par Paul Rassinier
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Défense de l'Homme, numéro 111, janvier 1958, p. 3-6
Des lettres personnelles aussitôt rendues publiques aux chefs d'État occidentaux, une polémique avec un journal anglais, des toasts sans ambiguïté à l'occasion du nouvel an: on ne peut pas nier que M. Khrouchtchev ait mis un point final très visible et très significatif à l'année 1957 dans le domaine de la politique internationale.
Ceux qui n'ont pas encore compris sont, maintenant, sans excuses.
La Russie soviétique nous a depuis fort longtemps, habitués aux manifestations diplomatiques tapageuses sur la place publique. Nous dirons donc seulement que si les lettres personnelles de M. Khrouchtchev aux chefs d'État occidentaux et sa polémique avec Lord Russel dans l'hebdomadaire britannique New Statesman, ne nous ont pas surpris en ce sens qu'elles ne font, les unes et l'autre, que ressasser des lieux communs, le toast qui émet le vœu de « voir s'instituer, en 1958, des pourparlers directs entre la Russie et les États-Unis » mérite de retenir l'attention.
C'est, en effet, la première fois depuis la fin de la guerre, que les Russes énoncent aussi clairement le thème central de toute leur diplomatie. En 1947, sous Staline, ils ne l'avaient formulé qu'en termes sibyllins et seulement dans les coulisses de la conférence de Moscou qui avait interrompu les conversations normales entre l'Est et l'Ouest. Et seuls les échotiers des Ambassades, ceux qu'on appelle les mauvaises langues du journalisme, en avaient fait état dans la forme des « commérages indiscrets » régulièrement démentis par les officiels de la diplomatie internationale. C'est la raison pour laquelle nous avons eu si peu de succès lorsqu'il y a dix ans, nous en avons parlé pour la première fois.
C'est aujourd'hui officiel: la Russie veut parler avec les États-Unis, et avec eux seulement.
Nous espérons qu'on ne nous démentira plus. Au-delà de cet espoir, la seule question qu'on se puisse poser est la suivante: la Russie obtiendra-t-elle avec les États-Unis les conversations qu'elle souhaite?
Avant d'y répondre, je voudrais d'abord prendre acte du fait qu'à deux reprises au moins (annoncées publiquement, celles-ci), le tête-à-tête a déjà eu lieu: au début de septembre et au milieu d'octobre. On nous a dit qu'il s'agissait uniquement de prévoir les modalités d'échange de quelques informations scientifiques: d'accord, mais, malgré les assurances qui nous ont été données, je serais fort étonné qu'il n'ait pas été question de beaucoup plus que cela.
Je voudrais aussi noter les déclarations optimistes qui ont été faites, après le toast de Khrouchtchev, par tout ce qui, aux yeux du public, compte dans le personnel politique de la nation française, sur l'avenir des relations Est-Ouest: de Daniel Mayer à Georges Bidault, les mêmes qui nous encouragent aujourd'hui à placer tous nos espoirs en elles, nous diront d'ici peu qu'elles sont sans issue.
Ceci dit…
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Avec ses virages à angle droit et souvent en épingle à cheveux, sa souplesse alternant astucieusement avec une intransigeance des plus abruptes, ses prises de positions aussi contradictoires que successives, la diplomatie soviétique a décontenancé un peu tout le monde et jeté le désarroi dans le bloc atlantique qu'elle a toujours prix au dépourvu. Je crois bien, même, que dans l'explication qu'il donne du limogeage du Maréchal Joukov (Est-Ouest, déc. 1957) Souvarine, l'homme qui est, à mon sens, le mieux informé (en dépit des conclusions souvent discutables qu'il tire de ses analyses toujours impeccables) des affaires russes, se soit, pour une fois, lui aussi abusé en s'avançant jusqu'à dire que ce limogeage était sans rapport avec l'espoir russe d'un tête-à-tête russo-américain.
A force d'être simple, voire simpliste, la diplomatie soviétique en devient compliquée et, si elle déroute jusqu'aux plus avertis, c'est parce que, la tradition voulant qu'une diplomatie soit toujours pleine de subtilités, ils s'attendent toujours à en trouver et en cherchent jusque là où il n'y en a pas.
A partir du moment où l'on est convaincu que toute la politique extérieure -- et toute la politique intérieure! -- des dirigeants soviétiques est subordonnée à l'établissement de conversations par fil direct entre la Russie et les É.-U., tout devient net et le comportement de M. Khrouchtchev paraît bien tortueux.
Seulement, il faut s'en convaincre et, pour y arriver, il était nécessaire:
1°) de lire jusqu'aux indiscrétions de la presse diplomatique bien qu'elles soient souvent plus sensationnelles que fondées;
2°) de voir qu'entre les pays satellites et la Chine de Mao, dans cet immense empire de 600 millions d'habitants (près du quart de la population mondiale!) le leadership exercé par la Russie était, de par ses possibilités économiques notoirement insuffisantes en équilibre de plus en plus instable;
3°) de voir aussi que cet équilibre ne pouvait être consolidé que par une modification du statu-quo, notamment en matière de concurrence sur le marché mondial, concurrence que, pas plus que n'importe quel autre pays sauf peut-être l'Allemagne, la Russie ne peut soutenir contre les É.-U.;
4°) enfin, d'admettre que la modification de rapports économiques entre les États rivaux ne pouvant jamais être obtenue que par la guerre ou par traité, en l'occurrence, la Russie -- les É.-U. aussi, d'ailleurs! -- avait tout intérêt, fût-elle bolchévique, à la seconde solution.
Dans le cas du Maréchal Joukov, il était, cela ne souffre pas de discussion, très osé de parler de son « amitié » avec Eisenhower comme l'a fait toute la presse. Il n'en reste pas moins que, si sous Staline il n'avait aucune chance d'être l'intermédiaire tout désigné entre ce dernier et Eisenhower, il n'en était plus de même sous Khrouchtchev, dont la personnalité et l'assise dans le système soviétique sont tout de même, l'une beaucoup plus pâle, l'autre beaucoup moins solide que celle de Staline.
De même que Staline a progressivement éliminé de tout poste responsable tous ceux qui étaient susceptibles de lui porter ombrage et de le concurrencer dans son entourage, Khrouchtchev élimine aujourd'hui tous ceux sur qui la faveur de la direction collective (sic) se pourrait porter au hasard des circonstances: Malenkov techniquement plus qualifié que lui, Molotov spécialiste éprouvé des Affaires étrangères, etc. et Joukov pour être bien sûr que, dans l'éventualité des conversations à deux avec les É.-U., il les conduirait lui-même.
Tels sont les impératifs de tous les systèmes à base de dictature personnelle: un seul homme y veut compter, le dictateur.
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Bien qu'à deux reprises les États-Unis aient accepté de parler directement avec Moscou, il faut reconnaître que la généralisation de la méthode, son extension à tous les problèmes internationaux, ne les enchante pas. Ils sentent trop qu'au terme des discussions de ce genre, il y a le partage du monde en deux zones d'influence et leur extraordinaire potentiel économique ne peut se satisfaire d'une partie du monde: c'est le leadership du monde entier dont ils ont besoin et qu'ils ambitionnent.
Jusqu'en 1956, on les considérait généralement, et ils se considéraient eux-mêmes, comme étant assurés de l'obtenir à la longue: M. Jean Monnet s'était montré assez adroit, leurs projets d'expansion économique vers l'Europe et l'Afrique n'avaient subi aucun échec...
En 1956, coup dur: l'Angleterre, la France et Israël entrent en lutte ouverte avec eux à propos du pétrole du Moyen-Orient, de l'Algérie et de l'Afrique noire et donnent ainsi le premier coup d'arrêt sérieux à leur politique d'expansion économique; l'Allemagne qu'ils avaient relevée commence à les concurrencer sur le marché mondial et l'Euratom n'arrange rien.
Économiquement, voici où ils en sont nous dit L'Express (2 janvier 1958) qui prétend tenir le renseignement de « l'U.S. News and World Report »:
Ces chiffres et ces perspectives ayant été donnés par tous les journaux des plus américanophiles aux plus américanophobes, il ne semble pas y avoir de raison de les révoquer en suspicion.
En juin dernier, l'économiste soviétique Varga écrivait:
Sans doute les États-Unis n'en sont-ils pas encore là, mais, de toute évidence leur situation économique est sérieuse.
Des possibilités qu'ils ont d'arriver à la redresser dépend le sort des conversations à deux qu'ils seraient obligés d'accepter avec les Russes si ces possibilités se révélaient inexistantes.
Disputer des possibilités de redressement économique -- au moins provisoire -- des É.-U. serait beaucoup s'aventurer: bien que leur consommation intérieure soit très forte (l'ouvrier américain est le mieux payé du monde) et leurs exportations relativement réduites (8 % de la production totale, disent les uns, 19 % assurent les autres) ils disposent, étant donné leur potentiel qui est le plus considérable parce que le plus moderne, d'un énorme « volant » de production sur lequel ils peuvent jouer.
Il faut, cependant noter que, depuis 1945, c'est la première fois qu'ils mettent en avant la nécessité de lutter contre l'inflation: en 1949-50 et en 1953-54, ils avaient surmonté la crise sans envisager la réduction de leur circulation monétaire ou une récession possible. Aujourd'hui, le dollar s'est dévalué de 2 % (en 1957) sur le marché intérieur, la vie a augmenté parallèlement de 2,5 % et ils s'attendent à une baisse de leur production totale de l'ordre de 12 % (U.S. News and World Report). La situation est donc plus grave.
Elle s'aggrave encore du fait que tous les États du Bloc Atlantique ont décidé de réduire leurs achats dans la zone dollar: pour ne citer que la France, cette réduction sera de l'ordre de 45 % (100 milliards de francs sur la base de 420 fr. le dollar au lieu de 150 sur la base de 350 fr. le dollar, chaque mois). Même la florissante Allemagne est acculée à cette réduction et ses devises s'entassent au fonds monétaire international, sans autre emploi possible que le prêt à l'étranger.
C'est parce qu'elle atteint le monde entier que la récession dont sont menacés les É.-U. est grave.
Et les conséquences politiques qui en découlent ne sont pas pour l'atténuer. Le bloc Atlantique s'en est un peu effrité: les États qui le composent ayant moins de confiance dans la puissance économique américaine en ont aussi moins dans ses possibilités défensives ou offensives contre l'U.R.S.S.
La réunion de l'O.T.A.N., à Paris, en décembre, devait arranger tout cela: elle était à peine terminée que le Premier Ministre anglais parlait de conclure un pacte de non-agression avec la Russie!
Si donc, dans une situation économique sérieusement détériorée, la diplomatie américaine se persuadait un jour que les États occidentaux sur lesquels elle s'appuie (Angleterre et France, notamment) sont au surplus une planche pourrie, sans doute n'hésiterait-elle pas à en conclure que des conversations à deux avec la Russie sont l'ultime chance de salut. Dans ce cas, M. Harold Stassen remplacerait M. Foster Dulles.
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Dernière question: par-delà leurs divergences fondamentales, quels peuvent être les problèmes sur lesquels une entente est possible entre les É.-U. et l'U.R.S.S.?
A cette question, j'ai souvent répondu que le seul point de rencontre possible entre les deux antagonistes était le partage du monde entier en deux zones d'influence par regroupement des économies complémentaires: Russie et Europe occidentale d'un côté, Amérique et Chine de l'autre. Entre les deux, le bloc afro-asiatique qu'ils continueraient à se disputer sur le plan de la concurrence économique et au sein duquel, chacun pour son compte, ils posent déjà des jalons, les uns, par le truchement de la conférence de Bandoeng, les autres en Afrique, tous deux au Moyen-Orient actuel, point de friction.
Au regard de ce problème général, celui du désarmement et celui de la réunification de l'Allemagne sont mineurs et, d'ailleurs, dépendent de sa solution.
Le lecteur doit seulement se demander, maintenant, si, dans l'hypothèse où ils seraient acculés à des conversations à deux dans la perspective d'un partage du monde en deux zones d'influence, les États-Unis ne feraient pas le premier pas en proposant à la Russie, un accord sur le Moyen-Orient.
Je lui propose cette hypothèse en lui faisant remarquer que la ligne générale de la diplomatie américaine écartelée entre Harold Stassen et Foster Dulles ne l'exclut pas.
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