Les statisticiens ne sont pas d'accord sur le montant du revenu national évalué en papier. pour l'année 1948, la Société d'études et de documentation économiques industrielles et sociales le chiffre très exactement à 5.980 milliards. Pour 1949, elle n'a encore rien dit, mais les calculs approximatifs de la Commission du bilan national accusent 7.500 milliards. Pour 1950, rien encore n'a été publié. Il parait cependant raisonnable de retenir le chiffre de 7.000 milliards obtenu en tenant compte d'une moyenne des deux précédents à laquelle on ajouterait l'augmentation de 15% qui ressort, dans la production, de la comparaison entre le premier et le second semestre de 1948.
Quand on parle de revenu national, on englobe sous le vocable les revenus propres au travail, ceux des exploitations qui ne sont pas en société, ceux des capitaux mobiliers ou immobiliers et enfin les bénéfices non distribués des sociétés.
Il n'entre pas dans mon propos de faire la part qui revient à chacune de ces catégories: elle n'a d'importance que sous le rapport de la distribution, et, à ce titre, elle ne peut faire l'objet que d'une étude particulière qui viendra en son temps.
Ce que je voudrais dire d'abord, c'est qu'en 1938, le revenu national tournait autour de 360 milliards et que, par conséquent, dans la monnaie papier, il se trouve, en 1950, approximativement multiplié par vingt.
Si on le compare au prix de la vie, on remarque qu'il en a été de même de celui-ci: l'indice qui porte sur les 34 articles syndicaux est 19,22 très exactement pour le mois de mars.
Si on le compare au montant des budgets, on obtient les chiffres suivants au chapitre des dépenses: 118 milliards pour 1938 et 2.300 milliards pour 1950. Là encore, c'est le coefficient 20 qui s'applique, -- 19,64 exactement.
Les statistiques qui concernent les salaires sont si divergentes qu'il n'est guère possible de les prendre comme terme de comparaison, mais il n'est pas imprudent de retenir le coefficient 15 -- et encore -- en précisant qu'on fait la part belle à l'adversaire, car il est vraisemblablement inférieur à ce chiffre.
Si, maintenant, on en vient à la masse des billets en circulation, on obtient: pour 1938, 100 milliards environ et pour 1950, 1.300 milliards en gros. Ici, c'est le coefficient 13 seulement qui joue.
En 1938, les rapports qui existaient entre le revenu national, le prix de la vie, les dépenses budgétaires, le pouvoir d'achat des salaires et la masse des billets en circulation caractérisaient déjà un déséquilibre certain. Les chiffres qu'on vient de lire montrent clairement que ce déséquilibre s'est encore aggravé. Le lecteur en déduira sans peine:
1. Que si le revenu national a été multiplié par 20 et les salaires seulement par 15 (?), le profit capitaliste s'est augmenté de la différence;
Dans le premier cas, c'est pour cette raison qu'un entrepreneur de travaux publics, pleurant la misère et jurant qu'il ne peut pas augmenter ses ouvriers, peut néanmoins consacrer 40 millions à l'aménagement d'un appartement à Auteuil.
Dans le second, c'est pour cela qu'"ils" ont fait la guerre, qu'on "les" a jetés contre l'ennemi du moment sous un quelconque prétexte idéologique, etc. C'est de cette façon qu'on fait payer les frais de la casse à ceux qui n'en sont pas morts, tout en leur permettant d'apprécier, à la tranche de pain qui se rétrécit en peau de chagrin au long des ans, le prix d'une liberté toujours aussi discutable, sinon plus.
Et dans le troisième, il faut bien que l'exploitation du travail des hommes s'assortisse des menus avantages de la spéculation.
Au fond des choses
Si on veut pousser l'investigation, il faut prendre en considération un autre chiffre: la masse globale des salaires et traitements qui tourne autour de 3.000 milliards.
La première observation qui s'impose à son sujet ressort de la comparaison avec ce qu'elle était en 1938: 180 milliards. Coefficient: 18. Mais il faut tenir compte que pour obtenir ce coefficient, on fait entrer dans la masse des salaires et traitements distribués, tout ce qui est retenu au titre de la Sécurité Sociale, ce qui est de nature à la diminuer sensiblement si on ne veut tenir compte que du pouvoir d'achat effectif.
La seconde met en présence deux chiffres: revenu national, 7.000 milliards; revenu distribué, 3.000 milliards, soit à peine la moitié. On est en droit de se demander où passe le reste ou tout au moins de faire le départ entre le nombre de ceux qui bénéficient de 4.000 milliards et ceux qui ne disposent que de 3.000 milliards. Dans un régime bien conçu, il y aurait les 4/7 de la population d'un côté et 3/7 de l'autre. Or, il en va tout autrement. Sur les 42 millions d'habitants que compte approximativement la France, il y a 12 millions de salariés qui représentent 23 millions de personnes environ. En face, il y a 16 millions de paysans qui disposent d'environ 2.000 milliards. Et les 2.000 milliards qui restent sont gardés par les 2 à 3 millions de personnes qui font le complément à 42 millions [note 1: Tous ces chiffres ne sont qu'approximatifs, mais les retouches qu'on peut leur apporter ne sont que très légères.]
Ces chiffres donnent la mesure de l'inégalité dans la répartition du revenu national, lequel, si on le divisait par le nombre des habitants, donnerait 175.000 francs par tête, annuellement, soit 700.000 francs environ pour toute famille de quatre personnes.
Nous sommes loin de compte.
Et c'est sous cet angle, bien plus encore que sous celui de l'inégalité impliquée par la hiérarchie sociale, qu'ils posent la question du régime, de l'exercice du pouvoir et de l'Etat.
Le salaire
La notion de salaire a beaucoup évolué au cours de ces dernières années. D'individuel, le salaire est devenu social et il comprend deux parts: une part individuelle et immédiate qui est versée au salarié et une part différée qui est versée à la collectivité, c'est-à-dire remise dans le circuit et qui n'est distribuée qu'éventuellement sous la forme de soins médicaux et pharmaceutiques ou de pension de retraite. Dans toutes les statistiques, c'est le salaire social qui entre en ligne de compte. Les syndicats eussent voulu que la part différée fut attribuée en sus, ce qui est normal; les patrons se battent actuellement pour qu'elle reste comptée dans le pouvoir d'achat, ce qui l'est moins.
Dans l'état de la question, le patron retient à l'ouvrier une cotisation ouvrière de 6%, et il en fait masse avec sa cotisation patronale de 10%; il doit y ajouter sa cotisation aux allocation familiales de 16%, sa cotisation aux accidents du travail de 3% en moyenne, et enfin son versement forfaitaire de 5% au titre de la taxe proportionnelle. Il envoie périodiquement le tout aux administrations intéressées.
A l'occasion des discussions ministérielles sur les salaires anormalement bas, il a été précisé que: 75.000 salariés gagnent moins de 10.000 francs par mois; 120.000 salariés gagnent de 10.000 à 11.000 francs; 20.000 salariés gagnent de 11.000 à 12.000 francs; 600.000 salariés gagnent de 12.000 à 13.000 francs; 800.000 salariés gagnent de 13.000 à 14.000 francs, 1.000.000 salariés gagnent de 14.000 à 15.000 francs, toutes indemnités et tous prélèvements inclus. Encore n'a-t-on pas tenu compte de deux millions de personnes appartenant aux fonctionnaires, à la S.N.C.F., à l'agriculture (ouvriers agricoles), au personnel domestique, etc., qui entrent dans la dernière catégorie. Tout ceci fait que, sur 12 millions de salariés, il y en avait près de la moitié dont le salaire global était inférieur à 15.000 francs par mois!
On voit que, si on entre dans le détail, le revenu national est partagé de telle sorte qu'un tiers de la France au moins vit dans la misère pour qu'un quinzième puisse se vautrer dans le luxe le plus insultant. Et ceci ne veut pas dire que ceux qui vivent entre les deux vivent normalement!
La part du travail
Dans une discussion qui portait sur les prix de revient, un député qui, par extraordinaire, s'était documenté aux sources, a pu dire que: "Dans le prix de vente légal d'un mètre de tissu, soit 1.300 francs, il y a: pour la matière première peignée, 386 francs, soit 29,8%; pour les autres frais de fabrication, 106 fr. 99, soit 8,2%; pour les impôts et taxes, 130 fr. 90, soit 10%; pour l'entreprise, y compris les frais de représentants, 91 fr. 18, soit 7%; pour le grossiste, 212 fr. 23, soit 16,3%; pour le détaillant, 267 fr. 65, soit 20,6%; pour les salaires, appointements et charges sociales, 104 fr. 50, soit 8%. "
Autrement dit, s'il est permis de généraliser et d'étendre le raisonnement à toute la branche textile, dans tout ce qui se vend, le salaire de l'ouvrier entre pour 8%, charges sociales comprises.
En face de cette évidence, on peut dire, comme l'a fait le ministre de la Production Industrielle, en répondant à l'orateur, que: " Les prix comportent nécessairement un certain nombre de parts: la part du capital, qui doit être telle que les capitaux investis puissent se reconstituer, la part de l'Etat ou impôts, dont nous savons qu'elle est actuellement excessive, mais légitime dans son principe, la part de l'entrepreneur ou profit, qui rémunère son travail personnel d'une part, et d'autre part son initiative, son entregent et les risques qu'il court, et enfin la part du travail, dont la légitimité et la nécessité n'ont pas à être justifiées. "
Mais le régime qui aboutit à de telles anomalies n'en est pas moins condamné moralement et, s'il ne l'est pas dans les faits, on le doit à la magnanimité, à l'inconscience ou à la coupable résignation de ses victimes.
| 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 19 | 20 | 21 | 22 | 23 | 24 | 25 | 26 | 27 | 28 | 29 | 30 | 31 | 32 | 33 | 34 | 35 | 36 | 37 | 38 | 39 | 40 | 41 | 42 | 43 | 44 | 45 | 46 | 47 | 48 | 49 | 50 | 51 | 52 | 53 | 54 | 55 | 56 | 57 | 58 | 59 | 60 | 61 | 62 | 63 | 64 | 65 | 66 | 67 | 68 | 69 | 70 | 71 | 72 | 73 | 74 | 75 | 76 | 77 | 78 | 79 | 80 | 81 | 82 | 83 | 84 | 85 | 86 | 87 | 88 | 89 | 90 | 91 | 92 | 93 | 94 | 95 | 96 | 97 | 98 | 99 | 100 |
Ce texte a été affiché sur Internet à des fins purement éducatives, pour encourager la recherche, sur une base non-commerciale et pour une utilisation mesurée par le Secrétariat international de l'Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre et d'Holocauste (AAARGH). L'adresse électronique du Secrétariat est <aaarghinternational-à-hotmail.com>. L'adresse postale est: PO Box 81475, Chicago, IL 60681-0475, USA. |
Afficher un texte sur le Web équivaut à mettre un document sur le rayonnage d'une bibliothèque publique. Cela nous coûte un peu d'argent et de travail. Nous pensons que c'est le lecteur volontaire qui en profite et nous le supposons capable de penser par lui-même. Un lecteur qui va chercher un document sur le Web le fait toujours à ses risques et périls. Quant à l'auteur, il n'y a pas lieu de supposer qu'il partage la responsabilité des autres textes consultables sur ce site. En raison des lois qui instituent une censure spécifique dans certains pays (Allemagne, France, Israël, Suisse, Canada, et d'autres), nous ne demandons pas l'agrément des auteurs qui y vivent car ils ne sont pas libres de consentir. Nous nous plaçons sous la protection de l'article 19 de la Déclaration des Droits de l'homme, qui stipule: |