Défense de l'Homme, numéro 65, mars 1954, p. 4-8.
-- Lettre de R. Hagnauer, p. 28-29.
Réponse de Rassinier à Hagnauer, numéro 66
Le problème des conférences internationales est un des plus controversés, et jusque dans nos propres rangs: pendant celle de Berlin, sous la plume de l'un de mes bons amis, pacifiste chevronné, j'ai lu, dans un journal auquel je collabore, qu'il n'était "pas interdit d'espérer que ses résultats seraient favorables à la paix du monde."
C'est évidemment très grave: on commence par "espérer des résultats favorables"; quand ils sont là, favorables ou non, on est tout naturellement conduit à les trouver moins mauvais qu'on eût pu les croire, car il est difficile de se déjuger; et progressivement, on en arrive à remettre en cause les données fondamentales du pacifisme intégral... Cette manie de remettre en cause les données fondamentales -- et non seulement les problèmes tactiques, ainsi que d'aucuns tentent de le faire accroire -- ne vise d'ailleurs pas seulement le pacifisme intégral: dans tous les domaines, il en est ainsi de même. Et comme elle prend ses aises en public, elle y cause le plus grand trouble dans nos propres milieux.
Je suis de la vieille école. Sur les conférences internationales, mon opinion se fonde sur l'expérience et sur quelques théorèmes très simples.
L'expérience
Il y a eu beaucoup de conférences internationales avant 1914: et puis il y a eu 1914. Il y en a eu pas mal aussi de 1919 à 1939: et puis il y a eu 1939. A propos de chacune d'elles, des gens ont écrit, avant, qu'il n'était pas interdit d'en espérer des résultats favorables à la paix du monde et, après, que ces résultats n'étaient pas si mauvais qu'on le voulait bien dire. Seulement, ces gens étaient du camp d'en face: aujourd'hui on en trouve dans notre propre camp.
Malgré l'expérience qui continue...
Car enfin, depuis 1945, il y a eu encore quelques conférences internationales: celle de Berlin était la huitième qui mettait en présence les grands eux-mêmes. Voici, à titre d'indication, le tableau très suggestif des sept qui l'ont précédée:
1945: en septembre-octobre, à Londres. Objet: rédaction des traités de paix avec les Etats balkaniques, satellites de l'Allemagne pendant la guerre. Aucun accord.
1946: du 25 avril au 16 mai, à Paris. Même objet. Aucun accord mais... on décide qu'une autre conférence aura lieu.
1946: du 15 juin au 12 juillet, à Paris. Même objet plus le problème allemand. Aucun accord mais... la conférence prévue entre avril-mai s'ouvre à fin juillet, dure trois mois et se sépare sans résultat.
1946: du 4 novembre au 12 décembre, à New-York. Même objet encore. Cette fois, il y a accord: contre la mainmise sur la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la Finlande et la Tchécoslovaquie, les Russes acceptent, avec l'Italie, la signature d'un traité qui la maintient hors de leur influence. Mais, sur l'Allemagne, et le reste, aucun accord. On notera en passant que l'accord réalisé n'allait point manifestement dans le sens de la paix puisque, renforçant le bloc soviétique, il ne pouvait que pousser l'Occident à se renforcer lui aussi en s'appuyant sur l'Amérique.
1947: du 10 mars au 24 avril à Moscou. Objet: traité de paix avec l'Allemagne et l'Autriche. Aucun accord.
1947: du 25 novembre au 15 décembre à Londres. Même objet qu'à Moscou. Aucun accord.
1949: du 23 mai au 20 juin à Paris (Palais rose). Objet: Allemagne et Autriche. C'était au temps du blocus de Berlin. Aucun accord mais... fin du blocus de Berlin, monté par les Russes pour détourner les forces américaines de la Chine: Mao ayant gagné et ce blocus n'ayant plus de raison d'être, les Russes ont accepté de le lever.
Entre temps, deux cent soixante-deux réunions (262) des suppléants des quatre grands et de nombreuses réunions de l'O.N.U. ou de ses commissions sans qu'aucun accord sur l'Allemagne et l'Autriche ait pu être trouvé.
Cet accord introuvable était l'objet de la récente conférence de Berlin où on ne l'a pas davantage trouvé. On l'a donc remis à l'ordre du jour d'une autre conférence qui se tiendra plus tard.
On peut penser que ce résultat est positif. A la manière de Robert Rocca qui cria joyeusement victoire en précisant "qu'ils n'avaient rien cassé" et que c'était toujours ça! Ou à celle de Figaro qui était, lui, "persuadé qu'un grand nous fait toujours assez de bien quand il ne nous fait pas de mal."
"Ils n'ont rien cassé", "ils" ont pris l'engagement de se rencontrer à nouveau d'ici un mois et il y a peu de chances, il faut le reconnaître, que, d'ici un mois, "ils" reviennent sur l'engagement pris.
Pendant qu'ils palabrent, disait Sébastien Faure, on ne risque rien, mais dès qu'ils se taisent...
Dès qu'ils se taisent, ils nous passent la parole après nous avoir, au préalable, dotés du matériel nécessaire, et c'est la guerre.
Le malheur est qu'il arrive toujours un moment où ils se taisent ou, du moins et pour ceux qui sont férus de rigueur mathématique, qu'il est toujours arrivé un moment où ils se sont tus.
Bien sûr, on ne peut pas affirmer qu'un phénomène qui s'est toujours produit se produira toujours, mais il en est de celui-ci comme du plomb qui, jeté dans la rivière a, jusqu'ici, toujours coulé au fond: il n'est interdit à personne d'espérer qu'un jour le plomb surnagera...
Les Théorèmes
La principale raison pour laquelle on ne peut jamais dire que les résultats d'une conférence internationale sont ou seront favorables à la paix du monde, c'est que ne s'y rencontrent que les représentants des Etats. Or, dans tous les pays, les représentants de l'Etat sont ceux des classes dirigeantes et, si on peut concevoir que, dans deux ou plusieurs pays les intérêts des classes dirigeantes soient parallèles, il n'en faut pas moins admettre qu'elles trouveront toujours, en face d'elles, les classes dirigeantes de deux ou plusieurs autres pays dont les intérêts seront diamétralement opposés. En l'occurence, c'est ce qui se produit: le groupe ou le cartel des puissances dites occidentales qui possèdent les quatre cinquièmes et demi des richesses "libérées" du monde est en irréductible opposition d'intérêts avec celui des puissances de l'Est qui ne dispose, à égalité de besoins vitaux, que du reste. Les représentants des Etats occidentaux vont donc aux conférences avec l'intention bien arrêtée de ne rien cèder ou le moins possible de leurs avantages, et ceux des puissances de l'Est avec celle, non moins bien arrêtée, d'entamer le plus possible ces avantages. Jusqu'ici, les premiers n'ont cessé de faire des concessions -- même à Berlin, je le montrerai dans un instant -- et c'est ce qui fait que, comme le dit si bien Robert Rocca "ils" n'ont rien cassé. Mais, dans la concession, il y a une limite au-delà de laquelle ils ne peuvent aller: ce qui compromettrait leur situation de privilégiés dans les nations au nom desquelles ils parlent. Avec l'Allemagne de Guillaume II, il y avait une limite au delà de laquelle on s'est refusé à aller. Avec celle de Hitler aussi. Et on notera, qu'en Corée, c'est pour avoir voulu rester en deçà de cette limite que les Américains ont eu la guerre. Ce qui, au surplus, est grave, c'est que même si les représentants des Etats avantagés acceptent de dépasser la limite, on ne peut pas dire que les risques de guerre sont écartés pour autant: en faisant toutes les concessions possibles à Hitler, il est probable qu'un jour serait venu où il aurait été assez fort pour déclarer lui-même la guerre qu'on en lui aurait pas déclarée. Ceci pour dire que, de toutes façons, il n'y a pas de solution dans le cadre des conférences internationales et que l'un ou l'autre des antagonistes finit toujours par avoir recours à la force et, quelquefois, tous les antagonistes, d'un commun accord.
Qu'il en puisse être autrement, je ne le nie pas, mais seulement le jour où les envoyés aux conférences internationales représenteront les peuples, et non plus seulement les classes privilégiées de certains peuples admis dans la Conférence des Grands: ce jour là, l'entente sera facile car, à l'échelle universelle, les intérêts des peuples sont les mêmes et on sera plus de quatre à en discuter car personne ne sera exclu de la communauté humaine.
Jusque là...
S'il était besoin d'illustrer ce raisonnement par un exemple concret, il suffirait de mettre en évidence les intentions précises dans lesquelles les quatre Grands sont venus à Berlin.
M. Foster Dulles est venu pour monter en Europe occidentale un système stratégique susceptible de libérer les troupes américaines qui y sont stationnées et de les rendre disponibles pour l'Asie. Ce faisant, il devait en outre démontrer à Bidault et Eden que toute entente avec la Russie était impossible, mais en ménageant ses termes de telle sorte que les conversations à deux, avec la Russie précisément, ne fussent pas torpillées, because la bombe H.
M. Molotov, lui, est venu pour démontrer à Bidault et Eden que le système stratégique prévu par Foster Dulles ne se justifiait pas.
Mais M. Eden était acquis à Foster Dulles car, pour les marchands anglais qu'il représentait, le réarmement de l'Allemagne est nécessaire, dans la mesure où c'est le seul moyen de la mettre en situation défavorable sur le plan de la concurrence avec les produits anglais.
Seul M. Bidault ne pouvait suivre inconditionnellement Foster Dulles: s'il avait, pour le compte des marchands français, des préoccupations du même ordre que celles d'Eden, il ne pouvait le manifester qu'en termes mesurés, because la guerre d'Indochine dont il eût bien voulu négocier la fin avec Molotov.
Qui ne voit que sur ce fond de tableau, aucun accord n'est possible qui ne laisse, en définitive, la voie libre à la guerre? Le "fléchissement" américain, c'est l'Europe occidentale livrée à la Russie et le durcissement, c'est le renforcement de l'animosité russe augmenté des dangers du réarmement allemand, pour les classes dirigeantes françaises, notamment, c'est-à-dire pour la France envisagée en tant que Nation dans l'acception habituelle du terme. Un jour, un ange est passé sur la conférence et on a parlé du désarmement général: ça n'a pas été loin, aucun des quatre n'y voyant un intérêt pour les classes dirigeantes de son pays. Pour la galerie, on a mis cette affaire à l'ordre du jour d'une prochaine conférence.
Mais il a bien fallu parler des traités de paix avec l'Allemagne et l'Autriche, objets précis de la conférence. Sur l'Allemagne, les Occidentaux ont dit: élections libres puis unification et évacuation. C'était leur intérêt. Molotov a répondu: élections d'abord. C'était -- surtout après les événements de juin à Berlin-est -- l'intérêt de la Russie. Pas d'accord possible non plus sur ce point... Et pas davantage avec l'Autriche, son évacuation par les troupes russes signifiant l'évacuation aussi de la Tchécoslovaquie, de la Hongrie et de la Roumanie, c'est-à-dire leur perte sèche.
Comment eût-il pu en être autrement ? Les peuples qu'aucune opposition d'intérêt ne dresse les uns contre les autres peuvent se consentir des concessions mutuelles: les représentants de leurs classes dirigeantes ne peuvent pas, car, toute concession de l'un le met en situation d'infériorité devant les autres. Et il n'est pas de concession qui ne modifie les rapports de forces ou leur équilibre.
Il restait les conversations à deux: elles supposent un partage du monde entre la Russie et l'Amérique et elles sont amorcées. Nous ferons bien d'en surveiller l'évolution.
Prendre parti ?
Pour simples qu'elles soient, ces considérations ont beaucoup de chances de ne pas tomber sous les sens du plus grand nombre et, dans la majorité des cas, ce n'est pas en fonction d'elles qu'on porte des jugements sur les conférences internationales: on ne fait plus guère d'éducation systématique et le bon public est quasi abandonné aux journalistes de la grande information qui font de ces choses des problèmes de bonne ou de mauvaise foi. Or, dans ce genre de sport, pour les journalistes de la grande information qui dépendent tous plus ou moins du ministère des Affaires étrangères, la mauvaise foi est toujours chez l'adversaire qu'on leur désigne.
Et le bon public s'y laisse pendre: pour un bon tiers des Français, la mauvaise foi est américaine et, pour un autre bon tiers, elle est russe.
Erreur de part et d'autre: la mauvaise foi est partout -- au service des intérêts les plus sordides et des desseins les plus inavouables.
D'abord, et sans demander son avis au peuple allemand qui est le premier intéressé, ils sont tous partisans du réarmement de l'Allemagne: avant toutes choses, pour que les produits allemands, par le jeu des impôts indirects nécessaires au financement de l'opération soient plus chers que les leurs sur le marché mondial. Les occidentaux veulent la C.E.D. et Molotov ne leur répond que: "L'Allemagne sera autorisée à posséder des forces armées nationales -- armées de terre, de mer et de l'air -- indispensables pour la défense du pays." (Point I, du projet de traité qu'il a proposé). Quelle différence ?
Ensuite, si les communistes français reprochent aux occidentaux de ne pas hésiter à faire appel aux anciens nazis pour la reconstitution de l'armée allemande, Molotov lui-même ne propose pas autre chose lorsqu'il dit, point 6 de son projet: "Tous les anciens membres de l'armée allemande, y compris les officiers et officiers généraux et tous les anciens nazis, etc. auront les mêmes droits civiques et politiques que les autres Allemands."
Enfin, quand, le même jour, le président du Soviet suprême décide un effort supplémentaire d'armement de la Russie, tandis que Molotov propose à Berlin le retrait de toutes les forces armées étrangères (les Russes ne se retirant bien entendu que sur la ligne Oder-Nusse), cela revient à demander aux Américains de lui livrer l'Europe occidentale. Et ça ne vaut pas mieux que la proposition de Foster Dulles qui, sans renoncer au projet de C.E.D. -- par précaution et à titre de garantie, dit-il! -- demande aux Russes d'évacuer l'Autriche et tous les pays de l'Europe centrale qu'elle considère comme un bouclier.
Cela suffit, me semble-t-il, pour établir que ni d'un côté, ni de l'autre du rideau de fer, il n'y a la moindre parcelle de bonne foi. Encore ai-je limité le nombre des exemples probants, tout ce qui a été dit de part et d'autre étant de la même farine, chacun ne proposant que ce qui était de nature à affaiblir son adversaire.
Il n'y a donc aucune possibilité de prendre parti pour les uns ou pour l'autre, et renvoyer les plaideurs dos à dos me paraît la seule prise de position raisonnable.
Aussi bien, nous savons pertinemment que si nous avions, nous, à prendre les décisions qui conduiront le monde à la paix, nous commencerions par décréter la suppression radicale de tous les armements -- ce qui supprimerait du même coup la notion d'agressé et d'agresseur éventuel: la décentralisation de tous les Etats, c'est-à-dire leur suppression et du même coup, celle aussi des grands intérêts indéfendables qu'ils protègent; et nous aurions la fédération des cités autonomes dans les termes mêmes où la rêvait Proudhon, c'est-à-dire dans un univers fraternel à jamais débarrassé de l'exploitation de l'homme par l'homme, d'un Etat par d'autres Etats ou d'une Nation par d'autres Nations.
Qui osera prétendre que Bidault, Eden, Foster Dulles et Molotov peuvent s'orienter dans cette voie ?
Et, s'ils ne le peuvent pas, qui affirmera qu'on peut "espérer des résultats favorables à la paix du monde" des rencontres internationales qu'ils organisent?
Tout ce qu'on peut espérer d'eux c'est que, n'arrivant jamais à se mettre d'accord sur des oppositions d'intérêts qui sont irréductibles, ils ne "cassent" -- ô Robert Rocca! -- rien non plus.
Et qu'il en soit ainsi à Genève à la fin du mois prochain, ailleurs encore après Genève, et le plus longtemps possible.
Mais sans perdre de vue que, tandis qu'ils parlent, ce qui est notre suprême consolation, les événements dont personne n'interrompt le cours, accumulent des difficultés qui deviendront un jour ou l'autre insurmontables ou qu'ils déclareront telles.
Incidente
J'ai parlé de concessions faites par les occidentaux à la Russie: il s'agit du rétablissement des échanges commerciaux traité dans les coulisses de la conférence de Berlin.
En fait, les échanges commerciaux entre les deux clans n'ont jamais été interrompus, l'Angleterre n'ayant jamais cessé de commercer avec Mao Tsé Toung, Mao Tsé Toung avec Moscou et l'Amérique avec l'Angleterre: le circuit des marchandises était seulement plus long et leur prix un peu plus élevé pour les Russes.
A partir de maintenant, des marchandises de l'Europe occidentale pourront franchir directement le rideau de fer. Ces marchandises sont, il va de soi, limitées aux objets de consommation courante à l'exclusion, paraît-il, de tout ce qui relève de la production de guerre.
On peut se féliciter de ce rétablissement du courant commercial dont, avec le Blocus continental, Napoléon 1er avait déjà fait la preuve qu'il était impossible de l'interrompre. (En passant: à 150 ans d'intervalle, c'est toujours des marchands et industriels anglais que viennent les difficultés!). Parmi nous qui nous déclarons volontiers "pour la libre circulation des idées, des marchandises et des hommes à travers toutes les frontières" ceux qui attendaient de la conférence de Berlin des "résultats favorables à la paix du monde" ne manqueront sûrement pas de citer le fait en le faisant figurer au crédit de la conférence.
Je veux bien. Mais c'est justement au lendemain du jour où les traités commerciaux ont pu être considérés comme acquis par la Russie que le soviet suprême a décrété la nécessité d'un nouvel effort d'armement.
Avec l'argent qu'il ne dépensera plus pour se procurer les denrées de consommation courante qui lui sont si nécessaires, prétend Groutchew, ministre du plan, le soviet suprême pourra fabriquer des canons ou des bombes H.
Et il pourra détourner vers la production de guerre, tous les travailleurs qu'autrement, il eût été obligé de maintenir dans la production utile et nécessaire à la vie dans l'immédiat.
Ainsi une mesure qui pourrait être interprétée comme une mesure de détente et dont il y aurait lieu de se féliciter, se transforme, à échéance reportée, en une mesure nuisible à la paix du monde.
Le malheur c'est, qu'ici encore, le non rétablissement des échanges commerciaux eût été tout aussi nuisible.
Et c'est une dernière preuve que, dans les structures actuelles du monde, les intérêts des peuples restant confiés aux représentats de Etats, il y a rarement de solution "favorable à la paix du monde" à attendre des conférences internationales.
Paul Rassinier
Lettre de Roger Hagnauer à Défense de l'Homme.
Le Directeur, Louis Lecoin laisse à Paul Rassinier le soin de lui répondre -- "ce débat ne pouvant nuire à personne."
Mon cher Lecoin,
Je lis Défense de l'Homme, comme Contre-Courant, avec le même soulagement que notre vieille Révolution Prolétarienne. L'heureuse divergence des pensées animées par les mêmes valeurs morales et sociales -- celles que nous servons depuis plus de trente ans -- n'est pas seulement l'effet normal de la vraie liberté; elle prend aujourd'hui le caractère d'une cure nécessaire et salutaire, alors que s'opposent les "conformismes" et que les meilleurs de nos compagnons inquiétés par toute discussion se soulagent par des formules et des artifices.
Ce n'est pas là précaution de style. C'est la justification de ma lettre qui n'a pas d'autre but que d'alimenter le débat sur une question que je crois essentielle.
Dans le n° 63 de janvier 1954, Paul Rassinier écrit (page 30) sur "la lutte menée par le gouvernement américain sur deux fronts" et rappelant les propos qu'il tenait un an auparavant quant à la possibilité d'un abandon de l'Europe par les Américains, il ajoute "nous avons été les seuls, dans la presse, à essayer d'attirer l'attention de l'opinion sur cet aspect du problème".
Paul Rassinier n'est pas obligé de nous lire. Mais alors que l'on nous incorpore à tort ou à raison dans le parti américain, il serait injuste de ne pas reconnaître que nous avions également mis l'accent sur la tendance "asiatique" de la nouvelle politique américaine. Nous l'avons signalé dans la tribune libre de Force Ouvrière, avant l'élection de Eisenhower.
Je l'ai rappelé dans mon intervention au 3e congrès de la C.G.T.F.O. (novembre 1952) et dans les articles que j'ai consacrés, (Révolution Prolétarienne), aux éléments d'une politique ouvrière internationale.
Notre ami Robert Louzon qui, avec son courage habituel, a précisé brutalement son choix entre le parti américain et le parti russe, a fourni a l'appui de notre thèse des arguments solides, et a critiqué "le cafouillage américain" en Orient sans aucun ménagement de forme.
Dans le même numéro de "Défense de l'Homme", Rassinier, sous le titre "Le vent de la panique" (page 47), étudie les prodromes d'une "crise économique américaine sans précédent". Il n'est pas dans mes possibilités de me prononcer en toute connaissance de cause sur ce problème. L'éventualité d'une crise n'est pas exclue. Sera-t-elle plus catastrophique que celle de 1929 ? Restera-t-elle dans les limites de la "récession" de l'immédiate après-guerre ? Suffira-t-il de la prévoir pour la vaincre ? Ce sont là des questions auxquelles nous ne pouvons répondre encore.
Mais l'honnêteté indiscutable de Rassinier devrait se manifester par plus de vigilance et de prudence et ne pas céder à la tentation de subordonner les faits à sa thèse.
Se méfier surtout de cette fameuse logique abstraite qui entend balancer également les responsabilités de chaque "bloc". Dire que l'économie américaine était tombée en 1949 à son niveau le plus bas, depuis la fin de la guerre, c'est vrai. Ajouter que c'est à la "veille de la guerre de Corée"... c'est raccourcir quelque peu le temps -- de la fin de 1949 au début de la guerre de Corée, il s'est écoulé un semestre. Il est également vrai que cette guerre a provoqué un "boom" de la production mondiale.
Mais il est un fait que l'on veut ignorer systématiquement, c'est que pendant le premier semestre de 1950, avant le déclenchement des hostilités, l'économie américaine, sortie de la crise de 1949, était en pleine ascension, que loin de favoriser l'industrie américaine, les nécessités de la guerre l'ont d'abord fortement gênée, et qu'il a fallu l'intervention de l'Etat pour provoquer une nouvelle orientation de la production industrielle. Ce sont surtout les industries anglaise, allemande et française qui ont profité au début du "boom" de Corée. Le public français ignore que les gros capitalistes américains sont lourdement atteints dans leurs bénéfices par la politique interventionniste de l'Etat fédéral. Ce qui explique d'ailleurs en partie le succès électoral d'Eisenhower qu'une fraction de l'opinion aux U.S.A. considérait -- si paradoxal que cela paraisse -- comme plus pacifiste que Stevenson, parce que soutenu par les "isolationnistes".
Le public français croit -- et Rassinier le confirme dans cette croyance -- que Sygman Rhee n'est qu'un pantin entre les mains de Washington. Ce n'est malheureusement pas aussi simple. Ce vieux nationaliste réactionnaire n'est pas un vulgaire "Quisling" hitlérien ou stalinien. Il a résisté à la pression américaine et n'a pas toujours été vaincu. Dans le 1er semestre de 1950, il a fallu la menace de la rupture des relations diplomatiques pour qu'il consente à accorder à son peuple quelques garanties démocratiques. On peut fort bien parler du "chantage" qu'il exerce sur Washington, analogue à celui des nationalistes chinois, des colonialistes français et des capitalistes anglais (en Iran par exemple)... On hausse les épaules. Il suffirait à l'Amérique de commander pour être obéie. Le pourrait-elle ? Oui, si son gouvernement était militaire et dictatorial. Le veut-elle ? Il faudrait qu'il n'y eût qu'une politique américaine. Nous avons déjà constaté que ce n'était pas le cas. Et c'est là tout le problème, que Rassinier et beaucoup d'autres ne veulent pas voir.
La politique "européenne" de l'Amérique était peut-être une politique "impériale". Mais elle était soutenue par les éléments les plus libéraux et même les plus internationalistes, consciemment ou non. En la confondant avec la politique "asiatique", sous la même réprobation, on a fait le jeu des impérialistes au sens étroit du terme et, par voie de conséquence, des réactionnaires et des colonialistes d'Europe et d'Asie.
D'autre part, Staline a multiplié les provocations -- dont l'agression nord-coréenne -- non pas peut-être pour provoquer immédiatement la guerre, mais pour renforcer le parti américain "asiatique" et dissocier le groupement des démocraties. Ses successeurs n'ont pas d'autre politique.
Il reste, et c'est aussi tout le problème, que même si l'on n'avait le choix qu'entre l'impérialisme capitaliste américain et le totalitarisme soviétique nous aurions (je m'excuse de citer Irwing Brown), le choix entre la liberté relative (la marge dépendant de la force du mouvement ouvrier) et la servitude absolue (le totalitarisme détruisant tout mouvement ouvrier).
Ces observations n'ont pas pour but de justifier l'alignement derrière les capitalistes et les militaires américains, mais d'éclairer la lutte ouvrière, internationaliste et pacifiste, qui porte encore tous mes espoirs.
Je l'ai dit avec suffisamment de force et de netteté aux derniers congrès confédéraux de la C.G.T.F.O. pour avoir le droit de le redire ici, certain d'être entendu et compris par celui que nous avons entendu et suivi -- R. Louzon, Yvonne Hagnauer et moi -- il y a quatorze ans.
Bien fraternellement
Roger HAGNAUER
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