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Du coq à l'âne

par Paul Rassinier

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L'année 1953 s'est ouverte sur la mobilisation quasi générale de tous les juges de la création.

Vers 1947, à force de réclamer pour tout et pour rien "des juges, des gènes, des potences et des bourreaux", les trublions qui volèrent au secours de la victoire (sic) avaient tout de même réussi à rendre évident aux yeux d'une opinion d'autant plus indignée qu'elle avait été plus lâche, que les procès de la Libération étaient la réplique exacte de ceux qu'on lui avait offerts en spectacle sous l'occupation allemande. On les vit alors accuser le coup, perdre pied, lâcher du lest puis, finalement, battre en retraite et on se prit à espérer que, le juge mourant de ses excès, (sauf en Russie soviétique où il est la raison d'être du régime), les prétoires pourraient être progressivement abandonnés aux toiles d'araignées.

Grave erreur: il y avait la conjoncture...

Le moins que l'on puisse dire, c'est que les choses ne sont pas en voie d'arrangement, ni entre le monde bolchévique et le monde américanisé, ni, par voie de conséquence, entre l'Angleterre et l'Europe, la France et l'Allemagne, l'Amérique et l'Asie, l'Europe occidentale et chacun des deux blocs, les peuples colonisés et les métropoles qui prétendent les maintenir sous le joug, etc. Dans chacun des Etats qui sont les centres nerveux de ce gigantesque imbroglio, on a donc, de plus en plus recours à l'autorité de classe ou de caste et on s'engage de plus en plus profondément dans les voies du totalitarisme. Or, qui dit autorité de classe ou de caste dit sanctions et qui dit sanctions...

Le plus logiquement et le plus simplement du monde, par conséquent, on en est venu à reconnaître tacitement la primauté du juge. Le mouvement des idées dans ce sens, qui s'était considérablement affaibli en Europe occidentale, est reparti de la Russie et nous est revenu d'autant plus violent qu'à l'autre bout de l'horizon, en Amérique même, on s'est mis soudain à imiter les bolcheviks: la chasse aux sorcières et le procès Rosenberg ne sont pas autre chose que la réplique des moeurs policières en honneur sous Staline et des procès de Moscou et de Prague.

Comment l'Europe occidentale aurait-elle pu échapper à la contagion et aux tentations de l'exemple qui l'assaillent sur deux fronts? L'Angleterre a donc découvert un complot nazi dans la partie de l'Allemagne qu'elle occupe et la France s'est mise au diapason comme elle a pu en se souvenant -- opportunément, croit-elle -- du Struthof, de Schirmeck et d'Oradour.

Dans cette atmosphère de roman policier, la crise ministérielle est passée à l'arrière-plan: M. Pinay a chuté, M. René Mayer -- c'est-à-dire Rothschild -- a pris en main les affaires de la France, sans que personne, hormis ceux qui font, au labeur et dans les taudis, les frais de l'opération, s'attarde trop à ses causes et à ses conséquences.

Bien que cette crise ministérielle soit déjà fort loin de nous, peut-être n'est-il pas inutile d'y revenir avant de s'essayer à dégager le sens et la portée de la mobilisation générale des juges.

Ne serait-ce que pour permettre au lecteur de se faire une idée du prochain changement d'équipe.

On verra d'ailleurs que toutes ces choses sont liées entre elles, découlent les unes des autres et s'inspirent des mêmes préoccupations.


Rothschild au pouvoir

La presse a beaucoup insisté sur les conditions dans lesquelles Pinay s'étant démis de ses fonctions sans attendre le vote sur la question de confiance qu'il avait posée, bien que, prié par tout le monde de se succéder à lui-même, s'y était obstinément refusé. De mémoire de Président de la République, on n'avait jamais vu un homme aussi entêté à ne pas vouloir du poste de Président du Conseil: le gaillard connaissait l'étendue de ses méfaits; il savait par coeur tous les détails de la succession qu'il laissait; en particulier, les difficultés qui seraient celles de la trésorerie à fin février; et il était à bout d'artifices pour masquer les tristes réalités qui perçaient sous les homélies au moyen desquelles, pendant près d'une année, il avait fait louer sa façon de... défendre le franc!

On dressera un jour le bilan complet de cette aventure, mais, dès aujourd'hui, on peut déjà dire:

1. Que la politique de restriction des crédits a fait passer le nombre des chômeurs de 35.000 en janvier 1952 à 54.350 en janvier 1953 et à 64.093 en février. Encore faut-il noter qu'il ne s'agit que des chômeurs secourus et qu'à ce chiffre s'ajoutent 211.000 "demandes d'emplois non satisfaites". A vous de faire la différence entre le chômeur et celui qui n'a pas d'emploi;

2. Que la balance commerciale avec l'étranger, qui enregistra un déficit de quelques 342 milliards pour l'année 1951, en a enregistré un de 413 milliards en fin d'année 1952. Augmentation du déficit: 71 milliards de francs. Le ralentissement de la production qui a provoqué le chômage a, en outre, provoqué ce déficit supplémentaire;

3. Que, pendant le même temps, la dette intérieure est passée de 3.032 milliards à 3.459, soit une augmentation de plus de 400 milliards;

4. Que, dans le domaine de la reconstruction, pendant le troisième trimestre de 1952, on n'a mis en chantier que 31.835 logements contre 36.000 pendant le trimestre précédent et que cette diminution c'est encore accentuée pendant le 4e trimestre (on n'a pas encore publié le chiffre);

5. Que l'indice de la production a baissé d'environ 10 points;

6. Que le déficit de la France à l'Union européenne des paiements a été augmenté de 15 millions de dollars, soir environ 6 milliards de francs.

J'ai déjà dit dans les précédents numéros quels résultats avaient été obtenus dans le domaine de la baisse des prix et de la revalorisation du pouvoir d'achat: baisse à peine sensible ou maintien des prix, sauf en matière alimentaire où ils n'ont pu être contenus, baisse catastrophique du pouvoir d'achat des classes déshéritées par la diminution supplémentaire de horaires de travail et le chômage...

En somme, toute la politique de M. Pinay a consisté à ne plus faire face aux engagements précédemment pris, à arrêter les investissements sains au profit des investissements malsains et à paralyser toute l'activité économique.

De là cette politique que M. René Mayer nous présente comme nouvelle sous le nom de "politique de relance": M. René Mayer se croit à une partie de poker!

Qu'une reprise de l'activité économique soit devenue nécessaire n'est pas douteux. Le parlement, placé devant le désastre, a cru bien faire en confiant l'entreprise à M. René Mayer parce qu'il a pensé que, pour trouver l'argent indispensable, il fallait avoir la confiance des banques. On sait qu'en France les banques sont nationalisées, mais ceci n'empêche pas la famille Rothschild d'avoir la haute main sur la principale d'entre elles, la Banque de France. Or, M. René Mayer, petit-neveu des Rothschild est depuis vingt cinq ans leur homme de confiance et le fondé de pouvoir général de leurs nombreuses et fructueuses entreprises. De fait, à peine investi dans les fonctions de Président du Conseil, il obtenait une substantielle augmentation du plafond des avances de la Banque de France à l'Etat: la politique Pinay continue! La politique Pinay, c'est-à-dire l'endettement.

Que fera M. René Mayer avec le montant de ce nouvel endettement? Il a promis de réformer la sécurité sociale et un certain nombre d'autres institutions par le moyen des lois-cadres, ce qui signifie que, plaçant le Parlement dans l'impossibilité de le contrôler, il continuera l'oeuvre de destruction de cet organisme commencé par ses prédécesseurs. Il a aussi promis d'investir des sommes importantes dans le renouvellement et la modernisation de notre outillage agricole, de soutenir les prix agricoles, ce qui ne les fera pas baisser dans le secteur alimentaire, et de subventionner quelques gros exportateurs, ce qui ne mettra guère de beurre dans les plats des salariés.

Il est remarquable qu'en cas de crise des affaires, aucune des équipes qui se relaient au pouvoir ne songe jamais à venir en aide directement au salarié! Les exportateurs - et les importateurs parfois - les chefs d'industrie, les distributeurs et même les paysans, sont toujours plus ou moins prévus dans les distributions de manne ou les allégements de charges: les salariés jamais. Depuis peu, quand la fièvre aphteuse sévit chez le paysan ou quand la grêle tombe sur le vigneron, "la calamité agricole" est reconnue et indemnisée, mais quand le chômage s'abat sur le salarié, c'est son patron qu'on dédommage! Ainsi sont les choses et il ne semble pas qu'avant longtemps elles se heurteront à de notables courants de protestation ou d'indignation.

Pour en revenir à Rothschild au pouvoir, son destin sera ce que le fera l'évolution de la situation internationale. On ne risque rien à lui prédire un échec certain. Seule la date de cet échec peut être mise en discussion. Le budget étant voté, un accord circonstanciel et sans doute provisoire étant intervenu sur les problèmes européens, il est raisonnable de penser que la Banque de France fera un effort supplémentaire pour lui permettre de doubler les échéances de février-mars, et que, les vacances parlementaires arrivant de nouveau fort à propos, la préparation des élections municipales en perspective occupera suffisamment les esprits pour lui laisser quelque répit.

Car c'est ainsi: le marasme économique est complet, mais ce qui est important, c'est que n'importe qui ne soit pas maire ou conseiller municipal de Plougastel ou de Quimper-Corentin!


L'homme aux prises avec le juge

Il ne sera pas question ici des procès de Moscou et autres lieux situés de l'autre côté du rideau de fer. Sur ce sujet, on ne peut que rabâcher pour arriver à cette conclusion que, de toutes les formes d'oppression, la stalinienne est indiscutablement la plus perfectionnée. Pas davantage il ne sera question de l'affaire Rosenberg: les Américains qui veulent faire pièce aux Russes en les imitant, n'en sont encore qu'aux premiers balbutiements et ils ont beaucoup à faire pour les rattraper mais, comme ce n'est pas l'envie qui leur en manque, il y a beaucoup à redouter.

Enfin, je ne noterai que pour mémoire les complots nazis découverts en Allemagne occidentale par les Anglais: de la même façon que les troupes allemandes occupant la France se sont heurtées à la Résistance et au sentiment national qui l'inspirait, les troupes d'occupation en Allemagne se heurtent à une Résistance de même nature. C'est la réponse de la bergère. Et, de la même façon que la Résistance française a jeté le pays dans les bras de la réaction sous prétexte de le conduire à la Révolution, la Résistance allemande naissante prendra corps et, habilement exploitée, elle jettera l'Allemagne occidentale dans les bras du fascisme.

Il n'y a pas de raison que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets.

Mais allez dire à nos soudards qu'il faut évacuer l'Allemagne et rendre au peuple allemand la haute main sur ses destinées! Ni Russes, ni Anglo-Américains n'en voudront jamais entendre parler: ils en sont à la guerre qui vient, à la mise en place du dispositif militaire et ils ne peuvent qu'être sourds aux arguments de la raison.

Pour en revenir à nos procès, il ne reste donc plus que celui du Struthof et celui d'Oradour qui sont les dernières séquelles de la guerre.

A leur propos, deux observations liminaires s'imposent qui les visent intégralement:

1. En 1944, on a introduit dans le Droit des gens la notion de responsabilité collective et une nouvelle version des lois de la guerre, qui ne laissaient au juge aucune possibilité de ne pas prononcer les condamnations politiquement nécessaires. A l'époque, de la foule en délire qui approuvait et réclamait vengeance, une seule voix s'éleva pour protester contre cette infamie et l'ironie du sort voulut par surcroît que ce fût celle d'un juge: le juge Johnsson qui démissionna bruyamment de cet étrange tribunal. On passa outre et malgré les protestations plus tardives du professeur Donnedieu de Vabres qui lui firent écho, l'esprit de Nuremberg passa dans la législation de tous les pays dits libérés et particulièrement de la France. Aujourd'hui, on se trouve dans une impasse: on s'aperçoit un peu tard qu'il faudrait condamner les Alsaciens et on croit pouvoir s'en tirer en changeant de nouveau la loi pour permettre aux juges de Bordeaux de ne pas les condamner. Ainsi, on s'achemine peu à peu vers la généralisation de ce qui se produit pour les élections: de même qu'à la veille de chaque élection, le parti au pouvoir fait la loi qu'il espère la plus favorable pour lui de même, à la veille de chaque procès - voire pendant, comme c'est le cas! - on fera une loi qui permettra aux juges de prononcer la condamnation qu'on attend d'eux ou de ne la point prononcer [note 1: Depuis que cet article a été écrit, les juges de Bordeaux ont condamné tout le monde malgré toutes ces précautions. Mais le Parlement a amnistié les Alsaciens, ce qui pose de nouveaux problèmes et notamment celui de la confusion de la Raison d'Etat avec l'administration de la justice, jusque là confondue avec le besoin de la vengeance...]. Cela s'appelle l'indépendance du pouvoir judiciaire à l'égard du législatif et de l'exécutif;

2. Il y a moins de deux mois, à Bordeaux, deux objecteurs de conscience furent lourdement condamnés par le même tribunal qui s'apprête aujourd'hui à condamner des soldats coupables du seul crime de non-objection de conscience et nous voici précipités dans une autre impasse.

Je n'ai pas peur: le juge sortira de ces deux impasses. Déjà nous avons vu que le même homme chargé par Laval de requérir contre Blum et Daladier à Riom, avait été capable de requérir contre Laval sur ordre de Blum à la libération. Le juge n'est jamais embarrassé et c'est pourquoi, d'ailleurs, il est juge...

Mais ce qui me chagrine, c'est que les plus acharnés à vouloir pousser ces procès jusqu'à leurs plus extrêmes conséquences, à hurler à la mort aux chausses des pauvres diables qui ont eu la poisse de se trouver à Oradour, à Schirmeck ou au Struthof plutôt qu'ailleurs, en un mot à ne pas vouloir passer l'éponge, sont des gens qui, en même temps, continuent à se réclamer des principes philosophiques qui inspirèrent jadis la politique dite de gauche.

Car, voici où nous en sommes déjà: à propos du procès de Nuremberg et de ceux qui lui ont fait cortège, ces gens qui se prétendent de gauche ont laissé à Maurice Bardèche le soin de reprendre, sur la guerre, les idées qui, au lendemain de celle de 1914-18, furent si brillamment illustrées par Mathias Mohrardt, Michel Alexandre, Romain Rolland, Marcel Martinet, etc. Et, à propos d'Oradour, ils ont laissé à un curé, l'archevêque Rastouil, de Limoges, le beau geste qui a consisté à refuser d'aller témoigner pour le compte de l'accusation, en invoquant la charité chrétienne qui lui interdisait de participer de quelque façon que ce soit à cette abominable campagne d'excitation à la haine...


Le procès du Struthof

Ici, je dois mettre le lecteur en garde contre moi-même: je suis un non-violent. Pour les raisons qui ont été remarquablement analysées, à la fois par Louis Lecoin répondant aux anarchistes du Libertaire dans le dernier numéro, et par Henri Perruchot essayant, dans l'avant-dernier, de cerner les formes nouvelles que les circonstances actuelles et notamment le rapport des forces semblaient imposer à la Révolution, je ne conçois plus aucune possibilité révolutionnaire au-delà de la résistance passive: Georges Sorel auquel j'ai toujours beaucoup plus pardonné que cru, est mort et, de toutes façons, indiscutablement dépassé maintenant. Si, pacifiste de toujours, je n'ai pas été objecteur de conscience pratiquant, c'est uniquement que je n'en ai pas eu le courage...

Par voie de conséquence, l'expérience aidant, le régime étant ce qu'il est, je professe qu'aucun individu n'est responsable de ses actes; que, comme l'ont récemment remarqué devant l'académie de médecine les professeurs Piédelièvre et Fournier, "l'homme que l'on tient pour un isolé dépend en réalité d'ancêtres lointains, que son libre arbitre existe d'autant moins qu'il a subi des influences - celles de son milieu, de ses éducateurs, des besoins qui l'ont harcelé, des circonstances, etc. - qui ont contribué à le former"; que sont heureux ceux qui ont la conscience tranquille; que personne n'est qualifié pour juger l'homme et le punir, hormis sa propre conscience. Au fond, c'est Cayatte qui a raison: nous sommes tous des assassins, faisons notre examen de conscience et courons tous nous cacher. Que si on veut à toutes forces un responsable dans les délits hors du commun, on se tourne vers la société et qu'on la punisse: en lui en substituant une autre, par exemple, ce se peut très aisément faire sans entraîner l'intervention de la violence et de telle façon que personne n'ait de sang sur les mains. Je suis contre la peine de mort sauf si elle est prononcée contre la société: ce que je requiers, c'est la condamnation des classes qui sauvera l'homme...

Ce raisonnement étonnera probablement quelques lecteurs de cette revue. Je n'y puis rien. Il est très facile de démontrer que ce qui s'est passé au camp de concentration du Struthof est, dans le domaine de l'horreur, au-dessus de tout ce que peuvent imaginer ceux qui n'ont pas connu les camps de concentration. Dans L'ouvrier libre, Marcelle Capy a dit beaucoup mieux que je ne le pourrais dire moi-même, ce qu'il y a lieu de penser des expériences médicales faites sur des hommes qui, au surplus, étaient à la discrétion des expérimentateurs. Cet attentat contre l'individu est inqualifiable. Mais...

Mais ces expériences sont monnaie courante dans les colonies françaises ainsi qu'est venu le confirmer à la barre un éminent professeur de Casablanca qui a raconté avoir essayé un vaccin sur 6.000 noirs d'un seul coup, ce qui entraîna un nombre important de morts. Les Anglais pratiquent de même sur les indigènes de Manille et les Américains sur les détenus de Sing-Sing. Alors, dites-moi, qui a qualité pour juger?

En l'occurrence, le procès du Struthof a surtout mis en évidence, la nécessité - car tout s'enchaîne - de faire un autre procès. En effet, dans ce camp de concentration, des dizaines de milliers de détenus sont morts. Or, si je lis le réquisitoire prononcé par le procureur de la République, contre les médecins allemands, j'y trouve, d'après le journal Le Monde:

1. Qu'à l'un d'entre eux, on reproche, "la mise à mort par Kramer, sur les ordres de Hirt, des quatre-vingt-sept israélites, hommes et femmes, arrivés d'Auschwitz et exécutés dans la chambre à gaz pour être ensuite envoyés à Strasbourg afin de garnir les collections anatomiques du professeur allemand",

2. Qu'on dit du second, "J'accorde volontiers que la première série d'expériences n'a pas provoqué de mort";

3. "Il s'agit maintenant de savoir si les expériences sur le typhus ont provoqué des décès. Le capitaine Henriey reconnaît qu'il ne peut peut-être pas en apporter la preuve, mais il pense que le tribunal peut appuyer sa conviction sur des présomptions lorsqu'elles sont suffisantes, comme c'est le cas ici. Ces présomptions, il les trouve dans les témoignages, dans les attendus du jugement de Nuremberg, ainsi que dans les mensonges de Haagen et ses dissimulations au cours des premiers interrogatoires. Il pense que tous ces faits doivent permettre au tribunal de répondre affirmativement à la question posée: "Haagen s'est-il rendu coupable d'empoisonnement?"

Alors, je pose à nouveau la question que je posais déjà dans Le Passage de la Ligne et Le Mensonge d'Ulysse: Si on ne peut mettre que 87 morts au compte des expériences médicales, comment et pourquoi sont morts les autres?

Un jour ou l'autre, il faudra bien répondre à cette question et j'en connais qui, pour parler très haut en ce moment, n'en seront pas moins dans leurs petits souliers.

Je n'accorde aucune autre importance au fait qu'on n'ait pu mettre plus de morts sur la conscience des médecins accusés: cela n'enlève rien à l'horreur de leur comportement. Tout au plus peut-on se demander pourquoi on les a poursuivis eux et pas les autres qui en font autant à plus de frais dans les colonies. Parce que les uns sont allemands, parce que les autres sont français, anglais ou américains? Hélas!


Le procès d'Oradour

Ici encore, une campagne de presse savamment orchestrée fait tourner tout le problème autour d'une mesquine question de nationalité: d'une vingtaine de soldats qui ont participé au massacre du millier d'habitants d'un village français, on voudrait que la moitié fût coupable parce que d'origine allemande, et l'autre innocente parce que d'origine alsacienne. Personne cependant ne nie -- après ce que les débats ont révélé, ce serait difficile -- que le comportement des uns et des autres ait été identique et que si on a pu noter quelques nuances, on le doive beaucoup plus aux circonstances du drame, à la place qui était assignée à chacun des acteurs, qu'aux acteurs eux-mêmes.

Alors, tout le monde coupable?

Justement non: tout le monde innocent, le coupable, c'est la guerre et, au-delà de la guerre, le régime qui l'engendre. L'homme, lui, est toujours innocent. Si je reconnais volontiers que "nous sommes tous des assassins", cet aveu est à mon sens inséparable de cette conviction profonde qu'en même temps nous sommes tous des innocents. Je laisse aux concierges, aux colonels gâteux et aux juges par tempérament, le "plaisir" de spéculer sur le comportement possible du civil transformé en soldat et jeté dans une opération de guerre. Et je leur laisse aussi le soin d'établir si le massacre d'Oradour a eu lieu par représailles contre ceux, résistants ou non, qui ont fait sauter un viaduc, enlevé un major allemand ou assassiné deux soldats allemands: "C'est pas moi, m'sieur, c'est lui qui a commencé", disent les enfants qui se querellent. Par ailleurs, il serait relativement facile d'établir que rien ne se serait produit si les soldats allemands ne s'étaient pas trouvés dans les parages d'Oradour, comme il ne se passerait rien en Allemagne si les soldats anglais, français et américains n'y étaient point en occupation. Et que, pour que ces conditions fussent réalisées, il eût fallu qu'il n'y eût point la guerre.

La guerre, toujours on en revient à la guerre et, dès lors, le seul procès qui soit possible en cette affaire, c'est celui de la guerre.

On a voulu me dire que l'horreur de l'acte devait, elle aussi, intervenir - qu'il y avait des manières de tuer, conformes aux lois de la guerre et d'autres qui, ne l'étant pas, entachent l'honneur et appellent d'impitoyables sanctions individuelles.

Je veux bien que les malheureux habitants d'Oradour soient morts dans des conditions atroces. Mais j'ai vu la ville allemande de Nordhausen sous les bombes au phosphore et Curzio Malaparte a raconté le bombardement de Hambourg, dans les mêmes conditions, par les Anglo-Américains. Dans le dernier numéro de Faubourgs, Henri Frossard a repris le témoignage d'un Japonais rescapé du bombardement atomique d'Hiroshima... Les hommes, les femmes, les enfants et les vieillards de Nordhausen et de Hambourg sont morts lentement sous les brûlures du phosphore - torches vivantes qui coururent des heures et des heures à la recherche de l'eau impossible à trouver avant de s'abattre calcinés et hurlant encore - dans des conditions aussi atroces que ceux et celles d'Oradour. Et ceux d'Hiroshima... Mais mieux vaut ne point parler de ceux d'Hiroshima.

Je pose donc encore cette question: est-il moins horrible de tuer d'un seul coup des dizaines et parfois des centaines de milliers d'hommes, de femmes, d'enfants et de vieillards en pressant, à quelques milliers de mètres d'altitude, sur le bouton qui lâchera les bombes phosphorescentes ou atomiques, que de se mettre à vingt ou à cent pour en fusiller deux ou trois cents sur la place publique d'un village et en faire sauter six ou sept cents avec l'église dans laquelle on les avait préalablement enfermés?

Je pense bien que si le sort des armes en avait décidé autrement, allemands ou alsaciens, les quelques vingt soldats actuellement aux prises avec les juges militaires de Bordeaux seraient dans leurs foyers en train de commenter les procès que les vainqueurs n'auraient, eux non plus, pas manqué de faire aux malheureux aviateurs qui ont lâché les bombes sur Hambourg, Nordhausen, Hiroshima et autres lieux. Oradour serait alors relégué au rang d'un banal incident provoqué par des terroristes dont on serait facilement venu à bout...

Car tout est relatif et jusqu'à ce qui se passe actuellement encore en Indochine où, si l'on en croit la presse allemande, il y aurait "au moins un Oradour par semaine"...

Mais, nous laisserons-nous longtemps encore prendre à ces pièges grossiers?


Parlons d'autre chose, maintenant

Autre chose? Si l'on veut!

J'ai dit plus haut que, crise ministérielle ou procès, tous ces événements étaient liés entre eux et relevaient de la conjoncture.

Précisément, elle vient de prendre une tournure assez inquiétante, la conjoncture: le général Eisenhower a donné tout son sens à sa récente élection à la présidence des Etats-Unis en ressuscitant Tchang-Kai-Chek, ce qui est une manière comme une autre de proclamer la primauté des problèmes asiatiques dans le politique ultérieure des Etats-Unis.

Abandon de l'Europe?

Ce n'est pas encore absolument sûr, mais il est certain que la lutte sur deux fronts préoccupe le général Eisenhower et l'inquiète beaucoup plus qu'elle n'avait préoccupé et inquiété son prédécesseur.

Toujours est-il que, quelques semaines avant ce haut fait, un autre événement s'était produit auquel ce vieux renard de Churchill semble bien avoir été le premier a accorder toute son importance: la déclaration de Staline sur la coexistence pacifique Est-Ouest. Il n'y avait pas à s'y tromper, c'était une invitation à des conversations à deux: dans les vingt-quatre heures qui ont suivi, Churchill a pris l'avion pour New-York. Supposez, en effet, que, dans un tel tête-à-tête, la Russie reconnaisse la légitimité des intérêts américains en Asie contre la reconnaissance des siens en Europe occidentale, voire en Afrique ou dans le Moyen-Orient...

La suite a révélé que les inquiétudes de Churchill n'étaient pas fondées: la situation n'est pas mûre pour une opération d'une telle envergure si tant est qu'elle puisse être envisagée comme possible.

En dépit qu'ils en aient, les Américains sont économiquement et militairement obligés, pour un long temps encore, à soutenir leur effort sur les deux fronts prévus par Truman. Mais on peut tenir pour assuré que s'ils étaient obligés de décrocher sur l'un d'eux, ce serait de préférence sur le front occidental.

Et c'est peut-être pour échapper à cette éventualité qu'ils paraissent si résolus à brusquer les choses en Asie et à y obtenir rapidement une décision.

Vous comprenez maintenant pourquoi il était nécessaire que triomphât leur point de vue sur l'armée européenne, c'est-à-dire que M. Robert Schuman fût remplacé au Quai d'Orsay par M. Bidault, ce qui est la véritable raison parlementaire de la crise ministérielle.

Et vous êtes mieux à même de mesurer à quel point tous ces procès étaient nécessaires pour maintenir la tension des esprits dans le bon sens: dans les affaires de ce genre, l'excitation à la haine entre les peuples est toujours payante pour ceux qui misent sur elle.

 

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