Note de l'AAARGH: nous ne commenterons pas cet article hilarant; il repose à la fois sur la lecture de textes de Faurisson et sur une recherche intensive dans la presse; il est évident que Valérie Igounet croit tout ce qui est écrit dans le journal ou ailleurs et qu'elle est incapable d'une analyse personnelle. Nous nous contenterons de relever cette phrase impayable: « Paul Rassinier devient rapidement le conseiller de Robert Faurisson. » et nous vous renvoyons à l'archive Rassinier où figure la totalité de l'oeuvre de Rassinier ainsi qu'une lettre écrite en 1964 par Rassinier à Faurisson; on n'a pas l'impression que le rapport soit exactement celui d'un conseiller à son maître !
A la fin de l'année 1978 éclate l'affaire Faurisson.
Un enseignant de l'Université proclame que les chambres à gaz n'ont pas existé.
Et que le génocide des juifs n'est qu'un mythe. Le négationnisme gagne ainsi une audience qu'il n'avait jamais atteinte. Portrait d'un faussaire qui trouva d'abord ses principaux soutiens à l'ultra-gauche avant d'être adopté par l'extrême droite.
Une singularité française.
A la fin de l'armée 1978 éclate, en France, un scandale qui donnera au négationnisme une audience nationale: un enseignant de l'Université proclame l'inexistence des chambres à gaz. Maître de conférences en littérature, Robert Faurisson accède au statut de "maître incontesté de l'ensemble du mouvement révisionniste mondial". En d'autres termes, il réussit ce à quoi aucun autre n'était parvenu avant lui: déclencher en France une médiatisation sans précédent du négationnisme. L'affaire Faurisson marque une coupure dans l'histoire d'une idéologie apparue dés les lendemains de la guerre. Elle révèle aussi des spécificités françaises qui doivent être mises en évidence.
Comment devient-on le négationniste le plus célèbre de France? Robert Faurisson naît à Shepperton (Angleterre) le 25 janvier 1929. Sa mère est écossaise; son père, employé aux Messageries maritimes, est français. Du fait de la profession du chef de famille, les Faurisson déménagent souvent. L'enfant commence sa scolarité à Singapour. Il arrive en France dans les années 1936-1937. Il entre alors dans une école religieuse à Chatou, dans la banlieue parisienne. En 1940, après l'exode, Robert Faurisson se trouve à Marseille, où il étudie dans un collège de jésuites.
Pendant l'Occupation, dans la famille, on ne fait pas de politique, mais, selon les dires de Robert Faurisson, on est "farouchement anti-allemand"1. Quelques années plus tard, le jeune homme est admis en lettres supérieures au lycée Henri-IV à Paris. Il obtient une maîtrise de lettres à la Sorbonne, puis il passe l'agrégation et soutient un doctorat sur la "Bouffonnerie de Lautréamont", couronné par la mention très honorable; la thèse est publiée en 1972 chez Gallimard sous le titre A-t-on lu Lautréamont? Robert Faurisson aborde déjà le thème de la Seconde Guerre mondiale: "[Elle] a suscité des mythes mais il ne fait pas bon s'y attaquer".
La capitulation allemande -- perçue par le jeune garçon comme une terrible humiliation -- semble avoir été un moment décisif de son cheminement idéologique: "C'est peut-étre le 8 mai 1945, en entendant les sirènes d'alerte qui, pour cette fois, annonçaient non pas l'arrivée des forteresses volantes mais la victoire des Alliés que j'ai songé pour la premiére fois à la tragédie du peuple allemand. [...] Au même instant, je me fis la réflexion que ce jour de liesse pour les Français qui avaient intensément souhaité la défaite de l'Allemagne devait être vécu comme un jour de désespoir par les Allemands qui s'étaient tant battus pour leur pays. J'en éprouvais une subite compassion pour l'ennemi vaincu 2." Les procès de Nuremberg et l'épuration ont accentué ce sentiment. Dans l'après-guerre, le jeune homme de seize ans aurait éprouvé une haine indicible pour cette justice partiale rendue par des vainqueurs sur un pays vaincu.
La genése du négationnisme de Robert Faurisson semble avoir été progressive. Elle s'étale sur plus d'une vingtaine d'années. Dans les années d'après-guerre, le jeune Robert Faurisson lit d'abord Maurice Bardéche. Cet homme de lettres, beau-frère de I'écrivain fasciste Robert Brasillach, exécuté à la Libération, est I'initiateur du négationnisme français. Il appartient à la premiére génération de ce courant, apparu au sein d'une extréme droite issue du fascisme et de la Collaboration et qui entend réhabiliter Vichy tout en assouvissant son antisémitisme. En 1948, dans Nuremberg ou la terre promise, Maurice Bardèche dénonce une "falsification de l'histoire":
Robert Faurisson lira successivement cet ouvrage fondateur du négationnisme, Lettre à François Mauriac, premier essai politique de Bardéche publié en 1947, et Nuremberg II ou les faux monnayeurs, publié en 1952, où l'auteur reprend les thèes du premier Nuremberg.
Nouvelle étape: dans les années 1960, Robert Faurisson découvre Le Mensonge d'Ulysse, où à un autre négationniste, venu d'un tout autre horizon politique, Paul Rassinier, qui deviendra bientót son père spirituel. Militant socialiste dans les années 1930, résistant, déporté à Buchenwald puis à Dora, Paul Rassinier dénonce dans ce livre publié en 1950 les "mensonges de la littérature concentrationnaire" et met en doute l'existence des chambres à gaz.
En 1960, Robert Faurisson prend connaissance d'un article de l'historien allemand Martin Broszat, "Keine Vergasung in Dachau" ("Pas de gazage à Dachau"), publié dans le quotidien Die Zeit le 19 août 1960. On est encore à cette date aux débuts d'une histoire scientifique du génocide des Juifs. Martin Broszat, dans cet article, distingue camps de concentration et camps d'extermination. Il explique que la chambre à gaz de Dachau, inachevée à la libération du camp, n'avait pas été utilisée en tant que telle pendant les années de guerre. L'étude s'étend géographiquernent pour conclure que l'"extermination massive des Juifs par l'emploi des gaz a commencé en 1941-1942 et a eu lieu exclusivement en quelques rares emplacements choisis à cet effet et pourvus des installations techniques correspondantes, avant tout dans le territoire polonais occupé (mais en aucun endroit de l'ancien Reich): à Auschwitz-Birkenau, à Sobibor-sur-Bug, à Treblinka, Chelmno et Belzec"4.
La lecture de cet article fut sans doute une étape décisive. Détournant les conclusions de I'historien allemand, Robert Faurisson met en place son raisonnement. Si la chambre à gaz de Dachau n'a jarnais été utilisée, pourquoi n'en serait-il pas de même pour les autres?
Homme brillant et cultivé, Robert Faurisson est un provocateur, qui a déjà fait ses preuves dans le milieu des lettres: au début des années 1960, ses travaux littéraires sur le sonnet des Voyelles de Rimbaud, interprété comme un corps de femme "in coitu", ont déclenché une polérnique aboutissant à la publication d'un article signé de lui dans Le Monde (10 février 1962, p. 9). Robert Faurisson veut à tout prix dévoiler ce que les autres ne voient pas. En littérature comme en histoire. S'il a été attiré par Rimbaud, et plus tard par Apollinaire, c'est parce que, lui avait-on dit, les deux auteurs avaient "découvert des espaces insoupçonnés"5. Robert Faurisson a constaté "qu'on avait fabulé sur les textes sans prendre la peine de les lire ligne par ligne, mot à mot"; il cherche pour sa part le "vrai sens du texte, son sens premier"6. Cette méthode va lui servir à la dénonciation de ce qu'il appelle le "mythe des chambres à gaz".
"Mieux vaut l'avouer tout de suite, le hasard ou la destinée (mais que veut dire au juste ce mot ?) m'avaient conduit [...] à découvrir presque simultanément, en littérature, le mythe de Rimbaud et, en histoire, horribile dictu, le mythe de la magique chambre à gaz. [...] C'est ainsi qu'au seuil de la trentaine, je fus conduit à partager en quatre une vie particuliérement active: un quart s'en trouvait consacré au plaisir de vivre, à ma famille et au sport, un quart allait à mon métier, un quart au révisionnisme littéraire et un quart enfin -- la part maudite -- au révisionnisme historique 7." Nous sommes au début des années 1960. Quelles sont alors les opinions de Robert Faurisson? Il prétend ne pas s'intéresser à la politique. C'est un amour exacerbé pour le décryptage des textes et pour la vérité qui l'engage, soutient-il, dans la négation de la réalité du génocide des Juifs. Ses hagiographes et ses amis, excepté Serge Thion, le situent politiquement à gauche. En 1962, Robert Faurisson est emprisonné pendant seize jours à Riom pour outrage à magistrat. Plusieurs auteurs évoquent, de fagon contradictoire, ses engagernents au moment de la guerre d'Algérie et les motifs de cette détention. A-t-il eu des sympathies pour l'OAS? On explique qu'i1 a été emprisonné pour avoir "vivement protesté contre l'internement administratif dun sympathisant de l'Algéne française"8, "un de ses amis", précise le chroniqueur d'extrême droite et ancien milicien François Brigneau.
Selon Le Monde du 4 mars 1962, quelques jours avant la signature des accords d'Evian et le cessez-le-feu en Algérie, c'est "pour offense au chef de l'Etat" que Robert Faurisson aurait été incarcéré.
Le quotidien poursuit: "M. Faurisson, qui est âgé de quarante-cinq ans [sic] n'appartient à aucun parti politique. Il passe pour un iIluminé et un "violent verbal". C'est au cours d'une conversation qu'il a tenu les propos... colorés qui lui sont reprochés et qu'il a renouvelés au magistrat instructeur qui l'interrogeait sur la signification qu'il accorde aux trois lettres OAS." Robert Faurisson ne dément aucune de ces informations.
Fait-il profession d'antisémitisme ? En ces temps de guerre d'Algérie, Robert Faurisson, secrétaire du SNES, cotise au comité Maurice-Audin contre la torture. Il envoie un chèque d'une somme de vingt francs et y joint un papier écrit de sa main où l'on peut lire le conseil suivant: "Cachez vos juifs"9.
En 1967, il fréquente la bibliothèque du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), à Paris, et correspond également avec Paul Rassinier. L'ancien déporté collabore alors ouvertement avec l'extrême droite française -- une alliance nouée par un antisémitisme et un anticommunisme communs. Paul Rassinier devient rapidement le conseiller de Robert Faurisson. Une rencontre entre les deux hommes est prévue pour l'été 1967. Mais Paul Rassinier meurt subitement fin juillet. Robert Faurisson est âgé de trente-huit ans; il entend poursuivre l'oeuvre de celui qui est devenu son père spirituel et, le moment venu, la faire connaître du grand public.
A la rentrée universitaire de 1974, il est maître de conférences en littérature française du xxe siècle à l'université Lyon-II. Il ne fait pas mystère de son sujet de prédilection, la "critique de textes et de documents" et la "recherche du sens et du contresens, du vrai et du faux". Il se rend dans le camp de concentration du Struthof, en Alsace, et dans celui de Maidanek, en Pologne, qui fut aussi un camp d'extermination. En 1975, il passe une journée à Auschwitz.
Un an plus tard, il y retourne et y reste dix jours. Le camp d'Auschwitz, qui fut le coeur de la machine à exterminer des nazis, a alors pris toute sa signification symbolique dans l'opinion. C'est ce camp qui va devenir l'objet de prédilection de Robert Faurisson. Prétextant de recherches universitaires, il demande à consulter de nombreux documents au musée d'Auschwitz. Le conservateur, Tadeusz Iwaszko, fournit divers papiers à celui qu'il considère comme un chercheur. Robert Faurisson repère une disparité entre l'état actuel du crématoire 1 et sa représentation sur deux plans d'époque établis par la SS et n'est pas convaincu par les explications du conservateur 10. Il en conclut que les chambres à gaz ne peuvent avoir fonctionné.
On est là au coeur de la "méthode Faurisson": le repérage minutieux de toutes les contradictions entre les documents ou les témoignages, contradictions utilisées, sans jamais chercher à les expliquer, pour étayer une conclusion fausse, établie a priori. De retour en France, Robert Faurisson poursuit ses travaux et s'efforce de les faire connaître.
Il réussit à faire publier deux lettres dans le courrier des lecteurs des magazines destinés au grand public Historama (novembre 1975) et Historia (août 1977, à propos de la chambre à gaz du Struthof). A l'été 1977, un de ses articles ("Au dossier de l'histoire de la "Résistance". Quelques exécutions des "Maquis Bernard". 15 juin-11 août 1944") paraît dans le mensuel de Maurice Bardèche, Défense de l'Occident.
Un an plus tard, en juin 1978, la revue néo-fasciste publie un nouveau texte de lui, intitulé "Le <problème des chambres à gaz>". Dès l'été 1978, l'essentiel de la falsification faurissonienne est en place; elle ne s'enrichira plus beaucoup. Elle s'exprime dans l'article de Défense de l'Occident et dans trois tracts datés de l'année 1978 "Le <problème des chambres à gaz> ou La rumeur d'Auschwitz" (12 avril), "Les retombées politico-financiéres du "génocide" des Juifs" (23 mai) et "Pour une histoire véridique de la Seconde Guerre mondiale" (28 mai). On peut en résumer les grandes lignes:
Ce dernier parvient à publier une partie de ses idées dans Le Monde. Le 29 décembre 1978, la page "Société" du quotidien s'intitule "Les chambres à gaz". Parce que sa thèse a "jeté quelque trouble dans les jeunes générations notamment, peu disposées à accepter sans inventaire les idées acquises [...], il était indispensable de juger sur pièces", explique le quotidien avant de proposer à ses lecteurs "<Le problème des chambres à gaz> ou <la rumeur d'Auschwitz>" de Robert Faurisson, c'est-à-dire la copie du tract du 12 avril 1978. Un article de Georges Wellers, lui-même déporté à Auschwitz, témoin au procès Eichmann à Jérusalem en 1961, "Abondance de preuves", paraît sur la même page. Le lendemain, c'est "La solution finale" d'Olga Wormser-Migot, auteur du Système concentrationnaire nazi, une enquête minutieuse sur le fonctionnement des camps -- deux articles qui réfutent les propos de Robert Faurisson.
En quelques jours, le négationnisme est sorti de la marginalité pour entrer dans le débat public. Il profite d'un contexte hanté par la mémoire des années 1940-1945 et marqué par l'émergence d'une Nouvelle Droite puis la renaissance de l'extrême droite raciste ainsi que par la recrudescence de l'antisémitisme.
Mais le négationnisme français trouve également un terreau favorable à l'autre extrémité de l'échiquier politique, dans une ultra-gauche incarnée par Pierre Guillaume, fondateur à la fin des années 1960 de la librairie La Vieille Taupe, mais aussi par divers individus issus de groupuscules tels que Jeune Taupe ou La Guerre sociale. Au nom de la contestation radicale de la vérité officielle et d'une lecture anticapitaliste de l'histoire, ces hommes entendent révéler ce qu'ils appellent une triple manipulation de l'histoire -- démocratique, sioniste et stalinienne -- et dénoncer l'agitation antifasciste, désignée comme l'alibi du totalitarisme. Cette propagation d'une idéologie d'extrême droite par un courant se revendiquant de l'ultra-gauche est bien l'une des singularités du négationnisme en France.
Parmi les premiers partisans de Robert Faurisson, on compte ainsi Jean-Gabriel Cohn-Bendit, auteur d'une lettre qui paraît dans Libération (5 mars 1979). Intitulée "Question de principe", elle réclame une "liberté de parole, d'écrit, de réunion, d'association [...] totale". Jean-Gabriel Cohn-Bendit interviendra au procès de Robert Faurisson, en décembre 1980, pour exprimer sa réticence totale à résoudre un problème d'histoire par une voie légale et pour préciser les limites de son engagement dans cette affaire. Au nom de la liberté d'expression toujours, Noam Chomsky, linguiste renommé aux Etats-Unis, signe un texte qui sert de préface au livre de Robert Faurisson, Mémoire en défense contre ceux qui m'accusent de falsifier l'histoire. La question des chambres à gaz (La Vieille Taupe).
Gábor Tamás Rittersporn et Serge Thion, respectivement chercheur et chargé de recherche au CNRS, apporteront eux leur soutien à Robert Faurisson devant le tribunal de grande instance de Paris au début des années 1980. Serge Thion prend la défense du négationniste dans Vérité historique ou vérité politique? Le dossier de l'affaire Faurisson, la question des chambres à gaz (La Vieille Taupe).
Autant de signatures qui donnent aux thèses de Robert Faurisson une certaine respectabilité. Si certains depuis ont rompu publiquement avec lui ou préféré s'éloigner, Serge Thion et d'autres poursuivent activement leur combat.
La caution apportée par cette ultragauche au négationnisme ne doit pas être négligée. Un négationnisme "révolutionnaire" a pris forme. Robert Faurisson a pu commencer une nouvelle "carrière". Il s'est proclamé "antisioniste" et a parlé de "la magique chambre à gaz" (expression de Louis-Ferdinand Céline). En associant la négation de la fonction meurtrière des chambres à gaz à la défense des Palestiniens, premières victimes du "mensonge" selon lui, il a assuré le succès des thèses développées par ses prédécesseurs.
L'évolution est parfaitement résumée par Robert Faurisson lui-même, interrogé sur Europe n*1 en décembre 1980: "Les prétendues "chambres à gaz" hitlériennes et le prétendu "génocide" des Juifs forment un seul et même mensonge historique, qui a permis une gigantesque escroquerie politico-financière dont les principaux bénéficiaires sont l'Etat d'Israël et le sionisme international et dont les principales victimes sont le peuple allemand -- mais non pas ses dirigeants -- et le peuple palestinien tout entier".
Devant ces multiples atteintes portées à la mémoire trouvant parfois une tribune dans les médias les plus sérieux -- et condamnées à plusieurs reprises par la justice --, les historiens et intellectuels français se sont trouvés confrontés à un dilemme: fallait-il, comme l'a formulé François Bédarida, "réfuter les falsificateurs au risque de leur apporter une reconnaissance intellectuelle? Ou bien refuser tout dialogue avec des charlatans quitte à leur laisser le champ libre 12?" La première option a prévalu: l'émergence du négationnisme a paradoxalement stimulé la recherche. Dès 1980, les premières réflexions sur le phénomène sont publiées 13. En 1982, un colloque fait le point sur la connaissance de la Seconde Guerre mondiale 14.
L'historien américain Raul Hilberg, auteur de La Destruction des Juifs d'Europe, expliquait alors: "Je dirais que, d'une certaine manière, Faurisson et d'autres, sans l'avoir voulu, nous ont rendu service. Ils ont soulevé des questions qui ont eu pour effet d'engager les historiens dans de nouvelles recherches. Ils ont obligé à rassembler davantage d'informations, à réexaminer les documents et à aller plus loin dans la compréhension de ce qui s'est passé. [...] Je suis toujours à la recherche de nouveaux documents. Les chambres à gaz, c'est évidemment l'accusation la plus terrible. Les gens qui les ont construites et qui ont opéré dans les camps ont pris soin de ne rien laisser derrière eux après la guerre. Ils savaient qu'on leur demanderait justice, puisque c'est principalement par ce moyen que s'est opérée l'extermination" 15.
Une fois l'affaire retombée, Robert Faurisson, devenu un professionnel du négationnisme -- il a dû cesser ses activités d'enseignement et a quitté l'université Lyon-II au début des années 1980 --, a poursuivi son activité de propagandiste. D'autres disciples ont fait surface.
Quel bilan tracer de son apport à l'édifice négationniste? Outre le scandale médiatique et la jonction opérée avec l'ultra-gauche, Robert Faurisson lui a apporté un raisonnement pseudo-scientifique, fondé sur une méthode singulière s'évertuant à prouver la réalité de son postulat. Il s'est construit une réputation de travailleur rigoureux et acharné, bien qu'il ne soit pas ce qu'il prétend: sa démarche est loin d'être rigoureuse et sa documentation fort limitée (il s'agit essentiellement de la correspondance des SS traduite en français 16, de quatre plans de trois des cinq crématoires d'Auschwitz -- deux plans du crématoire I, un du II et un du IV --, provenant du musée, et enfin de photos rapportées d'Auschwitz par Jean-Claude Pressac).
Aujourd'hui, Robert Faurisson compte de moins en moins de fidèles. Pierre Guillaume, un de ses plus ardents défenseurs, s'est éloigné progressivement du négationniste et a rompu définitivement avec lui en juin 1995. Le fondateur de La Vieille Taupe a trouvé en Roger Garaudy un nouvel apôtre de la cause bien plus respectable en apparence.
Quelques publications affiliées à l'ultragauche (L'Anarchie, L'Homme libre) continuent cependant inlassablement d'encourager la cause négationniste. Alain Guionnet, ancien de La Guerre sociale, édite tant bien que mal depuis le printemps 1989 Revision, qui a notamment publié Les Protocoles des Sages de Sion.
Surtout, depuis 1987, époque du pseudo-dérapage de Jean-Marie Le Pen qualifiant les chambres à gaz de "point de détail de la Seconde Guerre mondiale" et du procès Barbie, le négationnisme s'est répandu dans les colonnes des publications d'extrême droite. Il est devenu un élément à part entière de l'idéologie du Front national et a profité des sucés électoraux de ce parti.
Aujourd'hui, la diffusion du négationnisme se poursuit en France. Différentes "affaires" (Roques en 1986, Garaudy en 1995, etc.) en ont témoigné. Après Bardèche et Rassinier, après Robert Faurisson, après Pierre Guillaume et Serge Thion, une quatrième génération de négationnistes qui considère la vision faurissonienne comme dépassée a fait son apparition sur la scène publique: "post-révisionnistes", renouvelant le thème de la conspiration mondiale des Juifs derrière Alain Guionnet et Olivier Mathieu, ou militants regroupés en associations, comme Philippe Costa et Vincent Reynouard (animateurs de l'ANIV, Amnistie nationale pour les internés et victimes de la loi Gayssot, et de l'ANEC, Association normande pour l'éveil du citoyen). Le négationnisme s'étend avec l'apparition de ces réseaux et d'Internet. Des sites négationnistes basés en France et à l'étranger peuvent y être consultés et confèrent à cette propagande une nouvelle audience.
L'AUTEUR
Titulaire d'un doctorat d'histoire du xxe siècle, Valérie Igounet est l'auteur d'une Histoire du négationnisme en France à paraître aux édifions du Seuil au début de l'année 2000.
MOT CLÉ: le négationnisme n'est pas un révisionnisme (attitude naturelle en histoire), mais la tentative délibérée de nier une réalité historique (en premier lieu l'extermination des juifs d'Europe).
A RETENIR: si, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, les thèses négationnistes ont trouvé un tel écho, c'est qu'au-delà du scandale médiatique elles ont rencontré le soutien d'une minorité agissante de l'ultragauche.
Photo d'écran (Netscape)
[no disponible]
LÉGENDE DE LA REVUE: Internet a donné une nouvelle audience à l'activisme des négationnistes.
Ci-dessus: la page de sommaire de la Revue d'histoire révisioniste (sic)
(cl. Gilles André/France-Soir/Sygma).
[Note de L'AAARGH: Le sic se justifie puisque les Canadiens anglophones ont écrit "révisioniste" comme en anglais. Mais le plus intéressant est que L'Histoire falsifie le document. Il aurait dû comporter son adresse internet puisque le cliché représente une image d'un écran Netscape. Or cette adresse a été effacée, pour que les lecteurs trop curieux ne puissent pas accéder directement à la page en question. Intéressante mesquinerie.]
Encart [MANIFESTEMENT RAJOUTÉ PAR LA REDACTION]
Qu'il s'agisse des chambres à gaz ou du caractère corncerté de l'extermination des Juifs, rien de ce qui constitue les élucubrations des négationnistes n'a fait l'objet d'un débat entre les historiens. En revanche, les travaux se sont multipliés depuis les années 1970 pour aboutir à une analyse de plus en plus fine de la politique antisémite de l'Allemagne nazie et du processus qui a conduit à la Solution finale, pour préciser le rôle de l'armée allemande ou l'attitude des Alliés face au "terrifiant secret". On trouvera dans l'ouvrage de Raul Hilberg (La Destruction des Juifs d'Europe, Fayard, 1988) une étude détaillée des institutions et des organisations qui ont exécuté l'extermination. 700.000 à 800.000 victimes sont mortes dans les ghettos ou du fait des privations qui leur ont été imposées. 1.300.000 ont été fusillées en dehors des camps, notamment par ces unités spéciales, les Einsatzgruppen, qui opéraient dans le sillage de l'armée allemande sur les territoires soviétiques. 2.700.000 Juifs ont disparu par gazage dans les six camps d'extermination, ou "centres de mise à mort" pour reprendre l'expression de Raul Hilberg (Chelmno, Belzec, Sobibor, Treblinka, Auschwitz-Birkenau et Maidanek); 300.000 dans divers camps de concentration. Au total: au moins 5.100.000 victimes. D'autres auteurs ont proposé des évaluations plus basses ou plus hautes. Selon les estimations, la proportion des Juifs assassinés par les nazis varie entre 56 et 64 % des populations juives d'Europe avant guerre. [[Note de l'AAARGH: Sur toutes ces intéressantes variations numériques, présentes dès l'origine de l'affaire, cf notre article six millions.]
L'Histoire
MAURICE Bardèche: né en 1909, mort en 1998, beau-frère de Robert Brasillach, cet homme de lettres fut, avec Nuremberg ou la terre promise (1948), l'initiateur du négationnisme en France. II est aussi le principal théoricien du néo-fascisme français.
ROGER Garaudy: né en 1913, agrégé de philosophie, membre du parti communiste de 1933 à 1970, date de son exclusion; il est l'un des idéologues du PCF au cours de la guerre froide. Converti à l'islam en 1982, se proclamant antisioniste et anti-israélien, il publie en 1995 un long article négationniste dans la revue La Vieille Taupe: "Les mythes fondateurs de la politique israélienne".
PIERRE GUILLAUME: né en 1940, fondateur en 1965 de la librairie La Vieille Taupe, il est l'une des figures centrales de l'ultra-gauche faurissonienne. Il soutient Robert Faurisson pendant l'affaire, ayant de s'éloigner, et de rompre en 1995 avec lui. Il a trouvé en Roger Garaudy un nouveau porteur de la cause négationniste.
PAUL RASSINIER: né en 1906, mort en 1967, cet ancien militant communiste puis SFIO, arrêté pour faits de Résistance fin 1943, torturé et déporté à Buchenwald et à Dora, publie en 1950 Le Mensonge d'UIysse, où il met en doute l'existence des chambres à gaz. Inscrit dans une tradition antisémite de gauche, il est reconnu comme le père fondateur du négationnisme par ses pairs.
HENRI ROQUES: né en 1920, diplômé de l'Institut agricole, ancien ingénieur, il est l'auteur d'une thèse de lettres sur les confessions de Kurt Gerstein, un soldat de la SS, qui a contribué à divulguer auprès des Alliés le secret de l'extermination des Juifs. En juillet 1986, la soutenance de cette thèse d'inspiration négationniste a été annulée pour irrégularités administratives et faux en écritures publiques.
SERGE THION: né en 1942, chargé de recherche au CNRS, spécialiste de l'Indochine, il s'engage activement en 1980 dans le soutien à Robert Faurisson à travers son livre Vérité historique ou vérité politique? (La Vieille Taupe). Il continue aujourd'hui à diffuser sa propagande négationniste sur Internet.
Ce texte a été affiché sur Internet à des fins purement éducatives, pour encourager la recherche, sur une base non-commerciale et pour une utilisation mesurée par le Secrétariat international de l'Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre et d'Holocauste (AAARGH). L'adresse électronique du Secrétariat est <[email protected]>. L'adresse postale est: PO Box 81475, Chicago, IL 60681-0475, USA.
Afficher un texte sur le Web équivaut à mettre un document sur le rayonnage d'une bibliothèque publique. Cela nous coûte un peu d'argent et de travail. Nous pensons que c'est le lecteur volontaire qui en profite et nous le supposons capable de penser par lui-même. Un lecteur qui va chercher un document sur le Web le fait toujours à ses risques et périls. Quant à l'auteur, il n'y a pas lieu de supposer qu'il partage la responsabilité des autres textes consultables sur ce site. En raison des lois qui instituent une censure spécifique dans certains pays (Allemagne, France, Israël, Suisse, Canada, et d'autres), nous ne demandons pas l'agrément des auteurs qui y vivent car ils ne sont pas libres de consentir.
Nous nous plaçons sous
la protection de l'article 19 de la Déclaration des Droits
de l'homme, qui stipule:
ARTICLE 19
<Tout individu a droit à la liberté d'opinion
et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être
inquiété pour ses opinions et celui de chercher,
de recevoir et de répandre, sans considération de
frontière, les informations et les idées par quelque
moyen d'expression que ce soit>
Déclaration internationale des droits de l'homme,
adoptée par l'Assemblée générale de
l'ONU à Paris, le 10 décembre 1948.