissante, mais arme de faible qui ne peut attaquer de front. Nous faisions ce que la démocratie ne faisait pas, mais contre elle.

Nous tirâmes à 2.000. Quelques centaines furent adressés à des journalistes, des personnalités, créant une certaine émotion dans les rangs ennemis. Nous savons de source sûre que les responsables du principal média visé (Le Monde) en furent passablement incommodés. Les autres exemplaires furent diffusés très vite en milieu contestataire. Contrairement à ce qu'imaginèrent, de bonne ou de mauvaise foi, les journalistes, la réalisation d'un tel faux, qui nous coûta en tout 4.500 francs d'alors, est à la porté de quiconque veut s'en donner les moyens. La force d'inertie sociale, le poids des idées reçues, et non les difficultés matérielles, sont les vrais freins à l'action sortant du cadre politique habituel .

Quelques lecteurs ou destinataires mirent un certain temps avant de s'apercevoir de la supercherie. Faut-il en conclure que les textes n'étaient pas clairs? Cela prouve plutôt le caractère destructurant d'une telle action, qui secoue les cadres de pensée établis. Et au-delà? L'ensemble du numéro n'avait rien d'une protestation démocratique, le communisme et la révolution y étaient. Mais la nature de cette activité contient sa limite.

La réalisation s'était faite dans une atmosphère agréable et efficace, mettant en contact des gens longtemps séparés, ou qui ne se connaissaient pas. Le réseau de contacts qui s'était tissé à la Vieille Taupe avait été réactivé. On se demanda que faire par la suite. Les semaines suivantes, des réunions n'aboutirent à rien. C'était une action ponctuelle bien menée, mais c'était tout. Nous avions vérifié que le travail mené dans et autour de la Vieille Taupe avait laissé des traces chez suffisamment de gens pour qu'ils pussent à l'occasion constituer une force d'action efficace. Mais il n'était pas question d'organiser cette réserve d'énergies. L'organisation est l'organisation des tâches et aucune autre tâche ne paraissait suffisamment urgente pour souder ces énergies. Pourtant l'une des phrases essentielles des textes du faux était la dernière: Maintenant, parlons d'autre chose.

 

La Vieille Taupe 2 et l'affaire Faurisson

Les textes du Monde Diplomatique pirate présentaient un défaut dont on n'aperçut que plus tard les implications. Bien qu'il affirmât à plusieurs reprises que la question importait peu, bien qu'il centrât sa critique sur le consensus spectaculaire et démocratique, le faux MD tranchait la question de savoir si Baader avait été tué ou s'était tué: il lui paraissait que la vérité était, à n'en pas douter, littéralement l'inverse de ce que racontaient les médias, qu'il était extrêmement vraisemblable que les enfermés de Stammheim avaient été tués par d'autres qu'eux-mêmes .

Paradoxe d'un faux visant une vérité! C'était une erreur de s'attarder sur la vérité "littérale". De même que la "vérité" de notre Monde Diplomatique n'était pas son titre pourtant écrit noir sur blanc, de même la vérité de la mort de Baader n'était pas l'identité du doigt qui appuya sur la gâchette du pistolet. Il est littéralement vrai que ce doigt a dû pourtant bien posséder une identité, et pas une autre. De même, il est sûrement vrai que les chambres à gaz ont dû exister -- ou non. Mais pour un révolutionnaire, l'identité du doigt qui a tué Baader, de même que l'existence ou la non-existence des chambres à gaz ne sont que des vérités dépourvues de sens, aussi utiles que le couteau sans lame auquel manque le manche. Ce fut pourtant le problème de cette vérité-là qui déchira un peu plus un courant révolutionnaire français déjà bien éparpillé.

1979: à ma droite, un "petit prof" universitaire lyonnais qui proclame depuis des années cette "bonne nouvelle pour l'humanité": les chambres à gaz des camps de concentration nazis n'ont jamais existé, elles ne sont qu'un sinistre ragot de prisonnier, repris par la propagande de guerre et institué en vérité officielle par des forces -- sionisme et stalinisme notamment -- dont les intérêts là-dessus convergeaient. Il en serait de même pour le génocide des juifs, qui n'aurait "au sens strict" pas de réalité. Sur le premier point l'hurluberlu développe une argumentation parfois convaincante, du moins au premier abord. Il montre combien sont fragiles certaines "preuves" de l'histoire officielle.

A ma gauche, des représentants de la corporation des historiens qui, après avoir longtemps opposé le plus épais des silences aux cris du petit prof, déclarent dans le Monde: "il ne faut pas se demander comment techniquement, un tel meurtre de masse a été possible. Il a été possible techniquement puisqu'il a eu lieu. (...} il n'y a pas, il ne peut pas y avoir de débat sur la question des chambres à gaz." Puis, une fois ces prémisses éthiques posés, la corporation entre plus ou moins dans le débat et s'applique à démontrer, parfois de façon convaincante, que le petit prof n'est pas aussi rigoureux qu'il le prétend et serait même à l'occasion quelque peu faussaire.

Ni l'un ni l'autre des adversaires ne se refusent aux considérations sur les motivations de l'ennemi, qu'on les trouve dans la psychopathologie ou dans le mesquin besoin de défendre son fromage, sans parler des ténébreuses arrière-pensées politiques que les deux camps se prêtent volontiers.

Tout cela au milieu des clameurs antifascistes de tous ceux qui ont la parole et s'entendent si bien à la garder: hommes politiques toutes tendances confondues -- des démocrates bon teint aux ex-vichystes, ex-OAS, en passant par les staliniens, des journalistes en quête de scoop, aux gardiens du souvenir, sans oublier ceux qui jugent important de communiquer leur opinion à chaque trouble digestif de la bonne conscience occidentale: les intellectuels.

L'affaire Faurisson survint en France après deux autres auxquelles, à première vue, elle ressemblait beaucoup. Il y avait eu d'abord un "coup" journalistique particulièrement malodorant: on était allé recueillir les borborygmes séniles d'un ancien commissaire aux questions juives retiré en Espagne, Darquier de Pellepoix. Puis les médias européens avaient lancé à grand fracas sur les écrans de télé un feuilleton produit aux Etats-Unis et consacré au destin tragique d'une famille juive pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ce n'était pas la première fois qu'on ressortait ce serpent de mer: le nazisme relève-t-il la tête? Mais, la crise aidant, cette question avait des résonances plus inquiétantes: autour d'elle pouvaient se concentrer les peurs irrationnelles qui hantent les hommes lorsqu'ils identifient leur avenir à celui, fort incertain, d'un monde qui les opprime. On vit, donc, fait assez peu courant, les plus hautes instances gouvernementales débattre de la nécessité d'acheter d'urgence une "série" télévisée. La première projection d'Holocauste fut un moment de grande communion nationale. A entendre certaines conversations de rue, le devoir de tout démocrate était ce soirlà d'être devant sa télé.

L'attention des lecteurs de la presse fut attirée pour la première fois sur Faurisson grâce au Matin qui voulait sans doute monter une opération du même acabit que celle qu'avait réussie L'Express avec Darquier de Pellepoix. Connaissant les conditions dans lesquelles un entretien avait été extorqué au petit prof de Lyon et la façon dont avait été ensuite trafiqué et présenté l'entretien en question, nous nous en serions scandalisés si nous nous intéressions à ce machin: la déontologie, et si nous avions encore quelque illusion sur la profession de journaliste.

Le journal socialiste annonçait qu'à Lyon, un enseignant soutenait Darquier de Pellepoix. En outre, un antiraciste forcené, Jean-Pierre Pierre-Bloch, avait déclaré au Matin que la "thèse" de Darquier était celle de ce "faussaire de Rassinier". Or Faurisson se réclamait du même Rassinier. Rassinier étant mort et -- ce que Le Matin n'avait pas cru devoir reproduire -- Faurisson ayant déclaré que Darquier était le type même d'homme qu'il combattrait toute sa vie, le petit prof de Lyon était seul contre tous. D'un côté le méchant, de l'autre les bons. Tout était donc en place pour l'une de ces affaires qui ne peuvent que laisser indifférents ceux qui savent ce qu'est la société du spectacle. On allait assister à l'un de ces événements créés de toute pièce pour donner de l'ampleur au bruit de fond, pour que ne cesse pas un instant la musique d'ambiance qui est la raison d'être des médias, le flux de pseudo-informations qui empêchent le prolétaire de réfléchir.

Pourtant, certaines personnes, qui avaient presque toutes en commun d'être partisans de l'abolition du salariat (parmi elles figuraient P[ierre]. Guillaume, J[ean]-P[ierre] Carasso, H[ervé] Denès, C[hristine] Martineau) crurent utile d'écrire à Libération pour affirmer que Rassinier, dont Bloch faisait un ancêtre spirituel de Darquier, loin d'avoir été nazi, avait été un extrémiste de gauche, résistant et déporté à Buchenwald et qu'il était encore socialiste et pacifiste lorsqu'il formula les thèses qui lui valaient à présent d'être assimilé à un commissaire aux questions juives de Vichy.

Qu'allaient donc faire des révolutionnaires dans cette galère? Certains de ceux qui rédigent La Banquise ont donné leur signature à cette lettre parue sous le titre "Connaissez-vous Rassinier?" Aujourd'hui, nous considérons qu'avoir donné ces signatures fut une première erreur, pour plusieurs raisons, dont la principale est que cette lettre visait avant tout à préparer le "débat".

En effet, de quel débat s'agissait-il? La version officielle et l'opinion courante affirment que les nazis ont délibérément massacré des Juifs. Les "révisionnistes" à la Faurisson répliquent que les déportés sont morts de faim, de maladie, etc. Au lieu de mettre un pied dans ce débat, comme nous le fîmes, au lieu de s'y perdre, comme le firent quelques révolutionnaires, nous eussions tous été mieux avisés de répondre:

"Ce débat est faussé. Nous ne deviendrons pas plus des spécialistes du Zyklon B que nous n'avons réclamé en 1977 de procéder nous-mêmes à l' autopsie de Baader. Un très grand nombre (que nous vous laissons fixer) de Juifs, et Baader et ses camarades ont été tués par l'Etat allemand et le système capitaliste mondial."

Au point de départ, l'intérêt des révolutionnaires pour les camps de concentration (et donc pour Rassinier} s'intégrait à un effort d'analyse critique de la guerre de 1939-1945*. Comprendre comment on avait utilisé, voire grossi, les atrocités nazies, pour justifier la guerre et l'après-guerre, aidait à mieux comprendre la fausse opposition démocratie-fascisme. Ce fut pour cette raison que nous avions republié un article de Programme Communiste: "Auschwitz ou le grand alibi", en 1971 et 1974. En 1983, après une campagne de quatre ans animée par la Vieille Taupe deuxième manière créée à cet effet par Pierre Guillaume, ceux qui ont pu lire les ouvrages publiés par la librairie la Vieille Taupe, fermée en 1972, ignorent toujours ce que la Vieille Taupe 2 pense de 1939-1945 ou du fascisme. Depuis quatre ans, il n'a été question pour la VT2 que de gazage et du droit d'en parler.

Ceux qui se retrouvaient à la librairie la Vieille Taupe considéraient, comme nous l'avons dit, que leurs actes et leurs écrits étaient leur signature. La Vieille Taupe était un lien et un lieu de réunion -- tout, sauf une signature. P. Guillaume l'a ressuscitée sous la forme exclusive d'une signature qui tire, que P. Guillaume le veuille ou non, tout son intérêt d'une activité passée qui n'avait rien à voir avec son activité présente. En disant cela, nous ne nous posons pas en héritier sourcilleux d'une activité dont il fut le principal animateur. Simplement, par fidélité à ce que nous avons eu de commun avec lui autrefois, il nous faut opposer le P. Guillaume d'aujourd'hui à celui d'autrefois.

Si le Mensonge d'Ulysse de Rassinier est un document intéressant, s'il tranche sur la plupart des écrits de concentrationnaires, et sur le délire de certains, il n'en est pas pour autant un ouvrage exceptionnel. Tout ce que certains ont voulu y voir pourrait être dégagé d'autres récits, par exemple, de celui du déporté russe Martchenko, Mon témoignage, le Seuil, 1970. Bien plus que le livre lui-même, ce sont les réactions qu'il a provoquées qui sont révélatrices. [COMMENT ON AURAIT PU TIRER EN 1948 DES RENSEIGNEMENTS D'UN LIVRE PUBLIE EN 1970 ECHAPPE A LA COMPRENETTE DES EDITEURS.]

L'intérêt de Rassinier, c'est avant tout son refus de la propagande de guerre. Quand il sort de son hostilité au bourrage de crâne et se met à expliquer la guerre et la question juive, il débloque: non par des erreurs de fait (nous ne nous sommes pas attaqués à la vérification de ses sources), mais surtout par l'angle d'approche des problèmes. Qu'il ait pu être dérangeant n'y change rien. Les sectateurs de Moon, par exemple, dérangent aussi et réunissent contre eux une belle union sacrée. En deviennent-ils pour autant intéressants ?

Note infrapaginale

* Il est cependant inexact d'écrire, comme P. Guillaume: "En deux mots, depuis 1970, la VT partageait pour l'essentiel les thèses de P. Rassinier." (texte pour Libération, dans S. Thion, Vérité historique ou Vérité politique, la VT, 1980, p. 139}. Ou que "Le Mensonge d'Ulysse fit l'unanimité de la VT pour reconnaître son importance radicale sur tous les plans." (P. Guillaume, préface à Rassinier, Ulysse trahi par les siens, la VT, 1980, p . 180 ) La seconde affirmation est très exagérée. Quant à la première, les "thèses" de Rassinier étaient mal connues, et récemment encore très peu de ceux qui le défendaient avaient lu autre chose que le Mensonge et Le Drame des Juifs européens. Aujourd'hui encore, qui a lu Les Responsables de la Seconde Guerre mondiale?

Fin partie 4


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Ce texte, et sa suite, constituent l'essentiel du numéro 2 de La Banquise, paru lors du "deuxième trimestre 1983", à Paris. Après quelques numéros, la revue a disparu. Elle était rédigée par un collectif et le responsable de publication était Gilles Dauvé. Comme il se trouve que ce texte sert de base à toutes sortes de discours accusatoires et défensifs, dans l'affreuse mêlée oui se trouvent les Voraces, en grande parties auteurs de ce "roman de nos origines" et les Coriaces qui veulent les pendre à Montfaucon pour "révisionnisme", nous, les révisionnistes, les vrais, les poilus, blanchis sous le harnais, nous publions ce texte qui est, en partie, il est vrai, mais pour une petite partie seulement, à ranger dans nos origines aussi. Les auteurs sont traités de "branleurs vaneighemistes" par un autre "originaire". C'est une bonne qualification. Elle nous paraît juste. Ils pleurnichent aujourd'hui en disant que leur texte avait des "faiblesses". C'est le moins qu'on puisse dire.

Ce texte est long et ennuyeux. Ceux qui veulent aller tout de suite au croustillant devraient commencer avec la partie 3 où apparaît laVieille Taupe.Inutile de dire que ce texte expose un point de vue qui n'est pas le nôtre. Nos rarissimes commentaires sont en lettres capitales. Le texte est reproduit intégralement, mais nous avons omis les illustrations. On lisait, en dernière page: "Les textes publiés dans la BANQUISE peuvent être librement reproduits, sans indication d'origine."

Ami lecteur, n'oublie pas qu'avec un texte électronique on peut tout faire, sauf se torcher.


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