par Paul Rassinier
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Défense de l'Homme, numéro 113, mars 1958, p. 6-9.
Éternel Sakiet
Ceci se passait en 1927. La France avait déjà une pacification sur les bras: celle du Maroc. La guerre du rif venait à peine de se terminer: entre Tlemcen et Fez, le petit Deauville circulait encore entre deux haies de protection armées jusqu'au dents et, dans les rues d'Oudja, de Taza, de Meknès, de Fez, les militaires de la garnison n'étaient autorisés à jouir du quartier libre que par groupes et armés de la baïonnette…
Dans le Sud marocain, la riche région du Tafilalet était en pleine effervescence: Belgacem tentait d'y réussir ce qu' Abd el Krim n'avait pas réussi dans le Nord. A cette différence près que, le Tafilalet n'ayant jamais été soumis, il s'agissait non d'une révolte mais d'un refus de se soumettre, d'une résistance à la France qui voulait pousser plus avant sa conquète.
Pour les troupes françaises d'occupation et de conquète, le Maroc était divisé en deux zones par le Grand Atlas (la ligne Agadir, Marrakech, Azilal, Kasba-Tadla, Midelt, Missour): une zone de sécurité très relative en deça, d'insécurité totale au-delà. Les quelques places fortifiées qui se trouvaient au Sud du Grand Atlas comme Ouarzazate (alors Taourirt), Erfoud, Bou Denib, Ksar es Souk, etc. ne pouvaient être ravitaillées et ne communiquaient entre elles que par des colonnes armées précédées, flanquées et suivies d'automitrailleuses toutes griffes dehors. Il fallait au surplus faire du « tous terrains » car il n'y avait pas de voies de communications dignes du nom. Un réseau téléphonique avait été installé qui les reliait à Bou Denib, leur point d'appui et, par Bou Denib, à l'État-Major de Rabat. Tous les jours les fils étaient coupés à un endroit ou à un autre. Après avoir situé l'endroit approximatif de la coupure, des spécialistes partaient faire la réparation accompagnés d'un dispositif de protection: souvent ils tombaient dans un guet-apens…
Le poste le plus avancé était Erfoud: l'État-Major avait décidé d'en faire le point d'appui de la conquête du Tafilalet et, pour le ravitailler en nourriture, en armes et en munitions de construire une route carrossable qui partirait de Midelt et y arriverait par Ksar es Souk, en suivant l'oued Ziz.
J'avais eu vingt ans l'année précédente.
Ayant eu, avec les autorités militaires, quelques démélés qui avaient fait de moi un militaire suspect, j'avais été affecté à un régiment semi-disciplinaire dont avec quelque retard je rejoignis la ...e Cie, précisément à Erfoud, aux environs de mai 1927.
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Justement parce que je lui avais été signalé et par esprit de contradiction, le capitaine de la ...e compagnie, un vieux blédard en perpétuel conflit avec ses chefs hiérarchiques, m'avait pris en affection et, au lieu de m'employer à la construction de briques en terre cuite comme il en avait reçu l'ordre, avait fait de moi son secrétaire-téléphoniste.
La vie de château.
Las! Malgré le Ziz à proximité, malgré sa célèbre palmeraie, ses figuiers, ses amandiers, Erfoud était un centre d'intrigues, et la vie n'avait rien de pastoral. Les autochtones des environs, entre lesquels il était très difficile de distinguer les « partisans » et les « dissidents », s'y venaient approvisionner en tout, y compris en armes. Un jour une bande d'hommes des tribus avoisinantes venait s'engager en bloc et on lui distribuait des armes avec lesquelles elle disparaissait le lendemain pour ne plus jamais revenir. Le bordel, avec ses Ouleds Nails, était un repaire d'espions et de contre-espions: les transactions les plus inattendues et souvent les plus meurtrières s'y faisaient. A l'intérieur des fortifications, on ne savait jamais si on se promenait au milieu d'amis ou d'ennemis. Toujours, il fallait avoir les quatre vingt-huit cartouches à la ceinture et le fusil attaché au poignet. Pour dormir même, si on pouvait enlever les cartouchières, il était interdit de détacher le fusil.
Entre les civils et les militaires, les rapports étaient très tendus. Ils l'étaient aussi entre les militaires eux-mêmes: le capitaine de la ...e Cie qui était « le gradé le plus ancien dans le grade le plus élevé », était le commandant d'armes et, avec un autre capitaine, un certain P..., qui commandait les Affaires indigènes, il avait des différents homériques qui défrayaient la chronique et étaient assez habilement exploités par les tribus ouvertement dissidentes du voisinage. Il lui reprochait notamment la légèreté avec laquelle il distribuait des armes aux civils pour se faire mousser et pouvoir passer le plus souvent possible au Q.P. (le quotidien politique) du soir des soumissions imaginaires de dissidents à porter à son actif, les exactions de ses Moghazenis ou de ses goumiers, les mensonges et les provocations de ses agents de renseignements en territoire ennemi, etc.
Entre eux, surtout, il y avait le block-haus d'Erfoud, perpétuel motif à incidents.
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En 1927, les Affaires indigènes étaient, au Maroc, les véritables maîtres de la situation. Leurs agents avaient pour mission de renseigner l'État-Major sur les dispositions d'esprit de la population: naturellement ces agents lui prêtaient les desseins les plus noirs et, pour avoir toujours raison, ils créaient des incidents nécessaires à la justification de leur point de vue.
Le blockhaus d'Erfoud était une sorte de vigie fortifiée à deux kilomètres environ en avant des lignes. On s'y rendait par un sentier protégé. Une dizaine de Moghazenis y vivaient en permanence qu'on relevait périodiquement et qu'on ravitaillait comme, sur le front d'une grande guerre, un petit poste ou une tranchée avancée.
Toute les semaines au moins une fois, en pleine nuit, il était l'objet d'une fusillade nourrie à laquelle les Moghazenis qui l'occupaient répondaient par une fusillade aussi nourrie.
Il n'y avait jamais de victimes.
Le lendemain soir, le capitaine P... des Affaires indigènes, faisait figurer au Q.P. l'information dans la forme approximative suivante: « Un djich[1] des Aït Ammou[2] a prononcé une attaque contre le blockhaus d'Erfoud à … h. dans la nuit du … au … »
A force de voir se répéter l'information, à Rabat et à Paris, on en déduisait qu'il y avait, dans le Tafilalet, une activité qui pourrait devenir dangereuse pour nos troupes et à laquelle il y avait lieu de mettre fin le plus rapidement possible: on recevait alors l'ordre d'activer la construction de la piste du Ziz. De temps à autres, le Commandant F., commandant d'armes à Ksar es Souk qui avait à sa disposition une base militaire d'aviation, recevait un télégramme lui enjoignant de faire un raid de bombardement de représailles sur les Aït Ammou... Il arrivait même que le commandant F..., un éthylique vérolé au dernier degré et au seuil du délirium trémens, décidât de lui-même un raid de représailles à la suite d'une conversation téléphonique avec le capitaine P. d'Erfoud.
La thèse du capitaine de la ...e Cie était que les attaques du blockhaus étaient organisées par le capitaine P... lui-même: les Oueds Nails du bordel avec lesquelles il entretenait des relations amicales et suivies, renseignées comme on ne pouvait l'être plus sur ce qui se passait à 200 km à la ronde, lui racontaient chaque, le lendemain, comment les choses s'étaient passées avec, à l'appui, les détails les plus précis qui, chaque fois vérifiés se révélaient chaque fois rigoureusement exacts. L'information du capitaine P... était alors suivie au Q.P. d'une autre qui, vingt-quatre heures après, disait en substance: « Le calme le plus parfait règne au Tafilalet. Les Aït Ammou semblent actuellement camper dans la région de Bou Zemgane (à 700 km d'Erfoud!) ou de Taourit (à 1.300 km.!). »
Aux environs de juin 1927, l'État-Major de Rabat mit fin à la guerre des deux capitaines en prenant le parti du capitaine P... des Affaires indigènes dont les informations servaient ses projets de conquète du Tafilalet, et en ordonnant au capitaine de la ...e Cie d'aller prendre ses quartiers au poste d'Erg Yacoub à 30 km. environ en arrière du front d'Erfoud.
Dès lors, le capitaine P... devenait commandant d'armes et restait maître des lieux.
Maître aussi de la tournure que prendraient les événements dans la suite.
Bien entendu, ces événements se précipitèrent.
Le blockhaus d'Erfoud fut de plus en plus souvent attaqué, des formations de goumiers ou de Moghazenis supposées patrouiller à l'intérieur de la zone occupée par les troupes françaises furent de plus en plus souvent attaquées par les djichs, les fils téléphoniques furent de plus en plus souvent coupés un peu partout, les guet apens de plus en plus nombreux, etc. Il n'était pas jusqu'aux Rekkaz qui apportaient le courrier dans les postes, à pied et en marchant uniquement la nuit, qui ne fussent assassinés une ou deux fois par semaine.
A Erg Yacoub, j'étais resté le secrétaire-téléphoniste du capitaine de la ...e Cie. J'ai donc suivi pas à pas l'évolution de la situation: tous les soirs à 18 h., je devais me mettre en ligne pour le Q.P. et j'étais ainsi renseigné sur tout ce qui se passait au Sud de la ligne Agadir-Marrakech-Azilal-Kasbak-Tadla-Midelt-Missour. A cette époque, les lignes téléphoniques militaires ne disposaient pas de disjoncteurs: chaque fois qu'un poste était appelé tous ceux de la ligne sur laquelle il se trouvait l'étaient aussi. Erg Yacoub était sur la ligne Ksar es Souk -- Erfoud. J'ai donc figuré en tiers muet dans toutes les conversations téléphoniques qui ont eu lieu entre le capitaine P... d'Erfoud et le commandant F... de Ksar es Souk pour le compte du capitaine de la ...e Cie qui, dans l'espoir d'arriver à mettre leurs plans en échec tenait à être très exactement renseigné. Cet espoir était vain: de son nouveau poste, il ne pouvait plus rien faire figurer au Q.P. qui concernât les incidents répétés du blockhaus d'Erfoud, les Aït Ammou, les assassinats de rekkaz, les bombardements de représailles, etc... à propos desquels, le capitaine P... et le commandant F... se congratulaient mutuellement, à peu près tous les jours au téléphone et dont ils se réjouissaient comme de bons tours joués à Belgacem.
A ce jeu, la colère monta rapidement non seulement dans les populations civiles du Tafilalet mais aussi dans celles de la zone qui était occupée par les troupes françaises.
En juillet, les Français n'avaient plus d'amis au sud du Grand Atlas. Je savais que dans Erfoud même le capitaine P... n'osait plus sortir qu'entouré d'une véritable garde prétorienne armée jusqu'aux dents. La tête du commandant F... de Ksar es Souk était mise à prix: 500 douros hassanis[3].
En octobre, le régiment partit au repos à Fez et fut relevé par des tirailleurs sénégalais. Le capitaine P... et le commandant F... restèrent sur place à la direction occulte des opérations.
Démobilisé, je rentrai en France le 28 janvier 1928. Quelques semaines après, j'appris que deux compagnies de Tirailleurs sénégalais et un escadron de spahis avaient été anéantis par surprise dans les postes d'Erg Yacoub et Aufous par des djichs très fortement armés et très supérieurs en nombre venus du Tafilalet.
Les journaux annonçaient en même temps que la piste du Ziz était terminée: une véritable armée l'emprunta sur le champ pour envahir le Tafilalet. Si je ne m'abuse, c'est dans cet épisode de la pacification du Sud Marocain que périt le trop célèbre llieutenant de Bournazel.
De retour en France, j'ai essayé d'intéresser à cette affaire, sur le moment même, les mouvements politiques de gauche et d'extrème-gauche: on devait voter le 4 avril et ils avaient d'autres soucis. Aux yeux de l'opinion, la guerre du Maroc était considérée comme terminée et, électoralement parlant, ses prolongements n'étaient plus rentables.
Le silence des partis sur cet aspect -- qui n'est certainement pas un cas isolé! -- de la question, permit à ceux qui étaient les maîtres en Afrique du Nord de continuer à la gouverner dans les saines traditions mises à l'honneur par le général Bugeaud, des ratissages du cap Bon aux fusillades de l'Aurès (en passant par les Oradours indochinois!) et d'arriver sans encombre au bombardement de Sakiet Sidi Youssef.
En 1929, j'ai reçu une lettre du capitaine de la ...e Cie et, en 1930, je crois, j'en ai reçu encore une: il me rappelait nos souvenirs communs en soulignant qu'il n'y avait rien de changé dans les moeurs militaires et particulièrement dans celles des Affaires indigènes qu'il considérait comme une formation dont la mission était la provocation.
Puis je l'ai perdu de vue.
Il doit aujourd'hui être en retraite du côté de Nemours d'Algérie et on doit pouvoir le retrouver. Que si, bien qu'il soit un peu tard, on veut vérifier ce témoignage dans lequel rien n'est inventé et pas même les initiales des noms qui y figurent, rien ne me semble plus facile.
Ni plus important pour les futurs Sakiet Sidi Youssef!
[1] Unité de combat dissidente.
[2] La tribu dissidente la plus combative de l'endroit.
[3] Monnaie des dissidents: 5 fr. officiellement, 8 ou 9 en réalité.
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