Naturellement, les protestations sporadiques, improvisées
avec l'événement lui-même, réactions
instinctives de l'opinion ou des consciences accompagnant l'actualité,
gardant par là le caractère de l'improvisation,
interjections de surprise ou d'indignation, nécessairement
peu coordonnées et peu constructives, ont été,
quelque temps après, suivies d'études d'ensemble,
livres ou brochures, articles étendus, plus cohérents,
plus systématiques, qu'il est indispensable de faire connaître
également pour donner une notion assez nette des réactions
provoquées par le verdict de Nuremberg.
On notera d'abord un phénomène qu'on peut trouver,
comme on voudra, naturel ou étrange: dans chaque pays du
monde, dans chaque langue du monde, il existe un livre contre
le procès de Nuremberg; passionné ou objectif, timide
ou implacable, ce livre aboutit toujours à la même
condamnation. Il s'est trouvé dans chaque pays un homme,
cette fois sans mandat, pour se créer le devoir de protester,
pour s'en faire une obligation. Les écrivains français,
seuls, se sont tus. Dans chacun de ces pays, il existait dans
la législation un article punissant l'apologie des crimes.
Le gouvernement français, seul, s'en est servi. On méditera,
comme on voudra, sur ces constatations. Elles expliquent peut-être
incidemment pourquoi nos livres ne se vendent plus à l'étranger.
Nous rendons donc hommage à tous ceux qui, pasteurs, prêtres,
juristes, écrivains, ont eu l'honnêteté de
protester publiquement contre ce qu'ils regardaient comme une
injustice. Ce livre n'est pas un palmarès. J'oublie certainement
beaucoup de noms. Je m'en excuse auprès de ceux qui sont
injustement omis sur les difficultés que peut trouver un
particulier à réunir sur un tel sujet une documentation
complète. Je ne cite ici que les ouvrages ou les brochures
dont j'ai eu connaissance et qui sont les plus caractéristiques.
On trouvera peut-être ce chapitre un peu long. Mais ce sera
un jour une consolation.
Nous commencerons ici encore par les pays anglo-saxons. L'esprit
protestant a cela de grand qu'il ne peut supporter une tache sur
la conscience; il a le courage de la confession publique qui est
en effet à l'égard de l'irréparable la seule
forme de réparation envers soi-même et envers autrui.
Je ne peux me souvenir sans tendresse de ce pasteur dont je parlais
au début de ce livre et qui, au milieu de 1944, condamnait
tranquillement dans son bulletin paroissial les massacres des
femmes et des enfants allemands. Comme lui, d'autres hommes se
sont dressés partout contre l'injustice, presque seuls
d'abord, puis s'enhardissant. Je ne crois pas qu'un jour on voie
la tempête du mal tomber, assagie par ces voix lointaines
comme par la flûte d'Orphée. Mais je crois que de
tels livres sont notre honneur. Il en arrivera ce qui pourra.
Voici donc ce qu'écrivait dès 1947 sur le verdict
de Nuremberg un intellectuel anglais nommé Montgomery Belgion
dans un livre auquel il donna pour titre Epitah on Nuremberg,
ce qu'on peut traduire, je crois, par Lettre sur Nuremberg.
Cette lettre est censée être adressée à
un pasteur de ses amis.
Elle reprend et résume d'abord les objections les plus
souvent faites sur la composition et la compétence du tribunal.
Le tribunal était l'instrument judiciaire d'une des parties
en cause. Le tribunal n'était qu'un prolongement du Ministère
public. On trouvait ainsi un Ministère public assis sur
le siège, en plus du Ministère public debout au
Parquet. Cette difficulté, ni l'audience ni le jugement
ni aucun article du statut ne pouvaient la résoudre. La
difficulté qu'on rencontrait était la question:
Quelle garantie avons-nous de l'impartialité des juges?
A cette question, la seule réponse possible est que nous
n'avons aucune garantie de leur impartialité Ils étaient
nommés pour confirmer la ligne politique des grandes Puissances
victorieuses Même si nous estimons que le vaincu mérite
de porter la responsabilité de cette guerre, il est si
évidemment de l'intérêt du vainqueur d'en
rejeter toute la responsabilité sur le vaincu que le vainqueur
est dans l'incapacité de se faire prendre au sérieux
quand il fait porter sur l'autre cette responsabilité Que
les vainqueurs aient cherché à rejeter sur le vaincu
toute la responsabilité de la guerre au moyen d'une cérémonie
ostensiblement judiciaire mais dans laquelle ils étaient
à la fois accusateurs et juges, cela montre un mépris
réellement stupéfiant de la justice et de la vérité
en même temps qu'une confiance maniaque en tout ce qui est
frelaté.
Le procès de Nuremberg, selon moi, a eu pour objet de renforcer
l'allégation exprimée dans ce passage du message
de Montgomery (il vient de citer le discours où Montgomery
dit: «Nous ne vous laisserons pas oublier que vous avez
été coupables de prendre l'initiative de cette guerre»).
Pour reprendre l'expression du juge Jackson que je citais tout
à l'heure, il a eu pour objet de «démontrer
aux Allemands que le crime pour lequel leurs chefs vaincus étaient
traduits en justice ne fut pas d'avoir perdu la guerre, mais de
l'avoir déclarée». Je ne pense pas, comme
le juge Jackson feint de le croire, que le procès a eu
pour objet de déclarer tel ou tel survivant du cabinet
allemand ou tel ou tel général ou amiral allemand,
ou d'autres, coupable d'un acte technique d'agression. Mais en
dépit de la déclaration du juge Jackson que «nous
n'avons pas à nous laisser entraîner dans un procès
sur les causes de la guerre», je constate que le procès
de Nuremberg a eu pour objet de créer l'illusion qu'on
découvrait par des méthodes légales ce que
nous voulions démontrer, à savoir que l'Allemagne
était responsable de la guerre. Je pense que le fait de
créer cette illusion favorable à notre démonstration
était précisément cette opération
de grande politique qui avait été confiée
au tribunal quand on le chargea de condamner la plupart des accusés.
Mais, pour la première fois dans ce livre, on voit un auteur
aller bien au-delà de ces objections habituelles. En dénonçant
le jugement de Nuremberg comme une opération politique
destinée à justifier les vainqueurs, il en
dénonce aussi le caractère d'opération de
propagande, préparée et préméditée,
exactement comme ce fut le cas pour d'autres opérations
de propagande de la seconde guerre mondiale.
Alors qu'en 1918, écrit-il, c'est la vérité
de Versailles qui fit endosser solennellement au vaincu toutes
les responsabilités de la guerre, cette fois-ci, au lieu
d'attendre le traité de paix pour proclamer l'Allemagne
responsable de la seconde guerre mondiale, nous avons décidé
d'avoir des procès qui devaient, pensait-on, établir
de façon concluante sa culpabilité aux yeux du monde
entier et aussi aux yeux des Allemands eux-mêmes. Tel fut,
je le prétends, le réel objet du procès de
Nuremberg. Telle est, je le prétends, sa véritable,
sa complète explication. En outre, on expliquerait aux
Allemands par de belles émissions bien détaillées
les audiences du procès. Le procès de Nuremberg
a été une gigantesque mise en scène. Le procès
de Nuremberg a été une gigantesque opération
de propagande.
L'intention de propagande peut être subodorée dans
le ton des articles préparatoires. Pour beaucoup de gens
en Angleterre et aux Etats-Unis et aussi bien, à cet égard,
en France, le maximum de la monstruosité allemande fut
découvert grâce aux descriptions de la situation
des camps de concentration. En face de détails qui furent
soudain rendus publics en avril 1945 sur les indicibles horreurs
de Belsen, de Buchenwald et autres lieux, une vague d'indignation
et de colère balaya le monde anglo-saxon. C'était
une indignation honnête et une colère généreuse.
Néanmoins, si nous nous arrêtons un instant pour
remarquer l'énorme publicité qui fut donnée
aux nouvelles concernant la situation des camps à ce moment
précis et si nous la comparons avec le silence observé
sur quelques autres sujets, le soupçon s'impose inévitablement
à nous que ces découvertes ne se produisirent pas
par pur hasard, à l'aube de la victoire. Elles semblaient
avoir eu un objet précis. Elles semblaient bien avoir été
réservées pour exploiter des sentiments honorables
dans le c_ur du public et pour exacerber la haine du vaincu Comme
la voix de la propagande peut être soupçonnée
sur ce point, je la soupçonne aussi dans le déroulement
actuel des procès intentés aux Allemands, et avant
tout dans le procès de Nuremberg. Les mains ont pu être
les mains de la Justice, mais la voix était la voix de
la Propagande.
La caractéristique de l'époque à laquelle
nous vivons est que la défaite de l'ennemi dans la guerre
n'est plus suffisante désormais. Comme la guerre elle-même
est devenue de plus en plus terrifiante par la puissance et le
nombre des armes mises en action, par l'étendue des destructions
et de la détresse infligée aux hommes, par la violence
des passions déchaînées, ainsi en est-il de
l'après-guerre. Vaincre l'ennemi sur le champ de bataille
ne suffit plus. Une fois vaincu, l'ennemi doit, en outre, être
proclamé responsable de la guerre et il faut le contraindre
à admettre lui-même cette responsabilité.
Ce n'est pas assez qu'il ait perdu la guerre: il doit porter encore
tout le poids du mal provoqué par cette guerre.
Je n'ai pas l'intention de soutenir que les dirigeants allemands
étaient innocents de toute responsabilité dans cette
guerre. Mais je ne suis pas assez naïf pour penser qu'une
agression se produit jamais dans un ciel serein. Je ne suis pas
assez naïf pour supposer que les grandes Puissances étaient
toutes des agneaux avec des toisons blanches comme neige, folâtrant
pacifiquement et joyeusement, tandis que l'une d'elles et une
seule était un grand méchant loup.
Je ne prends pas la défense d'une tolérance qui,
regardant toutes les opinions comme également valables,
finirait par rendre toutes les opinions également insignifiantes.
Mais je reprends mes paroles précédentes. La confiance
dans le triomphe final d'une opinion correcte exige que cette
opinion correcte soit confrontée avec l'opinion fausse
et que a priori l'une et l'autre soient également
soumises à la réfutation. C'est seulement par ce
débat entre opinions contraires que la passion de la vérité
conserve sa vie. L'invincible conscience n'est invincible
qu'à la condition que l'ennemi soit toujours devant les
portes. Si on lève le siège, la conscience succombe
à la langueur et s'atrophie. Nous n'avons le droit, nous
Anglais, d'affirmer que nous avons raison que si les Allemands
ont le droit eux aussi d'affirmer que nous avons tort. Que la
vérité surgisse de la confrontation de la thèse,
de l'antithèse et de la synthèse est une question
qui reste à débattre. Mais ce qui est certain, c'est
que la vérité est une question de découverte:
elle n'a pas à être un objet manufacturé.
C'est également dans ce livre que, pour la première
fois, on voit un écrivain accuser les armées et
les gouvernements alliés d'avoir commis eux-mêmes
les atrocités pour lesquelles ils ont condamné les
chefs militaires et politiques allemands. Reprenant point par
point les griefs de l'acte d'accusation, Montgomery Belgion complète
ainsi, à sa manière, la documentation du Ministère
public allié:
L'opinion publique mondiale ne sait pas le dixième de ce
qui a été ordonné par les gouvernements britannique,
américain, français et russe ou par leurs commandants
militaires, après la reddition allemande. L'opinion mondiale
ne sait pas le dixième de ce que les soldats britanniques,
américains, français et russes, ou en accord avec
eux, de ce que les civils russes, français, polonais, yougoslaves
et autres ont fait, sur ordres directs, pendant la même
période. L'opinion mondiale n'a jamais été
informée.
Cette opinion mondiale fut informée la veille de la reddition
allemande de l'exécrable infamie des camps de concentration
allemands. On ne parla pas, soit alors, soit après, des
camps de concentration non allemands. En juillet 1946, à
Nuremberg, on fit une annonce, pleine d'un humour assurément
inconscient mais cependant sardonique, qui était la suivante:
La délégation américaine à la Conférence
de la Paix, se tenant alors à Paris, avait proposé
que des clauses relatives au crime curieusement nommé «raciste
» la tentative d'extermination d'un groupe racial soient
incluses dans tous les traités de paix et que tout gouvernement
signant un traité soit forcé d'inclure dans son
code criminel une stipulation que qui que ce soit qui attaque
la vie, liberté, propriété d'un groupe racial,
national ou religieux, est coupable de racisme. L'humour sardonique
contenu dans cet avis provient du fait que, en ce qui concerne
le «crime contre l'humanité» nommé «génocide»,
tout le monde sait qu'il y a des camps de concentration (ou leurs
équivalents) pour les Polonais en Pologne, pour les Tchèques
et Slovaques en Tchécoslovaquie, pour les Croates, Slovènes
et Serbes en Yougoslavie, pour les Roumains en Roumanie, pour
les Bulgares en Bulgarie, pour les Hongrois en Hongrie, pour les
Français en France, pour ne pas mentionner d'autres pays
d'Europe.
Le délit des hommes et des femmes confinés dans
ces camps est précisément le délit sur le
compte duquel, de 1933 à 1945, des Allemands furent enfermés
dans des camps de concentration en Allemagne. Ils ont professé
des opinions politiques répugnant à leur gouvernement.
Qui en Angleterre ou aux U.S.A. peut déclarer ignorer que
ces hommes et femmes ont été traités avec
une certaine cruauté? Et même si leur traitement
pouvait être tout ce que l'on peut désirer, ils seraient
encore des hommes et des femmes privés de liberté
et de la jouissance de leurs biens. Ceux d'entre eux qui appartiennent
aux minorités raciales ou politiques ne sont-ils pas ainsi
des victimes du racisme?
Sur la liste des «crimes de guerre» figuraient les
déportations en masse des «territoires occupés»
de citoyens robustes, dans telles et telles conditions de transport
et de situation Des actes de même nature sont mentionnés
comme ayant été accomplis par le gouvernement russe,
ses soldats, ses policiers et officiels, au moment où,
en septembre 1939, la Russie et la Pologne étant en paix,
la moitié Est de la Pologne devint «territoire occupé»,
c'est-à-dire territoire polonais sous occupation militaire
russe. Des actes de même nature sont mentionnés comme
ayant été accomplis par le gouvernement russe et
ses âmes damnées, après l'invasion des Etats
de la Baltique, Estonie et Lituanie, par les armées russes,
sans déclaration de guerre.
Les déportations massives de Polonais en Russie eurent
lieu en février, avril et juin 1940, et en juin 1941. Il
y eut un dernier rassemblement en 1943 après que tous les
habitants de la Pologne annexée eurent été
déclarés citoyens soviétiques. Les déportations
massives de Baltes eurent lieu après l'invasion des pays
Baltes par la Russie en juin 1940. Pour une très bonne
raison, les chiffres exacts de ces déportations ne sont
pas connus. En 1944, toutefois, Miss Keren déclara qu'elle
avait obtenu certains chiffres approximatifs, de la Croix-Rouge
américaine et de la Croix-Rouge internationale. Elle établit
qu'en Estonie 60.940 célibataires de toutes classes et
âges et des deux sexes furent déplacés et
qu'en Lettonie également plus de 60.000 personnes disparurent.
Selon le livre polonais intitulé The Dark Side of the
Moon, en Lituanie 700.000 personnes sur un total de 3.000.000
d'habitants furent inscrites sur les listes de déportation.
Le premier gouvernement polonais à Londres estimait que
les déportations de Polonais avaient atteint entre un million
et un million 600.000 personnes Les cercles polonais à
Londres ajoutent qu'environ 400.000 déportés polonais
périrent durant leur voyage à l'intérieur
de la Russie. Sur 144.000 enfants polonais déportés,
77.834 étaient portés manquants lorsque l'heure
de la libération sonna en 1941.
Assurément, la déportation par le gouvernement russe
de millions d'hommes est apparentée aux «crimes contre
l'humanité» spécifiés dans la mise
en accusation de Nuremberg. On pouvait penser qu'il n'y avait
pas à s'y tromper. On pouvait penser que les exigences
de la justice étaient très simples. Si, en se chargeant
du châtiment des prétendus criminels de guerre les
Puissances victorieuses désiraient, au lendemain de leur
victoire, faire un acte de justice et honorer le principe que
tous les individus sont soumis à la même loi, on
pouvait penser qu'il n'était pas suffisant d'entreprendre
le procès des chefs du gouvernement allemand et de milliers
de soldats et de fonctionnaires allemands, mais qu'il était
nécessaire aussi de faire le procès des membres
du gouvernement russe et de milliers de soldats et de fonctionnaires
russes. Au lieu de cela, le gouvernement russe fit partie du procès
des prétendus «criminels de guerre» et deux
des juges du Tribunal militaire international chargé de
juger les prétendus «grands criminels de guerre»
étaient des personnes désignées par le gouvernement
russe. Que peuvent donc avoir voulu dire les apologistes du jugement
des «criminels de guerre», quand en Angleterre et
aux Etats-Unis ils invoquaient la justice? Comment le procureur
américain peut-il avoir proclamé qu'on ne commit
aucune injustice? Comment le procureur britannique peut-il avoir
représenté le résultat du procès de
Nuremberg comme encourageant pour amener un jour le règne
de la loi et de la justice? De tels jugements en de telles circonstances
résonnaient comme un outrage à la justice
Selon des chiffres avancés par M. E. Bevin, ministre des
Affaires étrangères à la Chambre des Communes
le 26 octobre 1945, on estime à environ 4 millions le nombre
des Allemands qui ont été refoulés des régions
annexées de Pologne vers Stettin, et à environ 4
millions ou 4 millions et demi le nombre de ceux qui ont été
expulsés de Tchécoslovaquie, de Hongrie et d'autres
pays, soit un total d'environ 9 millions. Ces déportations
ou expulsions ont été approuvées par la Grande-Bretagne
et les U.S.A. Elles devaient avoir lieu, selon le Protocole de
la Conférence de Berlin, «d'une façon ordonnée
et humaine». Comment la décision fut accomplie, vous
pouvez en juger d'après la description suivante de quelques
groupes de déportés aperçus à Berlin:
«Aujourd'hui j'ai vu des milliers de civils allemands, vieillards,
hommes et femmes, enfants de tous âges, réduits à
la plus affreuse misère et condamnés à des
souffrances pires que celles que les nazis infligèrent
aux autres durant leur régime J'ai vu à la gare
de Stettin de misérables restes d'humanité; la mort
se peignait déjà dans leurs yeux au terrible regard
vide: quatre étaient déjà morts, un cinquième
et un sixième étaient étendus à côté
d'eux, comme abandonnés sans espoir par le médecin,
ayant juste la permission de mourir. Les autres étaient
assis ou allongés, gémissant, pleurant ou simplement
attendant.»
En février 1946, on estimait qu'à la suite d'une
guerre annoncée comme devant donner la paix et le bonheur
à l'humanité et comme devant lui apporter les quatre
libertés de la Charte de l'Atlantique, y compris la liberté
qui met à l'abri du besoin et de la peur, 17 millions de
personnes avaient été chassées de chez elles
et privées de leurs biens et que sur le continent entre
25 et 40 millions d'individus étaient sans toit
Il n'y avait pas que les Russes qui déclaraient aux prétendus
«criminels de guerre» allemands: «Quand vous
avez fait ce que j'ai fait, c'était un crime. Quand je
le fais, c'est très bien.» Ce n'est pas seulement
dans l'Est de l'Allemagne qu'on pille et maltraite les civils
sans défense. Cela se produisit aussi à l'Ouest,
pendant les semaines de l'invasion. Cela continua après
l'invasion. Les armées alliées se conduisirent avec
toute la licence et la sauvagerie de quelque horde primitive de
barbares. Le pillage est défendu par la loi militaire britannique
sous peine de lourdes punitions. A cette occasion, toutefois,
il fut activement encouragé à tous les échelons.
M.Leonard O.Mosley, correspondant de guerre aux armées,
trouva, dit-il, surprenant que la fièvre du pillage ait
atteint même les plus hauts membres de l'armée britannique.
Il y avait aussi les réfugiés, dit-il. Les milliers
d'étrangers qui furent rapidement connus sous le nom de
personnes déplacées furent autorisés
à piller et à détruire, tout en étant
protégés contre les Allemands qu'ils dépouillaient.
Des soldats revinrent de l'Armée du Rhin surchargés
de butin. Par la suite, de plus en plus d'Allemands furent expulsés
de chez eux en quelques heures, en exécution d'ordres de
réquisition. L'entassement des Allemands porta à
un niveau incroyable le mauvais état sanitaire. L'Armée
du Rhin elle-même s'adonna à la boisson et à
la licence.
Les crimes de guerre selon la définition de Nuremberg
comportaient le retrait des territoires occupés
de toute matière première, de tout outillage industriel,
la confiscation ou la vente forcée des entreprises, des
usines, etc. Vous avez déjà constaté que
les Russes ont considéré cette sorte de crime
de guerre comme particulièrement attirante. Ils ne
furent pas les seuls. En 1945, le territoire allemand occupé
par les Allemands fut largement dépouillé de ses
plus importantes usines. Vers la fin de septembre de la même
année, le général Eisenhower annonça
que cinq des plus grandes entreprises allemandes allaient être
démantelées et envoyées en des lieux qu'il
ne désigna pas autrement. Un mois plus tard, on annonça
que les trois grandes usines de l'I.G. Farben en zone américaine
ainsi que cinq autres établissements industriels allaient
être détruits. En zone britannique, le déménagement
ou la destruction de l'outillage et des mines était encore
en cours en juillet 1946, alors qu'à cette date il avait
cessé en zone américaine. Un des plus vastes docks
d'Hambourg fut détruit à cette époque et
12.000 tonnes d'acier furent anéanties. En novembre 1946,
on fit savoir que 18.000 habitants des villes industrielles de
la Rhur étaient sur le point d'être réduits
au chômage par la fermeture projetée des firmes.
Bien plus, ce n'était pas seulement l'outillage industriel
ou les usines, ou du moins l'équipement essentiel en général
qu'on allait mettre à la ferraille. Le 12 septembre 1945
on annonça que les forêts de l'Allemagne du Nord-Ouest
allaient être exploitées à la limite. Dans
le même mois de septembre, les Puissances victorieuses exigèrent
que les familles allemandes et aussi les autorités, sociétés
et associations, remissent aux représentants des Alliés
tout l'or et l'argent qu'ils détenaient sous forme de monnaie,
le platine et le cuivre sous toutes leurs formes, leurs devises
étrangères et les monnaies étrangères
qui étaient en leur possession. Le pillage se manifesta
sous toutes les formes et depuis les sphères les plus élevées
qui volèrent les formules chimiques et les secrets industriels
jusqu'aux plus humbles des G.I. ou des personnes déplacées
qui volaient une bouteille d'alcool ou une paire de chaussures
En ce qui concerne le pillage dans les sphères dirigeantes,
M.R.R. Stokes déclara aux Communes le 26 juillet 1946:
«Comme industriel, j'ai trouvé les réactions
de certains personnages officiels sur la soustraction frauduleuse
des secrets industriels extrêmement et totalement répugnantes
Je trouve immonde que, lorsqu'un ennemi est complètement
impuissant, les industriels de notre pays envahissent son territoire
comme un vol de vautours et arrachent des lambeaux de chair sur
son cadavre.»
Je n'ai encore rien dit des Français. Peu d'informations
sont parvenues en Angleterre sur la zone d'occupation française.
Ce n'est pas seulement sur la zone russe et sur les pays de protectorat
russe qu'on a fait descendre un rideau de fer. Cependant, dans
l'été de 1946, un Américain, M.James P. Warburg,
put visiter les quatre zones d'occupation et dans un reportage
publié en Angleterre il déclara: «Dans toute
la zone française, on rencontre des exemples de la loi
"_il pour _il, dent pour dent"» Il est choquant
de s'apercevoir que les Français ont démonté
une des deux voies de la ligne Fribourg-Mulheim-Offenbourg, dans
le but de faire profiter les lignes de chemin de fer françaises
de l'autre côté du Rhin de l'important trafic Nord-Sud
du pays, ou qu'ils ont déménagé de fond en
comble une usine de matériel chirurgical y compris les
coffres, les stocks et les caisses
En parlant des Français, je suis amené à
la question des prisonniers de guerre. Le meurtre et le mauvais
traitement des prisonniers de guerre figurent, vous vous en souvenez,
au nombre des crimes de guerre spécifiés
par l'Acte d'accusation de Nuremberg. En Angleterre et aux Etats-Unis,
on ne sait rien des prisonniers de guerre emmenés en Russie.
On sait seulement que beaucoup ont disparu. M.F.A. Voigt a noté,
par exemple, que sur 300.000 prisonniers de guerre roumains internés
en Russie 164.000 ont disparu sans laisser de traces. Sur la question
de savoir comment il se fait que tant d'officiers et de soldats
faits prisonniers par les Russes peuvent avoir disparu, le public
anglo-saxon n'a reçu aucune information. Je n'ai pas l'intention
de suggérer que les prisonniers de guerre ont disparu également
en France. Mais comment les ont traités les Français?
Peu après la capitulation allemande, l'armée américaine
commença à mettre chaque mois à la disposition
du gouvernement français un certain nombre de prisonniers
de guerre pour fournir à la France une main-d'_uvre supplémentaire.
En juillet 1945, 320.000 prisonniers de guerre étaient
transférés en vertu de cet accord. Puis, en septembre
suivant, ces transferts furent suspendus. Les autorités
militaires américaines les ont suspendus parce que, déclarèrent-elles,
à la fois la Croix-Rouge internationale et la Croix-Rouge
américaine avaient trouvé l'administration des camps
de prisonniers en France lamentable et informé les autorités
que les prisonniers allemands n'y étaient pas traités
convenablement. En particulier, les malades étaient laissés
sans soins. C'est assez éloigné du meurtre et de
la torture des prisonniers de guerre reprochés aux Allemands
par l'Acte d'accusation de Nuremberg. Mais cela tombe sous le
grief de mauvais traitements
Le 26 avril 1946, Julius Streicher, un des accusés, déclara
qu'après avoir été arrêté il
fut gardé pendant quatre jours en cellule sans aucun vêtement.
«On m'a forcé à embrasser les pieds des nègres.
On m'a fouetté. On m'a forcé à boire des
crachats. On m'a ouvert la bouche de force avec un morceau de
bois et on m'a craché dans la bouche. Quand je demandais
à boire un verre d'eau, on m'amenait aux latrines et on
me disait: "Bois!".» (A la suite, l'auteur donne
l'exemple des mauvais traitements subis par M.Ezra Pound, sujet
américain, commentateur à la radio allemande). M.Leonard
O.Mosley, correspondant de guerre, était à Belsen
en avril 1945 au moment où ce camp fut placé sous
commandement britannique. «Les soldats anglais, dit-il,
battaient les gardiens et gardiennes SS et les forçaient
à ramasser les corps des morts, les obligeant toujours
à en porter deux Quand l'un d'eux tombait d'épuisement,
il était battu à coups de crosse. Quand une gardienne
s'arrêtait pour un instant, elle était rouée
de coups jusqu'à ce qu'elle se remît à courir
ou piquée à coups de baïonnettes, au milieu
de hurlements ou de rires indécents. Quand l'un d'eux essayait
d'échapper ou désobéissait à un ordre,
il était abattu d'un coup de feu.»
Une des catégories de crimes de guerre spécifiées
dans l'Acte d'accusation de Nuremberg était la destruction
de villes, villages et hameaux entiers. Une autre était
la dévastation de villages, de ports, de digues et de ponts.
L'Acte d'accusation soutenait que ces destructions et dévastations
avaient eu lieu sans nécessité militaire. C'était
là naturellement le point délicat. Jusqu'ici, il
avait été laissé à l'appréciation
des chefs militaires de décider si une destruction qu'ils
ordonnaient correspondait ou non à une nécessité
militaire. Toutefois, un tribunal entièrement libre de
son jugement aurait pu ne pas considérer que les destructions
faites par l'aviation américaine et anglaise correspondaient
invariablement à une nécessité militaire
La raison alléguée en Angleterre et aux Etats-Unis
fut que le bombardement de masse sans égard aux objectifs
contribuait à abréger la guerre. Si les Allemands
avaient pu le faire, ils n'auraient certainement pas hésité
à invoquer le même argument pour les destructions
dont ils étaient accusés, et avec une égale
solidité. Car, pour ce qui est d'abréger la guerre
avec l'Allemagne, les arguments donnés par l'Angleterre
et les Etats-Unis sur les bombardements sans objectif peuvent
être discutés. Selon le DrThomas Balogh: «Les
conséquences des bombardements sans objectif ont été
brillamment analysées par le rapport sur les bombardements
stratégiques américains. Ce document a montré
que le bombardement des villes avant 1943 était une folie
(car nous nous exposions à des représailles plus
graves sans résultat pratique) et qu'après 1943
il était un crime (car nous ne diminuions pas la production
de guerre allemande puisque l'occupation de la France et les perfectionnements
du radar permettaient des attaques aériennes sur objectifs).
Quoi qu'il en soit, la grande presse anglaise n'a jamais insisté
sur l'horreur des bombardements de masse sans objectif sur les
villes. Les raids aériens sur les zones d'habitation étaient
seulement présentés comme des prouesses techniques.
Il n'y a pas un seul acte spécifié dans l'Acte d'accusation
de Nuremberg comme crime de guerre que l'une ou l'autre
des grandes Puissances victorieuses qui s'arrogent le droit de
châtier les prétendus criminels de guerre parmi les
vaincus ne puisse être exposée à s'entendre
reprocher. Ces actes n'ont peut-être pas tous été
accomplis de sang-froid. Il n'était peut-être pas
possible de les éviter. Mais enfin, ils ont été
accomplis.
Telle fut, par exemple, la guérilla menée en France
par les bandes connues sous le nom de Résistance ou de
Maquis. Ces bandes étaient certainement inspirées
par un noble idéal. Elles voulaient débarrasser
le pays de l'envahisseur. Il importe peu à la valeur même
de cet idéal que la Résistance ait été
impuissante par elle-même et même avec l'appui en
hommes, argent et armes fourni par l'Angleterre à atteindre
ce résultat. C'est seulement le succès du débarquement
de juin 1944 qui a assuré le succès de la Résistance.
A coup sûr, toutefois, la Résistance française
ne peut pas se vanter de s'être constamment, dans ses opérations
contre l'envahisseur, conformée aux lois et coutumes de
la guerre. Et même, en vérité, elle peut très
difficilement prétendre même qu'elle les a observées.
En premier lieu, les opérations qu'elle assurait étaient
en flagrante contradiction avec les termes d'un armistice qu'un
gouvernement français reconnu non seulement par l'Allemagne
mais par la Russie et les Etats-Unis avait signé de son
propre mouvement avec le gouvernement allemand. En second lieu,
les membres de la Résistance française commirent
souvent des déprédations à l'égard
de leurs propres compatriotes et ces déprédations
n'étaient pas toujours commises dans le seul intérêt
de leur cause. En maint endroit de France, à la fin de
1945, on désignait des particuliers qui étaient
soupçonnés de s'être enrichis au détriment
de la communauté française. Quand, pour se procurer
des fonds, les Résistants pillaient une banque ou un bureau
de postes, ils ont souvent mis une part du butin dans leurs poches.
En troisième lieu, si les membres de la Résistance
française ont montré constamment un courage et une
audace remarquables, ils furent forcés aussi de recourir
à la ruse et aux voies furtives. Ils ont fait une guerre
du coup de poignard dans le dos. Et cette expression s'applique
aussi bien aux dommages matériels qu'ils ont infligés
qu'aux meurtres qu'ils ont perpétrés. La guerre,
certes, est atroce. Toutefois, depuis longtemps certaines règles
de conduite de la guerre ont été élaborées
pour en atténuer le caractère horrible et pour rendre
la carrière des armes honorables. Mais les francs-tireurs,
les maquisards et les partisans sont contraints d'enlever à
la conduite du combat tout caractère honorable par les
conditions mêmes dans lesquelles ils doivent harceler l'ennemi.
Il est très bien qu'à Nuremberg on ait désigné
comme crimes de guerre l'exécution d'otages et l'imposition
de pénalités collectives. Mais des otages furent
arrêtés et exécutés et des pénalités
imposées exactement dans les mêmes conditions que
dans les guerres précédentes et comme elles l'auraient
été en Allemagne par nos armées victorieuses
si celles-ci avaient eu à combattre un mouvement de résistance.
Si certains actes commis pendant la guerre doivent être
définis comme des crimes de guerre, alors
à notre tour nous devons au moins nous demander si la tactique
des mouvements de résistance, la tentative de priver de
nourriture les populations civiles par le système du blocus,
ainsi que la sous-alimentation, les privations et les mauvais
traitements infligés au vaincu après sa capitulation
ne devraient pas être comptés parmi ces actes condamnables.
Nous constatons que les gouvernements et les armées des
grandes Puissances victorieuses ne peuvent être tenus pour
innocents de nombreux actes pareils à ceux pour lesquels
ils accusent et châtient certains des vaincus comme criminels
de guerre. Et enfin nous constatons que les gouvernements, les
armées et les ressortissants des grandes Puissances victorieuses
ont également commis pendant la guerre et après
la guerre d'autres actes également susceptibles d'être
déplorés et réprimés. Il est clair
que dans le châtiment des prétendus criminels de
guerre et dans le procès et le châtiment imposés
par les vainqueurs à certains des vaincus après
leur capitulation, le principe que chacun est égal devant
la loi a été ouvertement bafoué. Il a
pu y avoir une procédure judiciaire. Il n'y a pas eu de
justice.
Sous cette forme, le livre de Montgomery Belgion constitue un
acte d'accusation très complet contre le procès
de Nuremberg. Il dit ce qu'il fallait dire, ce qu'on retrouvera
partout. Et il le dit avec fermeté, avec modération,
et de bonne heure. Mais on peut prétendre que Montgomery
Belgion est un isolé, un esprit paradoxal, un écrivain
que la justice britannique a eu la faiblesse de ne pas poursuivre,
précédent dont je me couvre abusivement. Je vais
donc montrer, par de rapides sondages, que le livre de Montgomery
Belgion existe dans toutes les langues. Les arguments sont en
place, vous les avez entendus, vous les connaissez. Vous les reconnaîtrez
facilement. Dès lors, notre énumération va
être rapide et on aura une idée d'ensemble de chaque
ouvrage que je vais citer, simplement en le chassant par rapport
à celui que je viens d'analyser.
Aux Etats-Unis, retenons d'abord le petit livre de A.O.Tittmann,
The Nuremberg Trial, paru à New York en 1947.
Voici sur le principe du tribunal:
On peut dire très exactement qu'avec la fin de cette guerre
est arrivée également la fin de l'ère chrétienne.
Tous les préceptes de conduite qui avaient cours jusqu'ici
ont été écartés et à leur place
a été établi l'esprit de vengeance de la
loi mosaïque La loi internationale, pour être reconnue
en tant que telle, doit être acceptée par toutes
les nations. Elle ne peut être forgée ou modifiée
unilatéralement, et le statut du Procureur Jackson a été
accepté uniquement par les vainqueurs de cette guerre,
et même il ne fut accepté par certains qu'avec hésitation
et après beaucoup d'insistance. Ce statut n'a pas été
soumis aux autres nations. La loi internationale est le produit
d'une lente germination et elle ne peut être rejetée
avec dédain et refaite à brûle-pourpoint pour
convenir aux circonstances. Le produit de MM.Rosenman, Jackson
et Glück n'a rien à voir avec la loi internationale.
Voici sur la responsabilité de la guerre:
Le principal grief contre les criminels est celui d'avoir
fomenté un complot pour déclencher une guerre
d'agression. Combien de guerres ont été un complot
du même genre, sans en excepter celles que nous avons faites
S'il y eut un complot en Allemagne pour déclencher
une guerre d'agression, il y eut des complots analogues
aux Etats-Unis, en Angleterre, en France et en Russie, nations
qui se sont toutes constituées les juges de ceux
qu'ils accusent d'être les seuls responsables de la guerre
d'agression L'Angleterre a déclaré la guerre
à l'Allemagne parce que, si la puissance allemande s'étendait
par des agressions nouvelles, l'Angleterre se serait trouvée
dans l'impossibilité de défendre ses droits les
plus élémentaires. Les mêmes raisons ont déterminé
la France (cit. de Sir Norman Angell dans New York Times
du 21 oct. 1945). Ces deux nations, par conséquent,
ont déclenché contre l'Allemagne une guerre préventive
qui ne pouvait être autre chose qu'une guerre d'agression
Ni l'Angleterre ni la France ni les Etats-Unis ne se sont fondés
sur le pacte Kellog ou n'en ont observé les stipulations
au moment de la déclaration de guerre. Les raisons données
par Chamberlain et Daladier pour déclarer la guerre à
l'Allemagne n'étaient pas basées sur ce texte et
il ne fut pas respecté non plus dans les nombreux actes
de belligérance illégaux au moyen desquels Roosevelt
finit par nous engager dans la guerre.
Voici enfin sur les crimes de guerre des Alliés:
Ce qui se passa en Bohême-Moravie quand von Neurath était
à la tête de ce pays n'est presque rien en comparaison
des traitements subis par les Allemands des Sudètes sous
le gouvernement de Benès, dont l'incroyable degré
de terrorisme et de cruauté est passé sous silence
par notre presse enchaînée, quoi qu'elle soit parfaitement
renseignée sur ce point. Mais il n'est pas convenable d'imprimer
cela parce que cela dissiperait le rideau de fumée que
cette presse a répandu sur notre pays. L'attitude générale
de notre presse enchaînée montre ce qu'on peut attendre
de ce «procès» et son caractère de bouffonnerie.
Sachant parfaitement qu'il n'a aucune base légale, ses
promoteurs essaient de le «refiler» au peuple américain
en se servant de méthodes de propagande solidement éprouvées.
L'énumération des crimes allemands, déportation
de travailleurs, meurtre et sévices sur les prisonniers
de guerre, pillage de la propriété publique et privée,
destruction aveugle des villes et villages, dévastations
non justifiées par la nécessité militaire,
peut aussi bien être dirigée contre les ennemis de
l'Allemagne et se poursuit aujourd'hui dans l'état de paix,
réalisé en fait quoiqu'il n'existe pas en droit,
et plus d'un an après la fin des hostilités.
Jackson accepte sans hésitation et intégralement
tous les chiffres fournis par les Russes, bien qu'ils soient notoirement
faux, ce qui est prouvé par le fait que l'armée
allemande aurait été anéantie plusieurs fois
de suite si les chiffres des pertes que les Russes prétendaient
lui avoir infligées avaient été exacts. Il
accepte même pour authentique l'affirmation de source russe
que, en septembre 1941, 11.600 officiers polonais avaient été
assassinés par les Allemands dans la forêt de Katyn,
alors qu'en fait les vêtements d'hiver trouvés sur
les corps prouvaient que l'assassinat avait eu lieu tandis que
la région se trouvait sous le contrôle des Soviets.
Si l'on excepte les Juifs, le nombre de civils tués délibérément
par les Allemands n'approche sûrement pas ceux des Allemands
tués par leurs ennemis. Le bombardement des villes allemandes
a coûté à lui seul deux millions de vies humaines,
tandis qu'un beaucoup plus grand nombre de victimes étaient
blessées ou privées de leur foyer, ce qui entraîna
leur mort par le froid, les privations ou la faim.
Les mots destruction massive suffisent à démolir
les mensonges habituels sur les installations militaires, par
la présence desquelles on prétend légitimer
certains des crimes les plus atroces contre les non-combattants
que le monde ait jamais vus. Il est réconfortant de voir
les grandes Puissances désavouer indirectement ce qu'elles
ont fait sous prétexte de nécessité militaire
dans une guerre qui, selon de nombreux experts, pouvait fort bien
être gagnée dans le respect des règles du
monde civilisé, qui ont constamment protégé
les non-combattants, hommes, femmes et enfants, incapables de
se protéger eux-mêmes. Où est le tribunal
pour juger ces criminels-là? Les coupables, dites-vous,
ne sauraient échapper en produisant la vieille excuse que
les actes perpétrés le furent par l'Etat et pour
la défense de l'Etat, sans qu'aucun individu en puisse
porter la culpabilité ou la responsabilité. Très
bien alors, mettez en jugement Eisenhower, Spaatz, Montgomery
et Harris: car cette règle s'applique à eux.
Au Portugal, le professeur Joaô das Ragras publie à
Lisbonne, en février 1947, une étude du procès
de Nuremberg sous le titre Um Nuovo Direito Internacional,
Nuremberg. On y peut lire les appréciations suivantes:
Parce qu'il n'était pas possible aux accusateurs de juger
le phénomène historique Hitler «en personne»,
ils ont entrepris la tentative de renverser le prodigieux édifice
de son _uvre politique et spirituelle au moyen de la formule des
cinq points de l'accusation Le procès des criminels de
guerre n'a pas été un exemple du droit démocratique
de libre défense, mais bien, au contraire, un enchaînement,
sans précédent dans l'histoire du droit, de violations
et d'empêchements systématiques imposés à
la défense.
En ce qui concerne la responsabilité de la guerre:
Ce n'est pas la peine d'examiner dans son contenu juridique le
bavardage ridicule du verdict de Nuremberg en ce qui concerne
les guerres d'agression des Allemands contre l'Autriche,
la Tchécoslovaquie, le Danemark, la Norvège, la
Hollande, la Belgique ou les pays balkaniques, puisqu'on a interdit
aux avocats allemands d'y opposer les pièces secrètes
prises aux Alliés pendant la guerre et les plans des états-majors
français et anglais. Le texte des productions sur lequel
se base le verdict représente une falsification de l'histoire
véritable qui peut difficilement être dépassée.
En ce qui concerne les crimes de guerre allemands et les crimes
de guerre alliés:
Les bombes incendiaires au phosphore, les attaques terroristes
contre les habitations civiles, l'assassinat de centaines de milliers
de femmes et d'enfants innocents, les actes barbares d'absurde
furie destructive, par exemple le bombardement aérien de
Dresde, contre lequel le vieux Gherard Hauptmann, qui en fut le
témoin oculaire, éleva de violentes protestations,
les attentats contre la neutralité effectués par
le contrôle des navires au moyen de certificats douaniers
et de navy-certs, violation du droit international qui se prolongea
jusqu'à la fin de la guerre, tout cela et beaucoup d'autres
choses (et encore, nous ne parlons pas des crimes bolcheviques
et des bombes atomiques), on déclara que ce ne sont pas
des crimes de guerre, mais des actes conformes à
une conduite humanitaire et démocratique de la guerre.
Conclusion d'un juriste neutre: quand il s'agit des Allemands,
les mauvais traitements contre les prisonniers sont considérés
comme crimes de guerre; mais quand il s'agit des Alliés,
les mêmes crimes sont regardés comme «irrelevant»
et, en conséquence, ils appartiennent à la catégorie
des moyens normalement appliqués par la justice démocratique.
Ce sont là les thèmes habituels. Mais ici l'auteur
va plus loin. Il accuse le Ministère public d'avoir fait
reposer l'essentiel de son argumentation sur des documents d'une
authenticité douteuse et sur des aveux extorqués
par les mauvais traitements et parfois par la violence. Nous traiterons
plus loin, en détail, cet aspect très important
des jugements de Nuremberg. Bornons-nous, pour l'instant, à
citer notre auteur portugais:
Conclusion qui s'impose à tout juriste impartial: il y
a quelque chose qui sonne faux dans les «documents-clefs»
du tribunal militaire (il s'agit du rapport Schmundt et de
la note Hossbach), bien que le juge Lawrence ait accepté
les preuves d'authenticité de ces documents Beaucoup plus
importantes encore pour formuler un jugement sur certaines assertions
(de l'accusation) sont les violences commises par les Alliés
sur des prisonniers sans défense et qui consistaient en
mauvais traitements et en tortures au moyen desquelles étaient
extorquées de prétendues «confessions».
Enfin l'auteur n'hésite pas non plus à rompre avec
les préjugés habituels, en exprimant son sentiment
pour le national-socialisme:
En fait, à Nuremberg, deux mondes se sont affrontés
qui ne pouvaient pas se comprendre. Le monde matérialiste
de Mammon et de l'hypocrisie démocratique contre la conception
idéaliste et héroïque d'un peuple qui défendait
son droit de vivre Comment ce monde assouvi et matérialiste
pouvait-il comprendre l'inébranlable et héroïque
volonté de vivre d'un peuple qui, en dépit de l'espace
restreint qu'il possédait, a donné depuis des siècles
des _uvres immortelles à notre culture, et qui, avant la
seconde guerre mondiale, a été à la tête
de tous les progrès techniques décisifs de notre
siècle? Il est digne de la mentalité de canaille
de la presse internationale de se déchaîner encore
contre les chefs du peuple allemand, en dépit de leur attitude
de dignité lorsqu'on leur faisait subir un traitement ignoble
et une injuste condamnation à mort Avec une attitude vraiment
héroïque, digne de la plus haute admiration, sont
morts les condamnés de Nuremberg, précurseurs d'une
justice sociale fondée sur des bases nationales
et avec une proclamation ardente de leur amour pour leur peuple
et pour leur idéal.
En Angleterre encore, un autre petit livre politique a été
mis en circulation. C'est une brochure plutôt qu'un livre,
mais par le ton et le contenu elle fait écho, elle aussi,
aux ouvrages précédents. Elle est éditée
par un groupe qui a à sa tête le duc de Bedford,
sous le titre Failure at Nuremberg, ce qui peut
se traduire, je crois, par La Faillite de Nuremberg. Je
passe sur les arguments traditionnels contenus dans cette brochure,
sur la partialité du tribunal, sur les condamnations portées
ex post facto lege, sur les crimes de guerre alliés,
sur la malhonnêteté fondamentale du procès
lui-même. Je ne retiens que les passages qui concernent
le national-socialisme et ceux qui concernent la falsification
des témoignages et des preuves. Voici d'abord comment s'exprime
l'auteur sur le national-socialisme:
Peu importe que le national-socialisme allemand ait été
un mouvement politique généreux ou condamnable et
probablement, comme la plupart des fragiles institutions humaines,
il a été un mélange de bien et de mal mais,
en tout cas, ce qu'aucune personne informée et impartiale
ne peut nier c'est qu'il fut un mouvement politique d'une totale
sincérité. En outre, cette grande, cette magnifique
sincérité imprégnait profondément
(à l'exception d'un ou deux opportunistes à qui
leur double-jeu valut la vie) les âmes des accusés
de Nuremberg, les âmes de ces hommes qui furent condamnés
à mort ou à l'emprisonnement. Que ce mouvement ait
attiré un certain nombre de fripouilles, c'est là
une chose trop naturelle (et à quel grand parti cela n'arrive-t-il
pas d'ailleurs?), mais qu'on puisse balayer toutes les organisations
nazies en les dénonçant comme criminelles,
c'est là une position que tout historien honnête,
s'il examine les preuves contemporaines, ne manquera pas de rejeter
et de condamner sans aucune hésitation Le national-socialisme
est mort. L'humanité, toutefois, n'est pas laissée
sans recours et le jour viendra peut-être où des
hommes trouveront le moyen de réaliser ce qu'il y avait
de bon dans le national-socialisme sans retomber dans son autoritarisme
brutal, dans son fanatisme sans merci et dans son intolérance.
Une chose, toutefois, est certaine. Ce jour n'a pas été
rendu plus proche par l'assassinat judiciaire de ces vaincus qui
avaient servi leur pays avec amour. Le procès de Nuremberg
n'est pas l'aurore d'un temps nouveau, c'est un retour aux temps
barbares et à la nuit.
Et voici les conclusions des divers passages consacrés
à l'examen des témoignages et des preuves. Des témoignages
ont été obtenus par des pressions exercées
sur les témoins:
Peut-être sera-t-il opportun de se référer
ici au procès de Belsen, où furent produits les
prétendus aveux d'une des accusés, Irma Grese. Il
fut soutenu devant ce tribunal que ces aveux avaient été
arrachés par la force et aucun démenti satisfaisant
ne fut publié par la suite La même mésaventure
semble être arrivée à propos de Sauckel Son
défenseur a déclaré que ses aveux à
l'instruction lui avaient été extorqués par
la force et que l'accusation n'avait pas eu le temps (à
cette date) de faire une enquête approfondie sur les faits
Ces aveux furent utilisés à nouveau cependant (six
mois plus tard) par la délégation française.
Sauckel nia tout le contenu de ce document, en déclarant
qu'on l'avait menacé, s'il persistait à refuser
de signer, de le livrer avec ses dix enfants aux autorités
soviétiques. Ces «aveux» furent néanmoins
acceptés par le tribunal.
Des documents peu probants, en particulier, des rapports de police
insuffisamment contrôlables ont été présentés
comme preuves:
Le rapport de la délégation française contenait
un grand nombre de rapports de police. La défense fit des
objections fondées sur le principe que ces rapports n'étaient
pas suffisamment contrôlés, mais le tribunal les
déclara acceptables en tant que document présenté
par un gouvernement. Le caractère douteux de «documents»
de cette catégorie ne peut être ignoré de
personne.
D'autres documents ont été commentés avec
une évidente mauvaise foi:
La délégation américaine produisit ce qu'elle
appelait un catéchisme nazi, compilé par Rosenberg,
et comprenant un certain nombre de nouveaux commandements tels
que ceux-ci: Tu seras courageux - Tu n'agiras jamais bassement
- Tu croiras à la présence de Dieu dans toute la
création vivante, dans les animaux et dans les plantes
- Tu garderas la pureté de ton sang. Que des commandements
de ce genre constituent vraiment un crime de guerre serait, croyons-nous,
un point de vue bien difficile à soutenir devant n'importe
quelle assemblée douée de bon sens.
Enfin, la partialité des témoins était évidente
et leur témoignage fut souvent fantaisiste:
De même que pour les documents, ainsi en ce qui concerne
certains des témoins, un lecteur impartial du procès
ne peut manquer d'être choqué par le choix malheureux
du Ministère public. Cette critique s'applique à
ceux dont le témoignage côtoyait la fantaisie, à
quelques-uns qui ne reculèrent pas devant la trahison en
temps de guerre, à d'autres qui témoignèrent
par écrit, mais qui étaient apparemment peu désireux,
ou qui se firent interdire sous d'excellents prétextes,
de soutenir leurs dires en face des accusés.
Et voici la conclusion à laquelle aboutit l'auteur:
On a ainsi ouvert la voie à une campagne d'exagérations
qui fut énergiquement soutenue par notre presse et qui,
peut-être volontairement, a servi à masquer et à
excuser largement la politique de disette, de déportation,
etc., que nous infligions en même temps aux Allemands Si
la vérité occupe le premier rang parmi les victimes
de la guerre, tous ceux qui ont lu notre presse pendant la guerre
peuvent prendre sur eux d'affirmer que le sentiment de l'honneur
fut sacrifié tout de suite après Il est indécent
qu'après une guerre qui a dévasté un continent
et qui a failli mener le monde entier à la famine, une
farce aussi tragique puisse être jouée. Il n'est
pas dans la tradition de l'Angleterre de se conduire ainsi.
Et ce n'est pas intelligent: peut-être est-ce le pire de
tout.
Après ces monographies consacrées au procès
de Nuremberg, il ne faut pas s'étonner si les ouvrages
des essayistes ou les reportages politiques anglo-saxons, qui
ne traitent que par incidence du procès de Nuremberg, sont
souvent très sévères dans leurs appréciations.
Il faut ici se borner à quelques sondages. Nous ferons
connaître d'abord quelques passages d'un livre très
célèbre aux Etats-Unis, en Angleterre et en Allemagne,
mais totalement inconnu en France, celui de Freda Utley sur l'Allemagne
actuelle, paru récemment à Chicago sous le titre
The High Cost of Vengeance. MmeFreda Utley, veuve d'un
des meilleurs militants communistes américains et devenue
après l'assassinat de son mari la grande spécialiste
des enquêtes sur la politique internationale, a écrit
des livres qui font autorité sur l'Extrême-Orient,
la Chine, le Pacifique. Son nom, aux Etats-Unis, est beaucoup
plus important que celui des frères Alsop, porte-parole
du brain-trust Roosevelt, dont nos journaux recueillent religieusement
les papiers. Après deux années d'une enquête
très attentive en Allemagne, MmeFreda Utley écrit
ce qui suit:
A Nuremberg, non seulement nous avons appliqué une loi
créée post facto, mais nous avons déclaré
en outre qu'elle s'appliquerait aux Allemands seuls. Selon les
jugements des tribunaux américains de Nuremberg, la volonté
des vainqueurs est absolue et le vaincu n'a pas le droit d'en
appeler à la loi internationale, à la loi américaine,
ou à n'importe quelle autre loi Peu d'Américains
en ont conscience, mais leurs représentants à Nuremberg
ont fait savoir expressément que les vainqueurs n'étaient
pas soumis à la même loi que les vaincus. Quand la
défense prétendit que, si c'était un crime
contre la loi internationale que des Allemands aient confisqué
la propriété privée dans les régions
occupées de Pologne et de Russie, qu'ils aient utilisé
des civils et des prisonniers de guerre comme travailleurs forcés
ou qu'ils aient réduit les rations alimentaires dans les
territoires occupés par eux, on ne comprenait pas pourquoi
les gouvernements militaires américain, anglais, français
ou allemand ne se trouvaient pas poursuivis pour les mêmes
crimes qui étaient commis chaque jour en Allemagne, on
leur répondit: «Les Puissances alliées ne
sont pas soumises aux règles de la Convention de La Haye
et aux règles concernant la conduite des hostilités».
Pourquoi? «Parce que, dirent les juges et les procureurs
américains à Nuremberg, les règles concernant
la conduite des hostilités s'appliquent à la conduite
des belligérants en territoire occupé pendant
tout le temps où une armée se bat contre eux pour
essayer de restituer le pays occupé à son légitime
possesseur, mais ces règles cessent de s'appliquer quand
la belligérance est terminée, qu'il n'y a plus
d'armée ennemie en campagne et que, comme c'est le cas
pour l'Allemagne, le pays a été subjugué
par le moyen d'une conquête militaire». (Jugement
dans le procès n·3 p.10.) Cet argument que ce qui
est un crime pendant la guerre cesse d'en être un après
la cessation des hostilités est sûrement le plus
beau sophisme juridique dans la collection de Justice Jackson
Nous refusons donc d'observer les règles de la loi internationale
parce que nous sommes un pouvoir souverain; mais en même
temps nous refusons d'appliquer la législation américaine
ou la législation allemande parce que nos tribunaux sont
une émanation d'une autorité internationale.
Les Allemands sont donc rechtlos: privés de la protection
de toute loi et soumis à l'arbitraire des décrets
du vainqueur. Nous avons mis le peuple allemand hors la loi
comme Hitler avait fait pour les Juifs.
Plus loin, Freda Utley signale, elle aussi, les difficultés
d'une inculpation collective et, également, la difficulté
d'obtenir des témoignages exacts à cause de la terreur
qui régnait dans toute l'Allemagne en 1945 et 1946:
Les jugements de Nuremberg sont fondés sur le principe
totalitaire de la culpabilité collective et du châtiment
collectif. Nous décrétons que quiconque, à
n'importe quel poste, militaire ou civil, a aidé ou appuyé
l'effort de guerre allemand est coupable d'avoir participé
à une guerre d'agression. Cet objectif est si vaste qu'il
s'est finalement évanoui. Les juges américains envoyés
à Nuremberg pour juger les criminels de guerre ont été
incapables de savoir où il fallait faire passer la ligne
de discrimination pour éviter l'inculpation de tout le
peuple allemand et par suite créer un précédent
pour l'incrimination de tout le peuple américain dans une
future guerre baptisée guerre d'agression par les
communistes. Car, aux termes de la loi n·10, le paysan
ou le fermier qui a produit ou vendu ses productions, l'industriel
qui a continué à faire travailler ses ouvriers et
les ouvriers qui ont poursuivi leur travail, les fonctionnaires
et les soldats qui ont obéi au gouvernement, peuvent tous
être regardés comme coupables
Le plus grave de tous les handicaps de la défense était
la difficulté de trouver des témoins, d'obtenir
l'autorisation de les voir ou de les persuader de déposer
à Nuremberg A l'époque du procès des grands
criminels de guerre, presque tous les témoins étaient
en prison, et ne pouvaient être mis en rapport avec la défense
si l'accusation les réclamait comme témoins à
charge Il était souvent possible d'obtenir d'un témoin
la déposition qu'on voulait, simplement en le maintenant
en prison pendant deux ou trois ans, sans nouvelles de sa famille,
sans personne pour s'occuper de lui, ou en le menaçant
de l'inculper lui-même comme criminel de guerre s'il refusait
de charger un accusé.
Mais Mme Freda Utley va plus loin encore. Comme Montgomery Belgion,
mais en termes plus vifs encore, elle dénonce l'hypocrisie
fondamentale des jugements de Nuremberg, en montrant que les autorités
soviétiques ne se privent pas de soustraire au tribunal
les prétendus criminels de guerre qui ont accepté
de passer à leur service, et aussi en révélant
les arrière-pensées des Alliés dans la campagne
des atrocités allemandes et le rôle de la propagande
dans cette campagne:
On a poursuivi des Allemands pour des crimes de guerre commis
en Russie, tandis que le gouvernement soviétique, lui,
refusait de participer à ces procès. Les Soviets,
pendant ce temps-là, s'occupaient à persuader les
criminels de guerre allemands de devenir leurs collaborateurs.
Si bien qu'il est arrivé souvent que les juges américains
de Nuremberg condamnent ceux qui avaient exécuté
les ordres de leurs supérieurs tandis que les supérieurs
eux-mêmes remplissaient au même moment des fonctions
importantes en zone soviétique. Par exemple, le général
Vincent Müller, qui signa l'ordre de liquidation des civils
russes qui se trouvaient sur la route de l'armée allemande,
est maintenant chef d'état-major de von Seydlitz qui commande
la force de police germano-russe en zone soviétique;
tandis que le général Hans von Salmuth, son chef
d'état-major, qui se borna à distribuer cet ordre,
a été condamné à vingt ans de prison
par les Américains au Tribunal de Nuremberg Les procès
de Nuremberg sont maintenant terminés. Le seul résultat
obtenu est qu'ils ont tourné en dérision la justice
américaine et rempli les Allemands de haine et de mépris
pour notre hypocrisie. Un très grand universitaire américain
que je rencontrai à Heidelberg exprima cette opinion que
les autorités militaires américaines, lorsqu'elles
pénétrèrent en Allemagne et virent les effroyables
destructions causées par notre obliteration bombing,
furent épouvantées en comprenant que cette révélation
pouvait causer un retournement de l'opinion aux Etats-Unis et
pouvait empêcher qu'on appliquât à l'Allemagne
le traitement qu'on avait prévu, en éveillant la
sympathie pour les vaincus et en dévoilant nos crimes de
guerre. Ce fut, croit-il, la raison pour laquelle le général
Eisenhower mit instantanément une flotte aérienne
tout entière à la disposition des journalistes,
des congressmen et des gens d'église pour leur faire voir
les camps de concentration; son intention était que le
spectacle des victimes d'Hitler effaçât notre sentiment
de culpabilité. Il est certain qu'on réussit cette
opération. Pas un grand journal américain jusqu'à
présent n'a décrit les horreurs de nos bombardements
ni décrit les conditions épouvantables dans lesquelles
vivaient les survivants dans leurs ruines truffées de cadavres.
Les lecteurs américains ont été gavés,
au contraire, des seules atrocités allemandes.
Sur ce dernier point, on trouvera un jugement analogue émis
par un psychologue américain dans une revue anglaise, la
Word Review. M.John Duffield, spécialiste de la
sociologie et de la psychologie collective, écrit, en effet,
dans le numéro d'août 1946 de cette revue, sous le
titre War, Peace and Unconsciousness, les phrases suivantes:
Le traitement de nos anciens ennemis est basé fondamentalement,
non sur la justice, mais bien sur une neurose des masses. En effet,
on a inventé à cet effet une nouvelle «justice»,
unilatérale. Car, n'est-il pas étrange que, sur
quelque trente millions d'hommes qui ont combattu pour les Alliés,
il n'y en ait pas un seul qui ait été traduit devant
un tribunal pour crimes de guerre ou atrocités?
Actuellement, la guerre n'est que la violence portée à
ses extrêmes limites, elle comporte d'innombrables cruautés,
aussi bien préméditées qu'accidentelles.
Mais l'ennemi paraît à l'opinion encore plus cruel,
brutal et sadique qu'il n'est réellement, car, en plus
des crimes qu'il a commis réellement, il nous apparaît
comme chargé de tout l'enfer de notre propre inconscient,
car toutes les tendances mauvaises que nous condamnons avec le
plus de force et qui sont réprimées dans notre inconscient,
nous les projetons au dehors sur lui. Et il apparaît ainsi
comme un monstre inhumain, n'ayant plus rien de commun avec nous
En temps de guerre, cette projection populaire de la totalité
des puissances du mal sur l'ennemi est encouragée journellement
par la propagande, le thème des «atrocités»
devenant la principale méthode employée pour cela.
Je laisse de côté des témoignages du même
ordre qu'on retrouvera facilement si on le désire: celui
de Dorothy Thomson, dont les interventions à la radio sont
si connues que le public français lui-même en a entendu
parler; celui du major général Fuller, le grand
historien militaire anglais, qui, dans ses deux ouvrages consacrés
à la seconde guerre mondiale, Armament and History
et World WarII, a été aussi catégorique
que Freda Utley et Dorothy Thomson, et qui va même plus
loin puisqu'il ne craint pas d'écrire que, la guerre totale
ayant été acceptée par les Alliés
et réalisée par eux selon leurs moyens propres,
ceux-ci n'ont pas à reprocher aux Allemands d'avoir employé
de leur côté des formes différentes de la
guerre totale, mais tout aussi inévitables. Il faudrait
ici citer de trop nombreux passages pour donner un aperçu
exact et fidèle de la pensée du major général
Fuller. Je préfère donner un résumé
d'un essai, paru à Londres en 1949 et qui relève
de la même inspiration. Il s'agit d'un petit livre intitulé
Advance to Barbarism, que j'aurai l'occasion de citer à
nouveau plus loin pour les renseignements très intéressants
et très peu connus qu'il contient. Pour éviter d'en
reproduire des extraits trop nombreux, je me borne à recopier
ici l'analyse qui en a été faite dans un hebdomadaire
canadien de langue française, L'_il de Montréal:
La guerre de 1939-45, suivant l'auteur, a marqué le retour,
sans préambule ni raison apparente, à la barbarie
hypocrite et masquée, pire que la barbarie franche. Il
attribue à l'Angleterre surtout la responsabilité
d'avoir commencé une guerre dans laquelle le non-combattant
est frappé au même titre que le combattant, parfois
même de préférence au combattant. Il cite
les bombardements de Dresde durant les dernières semaines
de la guerre, en 1945, alors que 800 bombardiers allèrent
pilonner et incendier cette ville que l'on savait être exclusivement
remplie de femmes et d'enfants fugitifs de la Russie soviétique,
et décrit celui de Hambourg, où de petits enfants
allèrent se jeter dans les canaux pour ne pas rôtir;
il cite aussi l'usage inutile de la bombe atomique sur Hiroshima
et Nagasaki. Puis il étudie la transformation de millions
de prisonniers de guerre en esclaves véritables, état
de choses qui dure encore presque quatre ans après la fin
des hostilités, la confiscation pure et simple de la propriété
des non-combattants, etc.
Tout cela, dit-il, n'a pas été fait spontanément.
Il cite l'aveu public de Churchill criant: «Il n'y a pas
de limite de violence que nous ne franchirons pas dans cette guerre».
Il cite le fils de Roosevelt dans son rapport sur la conférence
de Téhéran, où, après avoir vidé
plusieurs bouteilles de vodka, Staline proposa de faire fusiller
sans aucune forme, pour la beauté du spectacle, 50.000
chefs ennemis; Churchill, qui avait ingurgité beaucoup
de cognac, déclara qu'il faudrait mettre au point une sorte
de procès; Roosevelt, qui avait bu quelques douzaines de
cocktails Martini, suggéra à Staline de réduire
son chiffre à 49 500, ce qui ferait paraître le nombre
total moins grand. C'est exactement de même, dit-il, que
discutaient les satrapes païens dans 1'antiquité.
L'auteur analyse ensuite, comme prototype de tous les autres procès,
le plus connu de tous, celui de Nuremberg, où, pour la
première fois dans l'histoire civilisée, les chefs
militaires et navals ennemis furent condamnés à
mort pour avoir servi leur pays, pour le crime d'avoir été
perdants. Il démontre comment ce tribunal n'avait aucune
juridiction, aucun mode légal pour le diriger, aucune offense
préalablement qualifiée à juger, aucune garantie
de justice puisque les vainqueurs étaient à la fois
accusateurs et juges des vaincus; de plus, les accusés
ne pouvaient choisir des avocats que parmi leurs ennemis politiques
et n'avaient pas accès à leurs propres archives
pour se défendre.
L'auteur conclut que ce simulacre de procès (mock-trial) restera comme une dégradation de la
justice, de la légalité et de la morale aussi longtemps
qu'il n'aura pas été confirmé par un véritable
tribunal international, ayant juridiction, neutre et impartial.
Ce qui paraît indiquer un commencement de regret, et de
réprobation de la farce de Nuremberg, dit-il, c'est qu'à
peine neuf mois plus tard l'Angleterre et les Etats-Unis ont officiellement
protesté contre le procès fait à Nicolas
Petkov en Bulgarie, parce que Petkov, anticommuniste, était
jugé par des juges et assesseurs communistes; pourtant
ce tribunal avait parfaite juridiction; les offenses jugées
étaient préalablement codifiées; tout ce
qui manquait au procès était la garantie d'impartialité
et c'était suffisant pour rendre immorale, injuste et illégale
la sentence prononcée contre Petkov.
A Nuremberg, toutes les conditions
essentielles de justice, de légalité et de moralité
étaient absentes. L'auteur conclut que si une entente valable
et stable n'est pas faite immédiatement pour un retour
sérieux aux usages de la guerre et de l'après-guerre
suivant les données de la civilisation chrétienne,
la prochaine guerre plongera tous les pays dans un abîme
de sauvagerie que l'humanité n'a pas encore connu.
Toutes ces références prouvent suffisamment que,
dès maintenant, toute une partie de l'opinion mondiale
a pris position dans cette question avec une netteté et
une force qui sont généralement méconnues
ou plutôt inconnues, dans notre pays, pour les raisons que
j'ai déjà dites. Mais, de plus hautes autorités
n'ont pas dédaigné de faire connaître leur
opinion, ou du moins de la laisser connaître, par des interprètes
officieusement autorisés. Aux ouvrages dont je vais parler
maintenant on trouvera un ton un peu différent. Ils sont
moins violents, moins catégoriques que ceux dont je viens
de mentionner l'existence; mais ils sont tout aussi graves par
leurs réserves, modestement formulées et par le
caractère de ceux qui les ont écrits. Il est donc
important que ces avertissements, ces mises en garde, qui deviennent,
par moments, de véritables condamnations, trouvent place
également dans cette documentation.
En Italie, le Père jésuite S.Lener publie à
la maison d'édition officieuse Civiltà Cattolica
une étude intitulée Crimini di
guerra e delitti contro l'umanità,
qui semble bien représenter, en raison de la
personnalité de l'auteur et de l'éditeur, une opinion
tout au moins reconnue comme acceptable par les autorités
vaticanes. L'auteur commence, du reste, par rappeler les termes
du message radiodiffusé de S.S. PieXII, à Noël
1945:
Personne, à coup sûr, ne pense, déclare ce
message, à désarmer la justice à l'égard
de ceux qui ont profité de 1'état de guerre pour
commettre des crimes de droit commun authentiques
et prouvés, auxquels
les prétendues nécessités militaires pouvaient
au plus offrir un prétexte, mais nullement une justification.
Mais s'il est question de juger et de punir, non plus des individus
isolés, mais collectivement une communauté tout
entière, qui pourrait refuser de voir dans un semblable
procédé une violation des lois qui président
à tous les jugements humains? Ceux qui exigent une expiation
pour les fautes commises au moyen d'une juste punition des criminels
en raison de leurs crimes doivent bien prendre garde à
ne pas faire eux-mêmes ce qu'ils punissent chez les autres
sous le nom de délit ou de crime.
Le P.Lener commente cette position du souverain pontife, en se
prononçant tout d'abord contre le caractère rétroactif
des condamnations de Nuremberg. Je cite le passage, particulièrement
clair et fort au point de vue juridique:
Puisque, en fait, il n'existait pas une loi pénale internationale
reconnue par tous les Etats intéressés et puisque
le droit pénal interne de chacun des Etats, ou ne s'appliquait
pas aux faits, ou se révélait inapplicable, le principe
nullum crimen sine prævia lege poenali
apparaît avoir été violé
sans aucun doute, soit qu'on ait promulgué hic et nunc
des lois codifiant la répression projetée (comme
c'est le cas dans le Statut p romulgué à Londres), soit qu'on
étende exceptionnellement la sphère d'efficacité
du droit interne, soit enfin qu'on procède avec une espèce
de blanc-seing pénal. Est-il possible, dans de telles conditions,
de réaliser une juste répression, lorsqu'elle est
en contradiction évidente avec un principe retenu comme
un canon fondamental de la justice pénale? L'aphorisme
nullum crimen sine prævia lege poenali,
dans le sens qui lui est donné communément
de nos jours, implique une triple limitation du pouvoir répressif:
1·l'impossibilité de punir un acte non désigné
par la loi comme coupable; 2·l'impossibilité d'appliquer
par analogie la loi pénale à un acte non spécifiquement
visé par elle; 3·l'impossibilité de lois
pénales rétroactives Toute dérogation à
ces règles, affirme solennellement la conférence
de criminologie de Rio-de-Janeiro (1936), «introduirait
une cause certaine d'anarchie et un mal d'une extrême gravité»;
il pourrait même en résulter «un crime aussi
néfaste que l'abolition de toutes les peines et de tous
les délits»...
Le P.Lener insiste ensuite sur la valeur qu'aurait dû avoir
constamment l'excuse absolutoire des subordonnés et exécutants,
pratiquement reconnue actuellement par nos tribunaux militaires.
Je cite, également en raison de la sûreté
du raisonnement et de la documentation:
A supposer qu'on admette l'évidence efficace du droit humain,
et par conséquent la nullité des lois nazies qui
sont en contradiction avec lui, comment refuser à celles-ci,
tout au moins, l'effet de rendre incertains
les préceptes prohibitifs du droit commun, sinon
pour ceux qui occupent un grade élevé dans l'Etat,
du moins pour les subordonnés, les soldats, les policiers,
etc.? Les principes généraux pourront bien avoir
toute leur valeur, mais seulement pour ceux qui sont en mesure
d'en connaître l'existence, l'autorité indéfectible,
et de comprendre comment ils peuvent agir sur les différentes
parties d'un ensemble juridique, mais non pour la masse des fonctionnaires
qui ne connaît que la partie du droit relative à
leurs propres devoirs et qui sait bien que les lois spéciales
ou exceptionnelles dérogent nécessairement au droit
commun. Comment est-il possible d'affirmer qu'un droit formellement
abrogé doit conserver immuablement dans leurs consciences
sa vigueur originelle?
Enfin, selon le P.Lener, ce sont tous les belligérants
indistinctement qui auraient dû rendre des comptes:
Le droit humain, en fait, ne peut pas ne pas s'appliquer dans
la même mesure à toutes les parties en conflit. Vainqueurs
et vaincus doivent répondre également de leurs transgressions
non justifiables. Si la défaite allemande se présente
comme la condition de fait qui permet
pratiquement de satisfaire les exigences de justice nées
des innombrables crimes contre l'humanité perpétrés
par les nazis chez eux et à l'étranger, celle-ci
n'a rien à voir avec la définition intrinsèque
des crimes eux-mêmes. Le peuple allemand lui-même,
en cas de victoire, aurait eu le devoir de punir les responsables
de ces crimes; de même aussi les Russes, les Anglais et
les Américains devraient permettre aujourd'hui même
que les accusations de crimes contre l'humanité dirigées
contre leurs représentants et leurs subordonnés
(je pense aux fameuses troupes marocaines) soient publiquement
discutées et portées devant des juges impartiaux.
Celui qui invoque le droit humain pour punir les crimes d'autrui
sous une forme légale ne peut en refuser l'application
à son détriment.
D'où sa conclusion, extrêmement nette et vigoureuse,
et d'autant plus frappante pour le lecteur que tout l'ouvrage
est conduit avec plus de sérénité et d'impartialité:
Il est licite d'affirmer en toute certitude le caractère
illégal du Tribunal de Nuremberg, tel qu'il a été
constitué sur la base de l'accord de Londres D'après
le contenu même de la notion de justice, ce tribunal ne
peut être reconnu comme juge Répétons-le:
celui qui juge en sa propre cause n'est pas seulement un juge
suspect et par là même récusable
(comme aussi s'il a des intérêts connexes avec une
des parties, ou des liens de famille, ou une intime amitié,
etc.) mais encore et tout simplement, il n'est pas juge du tout.
Et par suite, s'il fait, en fait, fonction de juge, le caractère
illégal du procès et la nullité de la sentence,
selon les principes généraux du droit, sont absolus
et irréparables Dans la deuxième guerre, les mauvais
traitements contre les prisonniers ont eu lieu partout. En Russie
et en Algérie surtout, la faim a fait des ravages; et pas
seulement la faim. Dans certains dominions anglais l'honneur des
prisonniers a été souillé au-delà
de toute imagination humaine. Et les fosses de Katyn? Ici l'accusation
était précise et fondée sur des documents.
Et les bombardements anglo-américains eux-mêmes n'ont-ils
pas dépassé évidemment toute limite de représailles
acceptables? On pense aux innombrables villes italiennes presque
entièrement détruites sous prétexte de représailles
pour les deux cents appareils inefficaces qui auraient dû
bombarder Londres. On pense aux mitraillages à basse altitude
de civils et même de petits enfants occupés à
des jeux innocents, aux aviateurs ivres et aux crimes ignobles
de certaines troupes de couleur (les Marocains), aux pillages
et aux viols des isolés. Mais le comble de l'atrocité
et de l'humanité a été définitivement
atteint dans notre siècle par les bombes atomiques lancées
sur des cités civiles surpeuplées, comme Nagasaki
ou Hiroshima (et, selon certains journaux, après l'offre
de reddition inconditionnelle et non pour des raisons militaires).
Est-ce là autre chose que la terre brûlée,
autre chose que des destructions sans discrimination (dont on
fait un chef d'accusation contre les Allemands), autre chose que
des moyens d'attaque disproportionnés et impossibles à
limiter, et, en tant que tels, interdits par le droit de la guerre
et par le droit naturel?
La prise de position du clergé protestant n'a pas été
moins nette que celle du clergé catholique. On en trouvera
le témoignage dans un article du pasteur Jacques Ellul
paru en août 1947 dans la revue théologique et ecclésiastique
Verbum Caro, de
Neuchâtel. L'auteur commence par des déclarations
catégoriques sur la valeur du procès lui-même:
Il faut bien reconnaître que, malgré l'imagination
et la bonne volonté des juges et des procureurs, le procès
de Nuremberg était insoutenable juridiquement. Ce qui le
manifeste plus que tout, c'est la substitution, dans toutes les
Revues qui lui ont consacré une étude, d'indignations
vengeresses à des raisons juridiques.
Et il ajoute, quelques pages plus loin:
Ainsi, de quelque côté que l'on se tourne, sur le
terrain juridique, on ne constate que vanité, incertitude,
incohérence. On ne peut attribuer aucun fondement juridique
valable à ce procès, aucune valeur de droit à
la condamnation.
Et plus loin:
Pourquoi avoir joué toute cette parade? Pourquoi avoir
voulu justifier la procédure et la sentence précisément
par des arguments juridiques? Pourquoi avoir voulu élaborer
une théorie de ce procès? Pourquoi avoir déclaré
que tout cela n'était pas arbitraire, mais fondé
en droit? Pourquoi avoir accumulé toutes ces preuves, inutiles
hors d'un régime de droit? Pourquoi ces faux semblants
et cette comédie de juridiction régulière,
de plaidoiries et de réquisitoires? Une seule réponse,
qui est dure, c'est un symbole de l'hypocrisie où s'enlisent
les démocraties.
M.Jacques Ellul va même beaucoup plus loin. Il ne voit aucune
différence entre l'attitude des Alliés et celle
de l'Allemagne. Tous les Etats se valent. Les lois de la puissance
et de l'instinct de conservation sont les mêmes pour tous.
Toute puissance politique est établie contre l'homme. L'hypocrisie
seule y met des nuances:
Quant à la préparation de la guerre, aucune nation
n'est exempte de ce crime. Qu'il s'agisse de la France avec le
plan d'offensive par la Belgique, du conseil de la guerre en 1936,
qu'il s'agisse de 1'U.R.S.S. avec le «plan quinquennal de
l'Armée rouge» Quel Etat ne prépare pas la
guerre? Le crime contre la paix est un mot qui caractérise
l'attitude de tous les Etats, de tous les gouvernements, et il
apparaît absolument inouï de l'imputer aux représentants
d'un seul d'entre eux.
Et encore:
L'Etat-nation apparaît aux yeux de tous comme la valeur
suprême. L'intérêt de l'Etat-nation est placé
au premier plan par 1'U.R.S.S. comme par les U.S.A... Ce nsest
ni le nazisme, ni l'espace vital, ni le Fuhrer prinzip
qui sont des causes: ils se bornent à colorer les effets
quand les causes sont admises en réalité par les
démocraties et les Soviets comme par les autres. Avec une
autre idéologie spécifique~ il y aurait seulement
un changement de catégories de victimes... En réalité
les nazis ont été jusqu'au bout des conséquences
contenues dans les principes admis universellement et ils l'ont
fait avant les autres.
On me dira que ces témoins ont plus d'autorité que
de compétence. A quoi je répondrai d'abord que c'est
leur autorité qui m'importe. Je cherche le verdict des
honnêtes gens. C'est comme leurs représentants que
je les fais comparaître. Mais je ne veux pas non plus me
trouver sans juriste: et, quoique ma bibliographie, comme on dit
dans nos écoles, ne soit pas sur ce point fort longue et
fort savante, il faut que je cite ici une sorte de consultation,
dont l'auteur me paraît sans parti-pris puisqu'il est
professeur de droit international à l'Université
de Londres. Voici donc ce qu'écrit un spécialiste
aussi considérable et aussi documenté que le professeur
H..A.Smith, dont je viens de citer le titre, dans un article sur
le procès de Nuremberg paru dans la revue Free Europe en juillet 1946. Je cite l'article in
extenso, en raison de l'importance
de ses références et de son caractère technique:
L'essence de ce que nous appelons la «règle du droit»
réside dans la soumission du pouvoir politique suprême
à une autorité qui lui est supérieure. Pour
Dicey, aux dernières années du siècle passé,
ceci paraissait le principe de base de notre constitution, et
aux Etats-Unis, bien que leurs méthodes soient différentes
des nôtres, le même principe est admis comme fondamental.
Ceci n'est pas une trouvaille particulière à la
pensée politique anglosaxonne, car le fondement en est
la théologie morale du christianisme, et pour cette raison
le principe a été rejeté par des systèmes
politiques tels que ceux des Marxistes ou des Nazis, qui ont été
bâtis de parti-pris sur une base non-chrétienne.
La théorie adverse refuse à la loi une autorité
indépendante qui lui soit propre et la considère
simplement comme l'instrument de l'autorité politique.
Les cours de justice prennent alors place parmi les instances
subordonnées dont le rôle est d'appuyer la volonté
des quelques hommes en qui un système totalitaire investit
l'exercice du pouvoir suprême. Il est absolument impossible
à de tels gouvernants de faire quoi que ce soit d'illégal,
du moment que «la loi» elle-même est la simple
expression de ce qui se trouve être leur bon plaisir du
moment. Pour cette raison, la règle de tous les systèmes
civilisés, selon laquelle un homme ne peut être puni
pour un acte qui ne constituait pas un délit au temps où
il a été commis, cesse alors d'avoir la moindre
signification, puisqu'un acte qui déplaît à
l'autorité suprême devient automatiquement un délit
et peut être puni légitimement. C'est pourquoi Hitler
agissait en parfaite conformité avec les principes nazi
et marxiste quand il donnait l'ordre à ses juges de condamner
dans tous les cas «où une opinion publique saine»
(Volksgesundheit) exigeait une punition, quand bien même
les faits ne révélaient aucun délit réprimé
par le Code pénal allemand. Le système de justice
soviétique admet la même doctrine.
Jusqu'ici nous avons seulement parlé du droit intérieur
ou «civil», mais dans cet article nous avons surtout
à nous occuper du droit des nations. Du moment que ce droit
est chrétien, tant par son origine historique que par son
contenu essentiel, il doit tout d'abord, nécessairement,
accepter pour principe que la fonction la plus haute du droit
est d'imposer des limites à l'exercice du pouvoir. Les
canonistes qui ont posé les bases du droit international
l'envisageaient comme un corps de règles qui liait par
son autorité les princes indépendants qui ne reconnaissaient
pas de supérieur sur terre, et ce principe fut pleinement
agréé par leurs successeurs laïcs jusqu'à
nos jours. Le droit des nations ainsi envisagé formait
un étalon convenu de la conduite internationale: les gouvernants
des états en litige étaient tous disposés
à y faire appel. La faiblesse du système résidait,
et réside encore, non pas dans 1'étalon commun lui-même,
mais dans l'absence d'une autorité capable de déterminer
son application dans les cas particuliers. Ce principe de la valeur
en soi et de l'autorité du droit international n'a pas
été récusé jusqu à ce que les
Bolcheviques aient pris le pouvoir en Russie.
En ceci réside le véritable point litigieux que
présentent les Procès de Nuremberg. Acceptons-nous
le principe de l'autorité indépendante du droit
international, ou bien pensons-nous que les vainqueurs d'une guerre
ont le droit de modeler à nouveau la loi de façon
à pouvoir imposer leur volonté à la personne
de leurs ennemis vaincus?
Des critiques, telles que celles dont on a toléré
la parution dans la presse (et beaucoup ont été
censurées), ne font que refléter faiblement l'anxiété
que ressentent à propos de cette question primordiale les
gens qui réfléchissent. Pour la plupart, les commentateurs
se sont attachés au compte rendu de mauvaise foi qui a
été fait des débats, et il est malheureusement
vrai que la presse a pleinement usé du fait que les débats
n'étaient pas protégés par la règle
du droit anglais qui punit l'offense au tribunal (1). Mais ceci
est relativement un sujet mineur. La véritable question
est de savoir si le procès dans son ensemble est conforme
au droit international.
Dans la Convention de la S.D.N., dans la Charte de l'O.N.U.
et dans beaucoup d'autres documents solennels, notre Gouvernement,
en compagnie de ceux des autres Etats civilisés, a affirmé
à plusieurs reprises sa fidélité à
l'autorité du droit international. Pour un exposé
officiel du principe de ce droit, nous pouvons nous en référer
au Statut de la Cour internationale de justice, qui figure en
annexe à la Charte de l'O.N.U. Là, nous trouvons
écrit que la Cour doit fonder ses jugements sur les conventions
internationales, la coutume internationale, et «les principes
généraux du droit reconnus par les nations civilisées»
(art.36). Les termes employés sont les mêmes que
ceux du Statut de la Cour Permanente de Justice Internationale,
dont le nouveau tribunal est le successeur, et ils ont forcément
la même signification que lorsqu'ils furent rédigés
pour la première fois en 1920. La question que nous avons
à nous poser est de savoir si les Procès de Nuremberg
sont conformes à l'acceptation de ce canon.
Il est bon de dire qu'en 1920 le principe qu'aucun homme ne peut
être puni pour un acte qui n'était pas un délit
selon la loi à l'époque où il a été
commis, était commun à tous les peuples civilisés.
Il est exprimé dans tous les codes criminels européens,
y compris l'allemand. Pour établir formellement ce principe
fondamental, nous pouvons reprendre l'article 4 du Code pénal
français:
«Nulle contravention, nul délit, nul crime, ne peuvent
être punis de peines qui n'étaient pas prononcées
par la loi avant qu'ils fussent commis.»
Si cette loi était un «des principes généraux
du droit reconnu par toutes les nations civilisées»,
il s'ensuit qu'elle faisait partie du droit international, et
qu'un procès qui viole cette loi est illégal au
point de vue du droit international. Nous n'avons pas besoin de
perdre du temps à réfuter la justification fournie
par ceux qui cherchent des excuses à Nuremberg en disant
qu'on est autorisé à négliger la loi dans
le cas où les accusés savaient que ce qu'ils faisaient
était moralement mauvais: car il est évident qu'une
telle exception démolit complètement la loi elle-même.
Tout de suite, nous devons nous occuper de la «Charte»
du tribunal et de l'Acte d'accusation préparé en
s'appuyant sur cette «Charte». La place ne nous permet
pas de citer entièrement, mais il suffit de dire que chacun
de ces documents se divise en deux parties principales, qui traitent
respectivement des préparatifs de guerre et de la conduite
de la guerre. Sous le premier chef, les prévenus sont accusés
d'avoir conspiré pour entreprendre «une guerre d'agression».
Sous le second, ils sont accusés de «crimes de guerre»
et de «crimes contre l'humanité».
Pour le premier, on peut dire en toute certitude qu'aucun légiste
n'aurait osé dire en 1939 que les gouvernants d'un Etat
pouvaient être punis comme criminels individuels pour avoir
préparé une guerre d'agression. La question a été
débattue dans le cas de Napoléon, et amena précisément
la même conclusion; mais en 1815, le Gouvernement britannique
de l'époque préféra suivre l'opinion des
juristes plutôt que les clameurs de la foule. Après
l'armistice de 1918, le Gouvernement des Pays-Bas agit selon le
même principe en refusant de livrer l'Empereur d'Allemagne,
qui avait été accusé dans le Traité
de Versailles de «délit suprême contre la morale
internationale et la sainteté des traités».
Les Alliés, sachant qu'ils étaient sur un sol mouvant,
n'insistèrent pas avec leur demande, et on laissa tomber
la question. Un instant de réflexion suffira pour montrer
que, dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres, la loi est
plus sage que les passions fugitives des hommes, et les hommes
d'Etat de l'avenir auront à juste titre de bonnes raisons
pour déplorer le précédent que Nuremberg
a établi.
Le précédent, établi dans toute sa simplicité,
revient à ceci: les membres d'un gouvernement qui décide
de s'engager dans une guerre prendront leur décision tout
en sachant qu'ils courent le risque d'être pendus à
la discrétion de leurs ennemis s'ils ne la gagnent pas.
Comme il est totalement impossible d'arriver à une définition
généralement acceptée de l'«agression»,
il est clair que, dans l'avenir, les vainqueurs, et eux seuls,
peuvent décider si l'Etat vaincu avait une raison suffisante
de déclarer la guerre.
La loi cesse d'être la loi, si le succès peut justifier
qu'on la viole. La preuve la plus simple que 1'«agression»
est un crime seulement pour le vaincu, le cas de la Russie le
fournit. En décembre 1939, l'Union soviétique fut
solennellement expulsée de la Société des
Nations pour une attaque non provoquée contre la Finlande
durant le mois précédent. Telle fut l'unanime décision
d'un corps international, décision à laquelle notre
propre Gouvernement prit part, et on peut rappeler qu'à
ce moment nous étions même prêts à aider
la résistance de la Finlande contre la Russie, si la Suède
avait accepté de nous donner le droit de passage. Si nous
avons assez de courage pour demander maintenant comment un acte
qui constituait un crime capital de la part de certains en septembre,
est devenu totalement innocent lorsqu'il est commis par d'autres
en novembre, la réponse ne sera que trop évidente.
La violation de la «loi», couronnée par le
succès, transporte le délinquant du banc des accusés
au banc des juges.
Pour ce qui est de l'accusation qui traite de «crimes de
guerre» et de «crimes contre l'humanité»,
il est nécessaire d'être légèrement
plus technique. De la seconde formule, tout ce qui a besoin d'être
dit, c'est qu'elle était auparavant inconnue du droit,
et qu'elle ressemble à s'y méprendre à la
doctrine de Hitler sur les actes «contraires à une
saine opinion publique». L'expression «crimes de guerre»,
au contraire, a un sens légalement défini, sur lequel
toutes les autorités sont solidement d'accord.
Dans le Manual of Military Law anglais (ch.XIX §441),
il est dit que «le terme» «crime de guerre»
est l'expression technique pour un acte de soldats ou de civils
ennemis qui mérite d'être châtié en
cas de capture des délinquants. Ce terme s'emploie couramment,
mais on doit faire remarquer avec insistance qu'il est employé
dans le sens militaire et technique, et le sens légal seulement,
et non dans le sens moral.
Le paragraphe qui suit explique avec plus de précision
ce qu'on entend:
«§442. Les crimes de guerre peuvent être divisés
en quatre catégories différentes:
1)Violation des règles reconnues de conduite de la guerre
par des membres des forces armées;
2)Actes hostiles illégitimes commis en armes par des individus
qui ne sont pas membres des forces armées;
3)Espionnage et trahison de guerre;
4)Maraudage.»
Tout le sujet des crimes de guerre est traité sous la rubrique
générale «Means of Securing Legitimate
Warfare» (Moyens de garantir la conduite légale
de la guerre) (§435-451), le point capital étant
que le droit de châtier des individus dans certains cas
est un moyen d'obliger l'ennemi à observer les lois de
la guerre. De nombreux exemples sont donnés (§443)
pour illustrer la quadruple classification: le trait commun de
ces exemples étant qu'ils sont tous tirés du champ
des opérations militaires réelles. Le seul but est
de punir des individus exclusivement pour des actes dont ils sont
individuellement responsables; pour cette raison, l'énumération
des exemples est suivie d'un principe qu'il faut citer intégralement:
«Il est important, cependant, de faire remarquer que les
membres des forces armées qui commettent des violations
des lois reconnues de la guerre qui sont ordonnées par
leur Gouvernement ou par leur commandement, ne sont pas criminels
de guerre, et ne peuvent être en conséquence punis
par l'ennemi. L'ennemi peut punir les fonctionnaires ou commandants
responsables de tels ordres, s'ils tombent entre ses mains, mais
autrement il peut seulement recourir aux autres moyens d'obtenir
réparation qui sont exposés dans ce chapitre»
(ceux-ci sont donnés dans le §438: plainte à
l'ennemi ou aux neutres, représailles et prise d'otages).
Ce paragraphe expose ce qui est communément connu sous
le nom de «moyen de défense tiré des ordres
supérieurs». La même loi existe dans le Manuel
américain correspondant, et le principe est évidemment
de première importance. Dans le droit des nations tel qu'il
est clairement exprimé dans l'article3 de la Quatrième
Convention de La Haye de 1907, l'Etat en tant que tel est rendu
responsable de la correction générale de la conduite
de ses forces armées, le droit de punir des individus étant
strictement limité aux quatre catégories de cas
spécifiés ci-dessus. Sans une telle loi, on ne pourrait
maintenir qu'avec peine la discipline des armées, et il
n'est pas surprenant qu'un grand nombre d'officiers supérieurs
soient sérieusement troublés par le déroulement
des procès de Nuremberg. Le sens commun en la matière
est qu'un homme ne peut être châtié en bonne
justice pour avoir exécuté un ordre (même
odieux) auquel il lui a été pratiquement impossible
de résister.
Le paragraphe que nous venons de citer a été suffisant
pour assurer l'acquittement de la plupart des accusés des
procès de Leipzig après la guerre de 1914-1918,
et pourrait également être une défense suffisante
contre la plupart des charges élevées à Nuremberg.
Ceci nous amène à un sujet très troublant.
En avril 1944, tandis que l'on préparait activement le
procès des criminels de guerre à Londres, le War
Office changea les termes du paragraphe 443 de manière
à supprimer le moyen de défense tiré des
ordres supérieurs. Les nouveaux termes sont extraits d'un
article du professeur Lauterpacht de Cambridge dans le volume
1944 du British Year Book of International Law (Annuaire
anglais de droit international), où l'auteur dit:
«La nature nettement illégale de l'ordre illégale si l'on se réfère aux principes généralement reconnus du droit international qui s'identifient avec les puissantes injonctions de l'humanité de façon à être évidents pour toute personne d'intelligence ordinaire rend le moyen de défense tiré des ordres supérieurs irrecevable.»
En conséquence, le subordonné est maintenant exposé
à être pendu par l'ennemi après la guerre,
s'il ne prend le risque durant le déroulement de la guerre
de refuser obéissance à un ordre qu'il considère
comme moralement mauvais. Peut-être n'est-il pas déloyal
de douter que le professeur Lauterpacht, qui a mérité
la situation d'universitaire distingué dans ce pays, eût
osé agir en conformité avec la doctrine exposée
par lui aujourd'hui, au temps où il servait dans l'armée
autrichienne durant la Première Guerre mondiale
Le point important n'est pas de savoir si les nouveaux termes
sont ou ne sont pas préférables aux anciens. Tout
criminaliste sait que l'invocation de coercition présente
de très graves problèmes pour la défense
et qu'il y a matière à de grandes divergences d'opinion.
Ce qui est d'une importance vitale, c'est que ce texte ait pu
être changé au moment où l'on préparait
l'accusation et après que beaucoup des actes incriminés
eurent été commis. Supprimer un terrain de défense
primordial de cette manière est totalement incompatible
avec nos traditions de justice.
On a beaucoup parlé dans la presse de la «probité»
du procès et on peut admettre que le juge qui présidait
a mené les débats dans le meilleur esprit de notre
magistrature. L'improbité ne réside pas dans la
salle d'audience, mais en dehors d'elle. La «Charte»
a faussé la balance en chargeant lourdement un des plateaux
au détriment des accusés avant le début du
procès, car la loi qui régit le procès est
contenue dans un document préparé par l'accusation.
Par ce document, les principaux moyens de défense ont été
supprimés à l'avance et, de ce fait, ils n'ont pu
être utilisés par les accusés. On n'a pas
permis non plus aux accusés de récuser la juridiction
du tribunal ni de soutenir qu'ils n'avaient fait qu'appliquer
des ordres supérieurs. On ne leur a pas davantage permis
de plaider que Staline a entrepris une guerre d'agression, ni
que les camps de concentration russes sont dirigés avec
une grande brutalité.
Nous pouvons tous admettre que les accusés constituèrent
un groupe de très méchants hommes, mais le véritable
litige n'est pas dans le sort personnel de quelques individus.
Ce qui est en cause dans ce procès, c'est l'autorité
du droit international et les idéaux de droit et de justice
dont nous sommes les garants et pour lesquels nous avons fait
profession de lutter.
Tel est l'état de l'opinion mondiale, trois ans après
le procès de Nuremberg. On s'est bien gardé de nous
le laisser savoir. Nous croyons, en France, et nous continuons
à croire que tout le monde approuve avec infiniment de
respect tout ce qui s'est fait en France depuis 1944. On étonnerait
beaucoup de Français en leur découvrant la profondeur
du mépris dans lequel s'est enfoncé notre malheureux
pays. Ce n'est qu'un cas particulier du dégoût
qu'inspire à des millions d'hommes l'hypocrisie démocratique.
On pourrait faire chaque semaine un journal, rien qu'en découpant
dans la presse internationale ce que les journaux officieux d'Europe
se gardent bien de citer.
Nous vivons dans une euphorie intellectuelle de grands malades.
On ménage apparemment en nous des cerveaux chancelants
que la brusque vue de la réalité épouvanterait
autant qu'un juge d'instruction quand il soulève un coin
du voile. De temps en temps, nos penseurs officiels s'avisent
qu'on ne lit pas nos livres et qu'on ne les traduit pas: ils ont
la naïveté de s'en étonner. Ce qui serait miraculeux
ce serait qu'on s'obstinât à lire ce qui s'imprime
à Paris, élucubrations qui ressemblent beaucoup
aux conversations convenables qu'on tient dans les bonnes maisons,
avec juste ce qu'il faut d'obscénité pour ne pas
s'endormir. Nous avons cru que nous pouvions conserver comme la
Grèce une sorte de royauté intellectuelle et nous
sommes partis à la conquête du vainqueur. Mais tel
est le résultat de notre peur de la vérité:
la littérature française a autant d'importance aujourd'hui
que l'armée française. Le pays de Voltaire condamne
Calas tous les jours à son petit déjeuner. C'est
bien commode d'avoir affaire à des monstres. Cela permet
une indifférence facile. Nous avons le culte de la facilité,
en politique, en stratégie, en finance: en pensée
aussi. Mais les Lois sont des déesses impassibles: celles
que nous avons faites nous jugent. Nous avons écrit les
Tables de la décadence. Nous n'en sortirons qu'en ayant
le courage de regarder en face les visages immobiles et graves
qui nous reprochent notre silence.
NOTES
(1) Par cette règle, il est interdit,
en Angleterre, de préjuger de la décision d'un tribunal,
et, par exemple, d'écrire d'un meurtrier ou d'un incendiaire,
même s'il a avoué, qu'il est un meurtrier ou un incendiaire,
avant que le tribunal en ait décidé ainsi. (Note
de l'éditeur.)
Fin de la première partie
Ce texte a été
affiché sur Internet à des fins purement éducatives,
pour encourager la recherche, sur une base non-commerciale et
pour une utilisation mesurée par le Secrétariat
international de l'Association des Anciens Amateurs de Récits
de Guerre et d'Holocauste (AAARGH). L'adresse électronique
du Secrétariat est <[email protected]>.
L'adresse postale est: PO Box 81475, Chicago, IL 60681-0475, USA.
Afficher un texte sur le Web équivaut à mettre un document sur le rayonnage d'une bibliothèque publique. Cela nous coûte un peu d'argent et de travail. Nous pensons que c'est le lecteur volontaire qui en profite et nous le supposons capable de penser par lui-même. Un lecteur qui va chercher un document sur le Web le fait toujours à ses risques et périls. Quant à l'auteur, il n'y a pas lieu de supposer qu'il partage la responsabilité des autres textes consultables sur ce site. En raison des lois qui instituent une censure spécifique dans certains pays (Allemagne, France, Israël, Suisse, Canada, et d'autres), nous ne demandons pas l'agrément des auteurs qui y vivent car ils ne sont pas libres de consentir.
Nous nous plaçons sous
la protection de l'article 19 de la Déclaration des Droits
de l'homme, qui stipule:
ARTICLE 19
<Tout individu a droit à la liberté d'opinion
et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être
inquiété pour ses opinions et celui de chercher,
de recevoir et de répandre, sans considération de
frontière, les informations et les idées par quelque
moyen d'expression que ce soit>
Déclaration internationale des droits de l'homme,
adoptée par l'Assemblée générale de
l'ONU à Paris, le 10 décembre 1948.