COMPTES... ET MÉCOMPTES DE LA NATION
par Paul Rassinier
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Défense de l'Homme, numéro 86, décembre 1955, p. 3-5.
L'actualité
La Commission de comptes de la Nation devait, comme chaque année, se réunir en octobre ou en novembre. M. Pflimlin, Ministre des Finances, de qui elle est tributaire relativement aux renseignements d'ordre économique et financier qu'il doit lui fournir, commença par ne pas répondre aux lettres de son Président qui les lui demandait.
Cela se conçoit : les comptes de la Nation ne sont pas brillants et le Président de la Commission chargée de les articuler dans un bilan général est, de surcroît, M. Mendès-France.
M. Pflimlin n'a, toutefois, pas pu empêcher M. Mendès-France de porter à la connaissance du public le cas qui était fait de ses lettres.
Réaction du gouvernement de M. Edgar Faure : un décret ajournant sine die la réunion de la commission des comptes de la Nation.
Motif : pas de motif, sinon les « circonstances », mais un commentaire définissant une situation économique florissante.
A la veille du coup de force qu'il méditait, le gouvernement de M. Edgar Faure ne pouvait pas s'en tirer autrement : la campagne électorale se serait faite uniquement sur les résultats de la politique d'expansion économique, le truquage des chiffres produits et la nécessité de la dévaluation que, malgré ce truquage, ils eussent mis en évidence.
Personne n'a été dupe.
Mais le coup est fait.
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Il s'est fait dans des conditions plus ingénues qu'ingénieuses, le coup. Dans les quarante huit heures qui ont suivi, tout le monde a vu qu'il était à la portée de n'importe qui et qu'il avait seulement été minutieusement préparé. L'ajournement de la réunion de la commission des comptes de la Nation n'en était que le prélude.
A son propos, on a évoqué le 2 décembre.
Qu'à propos du 2 décembre, Victor Hugo ait rappelé le 18 brumaire, je veux bien. Mais Victor Hugo en profitait pour comparer Napoléon le grand et Napoléon le petit.
Pour comparer Faure à Napoléon le petit, il faudrait qu'au préalable, l'Académie française trouvât un superlatif à la petitesse.
Or, vous pouvez faire confiance à l'Académie française : ils sont, là-dedans, disait je en sais plus qui, quarante qui ont de l'esprit comme quatre.
De toutes façons, c'est faire une injure même à Napoléon le petit que de l'évoquer à propos de Faure.
Le coup était minutieusement préparé, disais-je : il s'agissait de voter le plus rapidement possible pour pouvoir dévaluer -- les banques ne veulent plus attendre : il y a au moins cinq ans qu'elles attendent ! -- et, sur le plan politique, de faire des élections avec la loi des apparentements pour tenter de sauver la majorité Barangé.
Pour le réussir, il fallait la complicité du Parti communiste.
Deux fois, les parlementaires communistes votèrent la confiance au gouvernement et le sauvèrent.
La troisième fois, ils votèrent contre et le sauvèrent encore en ce sens que, s'ils s'étaient abstenus comme ils en avaient l'intention, le Ministère n'aurait pas été renversé à la majorité constitutionnelle et la dissolution n'était pas possible.
Ils ont sauté sur l'occasion qui leur permettait d'aller aux élections avec la loi des apparentements, laquelle double leur représentation par rapport au scrutin d'arrondissement[1].
Et augmente celle de la droite dans une proportion approchante.
Cette législature aura été, d'un bout à l'autre, celle de l'étranglement du marais par la conjonction des extrêmes.
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Quand les communistes votent pour le gouvernement, me souffle l'électeur conscient et inorganisé, vous les accusez d'être de connivence avec lui et quand ils votent contre aussi. Alors ?
Réponse : poser la question ainsi, c'est la mal poser. Le vote d'un député qui signifie pour ou contre le gouvernement, aux yeux de l'opinion, n'a pas du tout la même signification dans le Saint des Saints.
L'Assemblée Nationale, c'est le Temple de Jérusalem où tout était marchandage. Tout s'y décide dans les couloirs et s'y justifie à la Tribune par des raisons qui n'ont rien de commun avec les raisons réelles des maquignonnages. Et les buts poursuivis par les partis ne sont pas non plus ceux qu'ils affichent.
Ainsi Faure poursuivait la dissolution, ceux qui étaient contre le scrutin d'arrondissement votaient pour, de même que les communistes qui étaient pour les apparentements réussissaient à se donner publiquement l'air d'être contre, etc.
Je connais la Maison, et je sais de quoi je parle.
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Mendès-France, qui est député de l'Eure, n'y est pas né et n'y avait jamais vécu avant d'aller s'y installer pour s'y faire élire. Paul Reynaud, qui est parisien, représente le Nord ; Naegelen, qui est alsacien, représente les Basses-Alpes.
Et M. Edgar Faure, qui est algérois, représente le Jura.
On dit que lorsqu'il s'y est présenté à la députation, il ne savait pas au juste s'il combattrait sous le drapeau du M.R.P. ou sous celui du Parti radical.
On ajoute que, s'il a manifestement opté pour le parti radical, c'est que la tête de liste du M.R.P. était occupée par un député sortant, tandis que celle du parti radical était vacante.
De toutes façons, les deux listes étaient apparentées.
C'est après avoir été élu que M. Edgar Faure a choisi, encore prit-il la précaution de le faire à la manière de Janus : député du parti radical, il fit au Parlement la politique du M.R.P. et fut, à tour de rôle, Ministre de Laniel et de Mendès-France.
Je suis oiseau, voyez mes ailes, je suis souris...
Mes ailes ?
Des ailettes, tout au plus.
Celles que portent les petites soeurs de l'enfant Jésus à leur chapeau.
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Mirabeau est mort.
Et plutôt deux fois qu'une, disaient déjà ceux qui suivirent son cercueil.
On ne ressuscite pas ceux qui ne sont morts qu'une fois.
A plus forte raison ceux qui sont morts deux.
Dans la foule des députés que M. Edgar Faure envoyait aux champs, personne ne s'est levé pour déclarer : « Nous sommes ici par la volonté du peuple, etc. »
Notre temps est pauvre en mots historiques.
Il n'a même pas la force de copier les anciens.
Et puis, ils savaient bien, les bougres, qu'ils n'étaient là que par le truquage et non par la volonté du peuple !...
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Ils crient aujourd'hui au coup de force qu'ils n'ont pas vu venir et, par conséquent, pas su empêcher. La notion du coup de force est, dans leur esprit, quelque chose d'assez particulier : un coup de force, c'est fait par un gouvernement contre une assemblée, jamais par une assemblée contre le suffrage universel.
Ainsi des apparentements.
Ceux qui les récusent aujourd'hui comme immoraux sont ceux-là mêmes qui les ont inscrits dans la loi : en 1951, quand M. Queuille les a proposés à l'Assemblée sortante, M. Mendès-France qui est du même parti que lui n'a rien dit et pas davantage les députés socialistes qui s'apprêtaient à les contracter avec le M.R.P.
Le vote de la loi Barangé empêche, aujourd'hui, le parti socialiste et une bonne partie du parti radical de s'apparenter avec le M.R.P.
Les apparentements qui étaient une chose essentiellement morale en 1951, sont essentiellement immoraux en 1955.
Sic transit...
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Le M.R.P. qui s'est fait élire en 1951 par les socialistes, se fera élire, en 1955 par sa véritable clientèle électorale.
L'ordre est revenu au camp d'Agramant.
L'enfant prodigue, qui avait quitté le toit familial pour faire des galipettes avec la gauche, l'a réintégré.
Les apparentements qui se sont faits contre les communistes en 1951, se font en 1955 contre les socialistes et les communistes.
Il y a comme cela des gens qui tendent les verges à ceux qui les veulent fouetter.
Tu l'as voulu, Georges Dandin.
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La « gauche » est une bien drôle de chose.
Il y a trois mois, M. Georges Villiers, Président du C.N.P.F., prétendait que la politique d'expansion économique, telle qu'elle était pratiquée par le gouvernement de M. Edgar Faure, arrivait au point où il serait impossible de la poursuivre sans livrer le pays à l'inflation et à ses conséquences.
Le journal l'Express mettait lui aussi en cause cette politique d'expansion économique, mais pour des raisons diamétralement opposées : elle était trop timidement pratiquée par peur d'une inflation contre laquelle nous étions pour longtemps encore prémunis.
Or, le vendredi 2 janvier, dans le journal les Echos (qui est la doublure de l'Express sous la même direction politique), on pouvait lire, à propos d'expansion économique, la curieuse phrase suivante :
« C'est aussi le point de vue réaliste et sain que défend M. Georges Villiers, président du C.N.P.F., et contre lequel aucun chef d'entreprise ne pourra valablement s'inscrire. »
Est-ce M. Georges Villiers qui s'est converti aux idées de la gauche?
Ou les gens de l'Express qui sont passés à droite?
En lisant l'Express, les gens qui cherchent la gauche ont d'ailleurs d'autres raisons d'être perplexes.
Camus, passe encore.
Mais Mauriac?
Mais Sauvy?
Le jour où, dans l'Express, on lit sous la plume de Mauriac que le M.R.P. est confit en dévotions et qu'il en meurt, mais qu'il ne faut pas toucher la loi Barangé, on peut évidemment se demander si c'est du lard ou du cochon.
Quant à Sauvy, c'est cet économiste distingué qui professe que le monde est trop petit pour le nombre des vivants et qu'il y a lieu de restreindre les naissances (24 et 25 nov. 1955), mais qui trouve que « la population de la France flotte dans un manteau trop grand », étant donné que c'est 80 millions d'habitants qu'elle devrait avoir et non 43. (Express du 26 octobre.)
En d'autres termes, qu'il faut restreindre le nombre des naissances à l'échelle mondiale et l'augmenter à l'échelle nationale.
Et je ne parle pas de M. François Mitterand qui est un ancien militant des camelots du Roy.
De gauche, ces gens-là?
Ce qui est le plus curieux, c'est que ceux qui les ont embauchés s'étonnent que la gauche, telle qu'ils prétendent la représenter, ne soit prise au sérieux par personne.
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Faut-il ajouter maintenant que cette gauche est divisée contre elle-même ?
A côté de M. Pierre Mendès-France, favori de l'Express, il y a M. Claude Bourdet qui a lancé France-Observateur et qui prétend, lui, représenter « la vraie gauche ».
Dans les colonnes de France-Observateur, on peut lire la prose de Jacques Madaule, Albert Béguin, Jean-Marie Domenach, etc., qui sont eux-aussi des curés, tout comme Mauriac, Sauvy et Mitterand.
Autrement dit, les deux gauches ne diffèrent que par les noms des curés qui sont à leur service.
A la bonne vôtre ![1]. Avec le scrutin d'arrondissement qui avait le plus de chances, les communistes n'auraient eu que 55 à 60 députés. Ils en ont actuellement 106 et l'apparentement du M.R.P. avec la droite leur en fera probablement gagner une douzaine.
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