par Paul Rassinier
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Défense de l'Homme, numéro 76, février 1955,
La revanche de Rotschild, p. 3-6
A PROPOS DU LIBRE-ECHANGISME, p. 37-40
Les hypothèses les plus diverses et les plus contradictoires, des plus ingénument hasardées aux plus outrancièrement fantaisistes, ont été échaffaudées durant tout le mois de février, à partir de la chute du gouvernement de M. Mendès-France et de ses causes. A ma connaissance, toutes ces hypothèses, dans quelque sens que ce soit, ne se sont, que par exception, élevées au-dessus des contingences parlementaires et du banal problème de la majorité. Or -- et c'est, depuis fort longtemps, le premier gouvernement auquel pareille aventure arrive -- ce n'est pas au Parlement que M. Mendès-France est tombé, mais dans la rue.
Dans une série d'articles dont je me rends bien compte que, traitant toujours du même sujet, le lecteur puisse, à la longue, commencer à les trouver monotones, voire fastidieux, je me suis efforcé de montrer que M. Mendès-France avait été porté au pouvoir, en quelque sorte par effraction et par deux forces convergentes quoique très dissemblables par leur nature et les buts qu'elles poursuivaient :
1° Un groupe de banques dont l'influence n'avait cessé de croître au Parlement depuis la fin de la guerre et dont la poursuite des opérations en Indochine compromettait les intérêts ;
2° L'opinion publique, longtemps indifférente, mais enfin réveillée par huit années d'une guerre désastreuse dont elle se mit soudain à vouloir la fin à n'importe quel prix, réclamant, par surcroît, la réforme de notre structure économique et sociale dans le sens même que M. Mendès-France lui avait indiqué lorsqu'il était dans l'opposition.
Tant que ces deux forces -- chacune à sa façon, d'ailleurs -- jouèrent en sa faveur, l'homme fut maintenu au pouvoir contre la volonté d'un Parlement qui lui fut toujours hostile, même lorsqu'il lui accordait des majorités substantielles : on imagine mal, par exemple, qu'en plein mois de juillet, lorsqu'il discutait à Genève de la Paix en Indochine, une majorité eût pu se constituer contre lui et le renverser.
L'envie n'en manquait cependant point à beaucoup plus de la moitié des députés qui l'eussent volontiers fait s'ils eussent osé prendre cette responsabilité devant leurs électeurs, lesquels étaient, dans leur ensemble, pour M. Mendès-France et ne le cachaient point.
Longtemps, il en fut ainsi.
Puis les choses ont changé.
Les banquiers, satisfaits par le retour de la Paix en Indochine, l'ont lâché les premiers, des dissentiments étant survenus entre eux sur la suite à donner.
Pour les reconquérir, M. Mendès-France a inventé les accords de Londres et de Paris, puis les atermoiements an matière économique et sociale, puis une politique calculée en Afrique du Nord, puis les petits artifices parlementaires d'extension ou de consolidation de sa majorité.
Il n'y est pas arrivé.
Mais, ce faisant, il a perdu l'appui de l'opinion publique.
Et, le sentant seul, soutenu seulement par un Parti socialiste divisé contre lui-même et sans influence sur l'opinion, les députés l'ont assassiné -- c'est le mot -- comme au coin d'un bois.
Un petit retour en arrière explique mieux comment les choses se sont passées dans le détail.
De la défaite à la victoire des Rothschild
Dans un précédent article (cf. n° 74), reproduit par l'Ecole émancipée, une dizaine de bulletins départementaux du Syndicat national des Instituteurs, et Le petit Crapouillot, j'avais indiqué que le Parlement était un champ clos où s'affrontent les représentants des conseils d'administrations des principaux groupes bancaires suivants :
1. L'Union des banques américaines, dont l'agent financier pour la France et l'Europe occidentale est M. Jean Monnet, l'agent politique étant M. René Pleven, qui débuta dans la carrière comme secrétaire de M. Jean Monnet ;
2. L'Union -- européenne, celle-ci -- des banques Rothschild, dont l'homme politique est M. René Mayer, qui fut administrateur quelque part dans la Maison ;
3. Une petite banque -- les Gradis -- dont, jusqu'à ces temps derniers, le rayonnement ne dépassait guère les frontières nationales. Les Gradis n'avaient à leur service que des journalistes, les Servan-Schreiber, eux-mêmes financiers et propriétaires de l'Express, l'un d'entre eux étant lié à la famille. Depuis la fin de cette guerre, ils se sont renforcés par un traité d'alliance passé avec les Lazard dont M. Petsche était l'homme politique, Mme Petsche, actuellement Jacquenot, étant une Lazard.
J'ajoutais :
« La politique américaine d'expansion économique postule que l'Union des banques américaines doit absorber les banques européennes (Rothschild) dont les intérêts se heurtent à ceux des banques presqu'exclusivement françaises (Gradis, Lazard, Servan-Schreiber) en Extrème-Orient et en Afrique du Nord. Et toute la politique française de cette après-guerre est l'histoire du combat que ces banques se livrent dans l'hémicycle parlementaire par les personnes interposées de leurs agents politiques respectifs : MM. René Pleven, René Mayer et Pierre Mendès-France. »
Et, pour expliquer l'accession de M. Mendès-France à la présidence du Conseil :
« En Indochine, les intérêts des Rothschild, situés principalement dans le Nord -- à ce qu'il ressort de la lecture des journaux financiers -- exigeaient la poursuite de la guerre jusqu'à la défaite totale de Ho Chi Minh. Les Gradis- Lazard -- Servan-Schreiber, dont les intérêts étaient situés principalement dans le Sud, et pour lesquels les Cogny, Ely, de Castries, etc..., n'étaient que des tocards, jugeaient plus prudent de traiter. Et c'est ainsi que M. Pierre Mendès-France fut porté à la Présidence du Conseil par l'appoint des voix que lui apporta M. Jacquinot, mari de Mme ex-Petsche, née Lazard. On sait la suite : pour tirer leur épingle du jeu, Gradis-Lazard and Co ont donné à Ho Chi Minh ce qui "appartenait" aux Rothschild. »
On m'excusera de me citer moi-même et de le faire aussi amplement, mais cette explication du triomphe est aussi celle de la défaite : les voix qui ont manqué à M. Mendès-France dans le scrutin du 4 février sont celles de M. Jacquinot, époux Lazard, acquis, en ce qui concerne le Sud de l'Indochine, à la manière de voir de Rotschild exprimée à la tribune de l'Assemblée Nationale par M. René Mayer à propos des problèmes de l'Afrique du Nord. Lui ont également fait défaut les voix de quelques députés dévoués à M. Borgeaud, sénateur d'Alger, leader des colons, qui est un membre influent du Parti radical et, par les nombreuses affaires industrielles et commerciales à la tête desquelles il se trouve, client de Rothschild.
Le comportement des Lazard
Dès le lendemain de la convention d'armistice qui ramenait la paix en coupant l'Indochine en deux, Ho Chi Minh prit solidement en main le Nord. Le Sud, lui, était livré à Bao Daï qui ne réussit jamais à y mettre au pouvoir un gouvernement digne de ce nom. Au désordre qui résultait de cette incapacité vint s'en ajouter un autre provoqué par les sectes plus ou moins papistes qui s'y réfugièrent après l'armistice, sur ordre venu de Rome et, la menace de sécession dans le Sud se trouva tout naturellement portée à l'ordre du jour à Paris.
Les intérêts des Lazard, des Gradis et des Servan-Schreiber furent à nouveau compromis et aussi dangereusement que l'avaient été ceux des Rothschild par l'Armistice alors qu'il n'était qu'éventuel.
Les Gradis et les Servan-Screiber, qui nourrissent de vastes espoirs d'échanges avec la Chine de Mao Tse Tung, restèrent fidèles à leur politique de la souplesse. Mais les Lazard, que les pertes subies par Rothschild avaient amené à réfléchir, refusèrent de les suivre dans cette voie et passèrent dans le clan de la fermeté, dont le leader parlementaire est M. REné Mayer, soutenu dans la coulisse par M. René Pleven, agent politique des banques américaines.
Ce n'est pas plus compliqué que cela.
Que ce changement de camp ait été rendu publique à l'occasion du débat sur l'Afrique du Nord, on le comprendra aisément si on se souvient que M. René Mayer, qui mena la danse, est député de Constantine, et, en quelque sorte, délégué sur place par Rothschild qui y commandite à peu près tout et qui, par ses commandites, y tient en mains à peu près tous les parlementaires de la même façon qu'il tient M. Borgeaud.
Que vouliez-vous qu'il fît ?
M. Mendès-France a vu venir le coup : c'est une fine mouche.
Il avait un maître atout : le programme économique et social qui fit sa popularité. Abandonné par les banques, il pouvait, sinon par conviction, du moins par tactique, se rabattre sur le peuple. Il lui était, par exemple, loisible, à lui qui, si souvent, évoqua 1789, de parodier Mirabeau : « Je suis ici par la volonté du peuple, etc. »
A la veille des accords de Paris, malgré qu'il eût déjà donné des dignes trop évidents de sa volonté d'atermoyer, c'était encore vrai.
Il eût mené le Parlement à la cravache en le menaçant de la colère du peuple qui lui fût resté acquis.
Il ne le fit pas.
Il ne l'osa ou ne le voulut point.
A l'appui du peuple, il préféra celui des banques et, dès lors, il était condamné à rechercher la consolidation d'une majorité sans cesse à refaire par les mille petits artifices qui font de notre tradition parlementaire le plus joyeux numéro de cirque de tous les temps.
Parce que Rothschild, fort de l'appui qui lui revenait soudain des Lazard, ne voulait pas perdre l'Afrique du Nord comme il perdit le Nord de l'Indochine et croyait la pouvoir sauver par une politique de fermeté, c'est-à-dire de répression à outrance du mouvement d'émancipation qui secoue toutes nos colonies.
Et parce que, dans ce problème qui est une question de dividendes, M. Mendès-France, ayant perdu les Lazard, c'est-à-dire son moyen de pression, ne pouvait plus le faire revenir sur cette manière de voir.
A la vérité, il l'essaya et faillit réussir grâce à l'entremise des Rothschild de Londres lesquels, à l'instar des Servan-Schreiber et des Gradis, pensaient pouvoir reconquérir le marché chinois qui eût largement compensé les pertes, en continuant dans la voie de la conciliation avec l'Est.
Mais, à l'expérience, il s'avéra que, Moscou durcissant sa position, ce qui se traduisit par les événements des îles Quemoy et Tachen, tandis que les Américains durcissaient la leur à propos de Formose, il n'y avait pas grand chose à espérer de ce côté avant longtemps.
Obligé d'en convenir, M. Mendès-France leur fit deux autres concessions : les accords de Manille et, en Afrique du Nord, une politique de répression qui, dans son esprit, était juste assez sévère pour leur redonner confiance et point assez pour qu'il s'attirât l'hostilité des éléments favorables à une politique démocratique à l'égard des populations indégènes.
Peine perdue : Rothschild, toujours fort de l'appui des Lazard, refusa dédaigneusement cette demi-mesure et M. René Mayer ne l'envoya pas dire au Président du Conseil.
Il ne restait plus que les artifices qui furent, de la part de M. Mendès-France, autant de misérables trahisons de soi-même : les remaniements ministériels au nombre de cinq (comme un vulgaire Laniel !) qui protèrent le nombre des ministres de 19 à 37 (Passe-moi la tasse...) ; la mutation aux affaires étrangères de M. Edgar Faure, qui joue le double jeu entre les banques Rothschild et les banques américaines pour leur redonner confiance ; la nomination de M. Pierre de Gaulle au commissariat de l'Exposition internationale de 1957 (400.000 fr. par mois plus une armée d'employés grassement payés !) et de M. Soustelle comme gouverneur général de l'Algérie, pour obtenir, avec son soutien actif, la rentrée de la banque Worms (de la Synarchie !) acquise à de Gaulle ; le retour au scrutin d'arrondissement pour relancer Rothschild -- M. Mendès-France se croyait au poker ! -- au groupe parlementaire du parti radical ; l'extension de la loi Barrangé à l'enseignement libre dans l'agriculture sinon pour fléchir le M.R.P., du moins pour le diviser ; et la plus humiliante, la plus basse, la plus méprisable de toutes les manoeuvres, la palinodie des palinodies, la capitulation des capitulations, la visite qu'il fir au Pape flanqué de sa femme et... de Georges-Boris, ancien directeur de La Lumière, pour obtenir son intervention auprès du M.R.P. dans le sens d'une réconciliation. M. Mendès-France ne s'est fait ni bénir, ni baptiser mais, ma parole, c'est tout juste et c'est tout comme.
Tout au long de ce long combat -- car, et c'est là le pire, ce fut un combat ! -- pas un instant, il ne fut question de ce programme économique et social qui était aussi beau que la République sous l'Empire et la seule chose qui le pouvait sauver.
C'est ainsi que, tous ces artifices à la mesure des milieux parlementaires indisposant encore le peuple qui n'avait rien à en attendre, M. Mendès-France perdit sa confiance sans regagner celle des banques.
Et que le tandem Rothschild-Lazard hésita d'autant moins à le mettre en minorité au Parlement que M. Mendès-France avait bien et assez complètement perdu la tête pour lui donner, sous les espèces de la réforme constitutionnelle et de la modification de la majorité d'investiture, la possibilité de le renverser à la fois sans risque de dissolution et avec toutes les facilités de le remplacer aisément.
Si le lecteur pense maintenant que j'ai consacré un peu trop d'articles à l'expérience Mendès-France et de trop longs, je lui demande de m'accorder le bénéfice de la bonne intention : j'ai voulu lui montrer qu'il n'y avait pas grand chose à attendre d'un pouvoir qui me semble, depuis la fin de la dernière guerre, avoir singulièrement redoré son blason aux yeux du mouvement ouvrier.
Qui que ce soit qui l'occupe.
Et fût-il -- comme on eût, à mon sens, tort de le croire en ce qui concerne M. Mendès-France -- des mieux intentionnés.
Le pouvoir entièrement entre les mains des banques reste le pouvoir dans les termes mêmes où il fut défini par Alain : les plus rusés le mettent au service de leurs intérêts personnels et il pervertit les mieux intentionnés, -- si tant est qu'il y en ait !
OOOOOOOOOOOO
Réponse à Fontaine
par Paul Rassinier
Dans un premier élément de réponse publié en même temps que le premier article de Fontaine sur la question, j'avais déjà écrit :
« Peut-être pourrait-on espérer que le retour au libre-échange créerait, dans toutes les nations du monde, de telles perturbations sur tous les circuits économiques, que les conditions objectives de la Révolution sociale seraient réalisées…
Mais c'est le seul argument que Fontaine n'avance pas. »
C'est dire qu'entre nous, le débat n'existait pas sur le fond, mais seulement sur la forme et, chemin faisant, sur quelques arguments qui me paraissaient douteux.
Le nouvel article de Fontaine, dans le dernier numéro, n'apportant aucun élément nouveau, ne peut rien changer à ma manière de voir et ma réponse sera forcément une confirmation de ce que j'ai déjà dit.
I. -- Dans la mesure où ceci peut intéresser le lecteur, nous avons d'abord, Fontaine et moi, un problème de terminologie à mettre au point : j'ai peur que, tout au long, les termes qu'il emploie ne désignent des réalités tout autres que celles auxquelles il pense en écrivant. Exemple : « J'ai essayé de montrer, dit-il, que le libre échange entre individus, entre groupes d'individus, entre peuples est toujours avantageux, etc. » Entre les individus, il s'agit bien de libre échange mais, entre les groupes d'individus et les peuples, il s'agit de libre-échange et le trait d'union que Fontaine ignore change tout en ce sens que, contrairement à ce qu'il semble croire, les deux expressions ne désignent pas le même phénomène économique. Il en est de même de la gradation qui part des échanges entre les individus pour arriver au libre échange entre les peuples : ici, Fontaine emploie le mot « peuple » où il faut employer le mot « État » puisque, sur le plan international, les échanges ne se font pas ou plus d'individus à individus ni de peuple à peuple, mais d'État à État.
Fontaine me permettra de lui dire que cette façon de parler qui permet les déductions cavalières, relèverait de l'illusionisme si elle était calculée. Et qu'il y a, entre nous, trop de liens d'amitié pour que je ne la mette pas sur le compte de l'inadvertance.
Je pourrais d'ailleurs multiplier les exemples. Je la retrouve encore dans ceci qu'il dit juste avant de conclure :
« La vie sans l'échange est impensable aussi bien chez l'homme, etc. Par conséquent, avancer que l'échange est d'inspiration capitaliste, c'est encore une erreur. »
Mais qui dit le contraire ?
Le malheur est seulement pour Fontaine que, dans ce débat il ne s'agisse pas plus d'échange que de libre échange mais d'échangisme et de libre-échange, c'est-à-dire d'échange AVEC PROFIT sur tous les plans, ce qui, on en conviendra n'est pas la même chose.
Étant en voie de promotion au rang des sciences, comme n'importe quelle autre science, l'économie politique s'est forgée un vocabulaire conventionnel et toute une terminologie qu'à moins de se résigner à ne pas comprendre, ceux qui veulent en débattre, doivent se faire une règle d'employer.
Le tort de Fontaine est donc de traiter du sujet en donnant aux mots le sens qu'ils ont sur le plan humain : c'est essayer de se faire comprendre pas des Chinois en leur parlant italien sous prétexte qu'on a aucune chance de se faire comprendre d'eux en leur parlant français.
II. -- Le second problème que nous ayons à mettre au point est un problème de méthode assorti d'un procès d'intention. Voici :
« Si ma thèse était fausse, dit Fontaine, il fallait le prouver, soit en montrant la supériorité du dirigisme ou du totalitarisme ou d'une économie non échangiste. »
C'est faire preuve d'une singulière ingénuité que de croire que, parce qu'on a écrit que « le libre échange » (assez à la légère d'ailleurs, puisqu'on voulait dire le libre-échange) était avantageux ceux qui n'en étaient pas d'accord se trouvaient dans l'obligation de « prouver la supériorité du dirigisme, etc. »
Ici encore, je pourrais parler d'illusionisme. Le libre-échange et le dirigisme sont deux activités qui ne se situent pas sur le même plan : le premier est une partie d'un tout qui s'appelle le libéralisme économique et le second est un tout. Or, il n'est pas possible de comparer une partie d'un tout avec un autre tout au surplus d'essence différente. La comparaison ne peut porter qu'entre libéralisme économique et dirigisme ou entre libre-échange et contingentement, contrôle des échanges ou encore contrôle des changes.
Sur ce point j'ai répondu par avance au fond dans l'article publié en même temps que le premier de Fontaine : « Le libre-échange est un moment de la vie des nations, le protectionisme (première étape du dirigisme) aussi. Elles passent de l'un à l'autre selon les circonstances (cf. n° 74).
Pour la raison que ni dans le libre-échangisme, ni dans le dirigisme, le peuple n'a jamais son mot à dire, que dans les deux cas les échanges entre États se font également à ses dépens, il ne peut avoir à choisir entre l'un et l'autre qu'en fonction des possibilités révolutionnaires offertes par l'un et l'autre. Dans le régime qui sortirait d'une révolution éventuelle nous devons ambitionner un système d'échanges qui ne soit ni l'un ni l'autre et dont les principes fondamentaux couchés sur le papier pour la première fois par Proudhon, sont actuellement l'objet d'une tentative de rajeunissement pas toujours très heureuse de la part du mouvement abondanciste, après l'avoir été avec beaucoup plus de pertinence par Bakounine, James Guillaume, Kropotkine, Voline et surtout Sébastien Faure.
Or, aussi bien dans son second article que dans son premier, c'est le seul aspect de la question que fontaine n'aborde pas malgré l'invitation très explicite que constituait ma première réponse.
Et c'est le seul qui puisse présenter un intérêt pour la classe ouvrière.
Je suppose que Fontaine me dispensera de lui exposer la théorie du Fédéralisme proudhonien, de la décentralisation qui y conduit par la suppression de l'Etat et d'une économie distributive qui bannirait la notion de profit en termes beaucoup plus catégoriques encore que Jacques Duboin.
III. -- Il y a, dans le raisonnement de Fontaine, des erreurs dont je ne lui demanderai pas de faire l'aveu. Par exemple le retour de l'Angleterre au protectionisme qui serait à l'origine de la perte de son hégémonie sur les marchés mondiaux. Personnellement, je pense que le libre-échangisme qui a fait la fortune de l'Angleterre jusqu'au milieu du XIXe siècle a été abandonné par elle au moment où elle s'est aperçue qu'à continuer, elle eût livré tous ses marchés à ses concurrents mieux placés qu'elle sous le rapport des prix, notamment à l'Allemagne sur le plan industriel et à la France à partir du moment où cette dernière a eu un empire colonial presque aussi important que le sien et une industrie aussi florissante et aussi bien placée que la sienne (première moitié du XIXe siècle). Je ne connais pas d'historiens et pas d'économistes à quelque école qu'ils appartiennent qui défendent aujourd'hui une autre thèse. Le simple bon sens d'ailleurs suffit à prouver l'évidence : pourquoi l'Angleterre aurait-elle abandonné un régime d'échanges qui avait fait sa fortune s'il avait pu continuer à la faire ? Que le remède n'ait pas enrayé le mal est certain, mais ce n'est pas une raison pour confondre les effets et les causes.
Les causes elles sont ailleurs qu'aux endroits où Fontaine les voit : dans la dislocation du Commonwealth sous l'influence des mouvements nationalistes canadiens, américains, chinois et indiens postulant l'indépendance, dans la naissance et le développement parallèle de l'industrie à l'échelle mondiale par conséquent d'une légion de concurrents aussi bien ou mieux placés, etc..., phénomènes que le libéralisme économique ne pouvait que favoriser et que le protectionnisme pouvait seulement retarder et non pas totalement enrayer. En fait c'est ce qui s'est produit et aussi bien les Rochdaliens avec Keir Hardie que les Fabiens avec S. et B. Webb, B. Shaw et H.G. Wells, l'avaient prédit voici trois quarts de siècle déjà. C'était d'aileurs un des rares points sur lesquels il n'y avait aucun dissentiment entre les marxistes et les autres tendances du Socialisme, au temps de la première Internationale.
Parce qu'en ce domaine, à cette époque, on avait, dans le mouvement ouvrier, la sagesse de penser que ce n'était pas un problème de libéralisme économique ni de dirigisme à drapeau protectionniste, mais de refonte complète des structures économiques et sociales et par voie de conséquence, politiques.
Je ne dirai rien non plus de la conception que Fontaine a de la puissance d'une nation.
« La puissance d'une nation, écrit-il dépend du nombre de ses habitants (au sens absolu du terme), de sa superficie habitable, du chiffre de ses affaires (export+import compris), de sa force militaire, de sa capacité de production, de l'intelligence de ses habitants, de son attachement à la liberté, aux droits de l'homme, etc. »
Il s'agit là de choses qui ont besoin d'être explicitées pour avoir un sens et que n'importe qui peut écrire sous cette forme et dans les mêmes termes, à quelque parti qu'il appartienne, fût-il Pinay !
Je retiens toutefois que, dans ce texte, Fontaine fait état de la puissance militaire comme élément de la puissance d'une nation : je suis, moi, de ceux qui pensent qu'une nation s'affaiblit, ainsi que Hitler l'a amplement et définitivement prouvé, dans la mesure où elle cherche à être forte sur le plan militaire.
Et je pense à la Suisse qui est une des nations les plus déséquilibrées du monde sur le chapitre des éléments que Fontaine fait entrer dans la définition de la puissance d'une nation et qui a le mieux surmonté toutes les catastrophes nationales auxquelles la plapart des autres ont succombé.
Par manière de parler seulement et pour la beauté du coup : parce que, ce qui m'intéresse dans une nation prise dans son acception actuelle, ce n'est pas sa puissance, mais sa faiblesse, c'est-à-dire la puissance du peuple dans son sein et les possibilités révolutionnaires qui lui seraient ainsi offertes.
IV. -- Je veux bien que le fait de recevoir des subsides de l'Amérique ne place pas la France dans sa dépendance politique. Mais alors, Fontaine devra expliquer pourquoi l'Assemblée Nationale et le gouvernement ne prennent aucune décision qui pourrait entraîner la suppression des subsides. Par exemple, la France aurait besoin de commercer avec la Chine : Eisenhower a prévenu que, dans ce cas, elle n'aurait plus a compter sur l'aide Marshall. Alors la France -- quand je dis la France... -- s'est inclinée. Pour la même raison, si le a rejeté la C.E.D. il a voté les accords de Paris qui n'en diffèrent que dans la mesure qui convient pour ne point entraîner la suppression de l'Aide Marshall : personne n'a oublié ni les rendez-vous de Londres, ni le voyage de Mendès aux Etats-Unis...
Fontaine peut m'en croire, cette dépendance là est beaucoup plus effective que celle du petit propriétaire vis-à-vis du grand. Nous savons, certes, que tous les petits propriétaires dépendent des gros qui les tiennent à merci par l'intermédiaire du pouvoir dans la mesure où ils ont partie liée avec lui. Mais, si tous les grands propriétaires ensemble, tiennent à merci l'ensemble des petits, aucun grand propriétaire ne tient en sa dépendance directe, nommément et individuellement, aucun petit s'il n'y a entre eux des rapports contractuels. Tandis qu'ici, sans aucun rapport contractuel (avoué, du moins), la bourgeoisie américaine tient à sa merci toutes les classes sociales de la France par la raison que si la bourgeoisie française ne passe pas par où elle veut, elle lui suprimera les subsides sans lesquels elle perdrait automatiquement le pouvoir dans un chaos économique sans nom.
L'aide Marshall est donc une aide de la bourgeoisie américaine à la bourgeoisie française contre son prolétariat.
Dans cette affaire, le pire est que la classe ouvrière française est asservie par deux classes bourgeoises superposées, l'une étrangère, l'autre indigène dont les méfaits additionnés retombent sur ses pauvres épaules.
Qu'il en est ainsi dans tous les pays bénéficiant de l'aide Marshall.
Que le même phénomène se produit chez les satellites de la Russie où les classes ouvrières sont asservies par deux bureaucraties superposées.
Et que Fontaine -- et pas seulement Fontaine ! -- ne le voir pas.
V. -- Pour être complet, il faut maintenant essayer de se représenter ce que signifie exactement le retour à ce libre-échange si « avantageux » pour tous les pays « dans l'ensemble de leur économie ».
Au premier stade, tous les pays du monde sont éliminés de tous les marchés par les Etats-Unis dont, depuis les réarmement allemands et japonais, les produits sont ou seront à brève échéance, les moins chers du monde.
C'est la raison pour laquelle les Etats-Unis sont les seuls à prôner la libre entreprise, le libéralisme économique et donc le libre-échange.
Tous els autres Etats ou plutôt, dans tous les autres Etats -- attention : Russie comprise ! -- toutes les classes dirigeantes sont pour le protectionnisme afin de préserver leurs marchés de l'envahissement des produits américains.
Le retour au libre-échange conformément au voeu de la bourgeoisie américaine (en passant : là sont rassemblés tous les sujets d'antagonisme dans le clan atlantique) signifie donc l'effondrement de toutes les économies du monde à l'exception de l'américaine.
Faut-il le souhaiter ?
Faut-il le redouter ?
J'ai déjà dit que les conditions objectives de la Révolution sociale en seraient réalisées et que pour répondre à la question, il faudrait savoir dans quel sens irait cette révolution et qui en profiterait.
Très franchement, je suis absolument incapable de me représenter le développement de la situation à partir d'un événement aussi brutal, par conséquent de répondre d'une façon plus précise : jouer les devins n'est pas mon genre.
Si je tiens compte de l'état de délabrement dans lequel agonise un mouvement ouvrier international sans autre idéologie que l'augmentation des salaires et sans militants, j'avouerai même que j'incline à en avoir plus peur qu'envie.
Mais, pour ce qui est de penser que le monde marcherait mieux avec la liberté des échanges qu'avec leur contrôle, c'est une joyeuse fantaisie : l'Amérique, marcherait mieux, et encore, l'histoire ne prévoit-elle pas pour combien de temps...
VI. -- Je terminerai sur un regret... Ecrire comme le fait Fontaine que « l'argent facilite les échanges », et que, pour cette raison il ne faut pas le supprimer remet en cause tout le Socialisme et tout le Syndicalisme dans le sens où on l'entend quand on se dit libertaire et révolutionnaire. Personnellement, je suis de ceux qui pensent que l'argent embrouille les échanges, les fausse et permet à ceux qui l'ont inventé de dissimuler le profit qu'ils en retirent. En vain je cherche dans ma mémoire parmi les doctrinaires du Socialisme (je ne parle pas des politiciens) même les plus modérés celui qui n'a pas réclamé sa suppression, sinon dans l'immédiat, du moins à échéance, pour la seule raison que c'est la seule façon d'assainir les échanges, de les moraliser, et de promouvoir la suppression du salariat. Si Fontaine veur repenser le Socialisme doctrinal à partir de là, je lui souhaite bonne chance.
Mais je le préviens qu'Adam Smtih était déjà en avance sur lui.
Et que, depuis Adam Smith, beaucoup d'eau a passé sous les ponts !
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