par Paul Rassinier
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Défense de l'Homme, numéro 115, mai 1958, p. 3-6.
Dans ce travail de bénédictin que fut Le Mensonge d'Ulysse, je n'ai pas été tendre pour David Rousset. De propos délibéré d'ailleurs: malgré son talent, ni l'homme qu'à Buchenwald j'avais vu virer du trotskysme au bolchevisme dans des conditions fort suspectes, qui venait au surplus de virer de l'apologie des assassins communistes des camps et du communisme en général à l'anticommunisme forcené, ni ses écrits forcément tendancieux, ne me paraissaient dignes de retenir l'attention autrement que par le succès qu'on fit assez imprudemment à l'un et aux autres.
A l'époque, les passions déchaînées par l'irritant problème de la littérature concentrationnaire aidant, on ne vit même pas que j'avais cependant été assez objectif pour porter à son crédit deux appréciations qu'il porta sur la nature de l'homme, d'une part et, de l'autre, sur celle des sociétés de structure capitaliste.
Dans une humanité aujourd'hui riche d'une expérience plus longue et où, sur les camps allemands de concentration, comme sur la résistance et la collaboration, les passions ont cédé le pas à des dispositions d'esprit plus clairvoyantes sans l'être tout à fait, peut-être ces deux appréciations auront-elles plus de chances d'être prises en considération.
Voici donc d'abord ce qu'écrivait David Rousset sur la nature de l'homme:
Voici maintenant ce qu'il écrivait sur la nature des sociétés de structure capitaliste:
On ne peut, certes, accorder le bénéfice de l'originalité à David Rousset: sur la nature de l'homme et de la société de type bourgeois, dictatoriale ou démocratique, nombre de philosophes, de moralistes et de littérateurs ont porté, bien avant lui, des jugements analogues. On ne peut non plus dire que, les ayant repris, il en a tiré le meilleur parti: il fallait une loupe pour les découvrir dans une oeuvre qui en tient aussi peu compte que son auteur dans son comportement public constant. Ajouterai-je qu'aujourd'hui, ayant fait Charlemagne comme un vulgaire joueur de poker sur un coup heureux, David Rousset se tait dans le confort intellectuel qu'apportent toutes les scléroses de la pensée et au moment même où ces deux observations sont des plus actuelles? Car l'homme indifféremment bourreau ou victime selon les circonstances, les traits les plus caractéristiques de la mentalité S.S. et les contingences génératrices de l'atrocité et des camps de concentration, nous les retrouvons aujourd'hui dans un secteur de la société mondiale qui n'a rien d'Allemand. A l'époque où David Rousset écrivait L'Univers concentrationnaire et Les jours de notre mort, nous avions d'ailleurs déjà tout cela qui nous était offert par les camps de concentration et le régime policier de la Russie bolchévique et même de la répression de la collaboration en France: mais David Rousset ne le vit que lorsque ses intérêts le lui commandèrent.
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« La vérité, c'est que la victime comme le bourreau étaient ignobles... Le terreau, ce qu'il y a dessous et qui monte, monte, monte, c'est absolument, affreusement la même chose. » Nous sommes tous du bois -- pardon: du terreau -- dont on fait des assassins. Placés dans des circonstances rigoureusement identiques, aux rares exceptions près de quelques caractères qu'on dit grands parce qu'ils avaient probablement une glande qui fonctionnait mal ou autrement que chez les autres et qui les tenait à l'écart des sentiments grégaires, tous les hommes ont sensiblement les mêmes réactions. Révérence parler, nous sommes tous ce chien chez qui les glandes salivaires se mettent à fonctionner à la vue d'un os et sur lequel Pavlov bâtit sa théorie des réflexes conditionnés. Quand les glandes salivaires ne fonctionnent pas à la vue de l'os, à nous les grandes théories, la célébrité, et, avec un peu de chance, les honneurs de l'Histoire. Pour le chien Antoine, l'os fut le nez de Cléopâtre et que ne doit-on pas à la vérole de Stendhal, à l'impuissance de Balzac, aux glandes thyroïdes de la reine Christine et de la grande Catherine, à la laideur des saintes, aux refoulements des savants et des héros! Dans la masse anonyme, les destins appelés à moins de célébrité n'en sont pas moins assujettis à une multitude de réflexes conditionnés par les structures sociales. On sait aujourd'hui que dans des milieux différents, la même psyché se peut sublimer dans le curé d'Ars ou celui d'Uruffe, la petite soeur de charité ou la fille de joie, le gendarme ou le voleur, le juge ou l'inculpé, la victime ou le bourreau. Les exemples abondent de ceux qui, réincarnant en eux le Dr Jekyll et M. Hyde, sont tour à tour l'un et l'autre. J'ai connu, dans les camps de concentration, des personnages considérables et dont l'honnêteté est aujourd'hui au-dessus de tout soupçon, qui se sont faits voleurs pour un morceau de pain, une soupe, un chandail et qui ont sur la conscience la mort, de faim ou de froid, de leurs camarades d'infortune qu'ils en ont privés. De retour en France, les déportés réclamèrent avec une belle unanimité qu'on mit dans des camps semblables à ceux dont ils sortaient ou qu'on fusillât ceux qu'ils accusaient -- souvent à tort, d'ailleurs -- de les y avoir envoyés: la victime se transformait en bourreau avec une belle désinvolture ou une belle inconscience. Depuis, nous ne sommes pas sortis du débat entre les bourreaux et les victimes auquel, après la guerre d'Indochine, les événements de Hongrie et la guerre d'Algérie viennent de donner un lustre nouveau.
C'est surtout les victimes que l'on voit: avec ce bon dieu de « terreau » qui est « absolument et affreusement la même chose » chez tout le monde, nous avons l'âme sensible et quand nous en avons une de choix comme cet André [sic] Alleg, à nous le lyrisme!
Comme tout le monde, je viens de lire La question. J'imagine assez que le communiste Alleg a vigoureusement applaudi les tanks russes en Hongrie, les procès de Moscou, les interrogatoires et les exécutions après tortures qui eurent lieu sous Staline dans les caves de la Loubianka. Qu'on le libère et qu'on le porte au pouvoir en France: la villa Susini d'Alger ne fermera pas ses portes pour autant. Il est même probable que toute la France se couvrira de villas Susini: la seule différence, c'est qu'on n'y torturera plus des Henri Alleg, mais sur l'ordre des Henri Alleg. Il ne s'agit pas ici d'une victime mais d'un bourreau accidentellement victime et qui se plaint des mauvais traitements qu'on lui a infligés. Demain, les victimes d'Alleg, aujourd'hui ses bourreaux, se plaindront pareillement. C'est là ce qui fait que le débat entre les victimes et les bourreaux est sans issue: la plainte de la victime, son indignation, ne s'adressent jamais qu'au bourreau qui est en elle. C'est, de même, ce qui a tué la littérature concentrationnaire récusée par les philosophes sérieux pour raison d'immoralité de ses auteurs et condamnée à n'être plus qu'une vulgaire entreprise de culture de l'horreur à de fins exclusivement politiques. Le récit d'Henri Alleg ne peut pas échapper à la même condamnation : s'il est admis qu'on ait le droit de mépriser, je ne crois pas qu'il y ait plus méprisable que le bourreau qui se plaint d'être, de hasard, victime.
Mais, mépriser n'est pas punir et, à plus forte raison torturer: on peut n'avoir aucune estime pour le comportement d'un individu et ne désirer que passer à côté de lui avec indifférence. Ce que, par contre, on doit respecter en lui, c'est la vocation de l'être humain par quoi le plus misérable, le plus criminel garde toujours, au fond de lui, une chance de remonter au niveau de l'espèce. C'est cette chance qu'on n'a jamais le droit de compromettre, même chez le gendarme, même chez le juge, même chez son pire ennemi.
En vertu de quoi, je me sens personnellement outragé par les mauvais traitements qui ont été infligés à mon ennemi Alleg.
Il faut nous comprendre: dans cette revue, nous avons tous une mentalité d'hommes qui conçoivent très bien qu'il puisse leur arriver d'être victimes -- nous l'avons d'ailleurs tous été plus ou moins et beaucoup d'entre nous ont été traités comme l'est Alleg -- mais qui ignorent la vengeance et ne seront jamais des bourreaux. Nous connaissons la règle du jeu et nous la jouons délibérément.
C E N S U R É
[ un paragraphe. BEAUCOUP DE PUBLICATIONS SONT, A L'ÉPOQUE, SAISIES POUR « ATTEINTE AU MORAL DE L'ARMÉE », DONT, JUSTEMENT, LA QUESTION, LE LIVRE D'HENRI ALLEG. ]
Et à ceux qu'ils gouvernent, jettent dans des culs de basse fosse et torturent à plaisir que c'est seulement demain, quand ils seront libres s'ils en réchappent, que leurs protestations indignées prendront tout leur sens.
Car, demain, ou bien ils seront des hommes et ils nous intéresseront, ou bien ils seront des monstres semblables à ceux qu'ils dénoncent et alors, que vogue la galère!
Nous réchauffons des serpents dans notre sein? La belle affaire! En confidence, ce n'est pas la première fois, seulement, quand nous rencontrons de ces « serpents » ce sont eux qui baissent les yeux.
Et c'est déjà un résultat.
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Est-il besoin, maintenant, de s'attarder au jugement que porte David Rousset sur la nature de la société, ou des sociétés ? Il est clair que l'homme qui a une mentalité de bourreau ne peut faire que des sociétés de bourreaux et que ce n'est ni un problème de latitude, ni un problème de nationalité ou de race.
Nous avions, jusqu'à la dernière guerre, accoutumé de dire que trois types d'hommes au moins étaient universels: le juge, le prêtre et le soldat. L'originalité de cette dernière guerre a été de faire naître un juge, un prêtre et un soldat dans beaucoup d'hommes et, bien plus que par les ruines matérielles qu'elle a semées, c'est en cela surtout qu'elle a été catastrophique: en France, le nombre considérable de juges, de prêtres et de soldats qui en sont nés nous a conduits tout droit en Algérie via l'Indochine en attendant mieux. Et ce qui s'est perpétré contre ce pauvre Alleg à la villa Susini d'Alger, ressemble étrangement, à la fois à ce qui s'est passé à l'École dentaire de Paris -- avec la caution de tous les Alleg du monde! -- au lendemain de la Libération et à la rue Lauriston sous l'occupation.
« Mais il serait facile de montrer que les traits les plus caractéristiques de la mentalité S.S. et des soubassements sociaux se retrouvent dans bien d'autres secteurs (que l'Allemagne) de la société mondiale », nous dit David Rousset:
En quatorze ans, cette mentalité et ces soubassements ont mûri en France, c'est tout.
A la décomposition morale des êtres par la guerre a correspondu la chute de la société française dans l'immoralité et le crime.
Est-ce l'individu ou est-ce la société qui est à l'origine du drame ? Je ne trancherai pas ce problème sur lequel David Rousset a buté. Mais j'ai tendance à croire que si la société pervertit l'individu, à son tour, la perversion de la société est multipliée par le nombre des individus.
On demande un géomètre pour cercle vicieux.
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