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Défense de l'Homme, numéro 74, décembre 1954.
L'actualité
Dans les milieux politiques et syndicaux qui se réclament encore de la classe ouvrière, l'accession au pouvoir de M. Mendès-France a faussé toutes les discussions.
La première raison en est que, même dans les plus claires, on a un peu trop perdu de vue un principe qui, au début de ce siècle semblait s'être dégagé d'une longue et douloureuse expérience, à savoir l'impossibilité absolue d'exercer le pouvoir conformément aux aspirations de la classe ouvrière sans rien changer dans la structure du régime.
La seconde, qu'on y est peu, pas ou mal informé.
Il en est d'autres : ces deux là sont essentielles en ce qu'elles trahissent, chez nous, un abaissement du niveau à la fois dans le domaine de la culture prolétarienne et dans celui de la connaissance.
C'est grave : l'abaissement du niveau de la connaissance conduit à l'abandon des principes qui l'accentue encore, et, à travers le goût du savoir, tue jusqu'à la simple curiosité.
Le cercle est vicieux et nous savons fort bien comment nous y sommes entrés : par la Révolution russe qui, après avoir semé la division dans nos rangs, a multiplié les sectes, donc les sources d'une information de plus en plus contradictoire et de plus en plus tendancieuse, et, probablement dans le dessein de sauver la face, ramené toutes les discussions idéologiques au niveau du mythe de l'unité d'action.
Résultat : personne ne se dérange plus pour " agir ".
Et très peu de gens lisent autrement que d'un oeil distrait, les monceaux de papier imprimé qui arrivent à domicile, venant de toutes directions : on est à peu près assuré à l'avance que, d'où qu'il vienne, ce papier ne contient ni un conseil judicieux, ni une explication acceptable d'une situation à laquelle on ne voit aucune issue, et on ne se trompe guère.
L'accélération sans cesse croissante du rythme de la vie, le temps consacré à la recherche de " la matérielle " qui diminue chaque jour davantage celui de la réflexion, font le reste.
Ainsi s'explique qu'on ne voie plus venir les événements et qu'on ne les comprenne qu'après coup.
Ce fut le cas de l'expérience Mendès-France dont le sens et la portée ne commencèrent à se dégager aux yeux du plus grand nombre qu'après les décisions gouvernementales concernant les salaires ouvriers et les traitements des fonctionnaires. Les événements d'Afrique du Nord eux-mêmes n'intervinrent que pour corroborer une opinion déduite, non pas du raisonnement mais de l'effet produit par une politique dans le filet à provisions de la ménagère.
Aujourd'hui, on comprend aisément que M. Mendès-France n'a amélioré (sic) les conditions de vie de la classe ouvrière et augmenté les traitements des fonctionnaires que par des procédés rigoureusement semblables à ceux qu'avaient employés M. Laniel en février dernier pour les premiers et en juin pour les seconds.
On comprend aisément aussi que les réformes de structures promises se sont finalement résumées dans la modification de quelques articles de la Constitution dans le sens où M. Laniel et, avant lui M. Pinay, avaient demandé qu'ils le fussent.
On comprend enfin que les discussions parlementaires ont repris leurs train-train coutumier, en marge des réalités de la vie sociale.
Et on voit que M. Mendès-France s'en accommode fort bien.
Il y a une chose, cependant qu'on ne comprend encore pas bien : les événements d'Afrique du Nord.
Le bon peuple se rend bien compte que M. Mendès-France adopte ici une attitude très sensiblement différente de celle qu'il avait adoptée en Indochine et, soit qu'il ait espéré mieux, soit qu'il redoute de voir l'Afrique du Nord en venir au point de l'Indochine, n'en croit pas ses yeux.
C'est que le bon peuple ne sait pas. Comment, d'ailleurs, pourrait-il savoir ? La plupart de ceux qui l'endoctrinent ne savent pas eux-mêmes et ceux qui savent ne le lui ont jamais dit.
Pour bien comprendre ces événements, il faut, en effet, savoir que, depuis la fin de la dernière guerre, trois grands groupes financiers se livrent, dans l'arêne parlementaire, un combat sans merci :
1· L'Union des banques américaines, dont l'agent en Europe est M. Monnet, M. René Pleven qui débuta dans la carrière comme secrétaire de M. Monnet, étant son représentant au Parlement.
2· Les banques -- européennes surtout -- Rothschild dont le représentant au Parlement est M. René Mayer ;
3· Un groupe de banques plus particulièrement françaises ou dont les ramifications à l'étranger sont assez ténues, parmi lesquelles on relève les Gradis, les Servan-Schreiber -- ces journalistes propriétaires de L'Express dont l'encrier est un coffre-fort -- et, depuis peu, les Lazard. L'homme politique qui défend les intérêts de ce dernier groupe au Parlement est présentement M. Mendès-France agrégé à lui par des affinités avec les Servan-Schreiber, lesquels sont liés aux Gradis par un mariage (une fille d'Emile Servan-Schreiber est l'épouse d'un Henri Gradis) et aux Lazard par des intérêts communs en Indochine.
Les raisons pour lesquelles ces trois groupes financiers se trouvent en opposition au Parlement sont claires : la politique d'expansion économique des Etats-Unis exige que leurs banques absorbent celles des pays qu'ils visent. Leurs banques donc, attaquent et les deux autres groupes cherchent à échapper à leur emprise : il faut reconnaître qu'avant même l'entrée en scène de M. Mendès-France, M. Maurice Petsche (mari de Simone née Lazard, actuellement Jacquinot ) et René Mayer, agent de Rothschild, arrivèrent assez bien à tenir en échec M. René Pleven par la méthode aussi efficace que souple du "je plie mais ne romps pas".
A cette époque, il ne venait à l'idée, ni des Rothschild ni des Lazard, que l'Indochine dût, un jour, être abandonnée et ce défaut de perspicacité qui leur était commun, maintenait entre eux une certaine unité de vue.
Seuls les Gradis et les Servan-Schreiber tremblaient pour les intérêts qu'ils y avaient et qu'ils sentaient très compromis. S'ils s'ouvraient de leurs craintes dans les milieux financiers, on ne les entendait pas et leur journal Les Echos, dont la formule ne s'y prêtait d'ailleurs pas, n'arrivait pas à les faire prendre en considération.
Alors, ils fondèrent L'Express qui prit nettement position pour la paix en Indochine à partir de... considérations humanitaires !
Au préalable, ils s'étaient assurés le concours de M. Mendès-France qui cherchait justement sa voie dans les eaux parlementaires et n'arrivait pas à la trouver.
Deux autres événements presque concommitants servirent les desseins de M. Mendès-France au-delà même de tout espoir : la mort soudaine de M. Maurice Petsche époux Lazard et la guerre d'Indochine qui se mit soudain à justifier les craintes des Gradis-Servan Schreiber.
La mort de M. Maurice Petsche fut à l'origine du premier dissentiment sérieux entre les Rothschild et les Lazard : la politique financière des premiers se mit à donner aux seconds l'impression qu'elle allait profiter de se qu'ils étaient privés de tout appui politique au Parlement, sinon pour les absorber, du moins pour les placer dans leur dépendance. Ils ripostèrent aussitôt en cherchant un autre époux politique pour la Veuve Petsche et ils le trouvèrent en M. Jacquinot dont l'influence au Parlement se mesurait à ce qu'on parlait de lui pour la présidence de la République. Mais M. Jacquinot n'était pas de la taille de M. Petsche...
C'est sur ce premier dissentiment que se greffa le second, né de l'allure de défaite à peu près certaine qu'avait prise la guerre d'Indochine : les Rothschild, qui ne croyaient pas à la défaite et dont le point de vue rejoignait en cela celui des banques américaines, la voulait poursuivre jusqu'au bout et ceci explique à la fois la position parlementaire de M. René Mayer et celle de M. René Pleven : les Lazard pour qui les Cogny, les Ely, les Navarre et les de Castries n'étaient que des toquards, jugeaient plus prudent de traiter et rejoignaient par là le point de vue des Gradis et des Servan-Schreiber. On dit aussi, et cela semble résulter de la lecture des journaux financiers, que, tandis que les intérêts des Rothschild en Indochine se trouvaient principalement dans le Nord, destiné à passer aux mains de Ho Chi Minh en cas de compromis, ceux des Lazard, des Gradis et des Servan-Schreiber se trouvaient principalement dans le Sud que le compromis pouvait sauver.
Et c'est ainsi que, contre René Pleven ( alias l'Union des banques américaines ) et René Mayer ( alias Rothschild ) les suffrages des députés amis de M. Jacquinot ( alias Lazard depuis son mariage avec la Vve Petsche ) se portèrent sur M. Mendès-France (alias Gardis- Servan Schreiber) et en firent un Président du Conseil.
Il n'a échappé à personne qu'après s'être apparemment beaucoup avancé dans une direction qui semblait bonne en ce qui concerne le règlement des problèmes d'Afrique du Nord, M. Mendès-France a brusquement fait machine arrière : c'est qu'il y a eu, ici, la période antérieure et la période postérieure à l'armistice indochinois.
En Afrique du Nord, il y a deux régions bancaires : la Tunisie et l'Algérie où les Rothschild commanditent à peu près tout sous la haute surveillance de M. René Mayer que, pour les besoins de la cause, ils ont fait élire député de Constantine, c'est-à-dire sur place, et le Maroc où presque toutes les commandites sont entre les mains des Grandis-Lazard-Servan-Schreiber.
Avant l'armistice indochinois qu'il cherchait à négocier conformément aux intérêts de ces derniers, M. Mendès-France ne trouva rien de mieux pour faire pression sur les Rothschild et venir à bout de l'hostilité de M. René Mayer sur le plan parlementaire, que de les menacer en Tunisie et en Algérie. Après, il s'est aperçu qu'il avait fait se lever en Tuinise un vent d'espoir qui menaçait de balayer toute l'Afrique du Nord, Maroc compris, ce qui n'est sûrement pas du goût du groupe financier qui l'a porté au pouvoir. A propos, avez-vous remarqué que sur les problèmes qui concernent le Maroc, M. Mendès-France s'est toujours montré remarquablement discret ?
Comment les choses se termineront en Afrique du Nord, on ne le voit pas bien quoiqu'on puisse s'attendre à ce qu'un jour ou l'autre les événements y prennent la même tournure qu'en Indochine. Mais une chose est sûre : pendant tout le mois de novembre, s'y comportant comme il reprochait à Bidault de se comporter en Indochine, M. Mendès-France a fait tirer sur des gens dont le seul tort était d'avoir eu trop confiance en lui.
Parce qu'entre-temps, la concorde était revenue entre les trois groupes de banques.
On dit qu'ayant accepté l'armistice indochinois comme un fait acquis et passé l'éponge, les Rothschild de Paris n'en renâclent pas moins encore un peu. C'est possible et l'intervention de M. René Mayer dans le récent débat parlementaire sur les problèmes d'Afrique du Nord semble le confirmer.
Peut-être, après tout, cet homme trouve-t-il que M. Mendès-France n'a pas tiré sur les Fellagas des salves assez nourries pour justifier que Rothschild passât l'éponge !
On croit généralement que le Parlement est un lieu où les représentants du peuple rassemblés se penchent sur son destin dans un sens conforme à des désirs qu'il aurait clairement exprimés et qu'ils ne font qu'interpréter : en réalité, c'est un champ clos où s'affrontent les représentants des Conseils d'administration de divers groupes de banques. Actuellement, et depuis la fin de la guerre : MM. René Pleven, René Mayer et Pierre Mendès-France.
D'autre part, il peut arriver que les intérêts d'un groupe de banques soient parallèles à ceux du Peuple : trop de gens en déduisent qu'ils coïncident. Ce fut le cas de la guerre d'Indochine à l'arrêt de laquelle le groupe Lazard-Gradis-Servan-Schreiber avait, sans qu'ils fussent les mêmes, autant d'intérêts que la classe ouvrière, de part et d'autre de la ligne de feu.
On pouvait aller jusqu'à souhaiter le triomphe de ces gens qui voulaient mettre fin à cette guerre sur ceux qui la voulaient continuer et même s'en réjouir après coup.
Mais il fallait garder les distances : point n'était besoin de leur prêter des sentiments humanitaires, de les porter au pinacle, de les pomponner, de les bichonner et de leur faire a priori confiance pour la réalisation de tout ce qu'ils avaient promis d'entreprendre.
Car maintenant que les banquiers sont de nouveau d'accord, à quelques petites nuances près, la politique séduisante derrière laquelle s'abritaient ceux qui l'ont emporté dans la querelle est, d'un commun accord, mise en sommeil.
Et il faut déchanter.
Mais les espoirs déçus qui sont nés dans la classe ouvrière de ces concerts de louanges, ont augmenté le désarroi.
C'est seulement sur ce double aspect des choses que cet article se proposait d'attirer l'attention. Il explique la politique de M. Mendès-France par ses raisons profondes et il est dédié à ceux qui ont pris pour un tribun du peuple... l'avocat d'un groupe de banques au Parlement !
Personne ne doute que la liberté de circulation des biens et des personnes serait chose heureuse pour l'humanité tout entière. Mais tout le monde, y compris pas mal de camarades qie se disent révolutionnaires, doute qu'un pays puisse seul passer du protectionnisme à l'échange libre sans que tous les autres pays en fassent autant. Le libre échange unilatéral passe pour être intolérable. On oublie ce fait, cependant universellement connu, qu'au siècle précédent, l'Angleterre a pratiqué le libre échange unilatéral. Et, de l'avis de beaucoup d'historiens, cette pratique a été à l'origine de la puissance économique de l'empire anglais ; l'affaiblissement sinon la décadence de l'Angleterre commence précisément au moment où elle est devenue résolument protectionniste.
Aujourd'hui, plus encore qu'autrefois, on peut affirmer qu'une nation qui, forte de son unité, de sa discipline et de ses qualités créatrices et bravant toutes difficultés et tous risques décideraint de pratiquer le libre échange, entrerait dans une ère de prospérité sans précédent. Ceux qui soutiennent le contraire ne comprennent pas le mécanisme du commerce international. Ou bien s'ils le comprennent, c'est qu'ils sont au service d'intérêts particuliers que favorise le protectionnisme. J'ajoute que, bien mieux et bien plus sûrement que par la bombe atomique, une puissante nation comme les U.S.A. ou l'U.R.S.S., qui déciderait d'ouvrir toutes grandes ses frontières à la libre circulation des biens et des personnes, ferait rapidement la conquête du monde. Ce serait la victoire de l'impérialisme du bien-être et de la liberté.
Que se passerait-il si un pays, sans s'occuper de l'avis de ses voisins, décidait de supprimer toutes les barrières qui gênent l'entrée et la sortie des marchandises. Il y a des gens se croyant même très savants qui supposent que les importations dans les pays du libre échange augmenteraient sans mesure, par exemple, sans que les exportations puissent aussi augmenter. Ainsi la balance commerciale serait perpétuellement et de plus en plus déficitaire. Ils croient ce phénomène possible : le pays de l'échange libre serait condamné à ne plus pouvoir qu'acheter sans jamais pouvoir vendre. Est-ce imaginable ? N'est-ce pas absurde ! Et quand cela serait, où serait le mal ? Ce serait vraiment une bénédiction pour un pays si l'étranger assumait tout d'un coup la charge de l'approvisionner sans rien recevoir en échange, c'est-à-dire sans payer. La réalité est tout autre, car, selon un axiome important de la science économique basée sur l'échange, on ne peut pas vendre sans acheter, et vente et achat ne constituent qu'une seule et même opération, vue de deux côtés, et le total de l'acheté ne peut jamais être ni plus ni moins grand que celui vendu. C'est précisément par là que la liberté unilatérale de l'échange n'est pas un danger, mais une bonne affaire non seulement pour le pays qui en use mais pour tous les pays qui font du commerce avec lui.
Comme preuve de cette affirmation, il faut dissiper des erreurs et des malentendus concernant les balances commerciales. D'abord qu'est-ce qu'une balance commerciale ? C'est la comparaison statistique des marchandises exportées, tout au moins de façon visible. Quand la valeur des marchandises importées est supérieure à la valeur des marchandises exportées, on dit que la balance commerciale est déficitaire, dans le cas contraire on dit que la balance est favorable. On dit qu'elle est en équilibre quand exportations et importations sont d'une valeur égale. Et tout le monde à peu près sans exception croit que toute balance passive, c'est-à-dire déficitaire, est un danger pour un pays, que là est la cause de son endettement. On y croit comme on croit à Dieu, au diable et à quantité d'autres slogans. Nos dirigeants, bien sûr, y croient aussi ou plutôt font semblant d'y croire, car cette croyance sert merveilleusement les intérêts des importateurs et des exportateurs dont ils sont les dévoués serviteurs. Ils font tout pour équilibrer notre balance commerciale ou la rendre favorable, alors qu'en réalité l'équilibre d'une balance commerciale, lorsqu'il existe, est un pur hasard sans aucune importance.
Le commerce entre pays ne diffère pas de celui de village à village, d'individu à individu. Quand vous achetez un beef-steak chez votre boucher, un pain chez votre boulanger, une paire de chaussures chez votre cordonnier, vous préoccupez-vous de savoir si votre boucher, votre boulanger, votre cordonnier est en mesure d'acheter chez vous quelque chose de valeur égale ? Le principe qui dirait : je n'achète chez toi qu'autant que tu achètes chez moi est une absurdité dans notre économie à base d'argent, de monnaie. D'autre part, le déficit de la balance commerciale d'un pays n'est nullement la preuve d'une conjoncture défectueuse ou le signe d'une mauvaise santé économique. Je connais dans mon voisinage deux viticulteurs. L'un d'eux vient d'acheter pour plus d'un million de matériel agricole : cuve en ciment, machines, engins motorisés. Si un douanier avait été posté devant sa porte, il aurait pu constater, en comparant entrées et sorties de marchandises, que ce viticulteur avait une balance commerciale fortement déficitaire. Et cependant, tout le village sait ici que son exploitation est une des plus prospère de la région. Par contre, le même douanier aurait, chez l'autre exploitant agricole, enregistré une sortie inusitée de marchandises, du vin, du matériel agricole, même des meubles. Sa balance commerciale est fortement active, c'est-à-dire favorable. Et, malgré cela, chacun sait bien qu'il est en difficulté, que son exploitation est déficitaire et qu'il est sur le point d'être ruiné.
Ce qui est vrai pour les entreprises et les activités individuelles l'est aussi pour les nations. Il est de gens pour qui une balance commerciale passive est un avantage. C'est la cas, par exemple, d'un médecin, d'un hôtelier, d'un professeur, etc. C'est le cas d'un peuple chez qui le tourisme est florissant, le cas d'un peuple qui est assez riche pour jouir des revenus de son capital, le cas aussi des peuples qui peuvent obtenir des crédits ou des emprunts. Pour ces gens, pour ces peuples, l'excédent des importations sur les exportations est avantageux. Plus grand est le passif, mieux cela vaut.
On peut me répondre que les hommes politiques qui dirigent les relations entre Etats savent tout cela et depuis longtemps ne s'inquiètent pas du déséquilibre des balances commerciales qui sont actives ou passives en vertu de la nature du genre d'activité qui est en cause, et qu'ils s'attachent essentiellement à la balance générale et plus particulièrement à la balance des paiements. Cela est exact. En effet, jetez un coup d'oeil, si cela ne vous casse pas trop la tête, sur les statistiques de l'O.C.D.E. et de l'U.E.P. ( Organisation européenne de Coopération économique -- Union européenne des paiements ). Vous y lirez, pour chaque pays, la situation débitrice ou créditrice dans la balance générale des paiements.
Cependant, malgré la clarté que devrait jeter sur les relations économiques entre nations, les opérations comptables de ces organismes, presque tous les politiciens et économistes de tous les pays s'effraient de la balance passive des paiements en ce qui concerne leur pays. Ils prétendent tous qu'ils doivent payer plus qu'ils doivent recevoir ou réciproquement et justifient leur politique financière par des absurdités. Il va de soi que ce qui est passif pour un pays est actif pour un autre. Si un pays A doit payer au pays B davantage que B doit payer à A, B doit payer à A moins que A doit payer à B. La balance des paiements qui résume tous les bilans explique comment l'actif et le passif des balances particulières se compensent entre eux et dans le total il n'y a ni actif ni passif.
D'où vient donc, pour un pays, cette hantise du déficit de sa balance commerciale ? Probablement de ce raisonnement petit bourgeois qui compare la balance des paiements au bilan d'un commerçant. Cette fausse comparaison est cause de la confusion. Chez le commerçant, il y a identité de l'acheteur avec le débiteur. Ce n'est pas le cas dans le commerce international tel qu'il fonctionne actuellement. Cette manière de voir laisse croire que l'excédent des importations sur les exportations est la cause de l'endettement des nations, et comme chacun croit qu'une nation qui a des dettes est dans une mauvaise situation économique, cela explique parfaitement l'hostilité des pouvoirs publics contre les balances déficitaires et leur action parfaitement stupide pour y parer. Or, il est totalement faux que les importateurs soient à l'origine des dettes internationales. A part quelques exceptions, négligeables en temps normal, ce ne sont pas les choses importées qu'on ne peut pas payer. L'endettement n'est jamais une conséquence des importations et toute politique prohibitive ne peut l'empêcher. En réalité, c'est l'inverse qui est vrai. Ce sont les dettes envers l'étranger, dettes contractées par les instituts financiers qui sont la cause de l'excédent des importations. Ce phénomène économique n'a d'ailleurs rien de nocif ; au contraire, il est une réaction bienfaisante d'une économie saine qui conduit précisément les pays endettés vers leur libération si tant est qu'ils cherchent à se libérer, ce qui n'est pas forcément avantageux.
On pourrait ainsi pendant des pages et des pages mettre en évidence cette erreur des dirigeants de l'économie qui restent attachés aux fausses doctrines du protectionnisme, alors qu'avec la formidable puissance de production et de distribution des biens, due à la science et au progrès de la technique, l'avenir est à la liberté : liberté de produire, liberté de circuler, liberté de consommer. Le rôle de l'Etat, si Etat il y a, étant, comme dans le code de la route, d'empêcher les chauffards d'écraser les piétons, c'est-à-dire, dans l'économie, de protéger les faibles contre la violence des forts, et de veiller au libre accès de tous à la consommation générale.
On peut affirmer que, sur le terrain économique et social règnent le désordre dans les esprits, la plus grande obscurité, signes précurseurs de grands changements à brève échéance. On ne sait plus, lorsqu'on échange, la valeur de ce qu'on donne ou de ce qu'on reçoit. L'homme d'aujourd'hui se refuse à comprendre les vérités les plus simples et tient pour vraies les affirmations les plus abracadabrantes. Par exemple, il ne voit pas qu'un bien qui n'a pas la possibilité de s'échanger est un bien dénué de valeur sociale ; il n'admet pas cette réalité aveuglante qu'à un moment donné, les machines, les agents naturels travaillent gratuitement et, par suite, donnent des produits qui n'ont presque plus de valeur d'échange, tout en conservant leur pleine valeur d'usage. La conséquence doit entraîner une modification profonde des rapports d'échange, sinon on aboutit au chômage partiel ou total des hommes et des machines. C'est bien ce qui arrive en ce moment. Les produits baissant de valeur et refusant de baisser de prix ne s'écoulent pas. J'entends le mot prix au sens absolu, c'est-à-dire traduisant la valeur réelle des objets, cette valeur étant mesurée par le temps minimum de production.
Qu'il s'agisse des échanges intérieurs ou extérieurs, chaque individu, chaque groupe, chaque pays veut vendre cher et acheter bon marché, c'est-à-dire avoir une balance créditrice, autrement dit recevoir plus et donner moins. Il paraît même que c'est la règle du jeu. Comme autrefois, au temps des famines, l'économie dirigée d'aujourd'hui maintient ce principe abominable que combattait déjà Montaigne : "le profit des uns est fait du dommage des autres". En temps normal -- et c'est le cas aujourd'hui où règne une certaine abondance -- les échanges ne peuvent s'effectuer qu'à égalité de valeur. Toute dérogation à cette règle suppose le dol, la fraude, la ruse, la violence et fatalement amène la révolte, l'émeute et la guerre. La France en fait la triste expérience en ce moment avec ses colonies où elle a tant pris, tant reçu et si peu donné. Avec notre camarade Louzon, reprenant la thèse de Hegel et de Leibniz ( voir le dernier numéro des Etudes matérialistes ), on peut dire que tout cela est naturel parce que cela est ; mais on me permettra d'ajouter qu'ici, la fatalité est d'accord avec la morale et la justice.
Donc, vive la liberté des échanges qui aboutit à l'équilibre entre la production et la consommation, c'est-à-dire au bien-être maximum pour tous. Derrière tout dirigisme plus ou moins totalitaire, derrière tout système comportant des entraves à la libre circulation des biens et des personnes, il y a la volonté délibérée, pour un individu, une collectivité, une classe, une nation, d'instaurer une nouvelle forme d'exploitation de l'homme par l'homme, une nouvelle forme d'injustice sociale ou de tyrannie. Laissons donc l'activité des hommes s'exercer librement dans le respect de la liberté de chacun. Chacun sait, mieux que quiconque, ce qui lui convient, ce qui lui va, ce qui lui plaît, que ce quiconque soit un Dieu, un Etat, un Sauveur ou un César... Ce qu'il nous faut c'est le moins d'autorités possibles, et, j'ose le dire, le moins d'élites possible, mais, par contre, le plus possible de gens de bonne volonté qui produisent un peu plus qu'ils ne consomment et qui, à table, ne prennetn pas la plus grosse part, ou la part des autres.
I. -- Il est exact que la décadence de l'Angleterre a commencé précisément au moment où elle est devenue protectionniste, mais si elle est devenue protectionniste, c'est justement dans l'espoir d'enrayer la décadence dont elle se sentait menacée. Il ne faut pas oublier que si, pendant près d'un siècle, le libre échange a amené la prospérité en Angleterre, c'est qu'elle était à peu près seule à pouvoir alimenter les marchés mondiaux, les autres nations n'ayant rien ou guère à y vendre. Quand, par suite du développement industriel des autres nations et notamment de la France, l'Angleterre s'est sentie vigoureusement concurrencée par des produits de la qualité des siens, elle est venue au protectionnisme pour défendre ses marchés. Ici donc, Fontaine confond la cause et l'effet : ce n'est pas parce qu'elle est venue au protectionnisme que l'Angleterre a décliné, mais parce qu'elle déclinait qu'elle est venue au protectionnisme. L'Espagne a vécu le même phénomène au siècle précédent -- avec moins de bonheur !
II. -- On ne peut pas affirmer qu'une nation qui "pratiquerait le libre échange unilatéral entrerait dans une sphère de prospérité sans précédent " par la raison qu'on ne peut pas prédire l'avenir. Pour une autre raison aussi : le libre échange est un moment de la vie des nations, le protectionnisme aussi. Elles passent de l'un à l'autre selon les circonstances : assorti de l'autarcie qui est sa conséquence logique, le protectionnisme qui a protégé l'Angleterre d'une chute verticale a fait la richesse et la force de l'Allemagne à partir de 1933. De toutes façons, le raisonnement de Fontaine ne s'applique pas aux E.U., dont les produits sont à la fois si abondants et si peu chers qu'ils n'ont pas besoin du protectionnisme. En pratique, ils ne l'utilisent d'ailleurs que contre les dumpings : ils se trouvent au XXe siècle dans la situation qui était celle de l'Angleterre au XIXe et encore celle de l'Espagne au début du XVIIIe.
III. -- On ne peut pas comparer les échanges entre particuliers et les échanges entre nations, -- du moins dans leurs conséquences : le viticulteur riche de Fontaine bénéficie du crédit et il ne tient pas en son pouvoir le viticulteur pauvre. Mais il est lui-même dans la dépendance de son bailleur de fonds qui peut le ruiner, du jour au lendemain, en lui coupant les vivres. Entre nations, il n'est pas toujours question de se couper les vivres, mais... la France débitrice des E.U. par les voies du déficit de sa balance commerciale se trouve entièrement dans leur dépendance : quand Louzon disait qu'il était un citoyen américain, c'était à peine une boutade. Car ce sont les Américains qui commandent chez nous. Ils y sont même installés à demeure. Et parce que nous -- pas moi, pas vous, pas Fontaine, bien sûr ! -- leur devons de l'argent, nous sommes obligés d'épouser leurs querelles jusqu'au risque de faire sauter la planète. Entre un viticulteur et son créancier ou ses clients, ça ne va tout de même pas jusque là !
IV. -- La vérité, dans cette affaire, c'est qu'on ne peut pas, sans danger, prendre parti entre les capitalistes quand ils ne sont pas d'accord entre eux : les uns veulent le libre échange, les autres le protectionnisme. Mais ce n'est pas une question de principe : c'est une question d'opportunité. Les deux doctrines sont également d'inspiration capitaliste parce qu'elles n'envisagent le problème de la production que sous l'angle de l'échange. Qu'avons nous à y voir, nous qui ne l'envisageons que sous celui de la production pour le plaisir de créer et la satisfaction des besoins ? Peut-être pourrait-on espérer que le retour au libre échange créerait dans toutes les nations du monde de telles perturbations sur tous les circuits économiques que les conditions objectives de la Révolution sociale seraient réalisées.
Espérer ou redouter, car il faudrait encore se demander dans quel sens elle irait et qui en profiterait.
Mais c'est le seul argument que Fontaine n'avance pas.
Et c'est dommage car, en dépit d'autres erreurs qui proviennent toutes de ce que, au départ, Fontaine a pris l'effet pour la cause, et sur lesquels je passe, "laisser l'activité des hommes s'exercer librement dans le respect de la liberté de chacun, etc.", c'est aussi le but que nous poursuivons.
Elle vient d'annuler le jugement de la Cour d'appel de Lyon sur Le Mensonge d'Ulysse.
Nous n'avons pas le temps de commenter ce jugement qui va permettre à l'ouvrage de notre ami de reparaître aux vitrines des libraires.
Rappelons seulement qu'une seconde édition actuellement sous presse sortira dans quelques jours au prix de 855 frs l'exemplaire, port compris. Adresser les commandes, accompagnées de leur montant, à Mme Rassinier-Pons, 45, rue de Lyon, à Mâcon. C.C.P. Lyon 3046-71
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Défense de l'Homme, numéro 74, décembre 1954.
-- Explication d'une politique, de P. Rassinier, p. 9-12.
-- Propos sur la liberté des échanges. de J. Fontaine, p. 44-47.
-- Des arguments légèrement différents, par P. Rassinier, p. 47-48.
-- La Cour de Casse..., p. 30
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