La Croix-Rouge internationale
Puisque les Allemands et leurs alliés ont accordé à la Croix-Rouge, à la fois au Comité International (CICR) et aux différentes filiales nationales, une assez grande liberté de manoeuvre dans l'Europe dominée par l'Axe, le CICR fut en mesure de s'informer d'un grand nombre de faits concernant les juifs européens. Les rapports de cette organisation, dont le siège est dans un pays neutre, ont naturellement une grande importance pour le problème qui nous occupe.
Nous préférons dire «dont le siège est dans un pays neutre» plutôt qu'«association neutre» car il n'existe pas de stricte neutralité politique; toute organisation est soumise à des pressions politiques. C'est une question de degré.
Deux publications du CICR nous intéressent plus spécialement. La première est Documents sur l'activité du CICR en faveur des civils détenus dans les camps de concentration en Allemagne (1939-1945), Genève, 1947. Il s'agit d'un recueil de documents réimprimés, consistant en échanges de correspondances entre le CICR et différents gouvernements et les sociétés de la Croix-Rouge, ainsi que des rapports de délégués du CICR au CICR lui-même. La Croix-Rouge fournit un commentaire, juste suffisant pour interpréter les documents. Cette publication est d'une valeur inestimable et a été citée à diverses reprises dans ce livre. Inter Arma Caritas est une autre publication parue en 1947 mais qui s'inscrivait essentiellement dans le cadre d'une action de relations publiques.
La seconde publication importante est en trois volumes et s'intitule Rapport du Comité international de la Croix-Rouge sur ses activités pendant la seconde guerre mondiale, Genève, 1948 [Report of the International Committee of the Red Cross on its activities during the Second World War]. Elle a la forme d'un rapport historique; des citations de documents n'apparaissent qu'occasionnellement. Dans le présent chapitre, nous reproduisons dans son intégralité un passage du volume 1, à savoir les pages 641 à 657. [Il s'agit prabablement de la pagination de la traduction anglaise. NdT] Je crois que certaines pressions politiques sont manifestes dans le passage du Rapport, mais il ne sera pas nécessaire que le lecteur partage mes sentiments concernant les manifestations précises de ces pressions dans le passage pour accepter la principale conclusion que j'en tire. Cependant, certaines questions évidentes se poseront au cours de la première lecture et tout ce qu'on peut dire pour l'instant est qu'il convient de garder deux choses présentes à l'esprit.
La première est que le Rapport fut publié en 1948, à une époque où les auteurs ne pouvaient pas, compte tenu en particulier de la nature politique du sujet, ne pas être parfaitement au courant des accusations des Alliés, largement propagées lors des procès pour crimes de guerre et dans la presse, concernant le sort des juifs européens. Il ne faut pas s'attendre ici à des considérations spontanées.
La seconde est que nous ne considérons pas le CICR comme une espèce d'autorité. Ce qui veut dire que nous n'accordons d'intérêt qu'aux rapports qui sont dans la sphère de compétence du CICR. Ce dernier avait des délégations dans différents pays européens qui s'occupaient activement de tout ce qui touchait aux juifs et ce que nous voulons savoir est ce qui est arrivé à ces juifs, pour autant que le CICR ait été en mesure de l'observer. Ce sont en fait les juifs de Slovaquie (partie orientale de la Tchécoslovaquie), de Croatie (nord de la Yougoslavie) et de Hongrie qui nous intéressent en priorité. D'une certain manière, notre intérêt est encore plus restreint; il se borne à la Hongrie mais les deux autres pays sont voisins et, dans la mesure où les Allemands contrôlaient les choses, il n'y a pas de raison que leur politique concernant les juifs aient connu de grandes différences.
Du point de vue du nombre, il semblerait que c'est la Pologne que l'on devrait choisir comme le pays clé du problème. Cependant, il n'en demeure pas moins que c'est la Hongrie et non la Pologne que les créateurs de la légende ont choisi de mettre en évidence lorsqu'ils ont voulu apporter des preuves de ce qu'ils affirmaient. Ils ne fournissent pas de preuves de l'extermination des juifs polonais, mis à part des témoignages et les affirmations d'ordre général sur les camps d'extermination, que notre analyse a déjà réduits à néant. Par une heureuse circonstance, il est possible de consulter les rapports du CICR pour apprendre ce qui s'est passé en Hongrie, mais ce n'est pas le cas pour la Pologne. La raison est que les Allemands ne permirent pas au CICR de s'occuper lui-même des affaires juives dans des pays où ils se considéraient comme détenant la souveraineté. Cependant les alliés de l'Allemagne, considérés comme des Etats indépendants, autorisèrent le CICR à s'occuper des affaires juives. C'est ainsi que se manifeste l'importance centrale de la Hongrie dans l'examen de la légende.
Le passage du Rapport comporte un second aspect qui est de la plus grande importance pour notre étude, mais ce point sera plus utilement développé dans un prochain chapitre.
Le passage du Rapport est reproduit ici en entier car il est écrit d'une manière telle qu'il est difficile de le citer sur des points particuliers sans courir le risque d'en déformer le sens. On le comprendra clairement après l'avoir lu. [Nous reproduisons ici le texte original français du «Rapport du Comité international de la Croix-Rouge sur son activité pendant la seconde guerre mondiale (1 er septembre 1939 30 juin 1947)», Volume I, «Activités de Caractère général», Genève, Mai 1948, p. 669-685 de l'édition française. Egalement visible en fac-similé, format PDF. NdT.]
L'Etat national-socialiste avait fait des Israélites de véritables parias que d'inflexibles lois raciales vouaient à l'arbitraire, à la persécution, à l'extermination systématique. Nulle protection n'existait en leur faveur. Ni prisonniers de guerre ni internés civils, ils formaient une catégorie à part et n'étaient au bénéfice d'aucune convention. Le contrôle que le CICR était habilité à exercer en faveur des prisonniers et des internés ne jouait pas pour eux. Ils étaient, en effet, le plus souvent des citoyens de l'Etat qui les tenait à merci et celui-ci, fort de sa souveraineté, n'admettait aucune intervention en leur faveur. Partageant le sort des déportés politiques, privés des garanties civiques, moins favorisés que l'ennemi qui, en général, jouit au moins d'un statut, ces citoyens réprouvés étaient parqués dans des camps de concentration, des ghettos, enrôlés pour le travail forcé, soumis à de graves sévices, déportés dans les camps de la mort, sans qu'il fût permis à quiconque de s'immiscer dans des affaires que l'Allemagne et ses alliés considéraient comme relevant exclusivement de leur politique intérieure. Relevons toutefois qu'en Italie les mesures prises contre les Israélites furent incomparablement moins rigoureuses et que, dans les pays subissant l'influence de Berlin, la situation des Juifs fut en général moins tragique qu'en Allemagne même.
Le CICR ne pouvait se désintéresser de ces victimes. Mais si des appels pressants lui étaient adressés en leur nom, ses possibilités d'action semblaient singulièrement limitées puisque, en l'absence de bases juridiques, son activité dépend, dans une très large mesure, du bon vouloir des Etats belligérants.
De fait, le CICR ayant sollicité, par l'entremise de la Croix-Rouge allemande, des informations sur les déportés civils "sans distinction de race ou de religion", il reçut la fin de non-recevoir suivante: "tous renseignements sur les déportés non-aryens sont refusés par les Autorités compétentes..." Les démarches de principe en faveur des Israélites ne produisaient donc aucun résultat. En outre des protestations, importunes à l'autorité responsable, eussent pu nuire aux Israélites eux-mêmes et à l'ensemble des activités du CICR. Dans ces conditions, le CICR, évitant toute protestation de principe inutile, s'attacha à faire le maximum pour secourir les Israélites par des interventions d'ordre pratique. C'est dans ce sens que les délégués du CICR dans les divers pays reçurent des instructions. Cette méthode a porté ses fruits.
En Allemagne même, tant que les armées allemandes furent victorieuses, l'action du CICR en faveur des Israélites se heurta à des difficultés presque insurmontables. Rappelons toutefois que, vers la fin de 1943, les Autorités allemandes admirent que le CICR envoie des colis de secours à ceux des détenus des camps de concentration -- parmi lesquels il y avait beaucoup d'Israélites -- dont il connaissait l'adresse. Le CICR réussit à se procurer quelques dizaines de noms et c'est dans ces conditions précaires que commença l'action de secours individuels puis généraux aux détenus politiques que l'on trouvera exposée dans le troisième volume du Rapport général. Chaque accusé de réception revenait signé de plusieurs noms qui grossissaient d'autant la liste des destinataires; c'était aussi autant de premières nouvelles de disparus. A la fin de la guerre, le fichier du CICR relatif aux détenus politiques, Israélites ou non, comptait plus de 105.000 noms.
D'autre part, dans la dernière année de la guerre, le CICR put visiter le camp de Theresienstadt, exclusivement réservé aux Israélites et qui jouissait de conditions particulières. Selon certaines indications recueillies par les délégués du CICR, il s'agissait d'une expérience tentée par certains dirigeants du Reich, moins hostiles, semble-t-il, aux Israélites que d'autres responsables de la politique raciste du Gouvernement allemand et qui voulaient donner aux Juifs la possibilité d'organiser une vie en commun dans une ville administrée par eux-mêmes et jouissant d'une autonomie presque complète. A plusieurs reprises le CICR reçut l'autorisation de visiter Theresienstadt mais, par suite de difficultés suscitées par les Autorités locales, cette visite ne put avoir lieu qu'en juin 1944. Le doyen des Juifs déclara alors au délégué du CICR, en présence d'un représentant de l'Autorité allemande, que trente-cinq mille Israélites vivaient dans la ville dans des conditions matérielles acceptables. Des doutes s'étant élevés dans l'esprit de certains dirigeants d'organisations juives sur le bien-fondé de cette assertion, le CICR demanda au Gouvernement allemand l'autorisation de procéder à une seconde visite. Après de difficiles négociations, traînées en longueur du côté allemand, deux délégués purent se rendre dans le camp le 6 avril 1945. Ils confirmèrent l'impression favorable de la visite précédente mais relevèrent que l'effectif du camp ne s'élevait plus qu'à 20.000 internés soit 1100 Hongrois, 1050 Slovaques, 800 Hollandais, 290 Danois, 8000 Allemands, 8000 Tchèques, 760 apatrides. Ils se préoccupèrent alors de savoir si le camp de Theresienstadt n'était pas un simple camp de passage et demandèrent quand avaient eu lieu les derniers départs vers l'Est. Le chef de Sicherheitsdienst du "Protectorat de Bohème et Moravie" déclara que les derniers transferts d'Israélites à Auschwitz dataient d'environ six mois. Il s'agissait de 10.000 Juifs qui avaient été désignés pour travailler à l'administration ou à l'agrandissement du camp. Ce haut fonctionnaire donna l'assurance aux délégués du CICR qu'aucun Israélite ne serait déporté à l'avenir de Theresienstadt.
Si les autres camps exclusivement réservés aux Juifs restèrent fermés jusqu'au bout à toute investigation d'ordre humanitaire, du moins l'action du CICR fut-elle effective dans plusieurs camps de concentration où se trouvaient, en minorité, des Israélites. Dans ces camps, le CICR assuma in extremis une tâche de la plus haute importance, visitant et secourant les internés, les ravitaillant, s'opposant aux évacuations de la dernière heure ainsi qu'aux exécutions sommaires, allant jusqu'à prendre la responsabilité de l'ordre durant des heures et parfois des jours critiques entre la retraite des forces allemandes et l'arrivée des Alliés, de l'ouest ou de l'est.
Ces diverses actions sont décrites plus en détail dans les chapitres consacrés aux détenus politiques, tant dans le présent volume que dans le troisième volume. Elles ont, d'autre part, fait l'objet d'une publication spéciale intitulée "Documents sur l'activité du CICR en faveur des civils détenus dans les camps de concentration en Allemagne -- 1939-1945".
Ce qui est moins connu, c'est le rôle joué par le CICR dans les pays dont le Gouvernement subissait plus ou moins étroitement l'influence de Berlin et où des lois d'exception concernant les Juifs avaient été promulguées à l'instar de la législation allemande.
Présent, en la personne de ses délégués, notamment à Budapest, à Bucarest, à Bratislava, à Zagreb, à Belgrade, le CICR sut tirer, en faveur des Israélites, le meilleur parti possible de sa position morale et des dispositions favorables qu'il rencontrait ici et là auprès d'autorités non allemandes plus ou moins libres d'agir mais moins acharnées que le Gouvernement de Berlin à la réalisation de la politique raciste. Grâce, en effet, à sa position d'intermédiaire neutre, le CICR fut à même de transférer et de distribuer sous forme de secours plus de vingt millions de francs suisses recueillis par les associations charitables juives dans le monde entier, en particulier l'American Joint Distribution Committee de New-York. Sans l'entremise du CICR, cet effort de solidarité eût été sans doute stérile, aucune institution juive n'étant autorisée à agir dans les pays contrôlés par l'Allemagne. Le lecteur trouvera dans le troisième volume du présent Rapport des indications détaillées sur cette importante action de secours.
Mais là ne se borna pas l'action du CICR. Il n'est pas exagéré de dire que, peu à peu, les circonstances aidant, le CICR en vint à jouer le rôle d'une véritable "Puissance protectrice" des Israélites, intervenant en leur faveur auprès des Gouvernements, usant en certains cas d'un réel privilège de protection, obtenant le bénéfice de l'exterritorialité pour des hôpitaux, des dispensaires, des organisations d'assistance, arbitrant même certains différends. Tel fut son rôle spécialement en Roumanie et en Hongrie pendant plus d'un an, lors de la dernière phase de la guerre, en 1944 et en 1945. Mais pour avoir été plus modestes en d'autres pays, les interventions du CICR n'en furent pas moins profitables aux Israélites. Nous rappellerons brièvement ces dernières interventions pour insister ensuite sur l'action du CICR en Hongrie et en Roumanie.
En novembre 1940, le CICR obtint des Autorités en France l'autorisation qu'un de ses membres visite les camps situés dans le sud du pays. Un certain nombre de Juifs s'y trouvaient mêlés à des internés civils. Le camp de Gurs, notamment, abritait six mille Israélites venus du Palatinat bavarois. Les observations faites au cours de cette visite permirent d'établir un état de la situation à l'intérieur des camps, d'apprécier l'urgence des besoins et d'entreprendre les démarches appropriées pour venir en aide aux internés.
Les Israélites de Pologne ayant obtenu en France un visa d'entrée aux Etats-Unis furent considérés comme Américains par les Autorités allemandes d'occupation. Ces Autorités acceptèrent en outre de reconnaître la validité d'environ trois mille passeports délivrés à des Juifs par les consulats de pays d'Amérique du Sud. Les intéressés furent placés à Vittel dans les camps réservés aux Américains. Quand, en 1942, l'Allemagne et les Etats d'Amérique du Sud entamèrent des négociations en vue d'un échange d'internés, il apparut que la plupart des internés de Vittel étaient porteurs de passeports de complaisance; ces internés se trouvèrent en conséquence menacés d'être déportés. Le CICR intervint en leur faveur par l'entremise de sa délégation à Berlin et obtint qu'ils fussent maintenus à Vittel. Quelques-uns seulement furent déportés.
En Grèce, aussitôt après l'occupation allemande, le CICR eut à s'occuper notamment des 55.000 Juifs de Salonique soumis aux lois raciales. En juillet 1942, les hommes de dix-huit à quarante-cinq ans furent recensés et la plupart incorporés dans des détachements de travail. La délégation du CICR leur apporta une aide sanitaire. Lorsqu'en mai 1943 les travailleurs furent transférés en Allemagne, la délégation du CICR dans ce pays réclama avec insistance le droit de les ravitailler en vivres. Elle eut à ce propos des difficultés avec l'Autorité allemande qui, importunée par ces démarches, exigea le remplacement d'un délégué.
En Slovaquie, des dizaines de milliers d'Israélites avaient été forcés de quitter le pays pour participer à ce que l'on appelait un service de travail, qui semble avoir conduit la plupart d'entre eux dans les camps d'extermination. Cependant, concurremment, une grande partie de la minorité juive pouvait rester dans le pays et, à certains moments, la Slovaquie a été même considérée comme un refuge relatif pour les Israélites, notamment de Pologne. Les Juifs restés en Slovaquie paraissent avoir été relativement épargnés jusqu'au soulèvement du pays contre l'armée allemande à la fin d'août 1944. Il est vrai qu'une loi du 15 mai 1942 avait provoqué plusieurs milliers d'internements, mais, dans les camps qui présentaient des conditions de nourriture et de logement passables, les internés étaient admis à travailler moyennant salaire dans des conditions se rapprochant de l'économie libre. La communauté juive, en 1944, avait obtenu un arrêt presque complet de l'immigration forcée à destination de territoires au pouvoir des Autorités allemandes.
Lors du soulèvement, les Israélites internés s'évadèrent des camps. Certains regagnèrent leur domicile, les autres prirent le maquis. La répression qui suivit frappa l'ensemble de la population israélite. L'Autorité militaire allemande mit en demeure le Gouvernement slovaque de procéder à l'arrestation massive des Juifs en vue de les déporter en Allemagne. L'ordonnance du 16 novembre 1944 prescrivit le groupement des Israélites au camp de Sered et, à cette fin, leur rassemblement préalable, pour ce qui était de la capitale, à l'Hôtel de Ville de Bratislava, le 20 novembre. Ce même jour, le délégué du CICR se rendit sur les lieux et put constater qu'une cinquantaine de Juifs seulement avaient répondu à l'appel. Comme les Autorités slovaques l'avaient d'ailleurs prévu, les Israélites se cachaient. Ils s'étaient enfuis dans la campagne ou vivaient, en ville, dans ce qu'on appelait des "bunkers". Le CICR se préoccupa de cette situation et son Président écrivit au chef du Gouvernement slovaque pour lui demander de mettre un terme aux déportations. Mgr Tiso, qui reçut cette communication le 2 janvier 1945, y répondit par une longue lettre le 10 du même mois, rappelant que les Israélites avaient été ménagés jusqu'alors, mais qu'en présence de l'émeute son Gouvernement était obligé de céder aux pressions qui s'exerçaient sur lui. "Au demeurant, concluait-il, il est d'une vérité constante que, dans la solution de la question juive, nous nous sommes efforcés de rester humains dans toute la mesure où les circonstances nous l'ont permis." Il était impossible d'aider officiellement les fugitifs des "bunkers". La délégation à Bratislava réussit cependant, avec l'aide de la Croix-Rouge slovaque et, en province, de l'Eglise catholique, à leur faire tenir des sommes d'argent qu'elle remettait à leurs hommes de confiance et qui leur permirent de subsister durant les derniers mois de la guerre.
Le représentant du CICR ne put obtenir l'autorisation de visiter le camp de Sered; il lui fut permis toutefois d'accéder au camp de Marienka où étaient internés les Israélites de nationalité étrangère.
En Croatie, de mai 1943 à la fin de 1945, la délégation du CICR assista la communauté israélite de Zagreb, lui transférant, de la part du Joint Committee de New-York, en moyenne 20.000 francs suisses par mois et plaçant à sa disposition des stocks importants de vivres, de textiles et de médicaments.
En octobre 1944, par analogie avec les mesures prises dans les pays voisins, l'Autorité allemande fit emprisonner les Israélites de Zagreb et saisir leurs approvisionnements. La délégation du CICR fit aussitôt des représentations au Gouvernement croate et obtint la restitution de ces réserves.
En Hongrie, comme en Slovaquie, les Israélites furent relativement ménagés tant que le gouvernement local garda une certaine liberté d'action; mais, quand l'étreinte allemande se resserra, à partir de mars 1944, la situation des Juifs devint critique. Puis la substitution au gouvernement de l'Amiral Horty d'un gouvernement étroitement inféodé à l'Allemagne, en octobre 1944, provoqua une crise violente: mises à mort, spoliations, déportations, travaux forcés, confinements, tel fut le lot de la population israélite qui souffrit cruellement et fut décimée, en province surtout. C'est alors, pour alléger ces souffrances, que s'exerça avec une vigueur et une autorité accrues l'action du CICR, à côté de celle dont le Roi de Suède avait pris l'initiative et que menait courageusement et avec succès la Légation de Suède à Budapest, aidée de quelques personnalités de la Croix-Rouge suédoise.
Jusqu'en mars 1944, les Israélites bénéficiaires de visas pour la Palestine étaient libres de quitter la Hongrie. Le 18 mars 1944, le chancelier Hitler convoqua à son Quartier général le Régent Horty. Il s'indigna "qu'en Hongrie près d'un million de Juifs pussent vivre librement et sans restrictions". Avant même que le Régent ne fût rentré à Budapest, les troupes allemandes commençaient l'occupation de la Hongrie afin d'empêcher ce pays d'abandonner l'alliance avec l'Allemagne. Cette occupation contraignit le Chef de l'Etat hongrois à accepter un nouveau gouvernement beaucoup plus dépendant que le précédent de l'Autorité allemande. L'émigration des Juifs fut aussitôt suspendue et les persécutions commencèrent.
Le CICR s'en émut. Son Président en appela au Régent Horty: "... Ce qui a été porté à notre connaissance, écrivait-il le 5 juillet 1944, nous semble tellement en contradiction avec les traditions chevaleresques du grand peuple hongrois, qu'il nous paraît presque impossible d'ajouter foi même à la plus faible partie des informations qui nous parviennent. Au nom du CICR, je voudrais adresser à Votre Altesse la prière de donner des instructions afin que nous soyons mis en mesure de répondre à ces rumeurs et accusations". Le Régent répondit, le 12 août: "...Malheureusement il n'est pas en mon pouvoir d'empêcher des actes inhumains que personne ne condamne avec plus de sévérité que mon peuple dont les pensées et les sentiments sont chevaleresques. J'ai chargé le Gouvernement hongrois de prendre lui-même en mains le règlement de la question juive à Budapest. Il faut espérer que cette déclaration ne suscitera pas de graves complications..."
Dans l'esprit de cette réponse, les Autorités hongroises autorisèrent le délégué du CICR à Budapest à apposer des pancartes sur les camps et les maisons d'internement des Juifs pour leur conférer la protection de la Croix-Rouge. Si l'usage de ces pancartes, d'ailleurs très peu compatible avec la lettre de la Convention de Genève, n'a pas été plus étendu, c'est que le Sénat juif de Budapest estima que la mesure perdrait sans doute de son efficacité si elle était généralisée.
En outre, le Gouvernement hongrois se montra disposé à favoriser la reprise de l'émigration des Israélites. Le CICR se mit d'extrême urgence en contact avec les Gouvernements de Grande-Bretagne et des Etats-Unis à ce sujet et, dès le mois d'août, il obtenait une déclaration conjointe par laquelle ces deux Gouvernements proclamaient leur désir de faciliter par tous les moyens l'émigration des Israélites de Hongrie. A cette fin, le CICR fut chargé de transmettre à Budapest, de la part du Gouvernement des Etats-Unis, le message suivant: "Le Gouvernement des Etats-Unis a été informé par le CICR de ce que le Gouvernement hongrois est disposé à permettre à certaines catégories de réfugiés d'émigrer de Hongrie... En raison des considérations humanitaires qui s'attachent au cas des Juifs de Hongrie, il renouvelle expressément l'assurance qu'il fera les arrangements nécessaires pour prendre soin de tous les Juifs qui, dans les circonstances présentes, obtiendront l'autorisation de quitter la Hongrie et se rendront sur le territoire de l'une des Nations Unies ou d'un pays neutre. Il ajoute qu'il trouvera pour ces personnes des lieux de refuge temporaire où elles pourront vivre en sécurité. Les Gouvernements des pays neutres ont été informés des assurances données par le Gouvernement des Etats-Unis et ont été requis de permettre l'entrée sur leur territoire des Juifs de Hongrie qui pourront se présenter à leurs frontières."
Le 8 octobre, l'administration hongroise, conformément à la promesse faite dès le 15 juillet au CICR, annonçait la suspension définitive des déportations et faisait savoir que le camp de Kis-tarcea, où étaient groupés des intellectuels, médecins et ingénieurs israélites, avait été dissous et les internés libérés.
L'espoir suscité par cette déclaration fut de courte durée. Quelques jours plus tard allait se développer dans toute son ampleur la grande épreuve des Juifs de Hongrie. En présence des revers de l'armée allemande, l'Amiral Horty avait décidé de dissocier le sort de son pays de celui de l'Allemagne. Le 15 octobre, il demanda pour la Hongrie un armistice aux Puissances alliées. Cette proclamation eut une résonance immense parmi les Israélites, qui furent des plus ardents à manifester contre la Puissance occupante. Mais, pour être en retraite à l'ouest comme à l'est de l'Europe, l'armée allemande était encore fermement implantée en Hongrie. Le Régent échoua dans sa tentative et fut arrêté. Des Hongrois favorables aux Allemands s'emparèrent du pouvoir et procédèrent à une répression d'autant plus sévère que le front de combat se rapprochait et que Budapest était en état de siège. Des coups de feu furent-ils tirés de maisons juives sur les troupes allemandes? Toujours est-il que la répression fut particulièrement dirigée contre les Israélites. L'évacuation de ceux-ci hors de Budapest fut aussitôt décidée ainsi que la confiscation de leurs biens. Soixante mille d'entre eux, aptes au travail, devaient être dirigés vers l'Allemagne à pied, en colonnes de mille, par la route de Vienne. En outre, parmi les personnes valides, les hommes de seize à soixante ans et les femmes de quatorze à quarante étaient astreints au travail forcé pour la construction de fortifications en Hongrie. Le reste de la population israélite devait, ainsi que les invalides et les malades, être confinés dans quatre ou cinq ghettos aux environs de Budapest. Seuls échappaient à l'évacuation les Juifs détenteurs de passeports visés pour la Palestine, la Suède, la Suisse, le Portugal ou l'Espagne.
Ces mesures s'accompagnèrent au début de brutalités et de vols contre lesquels le délégué du CICR protesta aussitôt. Dès le 20 octobre, un décret du ministre de l'Intérieur, faisant droit à cette intervention, interdisait le pillage. Entre temps, la délégation du CICR donnait asile aux membres du Sénat juif de Budapest. Leur situation paraissant menacée, le délégué renouvela ses démarches, tant auprès de l'Autorité allemande que du Gouvernement hongrois, et le 29 octobre, aux termes d'une communication radiodiffusée, les bâtiments du CICR étaient admis, comme les légations, au bénéfice de l'exterritorialité.
Sa position ainsi renforcée, le délégué du CICR s'adonna, avec d'autant plus d'autorité, à l'_uvre de secours qu'il avait courageusement entreprise en faveur des Israélites. "Il est difficile de se représenter, écrivait-il alors, la peine que j'avais à me dresser contre une clique ayant le pouvoir en mains et à l'obliger, alors que le chaos, le meurtre et l'agression étaient à l'ordre du jour, à manifester tout de même une certaine retenue et à montrer le respect dû à l'emblème de la Croix-Rouge..."
Le sort des enfants dont les parents étaient déportés vers les camps de travail était particulièrement tragique. Le délégué du CICR réussit à organiser avec l'organe "Jo Pasztor" une vingtaine de "homes" dans lesquels ces enfants, accompagnés dans certains cas de leur mère, purent être hospitalisés. Le personnel sanitaire était composé de nurses professionnelles et d'Israélites auxquels un emploi dans ces homes valait un certificat de protection analogue à ceux que le délégué du CICR remettait à ses collaborateurs.
Les agents du CICR ouvrirent aussi des cuisines populaires pouvant distribuer chacune une centaine de repas chauds par jour. Des centres d'accueil et d'hébergement furent installés ainsi que des hôpitaux comprenant notamment une section infantile, une section gynécologique et un poste de premier secours ouvert au public "sans distinction de race ni de croyance". En outre, le délégué du CICR délivra trente mille lettres de protection qui, bien que dépourvues de toute base légale, furent respectées par l'Autorité et dispensèrent leurs titulaires du service du travail.
En novembre, cent mille Israélites affluèrent de province à Budapest. Le Gouvernement décida de les parquer dans un ghetto et d'y grouper avec eux les Juifs demeurés à Budapest, en particulier les enfants recueillis dans les homes de la Croix-Rouge. "Je considérai que ma tâche principale", écrivait encore le délégué, "consistait à faire en sorte que dans ce ghetto la vie soit rendue aussi supportable que possible. J'eus une peine infinie à obtenir du ministère hongrois des "Croix Fléchées", au cours de tractations quotidiennes, des conditions ou des concessions dont le résultat fut d'assurer dans une certaine mesure la vie des habitants du ghetto. Des entrevues continuelles eurent lieu avec le Sénat israélite, d'une part, l'administration de la ville d'autre part, en vue d'assurer à tout le moins l'alimentation minimum des habitants du ghetto dans un temps où, la ville sans cesse bombardée, tout trafic avait cessé et où l'approvisionnement devenait de plus en plus difficile." Il obtint que la ration des Israélites fut fixée à 920 calories, c'est-à-dire aux deux tiers de celle qui était en usage dans les prisons hongroises. Cette ration put d'ailleurs être légèrement augmentée par la suite, grâce à des distributions de secours.
En dépit de ses démarches, les enfants transférés dans le ghetto avaient été répartis à raison de soixante par chambre dans des locaux qui n'avaient pu être nettoyés ni désinfectés; invoquant le danger d'épidémies, il réussit à faire visiter les enfants par une commission chargée de statuer sur leur sort. Ce contrôle sanitaire permit de renvoyer 500 des 800 enfants examinés dans les homes d'où ils avaient été retirés et d'en placer 300 dans les hôpitaux. Les autres enfants ne quittèrent pas le ghetto, mais ils y furent recueillis par des parents ou des amis. De plus, la délégation envoya dans le ghetto, avec l'autorisation du Gouvernement, cinq personnes chargées de lui fournir régulièrement des rapports détaillés sur les besoins de chaque enfant en vivres et en vêtements. Enfin, sur l'initiative du délégué du CICR, mille orphelins choisis "sans distinction de race ou de religion" furent groupés à l'abbaye de Panonalma, couvent bénédictin mis à sa disposition par l'évêque de Györ. Cet asile placé sous la protection de la Croix-Rouge, fut respecté par les troupes allemandes et hongroises en retraite aussi bien que par l'armée soviétique.
Le dévouement et la générosité de l'évêque de Györ aidèrent puissamment le délégué du CICR dans l'_uvre d'assistance qu'il avait entreprise, afin d'améliorer la nourriture et le logement des colonnes d'Israélites déportés vers les camps de travail en Allemagne et astreints à accomplir à pied des étapes de vingt cinq à trente kilomètres par jour. Ce prélat organisa un centre de passage qu'il finança et qui fut administré par les agents du CICR, protégeant des intempéries, pour quelques heures au moins, des milliers d'Israélites au cours de leur terrible exode. Les "groupes de transport" de la délégation leur distribuaient en route des vivres, payaient des paysans pour transporter les plus faibles par groupes de quinze à vingt sur des chars à bancs, soignaient les malades et leur remettaient des médicaments.
Le 12 novembre, une nouvelle menace plana sur les hôpitaux protégés par le signe de la Croix-Rouge, où des perquisitions avaient été effectuées par la police qui prétendait en chasser les Juifs. Le délégué du CICR protesta auprès du Gouvernement, fort des privilèges qui lui avaient été reconnus. A la suite de cette intervention, les Autorités de police furent invitées à s'abstenir de procéder à l'évacuation des hôpitaux.
On imagine sans peine les difficultés et les dangers que rencontraient à chaque instant les représentants du CICR dans cette ville soumise aux bombardements les plus violents. Ils furent soutenus dans leur courageuse action par le dévouement inlassable des membres du Sénat juif ainsi que par l'action, non moins énergique et généreuse, des agents des deux principales Puissances protectrices, la Suisse et la Suède.
Dès la libération de Budapest, le délégué du CICR et les organisations juives locales constituèrent, en utilisant les fonds du Joint Committee de New-York, des stocks de vivres et des principaux médicaments. Quand le représentant du CICR dut quitter Budapest, les Autorités militaires russes ayant prescrit le départ de tous les étrangers, un ministre hongrois lui rendit cet hommage qu'il avait, en un temps dramatique, réussi à faire de la capitale magyare "un protectorat de Genève".
En Roumanie, le rôle de la délégation du CICR fut d'une grande importance en raison des possibilités qu'offrait le pays pour l'achat de produits d'alimentation. De Bucarest, des subsides et des secours en nature pouvaient être envoyés en Pologne et dans les pays voisins. Pour les secours à distribuer en Roumanie, le CICR s'entendit avec la Croix-Rouge roumaine, à laquelle il remit des fonds et qui se chargea des achats. Il convient de souligner que les riches Israélites roumains contribuèrent largement à l'assistance de leurs coreligionnaires nécessiteux. A partir de 1943, l'action du CICR en Roumanie fut d'ailleurs facilitée par les rapports confiants que le délégué à Bucarest sut entretenir avec le Gouvernement roumain.
Après avoir été en butte aux persécutions et avoir été déportés dans les camps de la mort, au temps où les "Gardes de Fer" appuyés par la Gestapo et les SS allemands avaient pris le pouvoir, en septembre 1940, les Israélites avaient subi moins de rigueurs sous la dictature du Maréchal Antonesco. Le vice-président du Conseil notamment, M. Mihai Antonesco, chargé du règlement de la question juive, se montrait compréhensif. "Le Gouvernement roumain" écrivait-il au délégué du CICR à Bucarest, réprouve "toute solution physique qui offenserait les lois de la civilisation et l'âme chrétienne qui domine le tréfonds de la conscience roumaine."
En décembre 1943, il eut avec ce délégué un entretien qui facilita grandement par la suite l'action du CICR en faveur des Israélites. Cette conversation porta principalement sur le cas des Juifs déportés au-delà du Dniestr, en Ukraine. Ces Israélites étaient originaires de Bessarabie et de Bucovine, provinces rattachées à la Roumanie après la première guerre mondiale et reprises par l'URSS en exécution de son traité avec le Reich au début du second conflit. Après le revirement de 1941, la Roumanie, devenue l'alliée de l'Allemagne contre l'URSS, réoccupa ces deux provinces. Les Juifs, coupables aux yeux des Roumains d'avoir trop bien accueilli un retour à l'allégeance russe, furent alors déportés. Le projet du Gouvernement roumain, établi d'accord avec Berlin, semble avoir été de fixer ces Israélites sur des terres à coloniser dans la région de la mer d'Azov. Mais ce projet n'était réalisable qu'au prix de la défaite de l'URSS. Tirant les conséquences des victoires russes, le Gouvernement roumain décida, vers la fin de 1943, de rapatrier les survivants de cette lamentable migration, dont l'effectif avait fondu de 200.000 à 78.000. M. Mihai Antonesco saisit avec empressement l'occasion que lui offrait la démarche du délégué du CICR à Bucarest pour charger celui-ci d'une mission d'enquête sur les moyens d'effectuer ce rapatriement et l'autorisa à parcourir la Transnistrie pour distribuer des vêtements et des secours à ces malheureux. En outre, le délégué obtint que les Juifs de Czernowitz, qui restaient seuls astreints au port de l'étoile jaune, en fussent dispensés, cet insigne les exposant aux brutalités des troupes allemandes de passage. Enfin, il fut entendu que tous les achats de la Croix-Rouge pourraient s'effectuer librement aux prix établis par la taxe officielle.
Quand, à son retour, le délégué du CICR revit le vice-président du Conseil, il appela spécialement son attention sur la situation des enfants qui, ayant perdu leurs parents, se trouvaient abandonnés en Transnistrie. M. Mihai Antonesco promit de laisser sortir 150 enfants par semaine à destination de la Palestine ou d'un autre lieu, si le CICR pouvait organiser leur voyage. Trois mois plus tard, le Gouvernement roumain offrait deux navires de luxe récemment construits qui se trouvaient bloqués dans les eaux turques, le "Transilvania" et le "Bessarabia", en suggérant au CICR de les acheter à réméré pour les affecter au transport des émigrants sous pavillon suisse. La Suisse en effet, Puissance protectrice des intérêts britanniques, pouvait être considérée comme Puissance protectrice des Israélites qui se rendaient en Palestine, ceux-ci étant, par anticipation, assimilés à des ressortissants britanniques.
Jusqu'alors, l'émigration n'avait pu apporter qu'un palliatif presque insignifiant aux souffrances des Israélites. La Bulgarie s'était fermée aux passages des émigrants voyageant au bénéfice d'un passeport collectif et seuls des Israélites de moins de dix huit ans ou de plus de quarante-cinq ans avaient pu gagner la Turquie, grâce à des autorisations individuelles. Le transport par mer, à partir de ports roumains, eût offert de meilleures possibilités d'émigration. Mais, outre les difficultés que rencontraient les Juifs au départ, il fallait compter avec l'aspect politique du problème que représentait pour la Grande-Bretagne l'afflux d'Israélites considérés comme intrus par la majorité de la population locale dans un territoire sous mandat britannique. Le premier navire parti de Constanza pour la Palestine, en dehors de toute intervention du CICR, au début de 1942, le "Struma", avait été immobilisé à Istamboul par une avarie, puis avait dû reprendre la mer à destination de la Roumanie, faute d'avoir obtenu l'autorisation de poursuivre sa route. Il fit naufrage et 750 émigrants périrent. Ce précédent désastreux engageait à la prudence.
Sollicité d'accorder aux transports d'émigrants la protection du signe de la Croix-Rouge, le CICR y eût consenti en interprétant de façon extensive les dispositions de la Xe Convention de La Haye de 1907 qui réglementent l'emploi des navires-hôpitaux et en considérant que les cargos transportant des secours pour les prisonniers de guerre ou les internés civils qui navig[u]aient sous son contrôle étaient protégés par l'insigne de Genève; mais il eût désiré pouvoir le faire d'accord avec toutes les Puissances intéressées. A cette fin, il avait subordonné son consentement aux conditions préalables suivantes: les organisations de transport devraient affréter des navires neutres qui seraient accompagnés par un représentant du CICR et serviraient exclusivement au transport des émigrants; ils ne pourraient naviguer qu'après que les sauf-conduits de tous les belligérants intéressés, ainsi que leur accord sur la route à suivre, auraient été obtenus.
Ces conditions ne furent malheureusement jamais réalisées. Toutefois le "Bellacita", autorisé par la Roumanie à effectuer le transport hebdomadaire d'enfants juifs entre Constanza ou Mangalia et Istamboul, voyagea sous la protection de la Croix-Rouge roumaine, le CICR ayant notifié ces voyages à tous les belligérants.
Un grave cas de conscience se présenta pour le délégué à Bucarest lorsqu'il fut question d'embarquer des Juifs à destination de la Palestine sur deux bateaux bulgares, le "Milka" et le "Maritza", affrétés par les organisations sionistes. Il était fondé à craindre pour eux le sort du "Struma". En outre, les chefs des organisations juives n'étaient pas d'accord sur les noms à porter sur la liste des émigrants et les Autorités roumaines s'en remettaient au CICR pour arbitrer le différend. Le délégué se borna à contrôler les titres d'émigration des intéressés et favorisa ainsi leur départ. Ils parvinrent heureusement à Istamboul quelques jours plus tard. En août 1944, le CICR finit par admettre que les navires d'émigrants pourraient être munis de l'emblème de la Croix-Rouge, même en l'absence de certaines des conditions qu'il avait posées.
Le 23 du même mois, le Roi de Roumanie mit fin au Gouvernement du maréchal Antonesco et entra en pourparlers d'armistice avec les Puissances alliées. Aussitôt les lois raciales furent abolies en Roumanie.
L'oeuvre d'assistance du CICR en faveur des Israélites se poursuivit cependant jusqu'à la fin des hostilités.
Dans son rapport de décembre 1944, la délégation du CICR à Bucarest constate que grâce aux envois du Joint Committee de New-York et aux collectes effectuées sur place, elle a pu faire face aux besoins de 183.000 Israélites roumains à savoir: 17.000 déportés rapatriés de Transnistrie, 90.000 personnes (soit 30.000 hommes libérés du travail obligatoire et leurs familles), 20.000 évacués de petites villes et villages, 10.000 évacués de la zone de guerre, 20.000 sans abri par suite de bombardements, 20.000 ouvriers et fonctionnaires licenciés de leur emploi, 6.000 Hongrois ayant réussi à se soustraire à la déportation et retrouvés en Transylvanie du Nord.
Cette action humanitaire a mérité les éloges du Président de l'Union américaine des Juifs de Roumanie qui, en mars 1945, écrivait au délégué du CICR à Washington: "L'aide assurée par le CICR à la population juive de Roumanie a été appréciée à sa juste valeur, non seulement par le D r Safran, Grand Rabbin de Roumanie et par les communautés privées de ce pays, mais encore par des milliers de membres de notre Union, dont les parents ont bénéficié de cette aide. Le CICR a rendu à nos coreligionnaires en Roumanie des services vraiment inappréciables." Déjà, M. Joseph C. Hyman, vice-président de l'American Joint Distribution Committee de New-York avait rendu hommage à l'Institution de Genève. Dans un article intitulé "Le Joint fait l'éloge du CICR" et publié dans le périodique "News" le 16 février 1945, il avait écrit: "Des milliers d'Israélites doivent la vie à l'aide qui leur fut assurée par le CICR... Partout dans le monde où le Joint ne peut intervenir directement, nous savons pouvoir compter sur le CICR pour voler au secours du Judaïsme opprimé " .
Le tome III du Rapport, en particulier les pages 73-84, 335-340, 479-481, 505-529, comporte d'autres passages que l'on peut citer si besoin est.
Rappelons que notre objectif ici est de composer un tableau raisonnablement exact de ce qui est arrivé aux juifs de Slovaquie, de Croatie et de Hongrie. Il existe néanmoins certaines questions soulevées dans l'extrait qui méritent à tout le moins quelques remarques.
Il y a assez d'allusions ici à une «extermination» pour donner au lecteur pressé l'impression que la Croix-Rouge accepte les allégations d'extermination. Mais si on y réfléchit on voit que cette impression n'est pas vraiment justifiée et que même si elle était formulée, elle manquerait de pertinence. On nous dit que «les juifs sont [...] condamnés par une législation raciale rigoureuse à souffrir la servitude, la persécution et l'extermination systématique.» Mais il n'existait, comme on le sait, aucune législation de ce genre, si par «extermination» on entend meurtre de masse. De même, «ils furent [...] envoyés dans les camps de la mort», ce qui était vrai pour ceux qui avaient été enrôlés pour le travail et envoyés dans les camps de concentration pendant les deux plus mauvaises périodes des camps (1942 et 1945). Il «semble» que «des milliers» de juifs slovaques allèrent «dans les camps d'extermination». Chacun est libre de se demander quels étaient ces «camps de la mort» dans lesquels des juifs roumains furent envoyés en 1940; quelle qu'en fût la signification, il ne s'agissait pas d'une mesure allemande.
Dans le tome III, nous lisons (p. 479) que «lorsque les opérations militaires s'étendirent au sol hongrois (au début d'octobre 1944), le délégué du CICR à Budapest fit tout son possible pour empêcher l'extermination des juifs hongrois». Plus loin (p. 513-514), nous lisons que, durant la guerre, «menacés d'extermination, les juifs furent en fin de compte généralement déportés de la manière la plus inhumaine, enfermés dans des camps de concentration, soumis au travail forcé ou mis à mort». Les Allemands «cherchaient plus ou moins à les exterminer».
Nous voyons deux raisons possibles à la présence de ces remarques ambiguës et très générales. La première est qu'elles sont là parce que les auteurs du Rapport, ou la plupart d'entre eux, à cause de la presse, des procès pour crimes de guerre, des déportations, de l'hostilité manifestée par les nazis à l'encontre des juifs, du fait que les Allemands ne voulaient plus de juifs en Europe, croyaient en conséquence aux allégations qui avaient cours pendant la guerre et après la guerre à propos des exterminations (ils n'avaient manifestement vu aucun juif se faire exterminer). La seconde raison possible est qu'il s'agit de remarques à visée politique avec une fonction de relations publiques. Par exemple, bien que les Allemands et les Hongrois eussent autorisé le CICR à opérer en Hongrie et que les Russes l'eussent expulsé, le Rapport n'en juge pas moins opportun de dire que Budapest a été «libérée» par les Russes.
Le lecteur doté d'un esprit critique souhaitera évidemment que nous adoptions la première explication pour que ces remarques puissent être acceptables, ne serait-ce que pour poursuivre la discussion. Nous ne devrions pas avoir d'objection à ce sujet; cela fait peu de différence dans l'analyse puisque tout ce que nous voulons apprendre du Rapport, c'est ce qui est arrivé aux juifs de Slovaquie, de Croatie et de Hongrie. La présence de remarques à propos de l'«extermination» dans le Rapport, à une époque où les accusations détaillées d'extermination avaient reçu la plus large publicité , nous aide en réalité puisque, quelle que soit l'explication que l'on donne à ces remarques, l'éventualité de l'extermination de la plupart des juifs de Slovaquie, de Croatie et de Hongrie, ou d'un grand nombre d'entre eux, fait très précisément partie de l'objet du Rapport. Il ne faudrait par conséquent pas croire que l'absence d'allégations relatives à l'extermination signifie que l'éventualité de l'extermination ne fait pas partie des questions abordées; elle signifie simplement que le CICR n'a pas noté de faits corroborant les allégations d'extermination.
Si l'on garde ces considérations présentes à l'esprit, qu'est-il arrivé, selon le Rapport, aux juifs de Slovaquie, de Croatie et de Hongrie ? L'influence allemande avait changé d'étendue avant 1944 et un certain nombre de juifs slovaques avaient été déportés vers l'Est. Le Rapport ne fait cependant aucune hypothèse quant à l'existence, là-bas, d'une extermination et accepte manifestement la thèse selon laquelle ils ont simplement été déportés. A partir de 1944, l'influence allemande dans les trois pays était à peu près uniforme et rien de très notable ne s'y produisit jusqu'à l'automne 1944, lorsque les Allemands internèrent, ou tentèrent d'interner, un grand nombre de juifs, pour des raisons de sécurité très valables, et déportèrent également un certain nombre de juifs hongrois en Allemagne pour les faire travailler.
Pour les juifs hongrois, il se passa certaines choses entre mars et octobre 1944 mais, quelles qu'elles fussent, les événements qui commencèrent en octobre 1944, après l'arrestation de Horthy, furent les plus graves. L'extrait insiste beaucoup sur ce point en deux endroits. De plus, situer la date critique à l'automne 1944 s'accorde pleinement avec ce qui est dit des pays voisins, la Slovaquie et la Croatie.
Ce fut après le 15 octobre que «commença la vague des grandes tribulations des juifs hongrois», car la pression allemande se fit sentir à nouveau à partir de mars 1944 et «provoqua une crise violente; exécutions, vols, déportations, travail forcé, emprisonnements», en octobre 1944. Les juifs «souffrirent cruellement et connurent de nombreux tués, particulièrement en province».
Répétons-le, un certain nombre d'événements se sont produits avant octobre 1944, y compris des déportations, mais le Rapport affirme sans ambiguïté que ceux qui ont commencé en octobre 1944 furent les plus importants pour les juifs hongrois. Les «exécutions» et les «vols» se rapportent probablement à des actes individuels de certains Hongrois, peut-être, avec l'encouragement ou au moins l'indifférence tacite du nouveau gouvernement fantoche. Le Rapport est très précis au sujet des «déportations» et des mesures sur le «travail forcé» qui furent instaurées en octobre 1944. Les juifs furent mis au travail pour bâtir des fortifications en Hongrie et les Allemands décidèrent d'en envoyer soixante mille en Allemagne pour travailler (le nombre qui fut déporté en réalité dans cette action est compris entre trente-cinq et quarante-cinq mille). Comme il n'était pas possible de voyager en train (faute de trains disponibles), les juifs durent marcher, au moins jusqu'à Vienne, mais la Croix-Rouge organisa des secours tout au long de la route. (1)
Il n'est pas possible que la délégation du CICR en Hongrie ait pu ignorer des mesures anti-juives, prises avant octobre 1944 et qui auraient égalé en dureté ou même dépassé en rigueur celles qui s'appliquèrent en octobre 1944. Après tout, le Sénat juif de Budapest était logé dans la légation de la Croix-Rouge et était sans aucun doute pleinement informé des affaires juives hongroises. De plus, les allégations d'après-guerre sur l'extermination auraient dû «rappeler» au délégué des événements beaucoup plus dramatiques du début de l'année, s'ils avaient bien eu lieu, comme nous le verrons bientôt.
Avant d'examiner les allégations précises d'extermination des juifs hongrois, il convient d'aborder quelques points évoqués dans le passage traitant de Theresienstadt.
Nous avons eu l'occasion dans les chapitres précédents de formuler des remarques sur Theresienstadt, en Bohême-Moravie (à l'ouest de la Tchécoslovaquie) et elles concordent avec celles du passage en question. Ce qui est frappant dans le compte rendu de la Croix-Rouge est que «ce camp avait été créé à titre d'expérience par certains dirigeants du Reich qui étaient apparemment moins hostiles aux juifs que ceux qui étaient responsables de la politique raciale du gouvernement allemand. Ces hommes désiraient donner aux juifs les moyens de créer une vie communautaire dans une ville administrée par eux-mêmes et disposant d'une autonomie presque totale.»
La politique à l'égard des juifs était dirigée par le service d'Eichmann au sein du RSHA (de la SS) et ce fut Karl Adolf Eichmann, «spécialiste pour toutes les questions juives», qui, accompagné du chef de la Police de Sécurité de Bohême-Moravie, le colonel Erwin Weinemann, avait guidé la délégation de la Croix-Rouge dans Theresienstadt, au cours de sa visite du 6 avril 1945. Lors d'une réunion, dans la soirée, Eichmann avait expliqué aux délégués «que Theresienstadt était une création du Reichsführer-SS Himmler» et avait exposé la philosophie qui la sous-tendait, que le passage du Rapport nous a transmise avec précision. Eichmann ajouta que lui, «personnellement, n'approuvait pas entièrement ces méthodes mais, en tant que bon soldat, il obéissait naturellement aveuglément aux ordres du Reichsführer». (2)
Il est tout à fait clair, par conséquent, que Theresienstadt était une opération des SS, désignés ici par l'expression «dirigeants du Reich». De plus, on sait que ce fut Heydrich, chef du RSHA, qui prit la décision de créer Theresienstadt peu après être devenu vice-protecteur de Bohême-Moravie, en septembre 1941. (3)
Ce que la Croix-Rouge vit à Theresienstadt faisait partie de la politique habituelle des SS. Il est intéressant de noter que le Rapport nous dit, sans commentaire, que le délégué avait posé des questions à propos des «départs vers l'Est» et que le CICR ne s'interroge pas sur les interprétations sinistres qu'il aurait pu donner aux «transferts vers Auschwitz», en dépit des accusations qui ont été formulées partout à cet sujet.
Lorsqu'on essaie d'évaluer de manière critique le Rapport de la Croix-Rouge, il faut de toute évidence se méfier de deux choses. Il convient tout d'abord de réserver certains jugements sur ce qui apparaît comme de la complaisance. Les signes caractéristiques de la complaisance dans les publications d'une organisation charitable se manifestant par une exagération de l'efficacité des mesures prises et, dans les cas où aucune mesure efficace n'a été prise, dans le fait d'imputer tout de suite ce manque d'efficacité au peu de générosité des donateurs potentiels (et ces reproches sont souvent fondés). C'est pourquoi nous ne devrions pas être autrement surpris si l'on découvrait que les enfants juifs hongrois ou les juifs qui marchèrent à pied jusqu'à Vienne, aidés par la Croix-Rouge, ont souffert en réalité un peu plus que ne semble le suggérer le Rapport (je ne prétends pas, bien entendu, que tel fut le cas).
Une seconde réserve concerne un inévitable parti pris politique résultant de pressions politiques extérieures; que la prise de Budapest par les Russes soit qualifiée de «libération» dans le Rapport en est la preuve. La situation de 1948 implique clairement que lorsqu'il y a un parti pris politique dans le Rapport, il s'agit d'un parti pris anti-allemand. Nous constatons la présence de ce dernier dans le Rapport mais, heureusement, si on lit le Rapport avec, en tête, des questions bien précises et qui ne portent que sur des sujets relevant du véritable domaine de compétence du CICR et de ses délégués, on voit que ce parti pris n'a pas de conséquences.
Mais sur les points que j'ai choisis,
il convient d'insister une fois encore sur le fait que mon raisonnement
ne dépend pas d'une interprétation du Rapport
qui lui ferait dire autre chose que ce qu'il dit ou comme
ne voulant pas véritablement dire ce qu'il dit. Je n'offre
pas d'interprétation parallèle aux allégations
d'extermination qui insistent pour qu'on attribue à des
expressions comme Leichenkeller, Badeanstalt, traitement
spécial et «prêts pour le transport»
les significations qu'elles ont dans la propagande de guerre.
On ne cherchera pas querelle à qui persiste à interpréter
le Rapport comme indiquant, d'une façon très
générale, que les Allemands tentaient d'exterminer
les juifs, car tout ce que nous voulons savoir, c'est ce dont
les délégués du CICR ont pu être les
témoins, de par leur situation, en Slovaquie, en Croatie
et en Hongrie.
La propagande de 1944
Nous avons vu en gros ce qui s'est passé en Hongrie. Il convient à présent d'examiner les allégations d'extermination. Nous allons d'abord passer en revue la propagande de l'année 1944, puis les accusations portées après la guerre, toutes ayant contribué à la légende de l'extermination des juifs hongrois. Il existe à la fois d'importantes différences et d'importantes similitudes entre la propagande de 1944 et les allégations ultérieures. Pour l'étude de la propagande de 1944, nous utiliserons à nouveau comme source le New York Times.
12 février 1944, p. 6
Un jeune juif polonais qui a échappé à une exécution de masse en Pologne [...] a répété une histoire selon laquelle, à Belzec [...] on mettait de force les juifs nus sur une plateforme en métal qui fonctionne comme un ascenseur hydraulique et qui les fait descendre dans une énorme cuve pleine d'eau [...] Ils sont électrocutés par le courant qui traverse l'eau.
Cette accusation avait déjà été lancée à Londres, en novembre 1942, (4) et nous l'avons citée au chapitre III, dans l'article du New York Times du 20 décembre 1942. C'est néanmoins sur les juifs hongrois que la propagande mettait l'accent pendant le printemps et l'été 1944. Immédiatement après l'occupation allemande:
21 mars 1944, p. 4
Le sort de huit cent mille juifs de Hongrie était une préoccupation majeure des cercles juifs de Stockholm.
Roosevelt s'engagea directement dans un discours que lui avait préparé le War Refugee Board:
25 mars 1944, p. 4
Pendant ce temps-là, dans la plus grande partie de l'Europe
et certaines régions d'Asie, la torture et le meurtre systématiques
de civils -- hommes, femmes et enfants -- par les nazis et les
Japonais continuent sans répit. Dans les zones soumises
aux agresseurs, des Polonais, des Tchèques, des Norvégiens,
des Hollandais, des Danois, des Français, des Grecs, des
Russes, des Chinois, des Philippins innocents -- et beaucoup d'autres
-- meurent de faim et de froid ou sont assassinés de sang
froid dans une campagne de sauvagerie.
Les massacres de Varsovie, de Lidice, de Kharkov et de Nanking,
-- la torture et le meurtre brutal par les Japonais, non seulement
de civils mais de nos braves soldats et aviateurs américains
-- ce sont là des exemples saisissants de ce qui se passe
jour après jour, année après année,
partout où les nazis et les Japonais ont le dessus et sont
libres de poursuivre leur dessein barbare.
Dans l'un des crimes les plus odieux de toute l'histoire -- commencé
par les nazis pendant la paix et multiplié par cent pendant
la guerre -- le meurtre massif et systématique des juifs
d'Europe se poursuit sans répit, à chaque heure
qui passe. A la suite des événements de ces derniers
jours, des centaines de milliers de juifs qui, vivant en butte
à la persécution avaient au moins trouvé
un refuge contre la mort en Hongrie et dans les Balkans, sont
à présent menacés d'anéantissement
à mesure que les forces hitlériennes se rapprochent
de ces régions. Que ces gens innocents, qui ont déjà
survécu à dix ans de furie hitlérienne, périssent
à la veille même du triomphe sur la barbarie que
leur persécution symbolisait, serait une immense tragédie.
Tous ceux qui participent en connaissance de cause à la
déportation des juifs en Pologne ou des Norvégiens
et des Français en Allemagne, en les envoyant à
la mort, sont aussi coupables que les bourreaux. Tous ceux qui
partagent la faute partageront la punition.
[...] Pendant ce temps-là, et jusqu'à la victoire
qui est maintenant assurée, les Etats-Unis persévérèrent
dans leurs efforts pour porter secours aux victimes de la brutalité
des nazis et des Japonais. Dans la mesure où les opérations
militaires le permettront, le gouvernement américain emploiera
tous les moyens à sa disposition pour aider toutes les
victimes des bourreaux nazis et japonais, sans considération
de race, de religion ou de couleur, à fuir les persécutions.
Nous appelons les peuples libres d'Europe et d'Asie à ouvrir
temporairement leurs frontières à toutes les victimes
de l'oppression. Nous trouverons pour eux des asiles et les moyens
de les nourrir et de leur venir en aide jusqu'à ce que
les tyrans soient chassés de leurs patries et qu'ils puissent
y retourner.
Au nom de la justice et de l'humanité, que tous les peuples
épris de liberté se rallient à cette juste
entreprise. (5)
1er avril 1944, p. 5
La Hongrie annonce des décrets anti-juifs
[...] fondé(e)s sur les lois nazies de Nuremberg [...]» qui consistent en:16 avril 1944, p. 17
[...] l'enregistrement et la fermeture de tous les biens juifs [...]28 avril 1944, p. 5
[...] (on a appris) récemment de Hongrie que trois cent mille juifs avaient été déplacés des parties est et nord-est du pays dans (ce qu'on appelle) des camps de rassemblement.10 mai 1944, p. 5
Par Joseph M. Levy
[...] il est un fait que la Hongrie [...] prépare maintenant l'anéantissement des juifs hongrois par les méthodes les plus diaboliques [...] le gouvernement [...] de Sztojay [...] est sur le point de commencer l'extermination d'environ un million d'êtres humains. [...] Le gouvernement de Budapest a décrété la création dans différentes parties de la Hongrie de «bains spéciaux» pour les juifs. Ces bains sont en réalité d'immenses chambres à gaz aménagées pour le meurtre de masse, comme celles qui ont été mises en place en Pologne en 1941.18 mai 1944, p. 5
Par Joseph M. Levy
80.000 juifs des provinces carpathiennes [...] ont été envoyés dans des camps en Pologne pour y être assassinés»9 juin 1944, p. 5
300.000 juifs hongrois ont été internés dans des camps et des ghettos (en Hongrie) [...]18 juin 1944, p. 24
[...] récentes déclarations faites par le Premier ministre hongrois, Doeme Sztojay, que les juifs sont exterminés pour fournir «de la place aux Hongrois d'Amérique pour qu'ils puissent revenir dans leur patrie après la guerre.20 juin 1944, p. 5
Sept mille juifs tchécoslovaques internés à [...] Terezin [...] furent traînés dans des chambres à gaz dans les camps de concentration allemands tristement célèbres de Birkenau et d'Oswiecim. La confirmation de l'exécution, là-bas, de plusieurs milliers de personnes a été récemment apportée à Londres par un jeune Polonais qui avait été emprisonné dans les deux camps.25 juin 1944, p. 5
Un message (de la résistance polonaise) a annoncé que de nouveaux massacres ont lieu au camp de concentration d'Oswiecim. Ils sont effectués par le gaz dans l'ordre suivant: les juifs, les prisonniers de guerre, quelle que soit leur nationalité, et les invalides. Une centaine de milliers de juifs ont déjà été envoyés à Oswiecim pour y être exécutés [...]27 juin 1944, p. 6
Hull a mis la Hongrie en demeure d'arrêter ses mauvais traitements à l'encontre des juifs et a averti que les officiers allemands et les hommes [...] qui ont [...] pris part [...] aux atrocités, aux massacres et aux exécutions seront punis.2 juillet 1944, p. 12
Des sources hongroises en Turquie ont rapporté que les trois cent cinquante mille juifs [...] ont été rassemblés pour être déportés dans des camps de la mort en Pologne. A la date du 17 juin, 400.000 ont été envoyés en Pologne; on s'attend à ce que les trois cent cinquante mille restants soient envoyés à la mort d'ici le 24 juillet.
Le 3 juillet (p. 3), le «rapport» qui devint par la suite le rapport du WRB parut en tant que rapport de deux comités de secours en Suisse, précisant que, depuis le 6 avril,
Quatre cent mille juifs hongrois avaient été envoyés à Auschwitz-Birkenau. Les crématoires comportent, dit-on, cinquante fours qui peuvent contenir chacun de huit à dix cadavres à la fois. Le 6 juillet (p. 6), l'histoire fut répétée, Eden cautionna les accusations, et le Congrès juif mondial fut avisé, il y a plus de quinze jours, que cent mille juifs récemment déportés de Hongrie en Pologne avaient été gazés dans le tristement célèbre camp de la mort allemand d'Oswiecim. Entre le 15 et le 27 mai, soixante-deux wagons chargés d'enfants juifs [...] et six wagons chargés d'adultes juifs sont passés quotidiennement par la gare de Plaszow, près de Cracovie. Des déportations massives ont également commencé à partir de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie, où les juifs n'avaient jusqu'ici pas été inquiétés.
13 juillet 1944, p. 3
2.500 hommes, femmes et enfants juifs [...] arriveront dans les camps d'Auschwitz et de Birkenau d'ici la fin de la semaine, sachant probablement à l'avance quel sera leur sort.»Le 15 juillet (p. 3), Hull condamna une nouvelle fois l'assassinat présumé de juifs hongrois. Ensuite, venant de la «résistance polonaise»:
4 août 1944, p. 5
un courrier .[...] a déclaré que les juifs hongrois étaient toujours envoyés à Oswiecim, douze trains par jour. Dans leur hâte [...] les Allemands [...] ont tué de petits enfants avec des matraques. De nombreux cadavres ont été brûlés à ciel ouvert, a-t-il dit, parce que les crématoires étaient surchargés.Le 11 août (p. 4), il est question d'une lettre de Horthy au roi de Suède, déclarant que les déportations de juifs avaient cessé et qu'ils étaient autorisés à quitter la Hongrie.
Il y a de trop nombreuses contradictions dans la propagande pour qu'elle atteigne le niveau que les accusations auront par la suite. Néanmoins, elles ressemblent assez à la propagande. La version actuelle est qu'entre le milieu du mois de mai et le début du mois de juillet 1944, environ quatre cent mille juifs hongrois, pris dans les districts extérieurs à la capitale Budapest, furent déportés par chemin de fer par les Allemands et que presque tous furent tués à Birkenau, l'assassinat étant le but principal des déportations. Cette opération visait essentiellement à liquider les juifs hongrois, mais non pas à Budapest, où les juifs ne furent pas inquiétés. Même Birkenau n'était pas conçu pour un si grand nombre d'assassinats, de sorte que de nombreux cadavres furent brûlés dans des fosses et que beaucoup de victimes furent fusillées plutôt que gazées. (6)
Il est évident qu'une telle chose n'aurait pu se produire et recevoir une publicité mondiale pendant la guerre et lors des procès ultérieurs sans que la délégation du CICR à Budapest l'apprenne. Après tout, il s'agit ici de la quasi totalité des juifs n'habitant pas à Budapest. Des événements si considérables et si monstrueux n'auraient pu être passés sous silence avec une telle désinvolture par les auteurs de la section «Hongrie» du passage que nous avons examiné. Il insiste sur le fait que les principaux malheurs affectant les juifs hongrois se sont produits à partir d'octobre 1944, après l'arrestation de Horthy. En outre, le Rapport contient les remarques d'ordre général sur l'«extermination» que nous avons notées, de sorte qu'il aurait mentionné de manière l'extermination des juifs hongrois, si elle avait existé. Il est évident qu'il n'y a rien de vrai dans cette allégation d'extermination des juifs hongrois.
Il convient maintenant de formuler quelques observations sur la population juive hongroise, au début de 1944. Les nazis employaient le chiffre d'environ sept cent ou sept cent cinquante mille. (7) Le livre de Ruppin, publié en 1940, rapporte que la population juive hongroise est passée de 440 à 480.000 à l'automne 1938, à la suite de l'annexion de certaines parties de la Slovaquie. Au printemps 1939, l'Ukraine subcarpatique fut annexée, de sorte qu'il y avait, en juin 1939, environ 590.000 juifs en Hongrie. On sait que bon nombre de juifs non hongrois, principalement polonais, se réfugièrent en Hongrie après 1939, de sorte que le chiffre de 590.000 de Ruppin, pour l'avant-guerre, pouvait très bien avoir augmenté pour atteindre le chiffre de sept cent mille ou sept cent cinquante mille que les nazis utilisaient. Le chiffre de Ruppin pour la population juive de Budapest est de deux cent mille en 1930. Ce chiffre n'aurait pas dû augmenter du fait des annexions mais il aurait pu le faire, dans une certaine mesure, pendant les années trente, grâce aux juifs allemands et autrichiens et, dans une plus large mesure, aux juifs polonais et autres, après 1939. Il semble raisonnable de supposer qu'il y avait à peu près trois cent mille juifs, à Budapest, au printemps 1944. Il nous semble avoir ainsi une assez bonne idée de la population juive de Hongrie et de Budapest en 1944. Il est clair que la déportation de quatre cent mille juifs ou davantage ne résidant pas à Budapest aurait entraîné le déplacement de presque tous les juifs hongrois qui ne se trouvaient pas à Budapest. Non seulement cela n'aurait pu échapper à l'attention de la délégation de la Croix-Rouge, mais il est également difficile de comprendre d'où pouvaient venir la «centaine de milliers de juifs» qui, en novembre, «entrèrent en masse dans Budapest en venant de la province». (8)
Il y a d'autres arguments contre les allégations d'extermination. Nous verrons tout d'abord que les accusations précisent que des dispositions spéciales furent prises lors d'une conférence à Vienne, au début du mois de mai, pour fournir quatre trains par jour pour effectuer ces déportations et que ces trains furent fournis en temps voulu. Ce qui veut dire que, dans les semaines cruciales précédant suivant le 6 juin 1944, à un moment où ils manquaient terriblement de trains et où les deux fronts menaçaient de s'effondrer, les Allemands fournissaient des moyens supplémentaires de transport par la voie ferrée qui auraient mis à mal les ressources de n'importe quel système ferroviaire dans les meilleures circonstances. Ce n'est tout bonnement pas croyable. Il est bon de se rappeler que le trajet de Budapest à Auschwitz est beaucoup plus ardu que ne pourrait le suggérer la carte, en raison des montagnes de la partie orientale de la Tchécoslovaquie.
Où sont les photos ?
Un second argument contre les accusations se rapporte à cette question, souvent posée: pourquoi les Alliés n'ont-ils pas essayé de bombarder les chambres à gaz, dont le monde entier avait connaissance au moment de l'assassinat présumé des juifs hongrois ? La question peut être considérablement élargie.
Le 8 juin 1944, on donna l'ordre à la quinzième flotte aérienne de l'armée américaine, basée dans le sud de l'Italie, d'intensifier ses bombardements sur les cibles pétrolières et on lui fournit une liste de cibles pétrolières précises, dans l'est et le sud-est de l'Europe. La cible principale, et celle qui reçut la plus grande attention, fut la région de Ploesti, en Roumanie. Cependant, Auschwitz, qui était également l'une des cibles sur la liste, fut d'abord bombardé le 20 août, puis en septembre et décembre. (9)
Or, pendant la seconde guerre mondiale, les Alliés faisaient un large emploi des photographies aériennes pour leurs opérations de bombardement. L'un des objectifs était d'évaluer les dommages causés par les attaques, un autre était la préparation des attaques elles-mêmes: il s'agissait de déterminer s'il valait ou non la peine d'attaquer la cible et d'évaluer l'importance et la nature des dispositifs de défense de la région. (10) Il est certain que les services de renseignements avaient photographié Auschwitz et la région environnante, de manière assez complète, peu après l'ordre du 8 juin. Dans ce cas, les Américains devraient être en mesure de fournir des photographies de tous ces juifs hongrois en route pour Auschwitz, afin d'y être fusillés et brûlés en plein air. Ils n'auraient même pas eu besoin de prendre des dispositions particulières pour nous présenter, soit au moment des assassinats (présumés), soit lors des procès ultérieurs, des preuves photographiques de leurs allégations. Bien entendu, pour qu'elles soient pleinement convaincantes, il aurait fallu choisir la première solution, puisque les Russes ont pris Auschwitz en janvier 1945.
La photographie de l'Ill. No 7 aurait été prise à Auschwitz en août 1944 mais nous en avons déjà parlé en la plaçant dans son contexte. Dans tous les cas, le nombre de cadavres qui apparaît sur la photographie correspond en gros au taux de mortalité ordinaire à Auschwitz, plus particulièrement pour 1942.
Malgré toute l'attention que recevaient à l'époque les juifs hongrois et Auschwitz, et malgré la promesse de Roosevelt rendue publique le 25 mars, les Américains ne firent rien pour prévenir ces déportations, en bombardant les voies de chemin de fer, ou dans ces assassinats, en bombardant les «chambres à gaz». Non seulement, ils ont perdu une occasion de nous fournir des preuves photographiques de leur allégations mais ils semblent également ne pas avoir ces preuves bien qu'ils aient pris les photographies.
Le 23 février 1979, le Washington Post annonça que deux photo-interprètes de la CIA avaient rendu publics les résultats de leur étude sur les photographies de reconnaissance aérienne prises en 1944. Bien qu'on affirme que ces photographies fournissent d'une certaine façon des preuves à l'appui de la thèse de l'extermination, ce qu'on y voit est exactement ce qui a été déterminé ici. L'étude de Dino A. Brugioni et Robert G. Poirier, intitulée The Holocaust Revisited: a Retrospective Analysis of the Auschwitz-Birkenau Extermination Complex, est publié par l'imprimerie du gouvernement à Washington.
Toutes ces considérations, le Rapport de la Croix-Rouge, les énormes impossibilités d'une extermination de juifs hongrois, au printemps et à l'été 1944, et l'absence de conséquences découlant du contrôle des airs par les Alliés, nous obligent à conclure que rien qui ressemble à une extermination ou qui s'en rapproche n'est en réalité arrivé aux juifs hongrois.
Raids aériens sur Auschwitz. Rudolf Vrba, victime de lui-même
Nous étudierons bientôt les preuves concernant l'allégation d'extermination mais il convient tout d'abord de faire une remarque au sujet de la date du premier raid aérien sur Auschwitz. Nous avons noté au chap.III que l'affirmation de Rudolf Vrba selon laquelle il y eut un raid aérien sur Auschwitz le 9 avril 1944 ébranle sa vraisemblance. Nous avons indiqué ci-dessus qu'Auschwitz fut bombardé pour la première fois en août. Cette opinion s'appuie principalement sur la Combat Chronology, publiée en 1973 par l'US Air Force, sous la direction de Carter et de Mueller et sur l'ouvrage classique et semi-officiel de Craven et al., The Army Air Forces in World War II. Ce dernier ouvrage traite également des activités du commandant des bombardements de la Royal Air Force britannique, en particulier pour ce qui concerne la campagne visant les objectifs pétroliers. L'ouvrage correspondant du côté britannique, en quatre volumes, de Webster et Frankland, The Strategic Air Offensive Against Germany 1939-1945, tire ses renseignements sur cette campagne de celui de Craven.
Une attaque au début du mois d'avril semble totalement hors de question. Auschwitz n'avait d'importance stratégique qu'en tant que cible pétrolière. Craven fournit un excellent résumé de la campagne aérienne contre les objectifs pétroliers. Un raid spectaculaire avait eu lieu sur Ploesti en 1943 mais il n'y eut pas de campagne soutenue visant des cibles pétrolières avant le printemps 1944, en raison de désaccords entre les dirigeants alliés sur la question des cibles prioritaires. Au mois de mai 1944, 1,1% seulement des bombes alliées étaient tombées sur des cibles pétrolières. Le 17 mars 1944, on ordonna à la quinzième flotte aérienne de mener des attaques contre Ploesti à la première occasion, mais, «subrepticement, dans le cadre de la directive générale qui visait les moyens de transport des forces allemandes qui se battaient contre les Russes». La première de ces attaques survint le 5 avril et fut suivie d'autres attaques, les 15 et 24 avril. Dans les trois cas, ces attaques furent principalement dirigées contre les noeuds ferroviaires, près de Ploesti, avec l'espoir que des dégâts seraient infligés «accidentellement» aux raffineries de pétrole. Les bombardements des cibles pétrolières par des avions basés en Angleterre ne commencèrent pas avant le 19 avril, mais ils furent également menés sous le couvert d'un objectif autre que pétrolier. La quinzième flotte aérienne effectua plusieurs autres raids contre Ploesti avant l'ordre du 8 juin, après quoi la campagne visant des cibles pétrolières fut lancée officiellement et sur une large échelle. (11)
Telle ayant été la situation et au vu de la confirmation apportée par la Combat Chronology, il est impossible de croire qu'Auschwitz ait fait l'objet d'un raid aérien en avril, alors qu'on avait du mal à justifier, au yeux du commandement allié, les raids contre des cibles de choix comme Ploesti. Qu'une cible pétrolière d'importance relative, comme Auschwitz, beaucoup plus petite que les proches installations de pétrole synthétique de Blechhammer, ait été bombardée en avril est fort improbable. Blechhammer lui-même ne fut considéré comme cible que longtemps après le mois d'avril.
Seules les aviations américaine et britannique sont concernées par le problème de possibles raids aériens sur Auschwitz pendant la période avril-septembre 1944. Les Russes ne se livrèrent pas à des opérations de bombardements stratégiques de cette nature sur des cibles industrielles.
Nos conclusions, tirées des historiques officiels de l'aviation militaire américaine, sont confirmées par les souvenirs de Thies Christophersen, auteur de la brochure Die Auschwitz Lüge (mentionnée ici au chapitre I), qui a écrit que le premier raid aérien eut lieu «à l'automne 1944». Christophersen ne semble nullement s'être douté, quand il publia sa brochure, de l'importance que pourrait revêtir la question de la date du premier raid aérien sur Auschwitz.
La date du mois d'août pour ce premier raid aérien est confirmée par le juif italien Primo Levi, qui a écrit dans son livre Se questo è un uomo (au début du chapitre intitulé I fatti dell'estate) que le premier raid eut lieu en août, alors qu'il était au camp depuis cinq mois.
Notre analyse du problème du premier raid aérien sur Auschwitz est également confirmée, pour l'essentiel, par les tenants de l'extermination. Reitlinger ne prend pas position de manière catégorique sur la date du premier raid mais note (p. 383) «l'absence de bombardements par les Alliés des cols entre la Hongrie et Auschwitz de mai à juillet 1944». Hilberg (p. 632) est très loin du compte en situant le premier raid le 16 décembre 1944 et cette date est acceptée par Levin (p. 701). Friedman (p. 78) est relativement proche de la vérité lorsqu'il parle d'un raid le 13 septembre 1944.
Puisque toutes les preuves dont nous disposons s'opposent à l'allégation selon laquelle il y eut un raid aérien sur Auschwitz en avril 1944, l'allégation de Vrba selon laquelle il y eut un tel raid tandis qu'il était assis là, en train de jeter un regard furtif depuis le tas de bois où il s'était dissimulé, est un facteur important, ajouté aux autres facteurs mentionnés au chapitre III, qui contribue à ruiner sa crédibilité.
Preuves écrites?
Pour en revenir au sujet qui nous occupe, nous allons examiner à présent les preuves qui sont offertes pour l'extermination des juifs hongrois. Elles sont principalement d'ordre documentaire.
Nous négligerons dans l'ensemble la déposition sous serment pour le TMI (2605-PS) de Kastner, datée du 13 septembre 1945 lors du TMI. [Ce nom est souvent orthographié Käsztner dans les sources. NdT] Kastner est un juif hongrois qui fut en contact avec Eichmann et ses associés à Budapest, en 1944. Sa déposition affirme que 475.000 juifs hongrois avaient été déportés à la date du 27 juin 1944. Il donne également un historique de tout le programme d'extermination qui s'appuierait sur des confidences que le colonel SS Kurt Becher et le capitaine SS Dieter Wisliceny auraient faites à Kastner. Qu'il ait bénéficié de la confiance de ces hommes est néanmoins tout à fait possible. En 1954, en tant que membre influent, en Israël, du parti Mapai de Ben Gourion, il fut en effet accusé par un autre juif hongrois d'avoir été un collaborateur de Becher, l'un des supérieurs d'Eichmann dans les opérations menées par les SS en Hongrie. Les procès en diffamation qui en résultèrent et qui aboutirent à des verdicts défavorables à Kastner provoquèrent une crise politique majeure en Israël dont les conséquences catastrophiques furent évitées par l'assassinat de Kastner, en 1957. (12) Kastner est encore une victime de la mystification.
Wisliceny, le subordonné d'Eichmann en Hongrie, fit également une déposition sous serment, le 29 novembre 1945, et témoigna devant le TMI le 3 janvier 1946. (13) Sa déposition est elle aussi rédigée en anglais avec, par exemple, une expression obscure (pour un Allemand) comme «têtes» (heads) pour désigner les personnes d'un convoi. Selon Wisliceny, il y avait des ordres écrits, donnés par Himmler, au début de 1942, pour exterminer les juifs. Les ordres étaient adressés, en autres, à l'«inspecteur des camps de concentration» que, selon la déposition postérieure de Höss, Himmler ne voulait tenir informé en aucune façon de ce programme.
Les éléments principaux sont une série de documents attribués au ministère allemand des Affaires étrangères. En mars 1944, un certain Dr. Veesenmayer, du ministère des Affaires étrangères, fut envoyé en Hongrie en tant que «plénipotentiaire» pour représenter le gouvernement allemand et seconder l'ambassadeur spécial Ritter dans ses activités. Veesenmayer communiquait beaucoup par télégramme avec le ministère des Affaires étrangères. L'Ill. No 30 montre le document NG-2263. Tous les télégrammes tirés des dossiers du ministère des Affaires étrangères ressemblent à ce document. En tant que télégramme reçu au ministère des Affaires étrangères, il ne porte naturellement pas la signature de Veesenmayer. La réception est indiquée par les tampons du ministère des Affaires étrangères, l'annotation manuscrite sur la gauche qui dit que le document est à classer sous la rubrique «Hongrie» (Ungarn) et le paraphe de von Thadden, datée: vTh 4/7. Le télégramme est rédigé comme suit:
I.) Transport de juifs de la zone III achevé selon le plan avec 50.805. Nombre total venant des zones I à III 340.162.II.) Concentration dans la zone IV et transport hors de cette zone achevés selon le plan avec 41.499. Nombre total 381.661. Poursuite des opérations a été rapportée séparément par télétype No 279 du 27 juin, No 287 du 29 juin et No 289 du 30 juin à Fuschl. Concentration dans la zone V (région jusqu'ici non comprise dans les opérations à l'ouest du Danube sans Budapest) a commencé le 29 juin. Simultanément de plus petites actions ont commencé dans la banlieue de Budapest en tant que mesures préparatoires. Quelques petits transports d'hommes politiques, d'intellectuels, d'ouvriers juifs qualifiés, de juifs avec famille nombreuse, sont également (en route).
C'est une série de documents semblables
qui constitue la preuve de la déportation de plus de quatre
cent mille juifs hongrois entre le 15 mai et le début juillet
1944. Les documents que j'ai jugés pertinents sont résumés
ci-dessous. La nature des visas est indiquée dans chaque
cas. Naturellement, les documents traitant des mesures anti-juives,
y compris des déportations pendant la période qui
nous intéresse, ne sont pas tous concernés; nous
n'avons dressé la liste que de ceux qui pourraient nous
conduire à une interprétation qui s'accorde avec
la thèse de l'extermination.
NG-2059. Exemplaire polycopié d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 8 mai 1944. Un certain nombre de juifs précédemment prévus pour la déportation doivent, au lieu de cela, être affectés à des travaux militaires en Hongrie. La demande de cent mille juifs hongrois employables formulée par l'Organisation Todt (le ministère de Speer) doit être adressée à Glücks, du WVHA, qui s'occupe de la déportation des juifs hongrois. Paraphe de von Thadden.
NG-2060. En deux parties. La seconde partie est un exemplaire polycopié d'un télégramme de Veesenmayer à Ribbentrop via Ritter, daté du 21 avril 1944. Il rapporte que 100.038 juifs hongrois ont été enfermés dans des camps à la suite des «opérations spéciales». Le visa se compose d'un tampon Ultra-secret et du paraphe de von Thadden. Le descriptif rédigé par les analystes du TMI indique que le paraphe de Geiger apparaît également mais ce n'est pas confirmé par l'examen du reste de la pièce (dans ce cas, seulement la traduction anglaise).
NG-2061. Exemplaire polycopié d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 20 mai 1944. Il rapporte l'arrestation de personnes impliquées dans la résistance anti-nazie et l'interception de «renseignements concernant les conditions de vie dans les camps de concentration allemands du Gouvernement général. En particulier, les événements du camp d'Auschwitz sont décrits en détail». Le visa se compose du tampon du ministère des Affaires étrangères et du paraphe de von Thadden, bien que l'analyste du tribunal dise qu'il est paraphé par Geiger.
NG-2190. La première partie est une note introductive à la seconde partie. Signé par von Thadden et Wissberg, paraphé par Wagner et avec le tampon Ultra-secret. La seconde partie est un compte rendu de von Thadden au ministère des Affaires étrangères sur les mesures anti-juives en Hongrie, daté du 26 mai 1944. Il est rapporté que le gouvernement hongrois a donné son accord à la déportation vers les territoires de l'Est de tous les juifs hongrois, à l'exception de 80.000 qui doivent être réservés pour travailler à des tâches de nature militaire. Le nombre des juifs hongrois est estimé entre 900.000 et 1.000.000. La plupart des juifs en dehors de Budapest ont été concentrés dans des ghettos. A la date du 24 mai, 116.000 avaient été déportés vers le Gouvernement général dans des convois quotidiens de 14.000 personnes. Le Conseil juif de Budapest (identique au Sénat juif du passage du Rapport de la Croix-Rouge) reçut l'assurance que ces mesures étaient dirigées seulement contre les juifs mal assimilés et que les autres devaient être traitées différemment. Toutefois, les SS s'attendent à des difficultés avec les futures mesures de concentration et de déportation. On ébauche des plans pour des mesures ultérieures. On discute des problèmes provenant des différentes définitions qu'Allemands et Hongrois donnent de ce qu'est un juif. On estime qu'environ un tiers des juifs hongrois déportés à Auschwitz sont aptes à travailler et qu'ils sont répartis immédiatement après leur arrivée vers Sauckel, l'Organisation Todt, etc. Tampon Ultra-secret et signé par von Thadden. La troisième partie est une note couvrant la quatrième partie, paraphée par Wagner et von Thadden, avec des références manuscrites à Eichmann. La quatrième partie est un résumé du rapport de von Thadden, sans visa.
NG-2230. Copie d'une lettre de deux pages, datée du 24 avril 1944, de von Thadden à Eichmann, transmettant le contenu du NG-2233 (prochain document à être examiné). Les deux pages paraphées par von Thadden. Tampon de la date et annotations manuscrites au bas de la première page. Note: la seconde fois que j'ai consulté le document NG-2230, il s'agissait d'un document totalement différent, de sorte qu'il y a peut-être une erreur ici.
NG-2233. En deux parties. La première partie est une copie d'un télégramme de Veesenmayer à Ritter, daté du 23 avril 1944. Il parle du travail consistant à interner des juifs des Carpathes dans des ghettos. 150.000 juifs ont déjà été rassemblés. On estime que l'action une fois achevée aura touché 300.000 juifs. L'internement de juifs dans d'autres régions doit suivre ensuite. A partir du 15 mai, 3.000 juifs doivent être envoyés chaque jour à Auschwitz et, afin de ne pas gêner leur transport, le transfert des 50.000 juifs que Veesenmayer avaient demandés pour qu'ils aillent travailler dans le Reich sera temporairement suspendu. Pour des raisons de sécurité, de nourriture et de chaussures, il n'est pas jugé bon, d'un point de vue pratique, de les envoyer à pied. Le visa est le tampon du ministère des Affaires étrangères (Document secret). La seconde partie du document est un double d'une lettre de von Thadden à Eichmann, datée du 24 avril, répétant l'essentiel du télégramme. Paraphé par von Thadden.
NG-2235. Double d'un télégramme de Wagner à Veesenmayer, daté du 21 mai 1944. Il annonce que von Thadden doit visiter Budapest prochainement pour discuter de ce qu'on va faire des biens des juifs allemands et hongrois, dans le cadre d'une solution européenne d'ensemble de la question juive. Paraphé par Wagner. Le paraphe «VM» se trouve également sur le document mais il ne semble pas qu'il s'agisse des initiales de Veesenmayer.
NG-2236. Note dactylographiée de Wagner à Steengracht, daté du 6 juillet 1944. Wagner déclare que la politique du Reich est d'empêcher l'émigration juive. Il faut repousser la demande du War Refugee Board, faite par l'intermédiaire de la Suisse, demandant que l'on autorise l'émigration des juifs hongrois vers la Palestine, parce que cela affecterait la sympathie des Arabes. De toute façon, l'intervention helvético-américaine viendra trop tard, à la fin du mois, car l'action anti-juive en Hongrie sera achevée à cette date. Tampon Secret et signé par Wagner. Paraphé par von Thadden et, peut-être, par Hencke.
NG-2237. Exemplaire polycopié d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 10 juin, annonçant que les dispositions pour le regroupement des juifs situés au nord de Budapest ont été prises et que la déportation des juifs commencerait le 11 juin. Le visa se compose d'un tampon du ministère des Affaires étrangères et du paraphe de von Thadden.
NG-2238. (Mémo) dactylographié de Wagner proposant que les négociations avec les Suisses et les Suédois sur l'émigration des juifs hongrois soient traitées de manière dilatoire jusqu'à ce que la question du sort des juifs restant en Hongrie ait été définitivement résolue. Daté du 16 septembre 1944. Signé par Wagner, paraphé par von Thadden et par d'autres, illisibles.
NG-2262. Exemplaire polycopié d'un télégramme de Veesenmayer à Ritter, daté du 4 mai, rapportant que l'évacuation de 310.000 juifs des régions carpathiques et transylvaniennes vers l'Allemagne («nach Deutschland») doit commencer, (selon le plan prévu), au milieu du mois de mai. Quatre transports quotidiens, chacun pour 3.000 personnes, sont prévus. Les dispositions nécessaires concernant les trains seront prises lors d'une conférence à Vienne, le 4 mai. Tampon du ministère des Affaires étrangères et paraphe de von Thadden.
NG-2263. Exemplaire polycopié d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 30 juin, rapportant que 381.661 juifs hongrois avaient été déportés à la date du 30 juin. Des rafles avaient commencé à l'ouest du Danube, Budapest non compris, ainsi que dans la banlieue de Budapest. Tampon du ministère des Affaires étrangères et paraphe de von Thadden.
NG-2424. En deux parties. La première partie est une lettre dactylographiée du chef du bureau de presse Schmidt au secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères Steengracht, datée du 27 mai, suggérant une campagne de propagande («la découverte d'explosifs dans les cercles juifs et les synagogues», etc.) avant toute action contre les juifs de Budapest. Paraphe de Wagner. La seconde partie est une copie dactylographiée d'un télégramme de von Thadden à Budapest, da té du 1er juin, transmettant la suggestion. Paraphé par Wagner et von Thadden.
NG-2980. En trois parties. La première partie est une copie dactylographiée d'un télégramme de Wagner à Budapest, daté du 21 mai, annonçant une visite prochaine de von Thadden à Budapest, pour les négociations sur le problème juif. Tamponné et paraphé par Wagner. La seconde partie est un double non signé d'une lettre de von Thadden à Wagner, servant d'introduction au rapport de von Thadden sur ses activités à Budapest. Tampon Ultra-secret. La troisième partie est le rapport dactylographié de 5 pages, daté du 25 mai. Il est rapporté que von Adamovic, qui est chargé des questions juives à l'ambassade allemande à Budapest, «n'a aucune idée des buts réels et de l'application pratique des mesures contre les juifs». Il rapporte également une visite au service d'Eichmann où il apprit que 116.000 juifs avaient été déportés vers le Reich et que la déportation de 200.000 autres était imminente. Le regroupement de près de 250.000 juifs dans la province au nord et au nord-ouest de Budapest commencera le 7 juin. D'autres projets sont donnés. On estime que seuls quelque 80.000 juifs aptes au travail resteront en Hongrie. Toute l'opération doit être achevée à la fin juillet. Le rapport est long de cinq pages et le seul visa est un tampon ultra-secret sur la première page.
NG-5510. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 8 mai, déclarant que le comte Bethlen et le Dr Schilling n'approuvent pas l'action contre les juifs et que Veesenmayer demandera par conséquent leur renvoi. «Le comte Bethlen a déclaré qu'il ne voulait pas devenir un assassin de masse et préférerait démissionner». Le visa consiste en un tampon ultra-secret et en une annotation manuscrite pour un classement sous la rubrique «Hongrie».
NG-5532. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministre des Affaires étrangères Ribbentrop, daté du 9 juillet, rapportant l'intention du ministre hongrois de l'Intérieur Jaross de regrouper les juifs de Budapest en dehors de Budapest puis «de les relâcher petit à petit par groupes de 30 à 40.000 pour les envoyer dans le Reich». Pas de visa.
NG-5533. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 14 juin, affirmant que de nombreux juifs hongrois s'étaient faufilés en Slovaquie «depuis que nous avons frappé un grand coup», après le 19 mars. Tamponné «Hongrie» avec «Secrétaire d'Etat» écrit à la main en bas.
NG-5565. Copie dactylographiée originale d'un télégramme de von Thadden à l'ambassade d'Allemagne à Presbourg, daté du 2 mai, annonçant qu'une conférence se tiendra les 4 et 5 mai à Vienne afin d'organiser le transport par chemin de fer d'«un grand nombre de juifs hongrois pour qu'ils travaillent dans les territoires de l'Est». Tamponné secret et paraphé par von Thadden.
NG-5567. Exemplaire polycopié d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 17 juin, donnant le nombre total de juifs hongrois déportés dans le Reich: 326.009. Tamponné et paraphé par von Thadden (les analystes du TMI disent que le document est paraphé par Wagner et Reichel, mais cela n'est pas confirmé par les documents que j'ai examinés).
NG-5568. Exemplaire polycopié d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 8 juin. «Pour l'application des mesures visant les juifs en Hongrie, le principe de base à observer est le secret concernant les dates de déportation et les zones qui seront nettoyées l'une après l'autre, ceci afin de ne pas inquiéter les éléments juifs et de prévenir les tentatives d'émigration. Cela s'applique particulièrement au district urbain de Budapest qui doit être la dernière zone et où l'on s'attend à des difficultés à cet égard». Tamponné et marqué au crayon bleu par von Thadden.
NG-5569. Plusieurs parties. La première partie, la plus importante, est un exemplaire polycopié d'un télégramme de Ludin, à Pressbourg (Slovaquie) au ministère des Affaires étrangères, daté du 14 juin. Il est rapporté que des gardes sont entrés dans les trains déportant les juifs de Hongrie à travers la Slovaquie, ont dépouillé les juifs de leur argent et de leurs bijoux et en ont tué certains. Ils ont alors utilisé le produit de leur rapine pour s'enivrer dans un cabaret tout proche. Tamponné. Les quatre parties suivantes sont des notes débattant de l'incident. Divers tampons; initiales de Wagner, von Thadden et Mirbach.
NG-5570. Exemplaires polycopiés de cinq télégrammes. Le premier est daté du 14 octobre et rend compte du projet de déportation d'environ cinquante mille juifs à pied de Hongrie pour aller travailler dans le Reich. On ajoute, à titre confidentiel, qu'«Eichmann envisage [...] de demander cinquante mille juifs supplémentaires afin d'atteindre l'objectif final qui est de nettoyer l'espace hongrois [...]». Tamponné et notes manuscrites. Les quatre parties suivantes discutent des opérations visant les juifs de Budapest ainsi que les juifs déportés pour le travail. Tampons et paraphes de Wagner et de von Thadden.
NG-5571. Télégrammes dactylographiés échangés par Veesenmayer et Altenburg du ministère des Affaires étrangères, datées des 25 et 28 juin. Eu égard à la «liquidation du problème juif» en Hongrie, le gouvernement hongrois devait rembourser le Reich des quantités correspondantes de denrées alimentaires. Tampons.
NG-5573. Rapport dactylographié de Wagner à Ribbentrop, daté du 27 octobre. Des neuf cent mille juifs qui avaient résidé en Hongrie, 437.402 avaient été envoyés «dans l'Est pour travailler». Suit une discussion sur les juifs hongrois autorisés à émigrer. Tamponné et paraphé par Mirbach.
NG-5576. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 30 juin. Horthy a désapprouvé les mesures contre les juifs de Budapest mais a été d'accord pour des mesures différées. Ainsi, «le rassemblement dans la dernière zone de province, la zone V (zone non couverte jusqu'à présent, à l'ouest du Danube, hors Budapest), a commencé. Simultanément, le rassemblement sera effectué sur le territoire relevant de l'autorité du premier commandement de police dans les banlieues les plus éloignées de Budapest afin de préparer le terrain». Tamponné.
NG-5594. Télégramme anonyme de Budapest au ministère des Affaires étrangères, daté du 18 avril. La «population hongroise désire avec insistance une solution rapide et radicale au problème juif car la peur de la vengeance des juifs est plus grande que la peur de la brutalité russe». Indications manuscrites pour le classement.
NG-5595. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 28 avril. Les «opérations spéciales» en Hongrie avaient abouti à l'arrestation de 194.000 juifs. Tamponné et annotations manuscrites.
NG-5596. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 28 avril. 194.000 juifs arrêtés à la suite des opérations spéciales et du plan hongrois de redistribution des juifs de Budapest à travers la ville en raison des bombardements alliés. Tamponné.
NG-5597. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 30 avril. 194.000 juifs arrêtés à la suite des opérations spéciales et discussion à propos des juifs essayant de se faire enrôler pour travailler en Hongrie, afin d'éviter les camps de concentration. Tamponné et annotations manuscrites.
NG-5599. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 5 mai. 196.700 juifs arrêtés à la suite des opérations spéciales. Tamponné et annotations manuscrites.
NG-5600. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 6 mai. Les juifs sont raflés ils pensent qu'ils ne «vont dans les camps spéciaux que temporairement». Tamponné.
NG-5602. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 24 mai. 110.556 juifs hongrois ont été déportés vers le Reich. Tamponné et annotations manuscrites.
NG-5603. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 19 mai. 51.000 juifs hongrois avaient été déportés. Tamponné, annotations manuscrites et paraphe illisible.
NG-5604. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 20 mai. 62.644 juifs hongrois déportés. Tamponné et annotations manuscrites.
NG-5605. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 20 mai. Même rapport que le NG-2061. Annotations manuscrites.
NG-5607. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 16 mai. La déportation des trois cent mille juifs regroupés dans la région des Carpathes et en Transylvanie avait commencé le 14 mai, avec quatre trains spéciaux de trois mille juifs chacun partant quotidiennement. Tamponné et annotations manuscrites.
NG-5608. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 25 mai. 138.870 juifs hongrois avaient été déportés vers le Reich. Tamponné et annotations manuscrites.
NG-5613. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 20 juillet. Les nazis hongrois ont demandé aux franciscains une messe d'action de grâces pour célébrer la déportation des juifs mais l'évêque s'y est opposé et on dut trouver certains compromis. Tamponné et annotations manuscrites.
NG-5615. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministre des Affaires étrangères, daté du 11 juillet. 437.402 juifs hongrois avaient été déportés. Tamponné et annotations manuscrites.
NG-5616. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, datée du 8 juillet. 422.911 juifs hongrois avaient été déportés vers le Reich. Tamponné.
NG-5617. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 17 juin. 340.142 juifs hongrois avaient été déportés vers le Reich. Tamponné et annotations manuscrites.
NG-5618. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 17 juin. 326.000 juifs hongrois avaient été déportés vers le Reich. Tamponné et annotations manuscrites.
NG-5619. Copie dactylographiée d'un télégramme au ministère des Affaires étrangères, daté du 13 juin. 289.357 juifs avaient été déportés des régions carpathiques et transylvaniennes. De futurs projets de déportation sont ébauchés. Tamponné et annotations manuscrites.
NG-5620. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 8 juin. Ce document manquait dans la série consultée, mais il est apparemment semblable à ceux qui le précédent et à qui le suivent. On a l'analyse de l'équipe du TMI.
NG-5621. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 2 juin. 247.856 juifs hongrois avaient été déportés vers le Reich. Tamponné et annotations manuscrites.
NG-5622. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, da té du 1er juin. 236.414 juifs hongrois avaient été envoyés dans le Reich. Tamponné.
NG-5623. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, da té du 1er juin. 217.236 juifs hongrois avaient été envoyés dans le Reich. Tamponné et annotations manuscrites.
NG-5624. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer au ministère des Affaires étrangères, daté du 31 mai. 204.312 juifs hongrois avaient été envoyés dans le Reich. Tamponné et annotations manuscrites.
NG-5637. Note dactylographiée de Wagner à Steengracht, datée du 21 mai 1943. Wagner rend compte d'une visite de l'ambassadeur hongrois. La discussion porta sur les difficultés relatives à la solution du problème juif en Hongrie. Les déportations devaient être effectuées par étapes et, afin de ne pas alarmer ceux qui restaient, les déportés devaient avoir «la possibilité de gagner leur vie, au moins pendant une courte période». Tamponné et signé par Wagner.
NG-5684. Copie dactylographiée d'un télégramme de Veesenmayer à Ribbentrop, daté du 6 juillet. Compte rendu de six pages d'une conférence avec Horthy qui mentionnait qu'«il recevait chaque jour un flot de télégrammes de tous les coins, à l'extérieur et à l'intérieur du pays, par exemple du Vatican, du roi de Suède, de Suisse, de la Croix-Rouge et d'autres parties» à propos des juifs hongrois. Il préconisait de garder les médecins juifs ainsi que les cohortes de travailleurs juifs affectés à des travaux nécessités par la guerre. Veesenmayer lui répondit que «la solution de la question juive [] était menée à bien par la Hongrie mais ne pourrait jamais été amenée à son terme sans l'aide de la SS et du SD». Paraphé par Steengracht.
Il convient de dire quelques mots sur les conditions dans lesquelles l'analyse de ces documents a été effectuée avant d'en venir à l'interprétation de ces éléments de preuve. A moins d'aller à Washington pour examiner les documents originaux, ce dont on dispose, quand on examine un document précis, est un document qui peut comporter jusqu'à quatre parties. Tout d'abord, il peut y avoir une copie photostatique du document original. Cela n'arrive que dans un nombre limité de cas. Les trois autres parties sont presque toujours disponibles. Premièrement, il y a la reproduction polycopiée, en allemand, du document original. Ainsi, au lieu d'une pièce manuscrite, on a une pièce dactylographiée donnée pour la transcription d'un manuscrit. Deuxièmement, il y a la traduction en anglais de ce document en allemand. Troisièmement, il y a la description qui l'accompagne, (l'analyse des collaborateurs du TMI). Nous avons noté un bon nombre de petites contradictions entre les quatre parties au cours de notre étude. Par ailleurs, très peu de documents manquaient à la série que nous avons examinée.
On pourrait dire, à bon droit, que certains de ces documents ne devraient pas figurer dans la liste car ils sont susceptibles de nombreuses interprétations autres que le transport des juifs hongrois vers le Reich. Le NG-2424 est de cette nature; nous avons vu que l'action concernant Budapest qui avait été proposée eut finalement lieu en octobre. Le NG-5533 et le NG-5684 admettent de nombreuses interprétations; pour ce qui est du second, il ne fait pas de doute que certains juifs hongrois furent déportés vers le Reich précisément dans le but précis de travailler et que le document peut être interprété dans ce sens.
Néanmoins il est évident ici, je dois le dire, qu'il existe une quantité tout à fait considérable de documents falsifiés; ces documents ont été rédigés après la guerre. Que les événements dont parlent les documents, le transport de plus de quatre cent mille juifs hongrois vers le Reich (ou la Pologne) en mai-juillet 1944, ne se soient pas produits est une certitude, pour les raisons que nous avons déjà indiquées. On peut cependant ressentir un certain embarras ici car la falsification ne semble pas avoir été pratiquée pour ce qui touche les parties de la légende de l'extermination à Auschwitz qui ont été examinées jusqu'à maintenant. La falsification est une entreprise hasardeuse. C'est pourquoi, bien que la falsification ne semble pas faire de doute, nous aimerions en avoir des preuves indépendantes.
La falsification est moins hasardeuse si elle n'implique pas celle des signatures; si l'on a pu s'assurer de la coopération des personnes qui signaient ou paraphaient les documents falsifiés, les risques sont écartés ou restreints. Nous devrons donc examiner de près ceux qui ont visé ces documents. Si l'on excepte le NG-5684, nous avons des visas consistant en un paraphe ou une signature (ou paraphe et signature présumée) de Geiger, Wissberg, Hencke, Reichel, Mirbach, Wagner et von Thadden, la majorité de ces visas venant des deux derniers. Ces sept personnes ont un point commun très intéressant: aucune ne s'est assise sur le banc des accusés dans le procès No 11 ni, apparemment, dans aucun autre procès. Dans le cas des cinq premiers, on peut soutenir que c'était fondé, soit en raison de leur rang peu élevé au ministère, soit en raison de leur rôle très secondaire dans les crimes présumés. C'était le cas des cinq premières personnes dans le procès No 11; Mirbach comparut comme témoin de la défense et Hencke signa une déposition sous serment pour la défense. (14)
Que Wagner et von Thadden n'aient pas été poursuivis est en revanche extrêmement mystérieux si l'on ne saisit pas que la fabrication apparemment sans risque des documents accusateurs sur la Hongrie ne nécessitait, à la base, que leur coopération. Nous aurons donc à examiner leur rôle au ministère des Affaires étrangères et le sort qui fut le leur après la guerre.
Eberhard von Thadden était un fonctionnaire de l'Inland II au ministère des Affaires étrangères. Ce groupe était chargé de la liaison avec la SS et c'est pourquoi von Thadden était, pour ainsi dire, l'«expert des questions juives» du ministère des Affaires étrangères. Communiquer avec Eichmann au sujet de la mise en oeuvre de la politique juive, quelle qu'ait été cette politique, faisait normalement partie de ses fonctions. Le NG-2233 et le NG-2980 sont très précis à cet égard, tout au moins. Horst Wagner était membre de l'équipe du ministre des Affaires étrangères Ribbentrop. En tant que chef de l'Inland II, il était le supérieur de von Thadden et, comme les documents le suggèrent correctement, il était également impliqué dans la politique du gouvernement allemand à l'égard des juifs. Le ministère des Affaires étrangères avait été accusé par les différents tribunaux militaires d'être impliqué dans l'extermination des juifs et, lors du TMI, Ribbentrop avait été déclaré coupable de ce chef. Les principaux accusés du procès No 11 étaient des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, des diplomates ordinaires pour la plupart, et l'implication dans l'extermination des juifs était naturellement l'une des charges relevées contre eux. A la fois de par leurs fonctions et au vu des documents que nous avons examinés, von Thadden et Wagner auraient été en fâcheuse posture au procès No 11. En outre, on n'aurait pas pu les considérer comme trop obscurs pour ce procès, qui est celui de la Wilhelmstrasse ou des ministères. Ainsi, l'article du New York Times annonçant l'ouverture du procès No 11 choisit de mentionner huit «accusés ou témoins» de marque et von Thadden était du nombre. (15)
Il est donc inexplicable , si l'on s'en tient à des raisons normales, qu'ils n'aient même pas figuré parmi les accusés lors du procès; tous deux comparurent comme témoins à charge. (16) Il y eut, pendant plusieurs années, des faits étranges de ce genre. Concernant von Thadden, les tribunaux allemands tentèrent de corriger cette omission flagrante en le traduisant en justice. Après sa remise en liberté par les Américains, en 1949, un tribunal allemand de Nuremberg l'inculpa en décembre 1950 mais il se réfugia à Cologne, dans la zone britannique, et l'extradition fut refusée. Un tribunal de Cologne l'inculpa alors en mai 1952 mais le procès n'aboutit jamais. Il signa une déposition pour l'accusation pour le procès Eichmann, en 1961. Au début de 1964, il fut à nouveau arrêté puis relâché après avoir versé une caution de cinq cent mille dollars. En novembre 1964, il eut un accident d'automobile et succomba à ses blessures.
De même, Horst Wagner fut arrêté par les autorités allemandes en 1949, mais il parvint à s'enfuir en Espagne puis en Italie. Les procédures d'extradition commencèrent en 1953 mais échouèrent. En 1958, il retourna en Allemagne pour obtenir une pension, fut arrêté, mais bientôt relâché contre une caution de vingt mille dollars, malgré sa précédente tentative pour se soustraire aux poursuites judiciaires. Son affaire sembla disparaître mais un procès fut finalement fixé au 20 mai 1968, dix ans après son retour en Allemagne. Cependant il y eut plusieurs ajournements, pour diverses raisons, et finalement, à la fin de 1972, son procès fut ajourné sine die. A la fin de 1975, il coulait une retraite paisible dans la banlieue de Düsseldorf. (17)
Nous en avons terminé avec les documents corroborant les allégations d'extermination des juifs hongrois. Wagner et von Thadden, comme Höss et bien d'autres, ont rejoint les «nouveaux Meistersinger von Nürnberg, [Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg, un opéra de Wagner] mais ils le firent manifestement d'une manière intelligente puisqu'ils bénéficièrent d'une réelle immunité face aux les poursuites judiciaires. A cet égard, une étude détaillée des documents par un expert serait certainement très utile. Elle devrait traiter du langage qui est utilisé. Ainsi, l'expression nach Deutschland du NG-2262 me semble aussi bizarre que le serait «vers l'Amérique» dans un document officiel du Département d'Etat, mais je ne suis pas le meilleur juge en la matière. En tout cas, Wagner et von Thadden avaient certaines cartes en main, simplement parce qu'ils avaient connaissance de l'existence de documents falsifiés. La situation de Höss, par exemple, ne dépendait que de la reconnaissance des Alliés.
Je n'ai pas examiné la totalité des documents de la série NG (il y en a plus de cinq mille) et je ne peux, par conséquent, exclure la possibilité, ou même la probabilité, qu'il en existe quelques autres. Il est également possible qu'apparaissent un ou deux documents comportant un gribouillage illisible, censé être un paraphe, pour lequel ou lesquels je n'aurais pas de réponse immédiate. L'étude des documents a été cependant relativement approfondie, compte tenu de nos objectifs. Elle est allée bien au-delà des documents qui ont été utilisés comme références par Hilberg et par Reitlinger, assez loin pour me satisfaire amplement et m'amener à la conclusion que ces preuves ont dépendu, pour l'essentiel, de la coopération, après la guerre, de von Thadden et de Wagner.
Il est bon de noter que Wagner et von Thadden ne furent pas les seuls Allemands impliqués dans l'histoire des juifs hongrois à être mystérieusement exemptés de poursuites judiciaires. Le général SS Otto Winkelmann, dignitaire SS et chef de la police en Hongrie, ayant eu le commandement de toutes les opérations de la SS en Hongrie, fut également un témoin à charge de l'accusation dans le procès No 11. Le colonel SS Kurt Becher, représentant en Hongrie du SS Führungshauptamt (et donc de Himmler), seconda l'accusation devant le TMI. En fait, aucun des principaux responsables qui furent incontestablement impliquées dans les mesures prises par les Allemands à l'encontre des juifs hongrois, quelles qu'elles aient été, ne furent jugés à Nuremberg ou ailleurs, à l'exception d'Eichmann. Il était absent aux procès de Nuremberg et les autres chargèrent ceux dont l'implication avait été au mieux secondaire.
Les metteurs en scène
Personne ne serait surpris de découvrir les pratiques les plus sordides derrière ces procès. Nous avons vu qu'aucune limite ne fut respectée dans les moyens employés pour obtenir des «preuves». Il convient par conséquent d'examiner plus attentivement ceux qui avaient la responsabilité du procès No 11. Rappelons qu'il n'y avait pas de procédure d'«inculpation» avec un jury de mises en accusation [comme aux Etats-Unis] et que, comme le confirme la lecture du livre de DuBois, c'était le ministère public qui, dans chaque cas, décidait qui devait passer en jugement et pour quels motifs.
Le procès de la Wilhelmstrasse n'avait à vrai dire aucune commune mesure avec les autres affaires jugées devant le TMN; comme le montre notre tableau, toutes avaient eu un but précis. Le procès de la Wilhelmstrasse ou des ministères fut, en revanche, une sorte de «petit TMI». Des personnes choisies dans différents ministères allemands furent jugées et le procès eut, en conséquence, une large audience. C'est pourquoi il fut divisé en une «section économique» et une «section politique», chacune ayant une équipe de procureurs distincte.
La section qui importe, de notre point de vue, et, à vrai dire, l'affaire politique la plus importante à venir devant le TMN, fut celle des ministères politiques, le procès No 11. Le procureur en chef en était Robert M. W. Kempner qui a toute une histoire. Il est très utile de présenter ici un bref résumé des faits «saillants» de sa carrière.
Kempner, qui était juif, est né en Allemagne en 1899, fit son droit et entra au ministère de l'Intérieur de Prusse pendant les années vingt. De 1928 à 1933, il fut conseiller juridique de la police nationale de Prusse, sous l'autorité du ministère de l'Intérieur, et se spécialisa dans les enquêtes sur le parti nazi qui était alors en pleine ascension. Il devint un croisé anti-nazi, dans le cadre de ses fonctions et essaya énergiquement, mais sans en vain, de mettre le parti hors-la-loi.
Lorsque les nazis prirent le pouvoir, en 1933, il fut renvoyé du poste qu'il occupait au gouvernement mais, bien que juif, il put continuer à exercer son métier d'avocat pendant quelque temps en tant que conseiller en droit international sur les problèmes liés aux migrations juives et également, apparemment, en tant qu'avocat du syndicat des chauffeurs de taxis. Nous ne savons pas avec certitude s'il a ou non passé un certain temps dans un camp ou s'il a connu d'autres formes de détention. Quoi qu'il en soit, il partit s'installer en Italie en 1935 pour prendre un poste administratif et de professeur de sciences politiques dans une petite école de Florence. Le gouvernement de Mussolini ferma l'école en 1938, de sorte qu'elle alla s'installer, avec Kempner, en France, dans la ville de Nice. Il n'y resta toutefois pas longtemps et émigra aux Etats-Unis en 1939. Sa mère occupait déjà un poste de chercheur à l'université de Pennsylvanie et cette parenté lui permit de décrocher un poste de «chercheur associé» dans cette université. (18)
Il reprit immédiatement sa croisade anti-nazie. Il était parvenu à faire sortir d'Allemagne des dossiers de la police de Prusse auxquels il avait collaboré et qui servirent de base à un livre qu'il publia à compte d'auteur en 1943. Ce livre, ronéotypé, essayait de montrer, en s'appuyant sur les expériences de Kempner en Allemagne, ce qui devait être fait en Allemagne après la guerre afin de supprimer définitivement le nazisme. L'ouvrage ne connut qu'une diffusion restreinte mais fit de lui, avec d'autres livres et articles qu'il écrivit, une sorte d'expert dans le combat contre les nazis. Il avait également sorti d'Allemagne des enregistrements phonographiques de rassemblements nazis que la police prussienne avait effectués au cours des années où il était en activité. Il les remit à l'université de Pennsylvanie. Il écrivit également un certain nombre de lettres anti-nazies aux journaux. Comme la guerre approchait de son terme, il écrivit que les dirigeants nazis devaient être jugés aux Etats-Unis devant des tribunaux américains réguliers. Dans l'intervalle, il avait obtenu la nationalité américaine. (19)
Pendant la guerre, il travailla pour le ministère de la Justice américaine et pour l'OSS. Dans cette agence, il fut chargé de dresser des listes d'anti-nazis allemands à qui l'on pourrait confier des postes dans le futur gouvernement d'occupation en Allemagne. Il faisait partie d'un vaste groupe de juifs allemands recrutés par l'OSS (au nombre duquel figurait par exemple Herbert Marcuse).
A la fin de la guerre, Kempner entra au ministère de la Guerre et revint en Allemagne avec l'armée américaine «émargeant au budget du procureur militaire général». Avant l'ouverture du procès du TMI, il eut un rôle assez important de liaison entre le parquet militaire et les avocats de la défense; il dirigea ensuite le groupe qui préparait les réquisitoires individuels de la partie américaine. Pendant le procès, c'était un membre apparemment ordinaire du parquet et il s'était spécialisé dans l'accusation contre le ministre nazi de l'Intérieur, Frick. Il ne semble pas avoir été particulièrement en vue, bien qu'immédiatement après le procès il ait envoyé un article au New York Times sur la dimension éducative que le procès avait eu pour les Allemands. L'exécution des dirigeants militaires et politiques de l'Allemagne n'avait pas encore été accomplie qu'il prédisait déjà avec une intense jubilation, que les nazis condamnés seraient inhumés dans des tombes sans inscription, afin d' «éviter des pélerinages fanatiques de la part de nazis encore fervents». A vrai dire, la procédure finale fut encore plus hystérique puisque les corps de Göring et des autres furent photographiés (afin qu'on puisse se repaître du spectacle, un peu plus tard, dans la presse et aux actualités cinématographiques) revêtus d'uniformes de l'armée américaine et emmenés secrètement à Dachau où ils furent incinérés; leurs cendres furent jetées dans une rivière proche. (20)
Alors qu'il exerçait ses nouvelles responsabilités dans le procès No 11, en 1947, Kempner eut les honneurs de la presse dans une affaire qui a, avec notre sujet, un rapport d'une extrême importance. En 1943 et 1944 s'étaient tenus, dans le pays de la «presse libre», des «procès contre la sédition» contre des Américains dont les opinions concernant la politique de guerre menée par le gouvernement des Etats-Unis avaient paru indésirables. Le procureur américain était O. John Rogge, de l'Ohio, que sa famille et ses amis avaient espéré voir devenir pasteur. Au lieu de cela, il est devenu avocat et il fit, dit-on, de brillantes études à la faculté de droit d'Harvard. L'avocat général Biddle le choisit pour diriger le procès de la «sédition», en remplacement de William P. Maloney dont les méthodes avaient provoqué les protestations de plusieurs membres influents du Congrès. Les poursuites, impliquant trente accusés, étaient totalement contraires aux principes constitutionnels américains et furent abandonnées à la mort du juge, en novembre 1944; elles furent annulées pour vices de forme. Tandis que le gouvernement projetait de reprendre le procès, la Cour suprême annula une autre condamnation pour sédition et de graves doutes surgirent au ministère de la Justice sur l'opportunité de continuer les poursuites. Nous espérons que le lecteur voudra bien patienter jusqu'à la fin de cette longue digression sur l'épisode de la «sédition», dans le cadre de la digression sur Kempner, car la question est extrêmement importante. (21)
Rogge cessa de s'intéresser au procès pour sédition en tant que tel mais il ne perdait pas de vue le thème général de la menace «fasciste» interne aux Etats-Unis. Au printemps de 1946, il passa onze semaines en Allemagne pour rassembler des «renseignements». Il collecta ce qu'il appelait des faits qu'il résuma dans un rapport qu'il soumit, un peu plus tard dans l'année, au ministère de la Justice. Comme il n'y eut pas de réaction du ministère, il finit par perdre patience. Il se mit donc à voyager et à prononcer des discours dans lesquels il divulguait certains des «renseignements» qu'il avait été en mesure de réunir en interrogeant des Allemands. Dans un discours devant le B'naï B'rith à New York, en octobre 1946, il déclara en termes très généraux que les fascistes étaient encore en liberté «dans le monde et dans ce pays [...] Maintenant les fascistes peuvent revêtir une apparence plus subtile; ils peuvent dire simplement: "Je suis anti-communiste"». Quelques jours plus tard, il était beaucoup plus précis sur ceux dont il parlait. John L. Lewis, président du syndicat des mineurs, et le défunt William R. Davis, homme d'affaire travaillant dans le pétrole, avaient, déclara-t-il lors d'un discours au Swarthmore College, conspiré avec Göring et Ribbentrop pour faire battre le président Roosevelt aux élections de 1936, de 1940 et de 1944. D'après les «preuves» qu'il avait obtenues en Allemagne, d'autres Américains de premier plan pouvaient, selon les nazis, «s'opposer à la participation des Etats-Unis à la guerre». Il citait le sénateur Burton K. Wheeler, l'ancien vice-président John N. Garner, l'ancien président Herbert Hoover et James A. Farley, une grosse légume du parti démocrate. Rogge avait également remis au journaliste Drew Pearson certains de ses dossiers qui parurent dans sa chronique, à peu près à la même époque.
Rogge fut immédiatement révoqué du ministère de la Justice par le procureur général Clark, pour violation flagrante des règlements du ministère de la Justice et de la profession d'avocat ainsi que, vraisemblablement, pour avoir froissé certaines susceptibilités dans le monde politique. Rogge se défendit en expliquant que, après tout, il n'avait fait qu'«une étude du fascisme international, (car) les hommes qui faisaient l'objet de l'enquête étaient membres d'un mouvement international qui cherchait à détruire la démocratie, à la fois ici et à l'étranger». Il donnait de nouveaux noms; deux des personnes posant une menace fasciste étaient Douglas Mac Collum Stewart et George T. Eggleston, membre à l'époque de la rédaction du Reader's Digest. Rogge déclara qu'il avait obtenu des renseignements sur eux en Allemagne par des diplomates allemands qui avaient eu contacts officiels avec les Etats-Unis avant Pearl Harbour. La Pravda qualifia la révocation de Rogge de «scandale». (22)
Stewart et Eggleston avaient publié, avant Pearl Harbour, Scribner's Commentator, une publication qui avait pour but de maintenir les Etats-Unis en dehors de la seconde guerre mondiale. En 1941, Stewart avait reçu une importante somme d'argent, trente huit mille dollars, dont il ne pouvait pas expliquer la provenance. Lors de son passage, en 1943 et 1944, devant la chambre de mise en accusation, lors des procès pour «sédition», il déclara avoir trouvé cet argent chez lui. Comme cette explication paraissait ridicule, même aux yeux d'un observateur impartial, Stewart fut poursuivi par le procureur et le juge pour avoir donné un pareil témoignage. Son refus de le modifier lui valut d'être inculpé pour outrage à magistrat et condamné à quatre-vingt-dix jours de prison (il fut libéré sur parole au bout de soixante-quinze jours).
Au cours de l'année 1946, le Département de la Justice, et Rogge lui-même étaient convaincus qu'aucune inculpation pour «sédition» ne pouvait prospérer, si bien que le dossier qui avait été ouvert en 1943 fut finalement classé. Il y restait encore la question du témoignage de Stewart qui semblait fournir une base à une inculpation pour parjure. C'est pourquoi, en mars 1947, Stewart dut comparaître pour avoir commis un parjure au moment de sa déposition, pendant la guerre, devant la chambre des mises en accusation.
L'accusation affirma que Stewart avait reçu quinze mille des trente huit mille dollars du gouvernement allemand et produisit deux témoins pour soutenir cette affirmation. Le baron Herbert von Strempel, ancien premier secrétaire de l'ambassade d'Allemagne à Washington, déclara qu'il avait donné 15.000 dollars à Stewart, à l'hôtel Pennsylvania de New York, à l'automne de 1941. L'argent provenait, dit-il, du Dr Hans Thomsen, chargé d'affaires allemand. Thomsen déposa ensuite à la barre pour confirmer l'histoire de von Strumpel. Les dépositions de Strempel et de Thomsen étaient, en fait, la conséquence directe du voyage de Rogge en Allemagne, en 1946, pour la collecte d'informations.
L'avocat de la défense prouva que les larges sommes d'argent que Stewart avait reçues en 1941 provenaient de sources américaines. Il affirma que de riches Américains voulaient soutenir la cause isolationniste, alors très impopulaire, mais anonymement, de sorte qu'ils transmirent de l'argent à Stewart, sans se découvrir. Que cela soit vrai ou que Stewart ait effectivement menti pendant la guerre devant la chambre des mises en accusation en se sentant obligé de ne pas divulguer l'identité de ses soutiens américains, ne concerne guère notre sujet. Ce qui le concerne davantage fut le contre-interrogatoire par la défense des témoins allemands de l'accusation, car la défense fut en mesure de discréditer l'accusation en montrant que ces dépositions avaient été obtenues sous la contrainte. Le baron von Strempel dit qu'il avait été arrêté à Hambourg par deux agents britanniques qui, lorsqu'il leur demanda de lui montrer leur mandat d'arrêt, «sourirent, tirèrent leurs pistolets de leur étui et déclarèrent que c'était leur mandat». Il passa ensuite quatre semaines dans un centre d'interrogatoire américain, puis sept mois dans un camp de détention, où il fut de nouveau soumis à un interrogatoire continuel. Durant cette période, sa santé «n'a jamais été aussi mauvaise». Il fut interrogé par Robert M. W. Kempner mais ne souhaitait pas en parler. Le juge Laws se vit contraint d'ordonner à Strempel de répondre aux questions de l'avocat de la défense Magee à propos de cet épisode. Il finit par déclarer que Kempner lui avait dit qu'il serait traduit devant le conseil de guerre et condamné à mort s'il «dissimulait la moindre manigance de l'ambassade». Puis il raconta toute l'histoire. Sous le feu roulant des questions des enquêteurs, il se sentit comme «hypnotisé». O. John Rogge devint l'un des interrogateurs de Strempel en Allemagne. Pendant l'interrogatoire de Rogge, déclara-t-il, on lui avait enlevé sa cravate et ses lacets. Il était tout seul dans une cellule, interrogé toute la journée, sans nourriture, «sans cesse menacé de violences». Il admit avoir signé une déclaration parce qu'il craignait que sa détention au secret se prolonge. Il fit cette déposition fatale à l'accusation, en dépit du fait que les Etats-Unis lui donnaient 70 dollars par semaine, plus les frais d'hôtel, pour qu'il soit témoin à charge contre Stewart. On avait aussi agité la possibilité d'une inculpation pour «crimes de guerre». Thomsen fut aussi contre-interrogé; il reconnut que Strempel lui avait parlé de la menace de mort qui pesait sur lui et déclara que Rogge lui avait donné des instructions pour qu'il se rappelle certains détails. Le jury déclara Stewart innocent au cours de la pause-déjeuner. C'est ainsi que Kempner avait fait son apparition dans les journaux, avant même que ne s'ouvre le procès No 11. (23)
En examinant cette affaire de sédition nous avons donc rencontré le procès de la Wihelmstrasse, en ce sens que Kempner y figure à titre d'enquêteur et de procureur potentiel à l'égard d'anciens fonctionnaires incarcérés du ministère allemand des Affaires étrangères. Le lien avec le procès No 11 est encore plus net puisque le défenseur de Stewart lors du procès de 1947, Warren E. Magee, devint peu après l'un des avocats du baron von Weizsäcker, le principal accusé du procès No 11. Nous nous trouvons par conséquent devant un fait habituel, deux parties impliquées dans le procès No 11 qui se sont, presque en même temps, opposées dans un procès américain régulier, et la déposition résultant de l'interrogatoire des Allemands prisonniers qui est renversée par la défense parce qu'obtenue sous la contrainte. C'est une confirmation extraordinairement importante du genre de pratiques, indiquées par les éléments que nous avons déjà examinés, qui ont dû se répandre dans les coulisses du TMN: méthodes de la carotte et du bâton, allant jusqu'au passage à tabac, dans certains cas (mais pas nécessairement dans tous les cas où l'on a pu dire avec justesse que les preuves avaient été extorquées «sous la contrainte»). Les succès de Magee à cet égard ne cessèrent toutefois pas avec le procès de Stewart. Comme principal témoin à charge contre von Weizsäcker, Kempner avait utilisé Friedrich Gaus, qui avait la réputation d'être le «mauvais génie de Ribbentrop», ce qui représente un autre exemple du choix extraordinaire d'un homme utilisé comme témoin à charge au lieu de le juger. Magee, parce qu'il était américain et avait de ce fait accès à des documents que l'on refusait aux avocats allemands, fut en mesure de prouver devant le tribunal que Kempner avait menacé Gaus de le livrer aux Russes s'il ne coopérait pas avec l'accusation, menace fréquente et efficace qui comportait certaines variantes. Häfliger, un des accusés du procès No 11, était citoyen suisse mais, s'il faut en croire son témoignage lors du procès, l'enquêteur Sachs lui avait dit qu'il serait livré aux Russes s'il s'accrochait à sa nationalité suisse. Sachs lui fit remarquer «qu'il n'existait pas de relations diplomatiques entre la Russie et la Suisse». Beaucoup plus intéressant pour notre sujet est le fait que von Thadden reconnut, au cours du contre-interrogatoire mené par l'avocat de la défense, le Dr Schmidt-Leichner, que Kempner lui avait fait comprendre, à propos d'une exécution qui aurait été effectuée par les autorités allemandes en France, qu'
«il me restait deux possibilités, soit avouer, soit être remis aux autorités françaises, devant un tribunal français avec la peine de mort à la clé. On m'accorda un délai de vingt-quatre heures pour prendre ma décision».
Un journaliste suisse écrivit à cette époque que Kempner et ses collègues essayaient de présenter le nazisme comme une «invention des classes dirigeantes allemandes» pour détruire la structure sociale qui existait en Allemagne avant l'avènement des nazis. (24)
Rogge eut une longue et intéressante carrière mais son résumé complet nous conduirait beaucoup trop loin. Pour être juste avec lui, nous devons dire que son attitude dans les procès pour «sédition» ne doit pas nous laisser supposer qu'il était indifférent à l'égard des libertés publiques. En effet, lorsque furent prises, après la guerre, les premières mesures pour la création d'un programme interne de sécurité contre les communistes, Rogge dénonça la «chasse aux sorcières» . Il devint, dans les années suivantes, président du comité de soutien new-yorkais à la candidature d'Henry Wallace à la présidence, un poste parfaitement logique car Rogge incarnait tout ce qu'avait d'unique ce mouvement dans la manière dont il envisageait les relations avec l'Union soviétique. Qualifié, en 1950, par la revue de gauche Nation d'«indépendant solitaire dans divers congrès, comités et délégations contrôlés par les communistes», il s'était rendu à Moscou pour assister au «Congrès universel des partisans de la paix». Il expliqua aux Soviétiques que la guerre froide était la faute des deux côtés, il prit la parole lors d'une réunion au Kremlin et cita Thomas Jefferson, initiatives qui ne furent pas du goût de ses hôtes soviétiques. Le Nation eut le commentaire suivant:
«Il est facile de ne voir en O. John Rogge qu'un Don Quichotte touche-à-tout, homme de gauche à l'esprit confus, si étranger à la réalité qu'il croit que les malheurs du monde ne sont que le résultat d'un regrettable malentendu [...] Il a montré pourquoi les dirigeants russes se méfient de ceux de leurs partisans qui ont eu des contacts avec l'Occident». (25)
Rogge participa également, en tant qu'avocat du «Civil Rights Congress» [Congrès des libertés publiques], au procès pour meurtre des «Six de Trenton» qui dura de 1948 à 1953 et qui connut un large écho. En décembre 1949, le juge l'exclut du procès du New Jersey pour avoir
«violé les règles éthiques des avocats en dénonçant la conduite du procès public, en manifestant «une discourtoisie et un mépris étudiés» devant le tribunal et en «déformant délibérément les faits». Le juge accusa aussi le Congrès des libertés publiques [...] d'avoir recueilli plus d'argent du public que le procès ne le nécessitait».
Sept mois plus tard, un tribunal américain considéra comme injustifiée l'exclusion de Rogge mais n'ordonna pas sa réintégration. (26) Cette brève étude de Rogge est suffisante pour notre sujet.
Revenons à Kempner. Alors que le gouvernement de Bonn venait d'être institué, en 1949, il lança une mise en garde contre la renaissance du nazisme, ce qui ne l'empêcha pas de participer à Bonn, deux ans plus tard, comme représentant de l'Etat d'Israël, aux négociations relatives aux réparations pour les juifs qui avaient subi un préjudice du fait du gouvernement nazi. Toutefois, le mois suivant, il s'en prenait aux commutations et aux réductions de peines qui avaient été accordées par les Etats-Unis à certains «criminels de guerre». (27)
On retrouve ensuite Kempner dans l'enquête de la Chambre des représentants, en 1952, sur le massacre de la forêt de Katyn, une atrocité russe bien connue. La manière dont le TMI l'a traitée jette une lumière crue sur le peu respect que mérite ce tribunal.
Le 13 avril 1943, les Allemands annoncèrent qu'ils avaient découvert dans la forêt de Katyn, près de la ville de Smolensk en Russie (à mi-chemin entre Minsk et Moscou), des fosses communes contenant des corps d'officiers polonais qui avaient été capturés par les Russes en 1939. Quatre jours plus tard, le ministre de la Défense du gouvernement polonais en exil à Londres annonça qu'il demandait à la Croix-Rouge internationale l'ouverture d'une enquête. Les Allemands appuyèrent cette demande mais les Russes s'y opposèrent, qualifiant les Polonais de Londres de «collaborateurs polonais de Hitler». Le 26 avril, ils rompirent leurs relations diplomatiques avec ce gouvernement à cause de cette affaire.
En raison de l'opposition des Russes, la Croix-Rouge renonça à participer à l'enquête. Cependant, le gouvernement allemand montra les charniers de Katyn à différents groupes de Polonais, à un groupe de représentants de la presse étrangère, à un groupe de journalistes allemands, à de petits groupes de prisonniers de guerre britanniques et américains, à une équipe technique de la Croix-Rouge polonaise et, c'est le plus important, à une commission internationale de médecine légale. La commission rendit ses conclusions dans un rapport qui démontrait que ces officiers polonais avaient été assassinés par les Russes avant le déclenchement de la guerre entre la Russie et l'Allemagne, en juin 1941.
Après la découverte des charniers, la propagande allemande, ne sachant pas combien de corps on allait y trouver mais connaissant le nombre approximatif d'officiers polonais qui auraient pu en être victimes, avança les chiffres de 10.000 et de 12.000 disparus et ce sont ces chiffres qui furent généralement répandus. C'est pourquoi, au TMI, l'accusation reprocha aux Allemands le meurtre de 11.000 officiers polonais à Katyn, bien qu'il ait été établi, au cours de l'année 1943, qu'on n'avait trouvé que 4.253 corps. Ce fait fut publié par le gouvernement allemand mais, naturellement, comme il contredisait leurs précédentes allégations, les Allemands ne donnèrent pas au chiffre exact une grande publicité.
Ce qui s'est produit au TMI, avec cette accusation, illustre l'absurdité de toute prétention de ce tribunal à se présenter comme une juridiction de droit. Le témoignage des membres de la commission d'experts était naturellement intéressant et c'est pourquoi les Russes présentèrent le professeur Marko Markov, citoyen et habitant de la Bulgarie, qui avait été l'un des signataires du rapport de la commission. La Bulgarie était alors passée sous contrôle soviétique, Markov avait changé d'avis et témoigna pour soutenir la position des Russes, affirmant que les Allemands l'avaient menacé pour qu'il approuve le rapport de la commission. (28)
L'avocat de Göring, d'autre part, demanda ce que le professeur F. Naville, président de la commission, soit appelé à la barre pour témoigner. On peut constater ici l'absence totale d'efficacité, de la part du tribunal, pour parvenir à la vérité, même s'il avait désiré le faire. Naville était un citoyen suisse, habitant à Genève, qu'on ne pouvait contraindre à témoigner et, de fait, il refusa de le faire. Les motifs en sont évidents. L'avocat du feld-maréchal Keitel demanda également que Naville, qui avait été aussi représentant de la Croix-Rouge internationale, réponde à certaines questions relatives à un sujet différent, posées par écrit, mais il semble que cet interrogatoire n'eut pas lieu. En raison de sa nature même, le TMI fut donc prévenu contre la comparution du type de témoin le plus digne de foi: le citoyen d'un pays qui avait été neutre pendant la guerre et indépendant après la guerre (je dis simplement que le TMI ne pouvait contraindre ces personnes à témoigner; nous avons vu que Burckhardt, le président de la Croix-Rouge, répondit volontairement pour la défense de Kaltenbrunner, à des questions écrites qu'on lui avait posées en Suisse). La défense appela finalement trois soldats allemands à témoigner (tout comme l'accusation, elle ne pouvait disposer que de trois témoins). (29)
La décision finale du tribunal à propos de Katyn fut une honte, indépendamment même des véritables faits concernant l'atrocité: on abandonna discrètement le sujet, qui n'apparaît pas dans le jugement. Les Allemands ne furent «déclarés» ni coupables ni innocents de cette atrocité russe. Le TMI étouffa toute l'affaire.
En 1952, la Chambre des Représentants des Etats-Unis enquêta sur le massacre de Katyn et, naturellement, chercha à savoir ce qui s'était passé à cet égard au TMI. La commission d'enquête créée dans ce but tint quelques audiences à Francfort, en Allemagne, en avril de la même année. La commission entendit, entre autres, des représentants de la défense et de l'accusation qui avaient officié au TMI. Pour représenter la partie allemande, la commission appela logiquement le Dr Otto Stahmer qui avait été l'avocat du principal accusé, Göring, celui des accusés qui avait insisté le plus sur cette affaire. Pour représenter le parquet américain, la commission choisit, et c'est surprenant, Robert M. W. Kempner. En examinent les débats on ne voit pas la raison pour laquelle Kempner devait être choisi pour ce rôle. Que Kempner semble avoir vécu en Allemagne à cette époque et que la commission ait naturellement pensé qu'il était commode qu'il vienne témoigner à Francfort n'explique rien. Le seul autre membre du parquet que la commission entendit au cours de ses auditions fut le juge Jackson mais sa comparution en novembre, à Washington, fut quelque peu cérémonielle et n'ajouta rien au dossier.
D'après les minutes des auditions publiques de Francfort, Kempner expliqua que le massacre de Katyn était, selon l'opinion des membres du parquet, «une affaire purement russe et ce sont les Russes qui s'en occupèrent dès le départ [...] Nous n'avions aucunement le droit d'intervenir». Néanmoins, après que l'audition des témoins, l'opinion générale était, selon Kempner, que Göring avait remporté une victoire sur ce point-là. L'absence de référence à Katyn dans le jugement mettait donc en cause l'intégrité des procès de Nuremberg. Les questions posées par les membres de la commission montrent de manière implicite qu'ils s'en étaient rendu compte. Kempner fut interrogé sur une éventuelle participation des procureurs américains aux tractations en coulisse concernant Katyn mais il en repoussa l'idée même. En réponse à certaines questions, il nia également qu'il y ait eu une «conspiration ou une tentative de collusion entre quelqu'un du côté américain et quelqu'un du côté russe». (30)
Le New York Times rapporta que le ton des auditions, à Francfort, était tel que «les principes régissant la procédure du procès de Nuremberg furent remis en cause. Des responsables américains présents aux auditions ont exprimé en privé une certaine inquiétude à ce sujet». (31) Le Chicago Tribune rapporta que Kempner avait reconnu, au cours d'une session secrète la nuit précédant les auditions publiques de Francfort, que l'équipe américaine de l'accusation au TMI détenait des preuves qui démontraient que c'étaient les Russes qui avaient commis les meurtres de Katyn.
La commission d'enquête sur le massacre de la forêt de Katyn conclut que le gouvernement américain avait dissimulé la vérité à propos de Katyn, à la fois pendant et immédiatement après la guerre. En particulier, un rapport du Lt.-Col. John H. Van Vliet, Jr., l'un des prisonniers de guerre américains à qui on avait fait voir les charniers, «disparut (par la suite) des archives de l'Armée ou du Département d'Etat». On découvrit également que la Federal Communications Commission avait intimidé les stations de radio pour qu'elles fassent taire les critiques à l'endroit des Russes. (32)
Après 1952, Kempner eut peu d'activités en rapport avec les nazis mais, avec le procès Eichmann, il recommença à s'en occuper et fut «consultant» du gouvernement israélien en vue de réunir des preuves pour le procès. Il fut désormais très actif. Il rédigea un article pour les Yad Vashem Studies sur les méthodes pour interroger les nazis dans les procès et publia un livre en allemand qui ressassait les vieux mythes de la propagande. En 1971, il approuva la condamnation du Lt. Calley et, en décembre 1972, il cautionna les «preuves» que Ladislas Farago avait rassemblées concernant la présence (supposée) de Martin Bormann en Argentine. Regrettant manifestement le bon vieux temps, Kempner déclara que les «Etats-Unis et leurs alliés devraient rouvrir le dossier Bormann dans le cadre du Tribunal Militaire International». (33) Bormann avait été jugé par contumace lors du TMI et condamné à mort. Il ne fut jamais retrouvé et l'on s'accorde maintenant à penser qu'il est mort à Berlin en 1945.
Concernant Kempner, on peut tirer trois conclusions principales de ce bref résumé de sa carrière, qui s'appuie entièrement sur des matériaux qui sont du domaine public. Premièrement, on pourrait le caractériser avec justesse comme un anti-nazi fanatique, attitude qui remonte aux années vingt, alors que les nazis n'étaient certainement pas plus criminels que d'autres groupes apparus sur une scène politique allemande, pleine de violence et de chaos (les communistes et les sociaux-démocrates disposaient également chacun d'une milice). L'anti-nazisme est de toute évidence la passion dévorante de Kempner. Deuxièmement, ce fut une figure extrêmement importante des procès que les Etats-Unis organisèrent à Nuremberg. Nous avons vu qu'il avait des responsabilités très importantes au TMI et qu'il fut considéré, plus tard, comme une sorte d'autorité sur ce qui s'y était passé. A la fin du TMI, la presse le décrivit comme «l'expert du juge Jackson sur les affaires allemandes» et «le chef des enquêtes [...] de Jackson». (34 ) Au TMN, il dirigea le parquet au procès de l'affaire la plus importante, la section politique du procès de la Wilhelmstrasse, et il se peut très bien qu'il ait été le personnage le plus important à Nuremberg, bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires pour éclaircir les véritables relations de pouvoir qui existaient parmi les membres du personnel de Nuremberg, si toutefois un tel éclaircissement est possible. James M. McHaney dirigea la division qui prépara les procès numéro 1, 4, 7, 8, 9 et 12. Taylor a évoqué d'autres personnages influents du TMN. (35 ) L'Encyclopedia Judaica décrit Kempner comme le «procureur en chef» des procès du TMN.
La troisième conclusion que l'on peut tirer est qu'il y existe d'excellentes raisons, tirées de faits de notoriété publique, de penser que Kempner a abusé du pouvoir qu'il avait dans les tribunaux militaires et a obtenu des «preuves» par des méthodes abusives, notamment des menaces et diverses formes de coercition. Le procès Stewart rend cette conclusion inévitable.
Tel est l'homme qui détenait le pouvoir de vie et de mort sur Eberhard von Thadden et Horst Wagner.
Notre digression sur Kempner s'achève. Nous sommes parvenu, dans notre analyse sur la Hongrie, à indiquer clairement les irrégularités dans la l'obtention des preuves dans le procès No 11. Il était donc nécessaire d'examiner deux sujets: qui s'occupait du procès No 11 et quel était le niveau d'intégrité des procédures à Nuremberg. C'est en examinant le premier sujet que nous avons pu établir de façon assez nette la vérité concernant le second point; une étude de la carrière de Kempner révèle tout ce qu'on a besoin de savoir pour évaluer la valeur des preuves produites lors des procès de Nuremberg.
Il est clair que si l'on veut soutenir l'authenticité des documents relatifs à une extermination en Hongrie, il faut fournir une histoire tarabiscotée dont nous pouvons à peine imaginer le scénario.
Une autre personne très concernée par les documents est Veesenmayer, qui fut un des accusé au procès de la Wilhelmstrasse et fut interrogé à propos de certains de ces documents. La position qu'il a adoptée dans son témoignage était fonction de son objectif qui était d'obtenir l'acquittement ou une peine légère. Sa tâche était de rendre compte de tout ce qui se passait en Hongrie et c'est pourquoi les mesures visant les juifs figuraient dans ses rapports. Ces mesures n'avaient cependant pas dans son esprit, à l'époque, l'importance qu'elles ont dans le nôtre aujourd'hui. Il expliqua qu'il recevait souvent vingt missions par jour et qu'en l'espace d'un mois il lui arrivait de recevoir des missions contradictoires. Ses rapports, dit-il, étaient évidemment préparés par des assistants; il les parcourait et les signait. Lorsqu'on lui montra des documents où il avait rapporté que deux convois, comprenant chacun deux mille juifs aptes au travail, avaient été envoyés à Auschwitz en avril 1944, et qu'on lui demanda si c'était exact, il fit observer qu'il n'en avait pas le souvenir précis mais que c'était «tout à fait possible», et qu'il n'avait jamais su ce qu'était Auschwitz. Lorsqu'on lui montra le NG-5567, où il rapportait que jusqu'au 17 juin, 326.009 juifs avaient été déportés de Hongrie, il fit également observer que c'était «tout à fait possible». En d'autres termes, il ne voulait en aucune façon s'impliquer dans ces questions en manifestant son accord ou son désaccord, à propos des faits allégués. S'il avait dit qu'il se souvenait clairement et en détail des déportations massives de juifs, selon les chiffres avancés, au printemps et à l'été 1944, il se serait alors retrouvé mêlé de ce fait aux exterminations en question. D'autre part, s'il avait nié que ces déportations de masse aient eu lieu, cela aurait voulu dire qu'il reconnaissait son implication dans ce qui s'était passé (quoi que ce fût) et il aurait également, par ce témoignage, lancé un défi à l'accusation et à la cour qu'il ne leur aurait pas été possible d'ignorer. D'où la logique de son témoignage. Il déclara qu'il était chargé de déplacer les juifs hors de Budapest en raison du risque de révolte, à mesure que les Russes approchaient. Interrogé avec insistance sur ce point, il expliqua que:
«En pratique, la question était: le front tiendra-t-il ou non ? Si Budapest se révolte, le front tout entier sera submergé [...] Si j'ai participé à ces conversations, et je ne nierai pas que c'est possible, alors j'y ai participé exclusivement d'un point de vue militaire. Que puis-je faire pour contenir le front de l'Est aussi longtemps que possible ? Seulement de ce point de vue».
Veesenmayer fut condamné à vingt ans d'emprisonnement mais il était libre au début de 1952. (36)
Il nous semble que c'est le bon moment pour attirer l'attention sur un fait que les nombreux auteurs qui ont écrit sur le sujet semblent en vérité avoir oublié. Une guerre faisait rage pendant la seconde guerre mondiale. Les Allemands pensaient aux moyens de la gagner et non à exterminer les juifs. L'affirmation du NG-2233 selon laquelle le programme d'extermination avait priorité sur les approvisionnements militaires pour les trains est complètement ridicule.
Que s'est-il passé en Hongrie ?
A propos de ce qui est réellement arrivé en Hongrie, notons que le Rapport de la Croix-Rouge dit que la politique allemande en 1944 était d'interner les juifs d'Europe de l'Est parce qu'ils posaient une menace pour la sécurité, à mesure que le front se rapprochait. Maintenant, il se peut que les documents rendant compte du regroupement et de la déportation de grands nombres de juifs hongrois soient exacts seulement en ce qui concerne le regroupement; telle était la politique dans les pays voisins. Néanmoins, il semble peu probable qu'on en ait regroupés quelque part près de quatre cent mille. Cela aurait représenté une opération gigantesque.
Il devrait être possible d'obtenir un tableau assez précis de ce qui est arrivé en Hongrie en complétant l'histoire de la Croix-Rouge par un examen des documents, tout en rejetant ceux qui sont des falsifications manifestes. Nous avons la chance de disposer de la série en deux volumes reproduisant une sélection de documents originaux, The Destruction of Hungarian Jews, publié par Randolph L.Braham; ces volumes remplacent commodément, pour le lecteur qui dispose de ressources financières normales, la série de documents eux-mêmes. En examinant les documents de ces deux volumes et en rejetant comme des falsifications ceux qui concernent les déportations de 400.000 juifs hongrois, une histoire vraisemblable se met en place. Le 14 avril 1944, la Hongrie donne son accord pour que 50.000 juifs employables soient déportés en Allemagne pour y travailler (p. 134, NG-1815). Le 19 avril, Veesenmayer demande des wagons de marchandises, dont l'obtention «rencontre les plus grandes difficultés», pour la déportation de 10.000 juifs employables fournis par les Hongrois (p. 138, NG-5546). Finalement, le 27 avril, Veesenmayer rend compte de l'envoi immédiat à Auschwitz de 4.000 juifs employables (p. 361, NG-5535). Toujours le 27 avril, Ritter rend compte des retards dans la déportation des 50.000, dus à un une pénurie de trains (p. 362, NG-2196). Plus tard, le 11 juillet, Veesenmayer rend compte de la difficulté qu'il y a à mener à bien la politique à l'égard des juifs en Hongrie, en raison d'attitudes plus clémentes en Roumanie et en Slovaquie (p. 194, NG-5586). Le 25 août, Veesenmayer parle de l'ordre de Himmler d'arrêter les déportations en Hongrie (p. 481, sans numéro de document) et, le 18 octobre, il rend compte des nouvelles mesures prises à l'encontre des juifs en Hongrie (p. 226, sans numéro de document). Voilà une histoire vraisemblable et qui, de plus, s'accorde avec le Rapport de la Croix-Rouge. On peut également faire remarquer qu'à propos de la Hongrie, les auteurs de la mystification ont, une fois encore, essayé de fournir une double interprétation à un fait parfaitement établi. Il y eut bien, en effet, des déportations de juifs hongrois au printemps 1944 à Auschwitz, entre autres endroits. Cependant, les déportations, dont le but était uniquement de fournir des travailleurs, furent sévèrement limitées par la désintégration du système ferroviaire et ne semblent pas avoir été effectuées selon le programme prévu à l'origine.
Il convient de dire ici quelques mots de l'affaire Joël Brand, cette proposition pour échanger des juifs hongrois contre des camions et d'autres fournitures.
La politique allemande avant la guerre, qui fut également maintenue dans une certaine mesure au début de la guerre, fut d'encourager l'émigration juive par tous les moyens. Cependant, après que le guerre se fut transformée en un vaste conflit, la politique changea et l'émigration de pays situés dans la sphère contrôlée par les Allemands devint très difficile. La principale raison en était, bien entendu, que ces juifs représentaient de la main-d'oeuvre qui pouvait et allait être utilisée contre l'Allemagne. Il y avait d'autres raisons, l'une des plus importantes étant que, pour essayer de semer la zizanie entre la Grande-Bretagne et les Arabes, les Allemands soutinrent ces derniers sur la question de l'immigration juive en Palestine. Ainsi, l'attitude allemande en vigueur dans la seconde moitié de la guerre était que l'émigration juive pouvait se poursuivre sur la base d'un échange: on échangeait des juifs, en particulier s'ils n'allaient pas en Palestine, contre des Allemands détenus à l'étranger. Nous avons vu que Belsen servait de camp de transit pour les juifs qui devaient être échangés.
L'affaire Brand comportait du côté allemand le même genre de calculs, la différence était dans la contrepartie. Les Allemands étaient disposés à laisser les juifs émigrer en échange des camions et d'autres fournitures. C'est pourquoi il n'y a rien d'invraisemblable dans l'affaire Brand, à condition que l'on comprenne bien que ce n'était pas la vie des juifs hongrois qui était en jeu.
Bien que le troc de Brand n'ait pas eu lieu, quelques très rares juifs furent autorisés par les Allemands et les Hongrois à émigrer de Hongrie en Suède, en Suisse et aux Etats-Unis, par exemple. Un assez grand nombre entrèrent illégalement en Roumanie et en Slovaquie en 1944, renversant le précédent mouvement d'immigration, en direction de la Hongrie. Les documents de la défense de Steengracht 75, 76, 77 et 87 donnent un tableau de la situation.
L'étude de la propagande de 1944 qui a été présentée dans ce chapitre montre qu'Auschwitz (ou Oswiecim) n'apparaît finalement comme camp d'extermination dans la propagande que dans la période qui suit immédiatement le débarquement, lorsque personne n'accordait la moindre attention à ces histoires. Plus tard, pendant l'été 1944, l'attention se porta sur le camp de Lublin que les Russes avaient pris à la fin juillet. On eut droit aux inepties habituelles de la propagande à propos des fours crématoires, au nombre de cinq, que l'on y trouva, du Zyklon, d'os (vraisemblablement humains), etc. Lublin demeura le principal camp d'extermination de la propagande pendant une une bonne partie de l'automne 1944. (37)
Peut-on croire à une pareille histoire ?
Ainsi s'achève notre analyse des accusations concernant
Auschwitz. Il est impossible d'y croire; les allégations
sont si ahurissantes dans leur absurdité qu'elles sont
même difficiles à résumer. On nous dit que
les nazis effectuaient des exterminations massives de juifs dans
le centre industriel d'Auschwitz, en employant pour ce faire le
Zyklon B, un insecticide très utilisé. Les 30 ou
46 fours crématoires d'Auschwitz, utilisés pour
incinérer les cadavres des très nombreux détenus
morts de mort naturelle, étaient également utilisés
pour faire disparaître, sans laisser de trace, les cadavres
de ces juifs exterminés. En tant que centre d'extermination,
Auschwitz était naturellement l'endroit où les juifs
hongrois étaient envoyés pour être exécutés.
Des convois de juifs enrôlés pour servir de main-d'oeuvre,
dont on avait désespérément besoin dans la
production militaire, étaient retardés afin de laisser
passer les juifs hongrois en route pour être exécutés
à Auschwitz. Les 46 fours crématoires qui existaient
à Auschwitz se révélèrent insuffisants
pour incinérer les gens qui arrivaient au rythme d'environ
dix mille par jour, si bien que les cadavres furent brûlés
en dehors, dans des fosses. Ce nettoyage des juifs hongrois échappa
à l'attention de la délégation de la Croix-Rouge
internationale à Budapest qui s'intéressait activement
aux affaires juives. Les preuves qui nous sont présentées
par le gouvernement américain pour tout ceci consistent
en des documents dont l'authenticité repose sur des visas
de spécialistes en matière de politique juive, Wagner
et von Thadden, qui sont incriminés également par
ces documents. Cependant, le gouvernement américain n'a
pas poursuivi devant la justice Wagner et von Thadden dans le
procès de la Wilhelmstrasse, où les réquisitoires
étaient entre les mains d'un homme qui haïssait depuis
toujours les nazis (Kempner) et où un avocat américain
avait mis en évidence le fait que les preuves avaient été
obtenues par la contrainte, tout comme il l'avait fait aux Etats-Unis,
lors d'un procès régulier, qui s'était tenu
à Washington, auquel Kempner participait.
Le gouvernement américain fut également incapable,
en dépit de ce qu'il affirma en 1944, d'intervenir de quelque
façon que ce soit dans le déroulement de ces événements
à Auschwitz ou même d'en faire des photographies.
Peut-on croire à une histoire pareille ?
NOTES
1 / . Croix-Rouge, 1948, vol. 3, p. 523.
2 / . Reitlinger, p. 512-513, Croix-Rouge, 1947, p. 99-100.
3 / Reitlinger, p. 176-177; Shirer, 1960, p. 991.
6 / Reitlinger, p. 447-487, 542; Hilberg, p. 509-554, 599-600.
7 / NG-2586-G in NMT, vol. 13, p. 212; NO-5194, partie du rapport Korherr, qui est reproduite dans Poliakov et Wulf, 1955, p. 240-248; NG-5620, cité par Hilberg, p. 513.
. 9 / Craven, p. 280-302, 641sq.; Carter (voy. "Auschwitz" dans l'Index).
12 / Reitlinger, p. 421-422; Hilberg, p. 528; Rassinier, 1962, p. 229-230; Sachar, p. 463-464; John et Hadawi, vol. 2, p. 36n.
13 / TMI, vol. 4, p. 355-373; U.S. Chief of Counsel, vol. 8, p. 606-621.
14 / NMT, vol. 14, p. 1023, 1027.
15 / New York Times, 26 février 1947, p. 4; Hilberg, p. 350sq.; NMT, vol. 14, p. 1057sq.; Steengracht p. 86.
17 / Hilberg, p. 714, 715; Reitlinger, p. 443, 566, 567; Eichmann, séance 85, A1, B1, O1-R1; Times(de Londres), 20 novembre 1964, p. 16; New York Times, 20 novembre 1964, p. 8; Daily Telegraph (de Londres), 7 novembre 1975, section magazine, p. 17.
18 / New York Times, 22 février 1940, p. 22; 26 août 1940, p. 17; 30 mars 1944, p. 6; 14 novembre 1945, p. 8; 17 janvier 1946, p. 14; Select Committee, p. 1534-1535; Current Biography(1943), p. 370; Who's Who in World Jewry, 1965, p. 498.
19 / Kempner, p . 1-12; New York Times, 28 septembre 1941, sec.2, p. 6; 20 janvier 1945, p. 10.
20 / R. H. Smith , p. 217, 222; Yad Vashem Studies, vol. 5, p. 44; New York Times, 6 octobre 1946, sec.6, p. 8; 7 octobre 1946, p. 2; 18 mars 1947, p. 4; Select Committee, p. 1536, 1539.
21 / Current Biography, 1948, p. 533-534; New York Times, 7 février 1943, p. 34.
22 / Current Biography, 1948, p. 534; New York Times, 14 octobre 1946, p. 44; 23 octobre 1946, p. 8; 26 octobre 1946, p. 1; 27 octobre 1946, p. 16; 3 novembre 1946, p. 13; Newsweek, 4 novembre 1946, p. 26.
23 / New York Times, 12 mars 1947, p. 6; 13 mars 1947, p. 17; 14 mars 1947, p. 12; 15 mars 1947, p. 11; 18 mars 1947, p. 4; 19 mars 1947, p. 5; 26 mars 1947, p. 4; Chicago Tribune, 19 mars 1947, p. 20.
24 / Utley, p. 172, 177; Gaus (transcription du procès No 11, p. 5123-5167) nia qu'il y ait eu contrainte mais, comme Magee le déclara devant le tribunal, "nous avons les questions et les réponses qu'a données le témoin" pendant l'interrogatoire en question. Les déclarations de von Thadden et de Häbliger ont été faites respectivement pendant les séances du 3 mars et du 11 mai 1948, et les parties correspondantes des débats du procès sont citées par Bardèche, p. 120sq., qui donne d'autres exemples de contrainte et d'intimidation de témoins à Nuremberg.
25 / New York Times, 8 novembre 1947, p. 10; 4 avril 1948, p. 46; Nation, 27 mai 1950, p. 528; 2 décembre 1950, p. 499.
26 / New York Times, 17 décembre 1949, p. 1; 22 juillet 1950, p. 32.
27 / New York Times, 30 septembre 1949, p. 21; 12 janvier 1951, p. 7; 2 février 1951, p. 8.
30 / Select Committee, p. 1536-1548.
31 / New York Times, 25 avril 1952, p. 5; Chicago Tribune, 24 avril 1952, pt. 4, p. 1.
32 : New York Times, 15 novembre 1952, p. 2; 23 décembre 1952, p. 1.
33 / Encyclopedia Judaica, vol. 10, p. 904; New York Times, 31 mars 1971, p. 1; 5 décembre 1972, p. 16.
34 / New York Times, 6 octobre 1946, sec. 6, p. 8; 7 octobre 1946, p. 2.
35 / Taylor, 15 août 1949, p. 38+
36 / NMT, vol. 13, p. 487-508; Reitlinger, p. 566.
37 / La propagande sur Lublin (Maidanek) est apparue dans Life, 28 août 1944, p. 34; 18 septembre 1944, p. 17; Newsweek, 11 septembre 1944, p. 64; Reader's Digest, novembre 1944, p. 32; Time, 21 août 1944, p. 36; 11 septembre 1944, p. 36; Sat. Rev. Lit., 16 septembre 1944, p. 44.
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