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Après avoir, pendant plus d'un demi-siècle, publié mes ouvrages chez les plus grands éditeurs français, je suis contraint d'éditer aujourd'hui en samizdat, à compte d'auteur, cette anthologie de l'hérésie sioniste, parce que j'ai, depuis 1982, violé un tabou: la critique de la politique israélienne, défendue désormais par la loi scélérate Gayssot-Fabius du 13 juillet 1990, qui restaure en France le délit d'opinion du Second Empire, en suppléant par une loi répressive à la carence des arguments.
C'est pourquoi les libraires qui entendent continuer à faire leur métier doivent passer leurs commandes à la Librairie du Savoir, Librairie Roumaine de Paris, qui a accepté le dépôt de ce samizdat comme elle le faisait au temps de Ceaucescu où régnait déjà -- mais ailleurs qu'en France -- la pensée unique et le terrorisme intellectuel.
R.G.
POURQUOI CE LIVRE?
Les intégrismes, générateurs de violences et de guerres, sont une maladie mortelle de notre temps.
Ce livre fait partie d'une trilogie que j'ai consacrée à les combattre:
Grandeur et décadence de l'Islam, dans lequel je dénonce l'épicentre de l'intégrisme musulman: l'Arabie Saoudite. J'y ai désigné le Roi Fahd, complice de l'invasion américaine au Moyen-Orient, comme "prostituée politique", qui fait de l'islamisme une maladie de l'Islam.
Deux ouvrages consacrés à l'intégrisme catholique romain qui, tout en prétendant "défendre la vie", disserte sur l'embryon, mais se tait lorsque 13 millions et demi d'enfants meurent chaque année de malnutrition et de faim, victimes du "monothéisme du marché" imposé par la domination américaine. Ces ouvrages s'intitulent: Avons-nous besoin de Dieu? et Vers une guerre de religion? (contre le monothéisme du marché).
Le troisième volet du triptyque: Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, dénonce l'hérésie du sionisme politique qui consiste à substituer au Dieu d'Israël l'Etat d'Israël, porte-avions nucléaire et insubmersible des provisoires maîtres du monde: Les Etats-Unis, qui entendent s'approprier les pétroles du Moyen-Orient, nerf de la croissance à l'occidentale. (Modèle de "croissance" qui, par le truchement du F.M.I., coûte au Tiers Monde l'équivalent en morts d'un Hiroshima tous les deux jours).
Depuis Lord Balfour, déclarant, lorsqu'il livrait aux sionistes un pays qui ne lui appartenait pas: "Peu importe le système mis en oeuvre pour que nous conservions le pétrole du Moyen-Orient. Il est essentiel que ce pétrole demeure accessible." (Kimhe John, Palestine et Israël. Ed. Albin Michel. 1973, p. 27), jusqu'au secrétaire d'Etat américain, Cordell Hull: "Il faut bien comprendre que le pétrole d'Arabie Saoudite constitue l'un des plus puissants leviers du monde" (ibidem, p. 240), une même politique assigne la même mission aux dirigeants sionistes israéliens, celle qu'a définie Joseph Luns, ancien secrétaire général de l'O.T.A.N.: "Israël a été le mercenaire le moins coûteux de notre époque moderne." (Nadav Shragaï, Haaretz du 13 mars 1992).
Un mercenaire pourtant bien payé puisque, par exemple, de 1951 à 1959, deux millions d'Israéliens ont reçu, par tête, cent fois plus que deux milliards d'habitants du Tiers Monde; et surtout mercenaire bien protégé: de 1972 à 1996, les Etats-Unis ont opposé trente fois leur veto, aux Nations Unies, à toute condamnation d'Israël, alors que ses dirigeants appliquaient leur programme de désintégration de tous les Etats du Moyen-Orient, programme exposé par la revue Kivounim (Orientations) , février 1982, p. 50 à 59, à l'époque de l'invasion du Liban. Cette politique repose, grâce à l'appui inconditionnel des Etats-Unis, sur l'idée que la loi internationale est un "chiffon de papier" (Ben Gourion), et que par exemple, les résolutions 242 et 338 des Nations Unies, qui exigent qu'Israël se retire de la Cisjordanie et du Golan, sont destinées à rester lettre morte, de même que la condamnation unanime de l'annexion de Jérusalem, que même les Etats-Unis votèrent, mais en excluant toute sanction.
Une politique aussi inavouable en son fond exige le camouflage que mon livre a pour objet de dévoiler.
D'abord, une prétendue justification "théologique" des agressions par une lecture intégriste des textes révélés, transformant le mythe en histoire: le grandiose symbole de la soumission inconditionnelle d'Abraham à la volonté de Dieu, et sa bénédiction de "toutes les familles de la terre", transformé en son contraire tribal : la terre conquise devenant "terre promise", comme chez tous les peuples du Moyen-Orient, de la Mésopotamie aux Hittites et à l'Egypte.
Il en est de même pour l'Exode, cet éternel symbole de la libération des peuples contre l'oppression et la tyrannie, invoqué aussi bien par le Coran (XLIV, 31-32) que par les actuels "théologiens de la libération". Alors qu'il s'adresse à tous les peuples fidèles à la volonté d'un Dieu Universel, il devient un miracle unique, et le privilège qu'aurait accordé un Dieu partiel et partial à un peuple élu, comme dans toutes les religions tribales et tous les nationalismes, qui prétendent être le peuple élu dont la mission serait d'accomplir la volonté de Dieu: Gesta Dei per Francos, pour les Français, Gott mit uns, pour les Allemands, Faire Christ Roi, pour Franco, In God we trust, blasphème inscrit sur chaque dollar, dieu tout puissant du monothéisme de l'argent et du marché.
Et puis une mythologie plus moderne: celle de l'Etat d'Israël qui serait "la réponse de Dieu à l'Holocauste", comme si Israël était le seul refuge des victimes de la barbarie de Hitler, alors qu'Itzac Shamir lui-même (qui offrait son alliance à Hitler jusqu'à son arrestation par les Anglais, pour collaboration avec l'ennemi et terrorisme) écrit: "Contrairement à l'opinion commune, la plupart des immigrants israéliens n'étaient pas les restes survivants de l'Holocauste, mais des Juifs de pays arabes, indigènes à la région." (Itzac Shamir, Looking back, looking ahead. 1987, p. 574).
Il fallait donc gonfler les chiffres des victimes. Par exemple, la plaque commémorative du monument d'Auschwitz disait, en dix-neuf langues, jusqu'en 1994: quatre millions de victimes. Les nouvelles plaques proclament aujourd'hui: "environ un million et demi". Il fallait faire croire, avec le mythe des six millions, que l'humanité avait assisté là "au plus grand génocide de l'histoire", en oubliant 60 millions d'indiens d'Amérique, cent millions de Noirs (10 tués pour un captif), oubliant même Hiroshima et Nagasaki, et les cinquante millions de morts de cette deuxième guerre mondiale, dont 17 millions de slaves, comme si l'hitlérisme n'avait été qu'un vaste pogrom et non pas un crime contre l'humanité entière. Serait-on antisémite pour dire que les juifs ont été très durement frappés, mais qu'ils ne furent pas les seuls, sous prétexte que la télévision ne parle que de ces victimes mais pas des autres?
En outre, pour compléter le camouflage, il fallait, par un nom théologique: "Holocauste", donner un caractère sacrificiel à ces massacres réels, et les insérer en quelque sorte dans le plan divin, comme par exemple la crucifixion de Jésus.
Notre livre n'a d'autre objet que de dénoncer ce camouflage idéologique d'une politique, pour empêcher qu'on la confonde avec la grande tradition des prophètes d'Israël. Avec mon ami Bernard Lecache, fondateur de la L.I.C.A. (devenue la L.I.C.R.A.) déporté dans le même camp de concentration que moi, nous apprenions, en des cours du soir, à nos compagnons, la grandeur, l'universalisme, et la puissance libératrice de ces prophètes juifs.
A ce message prophétique, je n'ai jamais cessé d'être fidèle, même lorsqu'après 35 ans de militantisme au Parti communiste, et membre de son Bureau politique, j'en étais exclu, en 1970, pour avoir dit, dés 1968: "L'Union Soviétique n'est pas un pays socialiste". Comme je dis aujourd'hui: La théologie de la domination de la Curie romaine n'est pas fidèle au Christ, l'Islamisme trahit l'Islam, et le sionisme politique est aux antipodes du grand prophétisme juif.
Déjà, lorsqu'au temps de la guerre du Liban, en 1982, avec le Père Lelong, le Pasteur Matthiot, et Jacques Fauvet, nous étions traduits en justice par la L.I.C.R.A. pour avoir montré, dans Le Monde du 17 juin 1982, avec la bienveillance de son directeur, que l'invasion du Liban était dans la logique du sionisme politique, le tribunal de Paris par jugement du 24 mars 1983, confirmé en appel, puis définitivement par la Cour de Cassation, "considérant qu'il s'agit de la critique licite de la politique d'un Etat et de l'idéologie qui l'inspire, et non de provocation raciale... la déboute {la L.I.C.R.A.} de toutes ses demandes, et la condamne aux dépens."
Le présent livre est strictement fidèle à notre critique politique et idéologique d'alors, même si la loi scélérate du "communiste" Gayssot a voulu renforcer, depuis lors, la répression contre la liberté d'expression en faisant du jugement de Nuremberg le critère de la vérité historique et en instituant un "délit d'opinion". Ce projet de loi fut combattu à l'Assemblée Nationale d'alors par l'actuel ministre de la Justice.
Nous pensons apporter une contribution à la lutte pour une paix véritable, fondée sur le respect de la vérité et de la loi internationale.
Courageusement, en Israël même, des juifs fidèles à leur prophètes, de "nouveaux historiens" de l'Université hébraïque de Jérusalem, et les partisans israéliens d'une paix juste, après la révélation de leur malfaisance, pour l'Etat d'Israël lui-même, et pour la paix du monde, s'interrogent sur les "mythes" du sionisme politique qui ont conduit aux assassinats commis par Baruch Goldstein à Hébron, et par Ygal Amir contre le Premier ministre Ytzhak Rabin.
La vérité est en marche, et rien ne l'arrêtera.
Le terrorisme intellectuel d'un "lobby" déjà dénoncé par le Général de Gaulle pour "son influence excessive sur l'information" m'a conduit, en France, à procéder à une pré-publication de ce texte dans un numéro spécial hors commerce, réservé aux abonnés, d'une revue. Ce fait, expression de la situation en France, semble avoir beaucoup plus retenu l'attention des commentateurs que le contenu de mon texte.
Je le publie donc aujourd'hui moi-même, sous ma seule responsabilité, sous forme de Samizdat, au sens strict de ce terme qui signifie en russe: "édité par soi-même"
Ce livre est déjà traduit et en cours de publication aux Etats-Unis, en Italie, au Liban, en Turquie, au Brésil. Il est en cours de traduction en allemand et en russe.
Le texte français est accessible sur le réseau télématique Internet.
Contre les mythologies dévoyées, ce sera une nouvelle contribution à l'histoire critique du monde contemporain.
1. Le mythe de la "promesse": terre promise ou terre conquise?
-- Dans l'exégèse chrétienne contemporaine.
-- Dans l'exégèse prophétique juive.
3. Le mythe de Josué: la purification ethnique
II -- Les mythes du XXe siècle
1 -- Le mythe de l'antifascisme sioniste.
2 -- Le mythe de la justice de Nuremberg.
3 -- Le mythe des "six millions" (l'Holocauste)
4 -- Le mythe de "la terre sans peuple pour un peuple sans terre".
III -- L'utilisation politique du mythe
1 -- Le lobby israélo-sioniste aux Etats-Unis.
2 -- Le lobby israélo-sioniste en France.
3 -- Le mythe du miracle israélien: le financement extérieur.
Annexe: Les Nouveaux historiens en Israël.
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Ce livre est l'histoire d'une hérésie.
Celle qui consiste, par une lecture littérale et sélective d'une parole révélée, à faire de la religion l'instrument d'une politique en la sacralisant.
C'est une maladie mortelle de cette fin de siècle que j'ai définie déjà dans Intégrismes.
Je l'ai combattue chez les musulmans dans Grandeur et décadences de l'Islam, au risque de déplaire à ceux qui n'aimaient pas que je dise: " L'Islamisme est une maladie de l'Islam."
Je l'ai combattue chez les chrétiens dans Vers une guerre de religion, au risque de déplaire à ceux qui n'aimaient pas que je dise: "Le Christ de Paul n'est pas Jésus."
Je la combats aujourd'hui chez les Juifs dans Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, au risque de m'attirer les foudres des israélo-sionistes qui déjà n'aimaient pas que le Rabbin Hirsh leur rappelle: "Le sionisme veut définir le peuple juif comme une entité nationale... C'est une hérésie."
Source: Washington Post du 3 octobre 1978.
Qu'est-ce que le sionisme, qui est dénoncé dans mon livre (et non pas la foi juive)?
Il s'est souvent défini lui-même:
1· C'est une doctrine politique.
"Depuis 1896, sionisme se rapporte au mouvement politique fondé par Théodore Herzl."
Source: Encyclopaedia of Zionism and Israël. Herzl Press. New-York 1971, volume II, p. 1262.
2· C'est une doctrine nationaliste qui n'est pas née du judaïsme mais du nationalisme européen du XIXe siècle. Le fondateur du sionisme politique, Herzl, ne se réclamait pas de la religion: "Je n'obéis pas à une impulsion religieuse."
Source: Th. Herzl: Diaries (Mémoires). Ed. Victor Gollancz. 1958.
"Je suis un agnostique" (p. 54)
Ce qui l'intéresse, n'est pas particulièrement la terre sainte: il accepte aussi bien, pour ses objectifs nationalistes, l'Ouganda ou la Tripolitaine, Chypre ou l'Argentine, le Mozambique ou le Congo.
Source: Herzl, Diaries. (passim)
Mais devant l'opposition de ses amis de foi juive, il prend conscience de l'importance de la puissante légende ("mighty legend"), comme il le dit (Diaries I, p?6) qui "constitue un cri de ralliement d'une irrésistible puissance."
Source: Herzl, L'Etat juif, p. 45.
C'est un slogan mobilisateur que ce politique éminemment réaliste ne saurait ignorer. Aussi proclame-t-il, transposant la puissante légende du retour en réalité historique: "La Palestine est notre inoubliable patrie historique... ce nom seul serait un cri de ralliement puissant pour notre peuple."
Source: Herzl, L'Etat juif, p. 209.
"La question juive n'est pour moi ni une question sociale, ni une question religieuse..., c'est une question nationale."
3· C'est une doctrine coloniale. Là encore le lucide Théodore Herzl ne cache pas ses objectifs: comme première étape, réaliser une "Compagnie à charte", sous protection de l'Angleterre ou de toute autre puissance, en attendant d'en faire l'Etat juif.
C'est pourquoi il s'adresse à celui qui s'est révélé le maître de ce genre d'opération: le trafiquant colonial Cecil Rhodes, qui, de sa Compagnie à charte, sut faire une Afrique du Sud, l'une de ses composantes s'appelant de son nom: la Rhodésie.
Théodore Herzl lui écrit, le 11 janvier 1902:
"Je vous en prie, envoyez-moi un texte disant que vous avez examiné mon programme et que vous l'approuvez. Vous vous demanderez pourquoi je m'adresse à vous, Monsieur Rhodes. C'est parce que mon programme est un programme colonial."
Source: Herzl, Tagebuch. Vol. III, p. 105.
Doctrine politique, nationaliste, coloniale, telles sont les trois caractéristiques définissant le sionisme politique tel que le fit triompher au Congrès de Bâle, en août 1897, Théodore Herzl, son génial et machiavélique fondateur, qui pouvait dire, avec juste raison au terme de ce Congrès: "J'ai fondé l'Etat juif."
Source: Diaries, p. 224.
Un demi-siècle plus tard c'est en effet cette politique qu'appliqueront très exactement ses disciples créant, selon ses méthodes et suivant sa ligne politique, l'Etat d'Israël (au lendemain de la Deuxième guerre mondiale.)
Mais cette entreprise politique, nationaliste et colonialiste, n'était nullement sur le prolongement de la foi et de la spiritualité juives.
Au moment même du Congrès de Bâle qui n'avait pu se tenir à Munich (comme le prévoyait Herzl) en raison de l'opposition de la communauté juive allemande, se tenait en Amérique la Conférence de Montréal (1897) où, sur la proposition du Rabbin Isaac Meyer Wise, la personnalité juive la plus représentative de l'Amérique d'alors, fut votée une motion qui opposait radicalement deux lectures de la Bible, la lecture politique et tribale du sionisme et la lecture spirituelle et universaliste des Prophètes.
"Nous désapprouvons totalement toute initiative visant à la création d'un Etat juif. Des tentatives de ce genre mettent en évidence une conception erronée de la mission d'Israël... que les Prophètes juifs furent les premiers à proclamer... Nous affirmons que l'objectif du judaïsme n'est ni politique, ni national, mais spirituel... Il vise une époque messianique où tous les hommes reconnaîtront appartenir à une seule grande communauté pour l'établissement du Royaume de Dieu sur la terre."
Source: Conférence centrale des Rabbins américains. Yearbook VII, 1897, p. XII.
Telle fut la première réaction des organisations juives depuis "L'Association des rabbins d'Allemagne", jusqu'à "l'Alliance Israélite universelle de France", "l'Israelitische Allianz" d'Autriche, de même que les Associations juives de Londres.
Cette opposition au sionisme politique, inspirée par l'attachement à la spiritualité de la foi juive, n'a cessé de s'exprimer, même lorsqu'à la suite de la Deuxième guerre mondiale, profitant une fois de plus, à l'O N U, des rivalités entre nations, et surtout de l'appui inconditionnel des Etats-Unis, le sionisme israélien parvint à s'imposer comme force dominante et, grâce à ses lobbies, à inverser la tendance et à faire triompher, même dans l'opinion, la politique israélo-sioniste de puissance, contre l'admirable tradition prophétique. Il ne parvint pourtant pas à étouffer la critique des grands spirituels.
Martin Buber, l'une des plus grandes voix juives de ce siècle, n'a cessé, pendant toute sa vie, et jusqu'à sa mort en Israël, de dénoncer la dégénérescence et même l'inversion du sionisme religieux en sionisme politique.
Martin Buber déclarait à New York: "Le sentiment que j'éprouvais, il y a soixante ans, lorsque je suis entré dans le mouvement sioniste, est essentiellement celui que j'éprouve aujourd'hui... J'espérais que ce nationalisme ne suivrait pas le chemin des autres -- commençant par une grande espérance -- et se dégradant ensuite jusqu'à devenir un égoïsme sacré, osant même, comme Mussolini, se proclamer sacro egoïsmo, comme si l'égoïsme collectif pouvait être plus sacré que l'égoïsme individuel. Lorsque nous sommes retournés en Palestine, la question décisive fut: Voulez-vous venir ici comme un ami, un frère, un membre de la communauté des peuples du Proche-Orient, ou comme les représentants du colonialisme et de l'impérialisme?
La contradiction entre le but et les moyens pour l'atteindre a divisé les sionistes: les uns voulaient recevoir des Grandes Puissances des privilèges politiques particuliers, les autres, surtout les jeunes, voulaient seulement qu'on leur permette de travailler en Palestine avec leurs voisins, pour la Palestine et pour l'avenir...
Tout ne fut pas toujours parfait dans nos rapports avec les Arabes, mais il y avait, en général, bon voisinage entre village juif et village arabe.
Cette phase organique de l'établissement en Palestine dura jusqu'à l'époque d'Hitler.
C'est Hitler qui a poussé des masses de juifs à venir en Palestine, et non pas une élite qui venait accomplir leur vie et préparer l'avenir. Ainsi, à un développement organique sélectif a succédé une immigration de masse avec la nécessité de trouver une force politique pour sa sécurité... La majorité des juifs a préféré apprendre d'Hitler que de nous... Hitler a montré que l'histoire ne suit pas le chemin de l'esprit, mais celui du pouvoir, et que lorsqu'un peuple est assez fort, il peut tuer avec impunité... Telle est la situation que nous avions à combattre... Au "Ihud" nous proposons... que Juifs et Arabes ne se contentent pas de coexister mais de coopérer... Cela rendrait possible un développement économique du Proche-Orient, grâce auquel le Proche-Orient pourrait apporter une grande, une essentielle contribution à l'avenir de l'humanité."
Source: Jewish Newsletter du 2 juin 1958.
S'adressant au XIIe Congrès sioniste à Karlsbad, le 5 septembre 1921, il disait: "Nous parlons de l'esprit d'Israël, et nous croyons n'être pas semblables aux autres nations... Mais si l'esprit d'Israël n'est rien de plus que la synthèse de notre identité nationale, rien de plus qu'une belle justification de notre égoïsme collectif... transformé en idole, nous qui avons refusé d'accepter tout prince autre que le Seigneur de l'univers, alors nous sommes comme les autres nations, et nous buvons avec elles à la coupe qui les enivre. La nation n'est pas la valeur suprême... Les juifs sont plus qu'une nation: les membres d'une communauté de foi.
"La religion juive a été déracinée, et ceci est l'essence de la maladie dont le symptôme fut la naissance du nationalisme juif au milieu du XIXe siècle. Cette forme nouvelle du désir de la terre est l'arrière-fond qui marque ce que le judaïsme national moderne a emprunté au nationalisme moderne de l'Occident...
"Qu'est-ce-que l'idée "d'élection" d'Israël a à faire en tout cela? "l'élection" ne désigne pas un sentiment de supériorité, mais un sens de la destinée. Ce sentiment ne naît pas d'une comparaison avec les autres, mais d'une vocation et d'une responsabilité d'accomplir une tâche que les prophètes n'ont cessé de rappeler: si vous vous vantez d'être choisis au lieu de vivre dans l'obéissance à Dieu, c'est une forfaiture ."
Evoquant cette "crise nationaliste" du sionisme politique qui est perversion de la spiritualité du judaïsme, il concluait:
"Nous espérions sauver le nationalisme juif de l'erreur de faire d'un peuple une idole. Nous avons échoué."
Source: Martin Buber, Israel and the world. Ed. Schocken, New-York, 1948, p. 263.
Le Professeur Judas Magnes, Président de l'Université hébraïque de Jérusalem depuis 1926, considérait que le "Programme de Biltmore" de 1942, exigeant la création d'un Etat Juif en Palestine "conduirait à la guerre contre les Arabes.".
Source: Norman Bentwich. For Sion sake. Biographie de Judas Magnes. Philadelphie. Jewish Publication society of America. 1954. p. 352.
Prononçant, à la rentrée de 1946, le discours d'ouverture de cette Université hébraïque de Jérusalem qu'il présidait depuis 20 ans il disait:
"La nouvelle voix juive parle par la bouche des fusils... Telle est la nouvelle Thora de la terre d'Israël. Le monde a été enchaîné à la folie de la force physique. Le ciel nous garde d'enchaîner maintenant le judaïsme et le peuple d'Israël à cette folie. C'est un judaïsme païen qui a conquis une grande partie de la puissante diaspora. Nous avions pensé, au temps du sionisme romantique, que Sion devait être racheté par la droiture. Tous les juifs d'Amérique portent la responsabilité de cette faute, de cette mutation... même ceux qui ne sont pas d'accord avec les agissements de la direction païenne, mais qui restent assis, les bras croisés. L'anesthésie du sens moral conduit à son atrophie."
Source: Ibidem, p. 131.
En Amérique, en effet, depuis la Déclaration de Biltmore, les dirigeants sionistes avaient désormais le plus puissant protecteur: les Etats-Unis. L'Organisation sioniste mondiale avait balayé l'opposition des juifs fidèles aux traditions spirituelles des prophètes d'Israël, et exigé la création, non plus d'un "foyer national juif en Palestine", selon les termes (sinon l'esprit) de la Déclaration Balfour de la précédente guerre, mais la création d'un Etat juif de Palestine.
Déjà, en 1938, Albert Einstein avait condamné cette orientation:
"Il serait, à mon avis, plus raisonnable d'arriver à un accord avec les Arabes sur la base d'une vie commune pacifique que de créer un Etat juif... La conscience que j'ai de la nature essentielle du judaïsme se heurte à l'idée d'un Etat juif doté de frontières, d'une armée, et d'un projet de pouvoir temporel, aussi modeste soit-il. Je crains les dommages internes que le judaïsme subira en raison du développement, dans nos rangs, d'un nationalisme étroit... Nous ne sommes plus les juifs de la période des Macchabées. Redevenir une nation, dans le sens politique du mot, équivaudrait à se détourner de la spiritualisation de notre communauté que nous devons au génie de nos prophètes."
Source: Rabbin Moshé Menuhin: The Decadence of Judaism in our time. 1969, p. 324.
Les rappels n'ont pas manqué lors de chaque violation, par Israël, de la loi internationale.
Pour ne citer que deux exemples, où il fut dit à haute voix ce que des millions de juifs pensent -- mais sans pouvoir le dire publiquement sous l'inquisition intellectuelle des lobbies israélo-sionistes: en 1960, lors du procès d'Eichmann à Jérusalem l'American Council for judaism déclarait:
"Le Conseil américain du Judaïsme a adressé hier lundi une lettre à M. Christian Herter pour dénier au gouvernement israélien le droit de parler au nom de tous les Juifs.
Le Conseil déclare que le Judaïsme est une affaire de religion et non de nationalité."
Source: Le Monde, du 21 juin 1960.
Le 8 juin 1982, le Professeur Benjamin Cohen, de l'Université de Tel-Aviv, lors de l'invasion sanglante des Israéliens au Liban, écrit à P. Vidal-Naquet:
"Je vous écris en écoutant le transistor qui vient d'annoncer que "nous" sommes en train d'atteindre notre objectif" au Liban: assurer "la paix" aux habitants de Galilée. Ces mensonges dignes de Goebbels me rendent fou. Il est clair que cette guerre sauvage, plus barbare que toutes les précédentes, n'a rien à voir, ni avec l'attentat de Londres, ni avec la sécurité de la Galilée... Des juifs, fils d'Abraham... Des juifs victimes eux-mêmes de tant de cruautés, peuvent-ils devenir tellement cruels?... Le plus grand succès du sionisme n'est donc que ceci: la "déjudaïsation"... des juifs.
Faites, chers amis, tout ce qui est en votre pouvoir pour que les Begin et les Sharon n'atteignent pas leur double objectif: la liquidation finale (expression à la mode ici ces jours-ci) des Palestiniens en tant que peuple et des Israéliens en tant qu'êtres humains".
Source: Lettre publiée dans Le Monde du 19 juin 1982. p. 9.
"Le professeur Leibowitz, traite la politique israélienne au Liban de judéo-nazie."
Source: Yediot Aharonoth, 2 juillet 1982, p. 6.
Tel est l'enjeu de la lutte entre la foi juive prophétique et le nationalisme sioniste, fondé, comme tout nationalisme, sur le refus de l'autre et la sacralisation de soi.
Tout nationalisme a besoin de sacraliser ses prétentions: après la dislocation de la chrétienté, les Etats-nations ont eu chacun la prétention d'avoir recueilli l'héritage du sacré et d'avoir reçu l'investiture de Dieu:
La France, est la "Fille aînée de l'Eglise", par laquelle s'accomplit l'action de Dieu (Gesta Dei per Francos). L'Allemagne est "au-dessus de tout" parce que Dieu est avec elle (Gott mit uns). Eva Peron proclame que "la Mission de l'Argentine est d'apporter Dieu au monde", et, en 1972, le Premier ministre de l'Afrique du Sud, Vorster, célèbre par le racisme sauvage de "l'apartheid", vaticine à son tour: "N'oublions pas que nous sommes le peuple de Dieu, investi d'une mission"... Le nationalisme sioniste partage cette ivresse de tous les nationalismes.
Même les plus lucides se laissent tenter par cette "ivresse".
Même un homme comme le Professeur André Neher, dans son beau livre: L'essence du prophétisme (Ed. Calmann-Lévy. 1972. p. 311.) après avoir si bien évoqué le sens universel de l'Alliance: alliance de Dieu avec l'homme, en arrive à écrire qu'Israël est "le signe, par excellence, de l'histoire divine dans le monde. Israël est l'axe du monde, il en est le nerf, le centre, le coeur." (p. 311)
De tels propos évoquent fâcheusement le "mythe aryen" dont l'idéologie fonda le pangermanisme et l'hitlérisme. Dans cette voie l'on est aux antipodes de l'enseignement des Prophètes et de l'admirable Je et Tu de Martin Buber.
L'exclusivisme interdit le dialogue: l'on ne peut "dialoguer" ni avec Hitler, ni avec Begin, puisque leur supériorité raciale ou leur alliance exclusive avec le divin ne leur laisse plus rien à attendre de l'autre.
Parce que nous avons conscience qu'à notre époque il n'existe d'autre alternative que le dialogue ou la guerre, et que le dialogue exige, comme nous ne cessons de le répéter, que chacun ait, au départ, conscience de ce qui manque à sa propre foi, et qu'il a besoin de l'autre pour combler en soi ce vide qui est la condition de tout dépassement et de tout désir de plénitude (qui est l'âme de toute foi vivante.)
Notre anthologie du crime sioniste se situe dans le prolongement des efforts de ceux des Juifs qui ont tenté de défendre un judaïsme prophétique contre un sionisme tribal.
Ce qui nourrit l'antisémitisme, ce n'est pas la critique de la politique d'agression, d'imposture et de sang du sionisme israélien, c'est le soutien inconditionnel de cette politique qui ne retient, des grandes traditions du judaïsme, que ce qui justifierait, par une interprétation littéraliste, cette politique, et l'élèverait au-dessus de toute loi internationale en la sacralisant par les mythes d'hier et d'aujourd'hui.
1. Le mythe de la "promesse": terre promise ou terre conquise?
"A ta postérité je donne ce pays, du fleuve d'Egypte jusqu' au grand fleuve, le fleuve d'Euphrate."
Genèse XV, 18
La lecture intégriste du sionisme politique:
"Si l'on possède le livre de la Bible, si l'on se considère comme le peuple de la Bible, on devrait posséder toutes les terres bibliques."
Général Moshé Dayan. Jerusalem Post, 10 août 1967.
Le 25 février 1994, le Docteur Baruch Goldstein massacre les Arabes en prières dans le tombeau des patriarches .
Le 4 novembre 1995, Ygal Amir assassine Ytzhak Rabin, "sur l'ordre de Dieu", et de son groupe de "guerriers d'Israël", d'exécuter quiconque céderait aux Arabes la "terre promise" de "Judée et de Samarie" (l'actuelle Cisjordanie).
a) Dans l'exégèse chrétienne
Albert de Pury, professeur d'Ancien Testament à la faculté de Théologie protestante de Genève, résume ainsi sa thèse de doctorat "Promesse divine et légende cultuelle dans le cycle de Jacob" (2 vol. éd. Gabalda, Paris, 1975), dans laquelle il intègre, discute et prolonge les recherches des plus grands historiens et exégètes contemporains notamment: Albrecht Alt et Martin Noth (voir: Histoire d'Israël, de M. Noth, traduction française, chez Payot 1954; Théologie de l'Ancien Testament, 1971 Ed. Labor et Fides, Genève, par Von Rad; le Père R. de Vaux: Histoire ancienne d'Israël (2 volumes), Paris 1971.
"Le thème biblique du don du pays a son origine dans la "promesse patriarcale", c'est-à-dire dans cette promesse divine adressée, selon la tradition de la Genèse, au patriarche Abraham. Les récits de la Genèse nous rapportent à plusieurs reprises et sous des formes diverses que Dieu a promis aux patriarches et à leurs descendants la possession du pays dans lequel ils étaient en train de s'établir. Prononcée à Sichem (Gn 12/7), à Béthel (Gn 13/14-16; 28/13-15; 35/11-12) et à Mamré (près d'Hébron, Gn 15/18-21; 17/4-8), donc aux sanctuaires principaux de Samarie et de Judée, cette promesse semble s'appliquer avant tout aux régions de l'actuelle Cisjordanie.
Les narrateurs bibliques nous présentent l'histoire des origines d'Israël comme une suite d'époques bien délimitées. Tous les souvenirs, histoires, légendes, contes ou poèmes qui leur sont parvenus, charriés par la tradition orale, ils les insèrent dans un cadre généalogique et chronologique précis. Comme en conviennent presque tous les exégètes modernes, ce schéma historique est largement fictif.
Les travaux d'Albrecht Alt et de Martin Noth ont montré en particulier que la division en époques successives (Patriarches -- servitude en Egypte -- conquête de Canaan) est artificielle." (1)
Résumant, en accord avec la thèse d'Albert de Pury, les travaux de l'exégèse contemporaine, Madame Françoise Smyth, doyenne de la Faculté de théologie protestante de Paris, écrit:
"La recherche historique récente a réduit à l'état de fiction les représentations classiques d'exode hors d'Egypte, de conquête de Canaan, d'unité nationale israélite avant l'exil, de frontières précises; l'historiographie biblique ne renseigne pas sur ce qu'elle raconte mais sur ceux qui l'élaborent."
Source: Françoise Smyth. "Les protestants, la Bible et Israël depuis 1948". Dans la Lettre de novembre 1984, No 313, p. 23.
Madame Françoise Smyth-Florentin a fait une mise au point rigoureuse sur le mythe de la promesse dans le livre Les Mythes illégitimes. Essai sur la "terre promise". Ed. Labor et Fides. Genève 1994.
Albert de Pury poursuit: "La plupart des exégètes ont tenu et tiennent la promesse patriarcale dans son expression classique (cf par exemple Gn 13/14-17 ou Gn 15/18-21) pour une légitimation post eventum de la conquête israélite de la Palestine ou, plus concrètement encore, de l'extension de la souveraineté israélite sous le règne de David. En d'autres termes, la promesse aurait été introduite dans les récits patriarcaux afin de faire de cette "épopée ancestrale" un prélude et une annonce de l'âge d'or davidique et salomonien.
Nous pouvons maintenant circonscrire sommairement les origines de la promesse patriarcale:
1. La promesse de la terre, entendue comme une promesse de sédentarisation, a été adressée en premier à des groupes de nomades qui étaient soumis au régime des transhumances et qui aspiraient à se fixer quelque part dans les régions habitables. Sous cette forme-là, la promesse a pu faire partie du patrimoine religieux et narratif de plusieurs groupes tribaux différents. (2)
2. La promesse nomade avait pour objet, non pas la conquête politique et militaire d'une région ou de tout un pays, mais la sédentarisation dans un territoire limité.
3. A l'origine, la promesse patriarcale dont nous parle la Genèse n'a pas été accordée par Yahvé (le dieu qui est entré en Palestine avec le "groupe de l'Exode"), mais par le dieu cananéen El dans une de ses hypostases locales. Seul le dieu local, possesseur du territoire, pouvait offrir à des nomades la sédentarisation sur ses terres.
4. Plus tard, lorsque les clans nomades sédentarisés se sont regroupés avec d'autres tribus pour former le "peuple d'Israël", les anciennes promesses ont pris une nouvelle dimension. La sédentarisation était un objectif atteint, et la promesse prenait désormais une portée politique, militaire et "nationale". Ainsi réinterprétée, la promesse fut comprise comme la préfiguration de la conquête définitive de la Palestine, comme l'annonce et la légitimation de l'empire davidique."
Le contenu de la promesse patriarcale
"Alors que la promesse "nomade", visant la sédentarisation d'un clan moutonnier, remonte sans doute à une origine ante eventum, il n'en va pas de même de la promesse élargie aux dimensions "nationales". Etant donné que les tribus "israélites" ne se sont unies qu'après leur installation en Palestine, la réinterprétation de la promesse nomade en une promesse de souveraineté politique doit avoir été opérée post eventum. Ainsi, la promesse de Gn 15/18-21, qui envisage la souveraineté du peuple élu sur toutes les régions situées "entre le Torrent d'Egypte (= le wadi `Arish) et le Grand Fleuve, le fleuve Euphrate" et sur tous les peuples qui y habitent, est manifestement un vaticinium ex eventu s'inspirant des conquêtes davidiques.
Les recherches exégétiques ont permis d'établir que l'élargissement de la promesse "nomade" en une promesse "nationale" a dû se faire avant la première mise par écrit des récits patriarcaux.
Le Yahviste, qui peut être considéré comme le premier grand narrateur (ou plutôt: éditeur de récits) de l'Ancien Testament, a vécu à l'époque de Salomon. Il a été par conséquent le contemporain et le témoin de ces quelques décennies où la promesse patriarcale, réinterprétée à la lumière de David, semblait s'être réalisée au delà de toutes les espérances.
Le passage de Gn 12/3b est un des textes-clef pour la compréhension de l'oeuvre du Yahviste. D'après ce texte, la bénédiction d'Israël doit avoir pour corollaire la bénédiction de tous "les clans de la terre (`adámâh)". Les clans de la terre, ce sont d'abord toutes les peuplades qui partagent avec Israël la Palestine et la Transjordanie.
Ainsi nous ne sommes pas en mesure d'affirmer qu'à tel ou tel moment dans l'histoire Dieu se soit présenté devant un personnage historique nommé Abraham et qu'il lui ait conféré les titres légaux de la possession du pays de Canaan. Du point de vue juridique, nous n'avons entre nos mains aucun acte de donation signé "Dieu", et nous avons même de bonnes raisons de penser que la scène de Gn-12/1-8; 13/14-18, par exemple, n'est pas le reflet d'un événement historique.
Est-il possible, dès lors, d'actualiser la promesse patriarcale? Si actualiser la promesse signifie s'en servir comme d'un titre de propriété ou la mettre au service d'une revendication politique, alors certainement pas.
Nulle politique n'est en droit de revendiquer pour elle-même la caution de la promesse.
L'on ne saurait se rallier en aucune manière à ceux d'entre les chrétiens qui considèrent les promesses de l'Ancien Testament comme une légitimation des revendications territoriales actuelles de l'Etat d'Israël."
Source: Tous ces textes sont extraits de la conférence donnée le 10 février 1975 à Crêt-Bérard (Suisse) lors d'un colloque sur les interprétations théologiques du conflit israélo-arabe, publié dans la revue Etudes théologiques et religieuse , No 3, 1976 (Montpellier).
b) Dans l'exégèse prophétique juive
(Conférence du Rabbin Elmer Berger, ancien Président de la Ligue pour le judaïsme aux Etats-Unis.)
"Il est inadmissible pour quiconque de prétendre que l'implantation actuelle de l'Etat d'Israël est l'accomplissement d'une prophétie biblique et, par conséquent, que toutes les actions accomplies par les Israéliens pour instaurer leur Etat et pour le maintenir sont d'avance ratifiées par Dieu .
La politique actuelle d'Israël a détruit, ou, au moins, obscurci la signification spirituelle d'Israël.
Je me propose d'examiner deux éléments fondamentaux de la tradition prophétique .
a -- D'abord, lorsque les Prophètes ont évoqué la restauration de Sion, ce n'était pas la terre qui avait par elle-même un caractère sacré. Le critère absolu et indiscutable de la conception prophétique de la Rédemption, c'était la restauration de l'Alliance avec Dieu, alors que cette Alliance avait été rompue par le Roi et par son peuple .
Michée le dit en toute clarté, "Ecoutez-donc, chefs de la maison de Jacob, et dirigeants de la maison d'Israël, vous qui haïssez le bien et aimez le mal, ... qui bâtissez Sion dans le sang et Jérusalem dans le crime .. Sion sera labourée comme un champ, Jérusalem deviendra un monceau de ruines, et la montagne du Temple un haut lieu d'idolâtrie."
Source: Michée III, 1 -- 12.
Sion n'est sainte que si la Loi de Dieu règne sur elle . Et cela ne signifie pas que toute Loi édictée à Jérusalem est une Loi sainte .
b -- Ce n'est pas seulement la terre qui dépend de l'observance et de la fidélité à l'Alliance: le peuple réinstallé à Sion est tenu aux mêmes exigences de justice, de droiture, et de fidélité à l'Alliance de Dieu .
Sion ne pouvait attendre une restauration d'un peuple s'appuyant sur des traités, des alliances, des rapports militaires de force, ou d'une hiérarchie militaire cherchant à établir sa supériorité sur les voisins d'Israël .
...La tradition prophétique montre clairement que la sainteté de la terre ne dépend pas de son sol, ni celle de son peuple, de sa seule présence sur ce territoire.
Seule est sacrée, et digne de Sion, l'Alliance divine qui s'exprime dans le comportement de son peuple.
Or l'actuel Etat d'Israël n'a aucun droit à se réclamer de l'accomplissement du projet divin pour une ère messianique...
C'est là pure démagogie du sol et du sang.
Ni le peuple ni la terre ne sont sacrés et ne méritent aucun privilège spirituel du monde.
Le totalitarisme sioniste qui cherche à se soumettre tout le peuple juif, fût-ce par la violence et la force, en fait un peuple parmi les autres et comme les autres."
Source: Rabbin Elmer Berger: Prophecy, Zionism and the state of Israël, Ed. American Jewish Alternatives to Zionism. Conférence prononcée à l'Université de Leiden (Pays-Bas) le 20 mars 1968.
Ygal Amir, l'assassin d'Ytzhak Rabin, n'est ni un voyou ni un fou mais un pur produit de l'éducation sioniste. Fils de rabbin, excellent étudiant de l'Université cléricale de Bar Ilan près de Tel-Aviv, nourri des enseignements des écoles talmudiques, soldat d'élite dans le Golan, ayant dans sa bibliothèque la biographie de Baruch Goldstein (celui qui assassina, il y a quelques mois, à Hébron, 27 Arabes en prière dans le tombeau des patriarches). Il avait pu voir, à la télévision officielle israélienne, le grand reportage sur le groupe "Eyal" (Les guerriers d'Israël) jurant, sur la tombe du fondateur du sionisme politique, Théodore Herzl, d'"exécuter quiconque céderait aux Arabes la "terre promise" de Judée et de Samarie" (l'actuelle Cisjordanie).
L'assassinat du Président Rabin, (comme celui que perpétra Goldstein) s'inscrit dans la stricte logique de la mythologie des intégristes sionistes: l'ordre de tuer, dit Ygal Amir "vient de Dieu", comme au temps de Josué.
Source: Le Monde (A.F.P.) du 8 novembre 1995.
Ce n'était pas un marginal dans la société israélienne: le jour du meurtre d'Ytzhak Rabin, les colons de Kiryat Arba et d'Hébron dansaient de joie en récitant des psaumes de David autour du mausolée érigé à la gloire de Baruch Goldstein.
Source: El Païs (Espagne) du 7 novembre 1995, p. 4.
Ytzhak Rabin était une cible symbolique, non pas, comme Bill Clinton l'a prétendu à ses obsèques, parce qu'il aurait "combattu toute sa vie pour la paix". (Commandant les troupes d'occupation au début de l'Intifada, c'est lui qui donnait l'ordre de "casser les os des bras" aux enfants de la terre palestinienne qui n'avaient d'autre arme que les vieilles pierres de leur pays se levant avec eux pour défendre la terre de leurs ancêtres.)
Mais Ytzhak Rabin, avec réalisme, avait compris (comme les Américains au Viêt-Nam ou les Français en Algérie) qu'aucune solution militaire définitive n'est possible lorsqu' une armée se heurte, non à une autre armée, mais à tout un Peuple.
Il s'était donc engagé, avec Yasser Arafat, dans la voie d'un compromis: une autonomie administrative était octroyée à une partie des territoires dont l'occupation avait été condamnée par les Nations Unies, tout en maintenant la protection militaire israélienne des "colonies" volées aux autochtones et devenues, comme à Hébron, des séminaires de la haine.
C'était trop déjà pour les intégristes bénéficiaires de ce colonialisme: ils créèrent, contre Rabin qu'ils présentaient comme un "traître", le climat conduisant à l'infamie de son assassinat.
Ytzhak Rabin a été victime, après des milliers de Palestiniens, du mythe de la "terre promise", prétexte millénaire des colonialismes sanglants.
Cet assassinat fanatique montre, une fois de plus, qu'une paix véritable entre un Etat d'Israël en sécurité dans les frontières fixées par le partage de 1947, et un Etat palestinien totalement indépendant, exige l'élimination radicale du colonialisme actuel, c'est-à-dire de toutes les colonies qui constituent, à l'intérieur du futur Etat palestinien, d'incessantes sources de provocation et autant de détonateurs pour des guerres futures.
"Ainsi parle le Seigneur: mon fils premier né c'est Israël."
Exode IV, 22.
La lecture intégriste du sionisme politique:
"Les habitants du monde peuvent être répartis entre Israël et les autres nations prises en bloc. Israël est le peuple élu: dogme capital."
Source: Rabbin Cohen, dans son livre, Le Talmud. Ed. Payot, Paris, 1986, p. 104.
Ce mythe c'est la croyance, sans aucun fondement historique, selon laquelle le monothéisme serait né avec l'Ancien Testament. Il ressort au contraire, de la Bible elle-même, que ses deux principaux rédacteurs: le Yahviste et l'Elohiste, n'étaient ni l'un ni l'autre des monothéistes: ils proclamaient seulement la supériorité du Dieu hébreu sur les autres dieux, et sa "jalousie" à leur égard (Exode XX, 2-5). Le Dieu de Moab: Kamosh, est reconnu (Juges XI, 24 et II Rois, 27) comme "les autres dieux" (I. Samuel XXVII, 19).
La T.O.B souligne en note: "Très longtemps, en Israël on a cru à l'existence et à la puissance des dieux étrangers." (p. 680 note d)
Ce n'est qu'après l'exil, et notamment chez les Prophètes, que le monothéisme s'affirmera, c'est-à-dire que l'on passera des formules comme celles de l'Exode: "Tu n'auras pas d'autres dieux que moi." (XX, 3) à celle qui ne se contente pas d'exiger l'obéissance à Yahvé et non aux autres dieux (comme il est même répété dans le Deutéronome: "Vous n'irez pas à la suite d'autres dieux." (VI, 14)), mais qui proclame: "Je suis Dieu, il n'y en a pas d'autre." (Esaïe XLV, 22). Cette affirmation indiscutable du monothéisme date de la deuxième moitié du VIe siècle (entre 550- et 539).
Le monothéisme est en effet le fruit d'un long mûrissement des grandes cultures du Moyen-Orient, celle de la Mésopotamie et celle de l'Egypte.
Dès le XIIIe siècle, le Pharaon Akhenaton avait fait effacer de tous les temples le pluriel du mot "Dieu". Son "Hymne au soleil" est paraphrasé presque textuellement dans le Psaume 104. La religion babylonienne s'achemine vers le monothéisme; évoquant le Dieu Mardouk, l'historien Albright marque les étapes de cette transformation: "Quand on a reconnu que de nombreuses divinités différentes ne sont que les manifestations d'un seul Dieu... il n'y a qu'un pas à faire pour parvenir à un certain monothéisme."
Source: Albright, Les religions dans le Moyen-Orient, p. 159.
Le "Poème babylonien de la Création" (qui date du XIe siècle avant notre ère) porte témoignage de ces "derniers pas": "Si les humains sont divisés quant aux dieux, nous, par tous les noms dont nous l'aurons nommé, qu'il soit, Lui, notre Dieu."
Cette religion a atteint ce degré d'intériorité où apparaît l'image du Juste souffrant:
"Je veux louer le Seigneur de la sagesse... Mon Dieu m'a abandonné...
Je paradais comme un Seigneur, et je rase les murs...
Tous les jours je gémis comme une colombe et les larmes brûlent mes joues.
Et pourtant la prière était pour moi sagesse,
et le sacrifice ma loi.
Je croyais être au service de Dieu,
mais les desseins divins, au fond des abîmes, qui peut les comprendre?
Qui donc, sinon Mardouk, est le maître de la résurrection? Vous dont il modela l'argile originelle,
Chantez la gloire de Mardouk."
Source: op. cit. p. 329 à 341.
Cette image de Job lui est antérieure de plusieurs siècles. Une image semblable du juste souffrant, celle de Danel (pas celui de la Bible hébreue) puni par Dieu et ramené par lui sur la terre, se trouve dans les textes ougaritiques de Ras Shamra, dans ce qu'on a pu appeler "La Bible cananéenne" antérieure à celle des Hébreux puisqu' Ezéchiel cite Danel à côté de Job (Ez. XIV, 14 et 20).
Ce sont là des paraboles dont la signification spirituelle ne dépend nullement de la vérification historique.
C'est, par exemple, le cas de cette merveilleuse parabole de la résistance à l'oppression et de la libération qu'est le récit de l'Exode.
Il importe peu que "le passage de la mer de roseaux ne puisse être considéré comme un événement historique", écrit Mircea Eliade (3) et ne concerne pas l'ensemble des Hébreux, mais quelques groupes de fugitifs. Il est par contre signifiant que la sortie d'Egypte, dans cette version grandiose, ait été "mise" en relation avec la célébration de Pâques... revalorisée et intégrée à l'histoire sainte du Yahvisme. (4)
A partir de 621 avant J.-C. la célébration de l'Exode prend en effet la place d'un rite agraire cananéen de la Pâques au printemps: la fête de la résurrection d'Adonis. L'Exode devient ainsi l'acte fondateur de la renaissance d'un peuple arraché à l'esclavage par son dieu.
L'expérience divine de cet arrachement de l'homme à ses servitudes anciennes se retrouve dans les peuples les plus divers: la longue errance, au XIIIe siècle, de la tribu aztèque "mexica" qui après plus d'un siècle d'épreuves arrive dans la vallée sous la conduite de son dieu. Il lui ouvre la voie là où nulle route n'était jusque là tracée. Il en est de même des voyages initiatiques vers la liberté du Kaïdara africain. La fixation au sol de tribus nomades ou errantes est liée chez tous les peuples -- en particulier au Moyen-Orient -- à la donation de la terre promise par un dieu.
Des mythes jalonnent le chemin de l'humanisation et de la divinisation de l'homme. Celui du Déluge, par lequel Dieu punit les fautes des hommes et recommence sa création, se retrouve dans toutes les civilisations depuis le Gilgamesh mésopotamien jusqu'au Popol Vuh des Mayas (1ère partie, chap. 3).
Les hymnes de louange à Dieu naissent dans toutes les religions comme les psaumes en l'honneur de Pachamama, la déesse mère ou du Dieu des Incas,
"Wiraqocha, racine de l'être,
Dieu toujours proche...
qui crée en disant:
que l'homme soit!
que la femme soit!
Wiraqocha, Seigneur lumineux,
Dieu qui fait être et qui fait mourir...
Toi qui renouvelles la création
Garde ta créature
de longs jours
pour qu'elle puisse
se parfaire...
marchant sur la route droite."
Si un préjugé ethnocentrique n'y faisait obstacle, pourquoi, sur ces textes sacrés, qui sont, pour chaque peuple, leur "Ancien Testament", ne déploierait-on pas une réflexion théologique sur les moments de la découverte du sens de la vie?
Alors seulement, le message de la vie et des paroles de Jésus atteindraient la véritable universalité: il serait enraciné dans toutes les expériences vécues du divin et non pas étriqué et même étouffé par une tradition unilatérale. La vie propre de Jésus, sa vision radicalement nouvelle du Royaume de Dieu, non plus portée par la puissance des grands, mais par l'espérance des pauvres, ne serait plus gommée au profit d'un schéma historique allant seulement des promesses de victoire faites à un peuple jusqu'à leur accomplissement.
Nous n'avons évoqué ici, dans leur antériorité, que les religions du Proche-Orient, au sein desquelles a germé le monothéisme et parmi lesquelles se sont formés les Hébreux.
Dans d'autres cultures, non-occidentales, la marche au monothéisme est plus ancienne encore.
Par exemple en Inde dans les Vedas.
"Les sages donnent à l'Etre Unique plus d'un nom" (Hymne du Rig-Veda III, 7).
Vrihaspati "c'est notre Père, qui contient tous les dieux." (III, 18)
"Celui qui est notre Père, a engendré et contient tous les êtres. Dieu unique, il fait les autres dieux. Tout ce qui existe le reconnaît pour maître... Vous connaissez Celui qui a fait toutes choses; c'est le même qui est au dedans de vous." (CXI, 11).
"Ses noms sont multiples mais Il est Un."
Ces textes sacrés, s'échelonnent entre le XVIe et le VIe siècle avant Jésus-Christ, et le père Monchanin (S.J.) dans son effort d'intuition pour se situer à l'intérieur des Vedas, les appelait: "Le poème liturgique absolu."
Source: Jules Monchanin: Mystique de l'Inde, mystère chrétien. p. 231-229.
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