QUAND MOLLENARD FAIT LA LOI
par Paul Rassinier
Défense de l'Homme, numéro 93, juillet 1956, p. 3-6.
L'actualité
Un jour, on trouva des armes de fabrication française sur des Fellagha[1] faits prisonniers. Cette découverte ne fit pas l'effet d'une bombe : depuis la guerre du Rif et la projection sur tous les écrans de France de l'étrange figure du trafiquant d'armes Mollenard, l'opinion est blasée sur cette question et on ne peut plus rien lui apprendre. Elle sait qu'il n'y a pas de guerre sans trafic d'armes clandestins et d'ailleurs elle accepte le fait.
Elle était pour Mollenard, l'opinion, c'est évident.
Et contre les gendarmes de la Société des Nations qui l'avaient pris en chasse et le voulaient empêcher de débarquer ses cargaisons clandestines sur tous les points du globe où on se battait.
Il est donc arrivé ce qui devait arriver : pour répondre au voeu de l'opinion, le trafic d'armes a été officialisé et Mollenard travaille au grand jour.
Par-ci, par-là, il y a bien encore quelques attardés qui s'émeuvent : tout un arsenal de délits qui vont de la diffamation à l'atteinte au moral de la nation, sont prévus et réussissent assez bien à leur inspirer le souci de ne s'émouvoir qu'à voix basse.
Par quel hasard sut-on que des armes de fabrication française avaient été trouvées sur des fellagha, on l'ignorera toujours. On ne le doit, c'est certain, pas aux journalistes de la presse couchée qui furent, comme à l'accoutumée, très fidèles aux consignes ou très prudents.
Toujours est-il qu'on le sut et que ce fut une flambée de protestations : il était devenu évident que, non seulement on envoyait en Afrique du Nord toute la jeunesse de France, mais encore et en même temps, quoique par une autre voie, tout l'attirail nécessaire pour l'égorger proprement.
L'autre voie, c'était la Syrie et l'Égypte.
Les armes françaises, en quelque sorte, arrivaient aux fellagha par la valise diplomatique.
C'était du cousu-main.
Le Président du Conseil dut faire une déclaration. La voici, telle qu'elle figure au « Journal Officiel » du 3 juin 1956, débats parlementaires, page 2273 :
Le même jour, l'Assemblée nationale devait discuter une interpellation de Tixier-Vignancour sur le sujet. Voici comment (d'après le « J.O. » du même jour, p. 2280) s'exprima Tixier-Vignancour :
Interrompu par le Président du Conseil et invité à lui fournir par lettre les preuves de ce qu'il avançait, l'avocat de Barranès -- chez qui semblent décidément aboutir toutes les fuites du régime ! -- déclara qu'il fournirait non seulement les contrats eux-mêmes, mais encore les factures.
Depuis, on n'entendit plus parler de rien.
Diverses déclarations gouvernementales ont porté à la connaissance du public que l'exécution des contrats de livraison d'armes passés avec la Syrie et l'Égypte étaient suspendus, ce qui prouve que Tixier-Vignancour avait dit vrai.
Mais, ne vous effrayez pas, Mollenard a trouvé une autre voie tout aussi officielle : si la S.O.F.M.A. ne peut plus vendre d'armes à la Syrie et à l'Égypte, elle en peut vendre à d'autres pays comme l'Angleterre, l'Espagne ou la Suisse, et ces autres pays les peuvent tranquillement acheminer vers leur destination.
Car, en matière de trafic d'armes, l'O.N.U. n'a pas les mêmes soucis que la S.D.N.
Deux choses me chiffonnent cependant : d'une part les révélations faites à l'Assemblée nationale par Tixier-Vignancour étaient autrefois le monopole de la gauche ; de l'autre, on s'est bien gardé de nous dire qui se cachait sous le pseudonyme de Mollenard, c'est-à-dire quel était le véritable état civil de la S.O.F.M.A.
Ici, c'est encore un indiscret qui nous renseigne et, par malheur, cet indiscret est toujours un homme de droite : M. Léon Dupont, en rupture de ban avec le mouvement Poujade, dans « Chevrotine », journal qu'il a lancé le 15 juin dernier pour consacrer la rupture.
Voici ce qu'il dit:
Nous pensions bien qu'en France, il n'était guère possible de ne pas trouver Schneider à l'origine de tout ce qui se fabrique et se vend dans le secteur des armements. Ce qui suit est plus grave :
MM. Saffrey, Murgue et Poignant font partie de la Société Nouvelle des Usines de la Chaléassière, société anonyme au capital de 150 millions, dont le principal actionnaire ( 95 % du capital) est également Schneider, scrutateur aux assemblées générales, par l'entremise de l'Union Européenne Industrielle et Commerciale, affaire de banque dépendant des grands munitionnaires du Creusot.
Le président actuel de la Société Anonyme de la Chaléassière (nouveau titre de la société) est le Comte Armand Rafelis de Saint-Sauveur, administrateur de sociétés sidérurgiques et industrielles, appartenant lui-même à la famille de Schneider.
Or, La Chaléassière se trouve être la principale associée d'une entreprise assez mystérieuse, qui a son siège dans les bureaux de la S.O.F.M.A.
Cette filiale de la Chaléassière est le Centre de Documentation d'Études et de Recherches économiques et financières (D.E.R.E.F.) s.a.r.l. au capital de 12 millions, 17, boulevard Malesherbes. La Chaléassière, qui a fourni la quasi-totalité du capital -- l'autre associée la Gelvamo n'a versé que 500.000 francs sur 12 millions -- est gérante statutaire de la D.E.R.E.F. que préside M. Alphonse Chaintreuil, lui-même scrutateur, en 1955, à l'Assemblée générale de la Chaléassière.
Le Centre de Documentation, d'Études et de Recherches économiques et financières (D.E.R.E.F.), installé dans les locaux de la S.O.F.M.A., cette autre filiale de Schneider est l'un des gros actionnaires de la Société du Journal « Express ».
Bien que les dirigeants de « L'Express » aient négligé de faire les dépôts légaux au Greffe du Tribunal de Commerce, ainsi que l'a souligné M. Noël Jacquemart dans un récent Écho de la Presse, nous avons pu avoir communication d'une pièce concernant l'augmentation de capital (27-3-1956) de ladite Société du journal l'Express : la D.E.R.E.F. y figure pour 5.500.000 francs, en compagnie d'autres capitalistes dont nous parlerons une autre fois.
Ces révélations ont été faites le 15 juin.
Elles n'ont été ni démenties, ni poursuivies devant les tribunaux, bien qu'il soit impensable que les intéressés n'en aient pas eu connaissance.
Elles ont donc, malgré leur origine suspecte, bien des chances d'être irrécusables.
Et il faudrait en conclure que la politique de « L'Express », en ce qui concerne l'Algérie est à la fois commandée et commanditée par le marchand de canons Schneider.
A une extrémité de la chaîne du malheur, il y aurait le trafiquant d'armes et à l'autre le journaliste -- de droite autrefois ; de gauche aujourd'hui, la couleur n'étant que de circonstance -- qui défend le trafic la plume à la main et qui « fait » les parlementaires nécessaires pour le couvrir.
Décidément, Mollenard serait un type très fort.
Si c'est vrai, c'est du propre !
De toutes façons, je pose la question.
Paul RASSINIER
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La crise du régime
La guerre d'Algérie menace de faire sauter le régime. L'économie française en est arrivée à ce point qu'elle ne peut plus supporter ni de la gagner, ni de la perdre. Dans les deux cas, les investissements nécessaires dépassent ses possibilités. D'où ces discussions autour du régime présidentiel qui pourrait être appelé à succéder au régime actuel.
De Gaulle a fait sa rentrée politique : il est prêt.
Juin est prêt aussi : nous ne manquerons pas de compétences.
En attendant, Ramadier dit que le déficit du budget tourne autour de 1.000 milliards et l'impasse des déficits accumulés autour de 5.000.
Il disposait de trois moyens pour redresser -- ou tenter de redresser -- la situation : les économies, l'augmentation des impôts assortie de l'emprunt, et la dévaluation. Le premier s'écarte de lui-même : on n'a jamais vu un appareil d'État réduire ses dépenses autrement que sur le papier. La moitié du second, l'emprunt, a fait long feu : 60 milliards. Avant de se résoudre au dernier, il fallait, bien que ce fût sans beaucoup d'espoir, essayer de l'impôt. Et pour le rendre acceptable, Ramadier a quand même inventé quelque chose : la manipulation de l'indice du coût de la vie et le blocage des prix.
L'indice des prix
L'indice actuel dit des 213 articles est une combinaison savamment étudiée de 5 indices particuliers dans laquelle entre :
1. Un indice de 41 denrées alimentaires au détail et à Paris pour une proportion de. |
........................58 % |
2. Un indice des prix de détail, à Paris, des articles de chauffage et d'éclairage (7 articles) |
.........................4 % |
3. Un indice des prix de 115 objets manufacturés, toujours au détail et à Paris |
........................20 % |
4. Un indice des services (47 articles) |
........................15 % |
5. Un indice « Divers » pour le reste. | .........................3 % |
L'unité de consommation sur laquelle est calculé l'indice d'ensemble est « une famille de 4 personnes dont 2 enfants de moins de 16 ans et dont le chef, salarié, a une qualification professionnelle inférieure à celle de contremaître pour l'industrie et de comptable pour le commerce et l'administration ».
Aux dernières nouvelles, il s'établissait à 148,7.
A 149,1, il déclanchera automatiquement le mécanisme de l'échelle mobile.
D'où les efforts de Ramadier pour l'empêcher d'atteindre cette côte d'alerte. Tous les techniciens sont unanimes : si les fruits et légumes étaient compris dans les 213 articles, l'indice plafonnerait aux alentours de 160.
L'indice officiel du coût de la vie n'a rien de commun avec l'indice réel.
Une découverte
Le gouvernement ne fit aucune difficulté pour reconnaître le divorce qui existait entre l'indice officiel et l'indice réel : les dépenses alimentaires y tiennent trop de place, dit-il.
Et il trouva des économistes distingués pour démontrer à l'opinion qu'en 1995 « l'ensemble des dépenses alimentaires des Français ne représentaient que 44 % de leurs dépenses totales contre 49 % en 1949 et les produits manufacturés 30 % au lieu de 20 % prévus par l'indice général ».
Une enquête faite auprès de 100.000 chefs de famille de la région parisienne aurait à peu près confirmé ce pourcentage.
Il est donc question de supprimer des denrées alimentaires dans la liste des 213 articles et de les remplacer par des produits manufacturés.
Remplacer ce qu'achète l'ouvrier par ce qu'il n'achète pas, les légumes par les scooters, l'automobile ou l'avion, le pain et la viande par les cigares et le champagne.
La manœuvre est en passe de réussir.
Le blocage des prix
Si elle réussit, cependant, ce ne sera jamais que sur le papier.
Ramadier le sait bien : depuis un an, les prix de gros n'ont cessé de monter (produits laitiers : de 100 à 106 ; viandes : de 140,7 à 149,8 ; métaux ferreux : de 156,2 à 165,6 ; non ferreux : de 163,5 à 174,1 ; bois : de 198,7 à 228 ; etc.) et ceux de détail ne peuvent que suivre. S'ils n'ont pas suivi jusqu'ici, c'est qu'entre la suppression des fruits et légumes nouveaux sur la liste des 213 articles, on a procédé à un certain nombre de mesures de détaxation qu'il faut récupérer par des impôts nouveaux.
Pour plus de sécurité, notre grand argentier a décidé de bloquer les prix de détail à leur niveau d'avril-mai.
Cette manœuvre réussira aussi mais, comme l'autre, sur le papier : à sa seule annonce une nuée de demandes de dérogations s'est abattue sur le Ministère des Finances.
Vous verrez que tous les prix seront bloqués sauf ceux des denrées alimentaires.
Et ce seront toujours les mêmes qui paieront.
La dévaluation
On la nie : elle est pourtant inscrite dans les faits. Les produits français bénéficient en effet d'une prime à l'exportation et les produits étrangers paient de lourdes taxes à l'importation.
Jusqu'à présent, la dévaluation officielle était surtout envisagée comme une conséquence possible de la guerre d'Algérie et de la dévaluation du sterling. C'était en faire un phénomène sinon purement national, du moins européen.
Or, voici que les Américains annoncent que peut-être ils seront obligés de dévaluer le dollar, ce qui lui donne ses véritables proportions.
La crise que nous traversons n'est pas seulement française, anglaise ou au plus européenne : c'est une crise mondiale.
Pour en sortir
Dans le bloc atlantique, la petite bourgeoisie, héritière dégénérée des grands bourgeois de 1789 à 1848 en Europe occidentale et les nouveaux bourgeois des États-Unis à mentalité de parvenus, se révèlent incapables de surmonter les difficultés du siècle de l'automation.
Dans le bloc soviétique, la bureaucratie sans traditions est en liquidation judiciaire, Kroutchev étant en train, sous couvert de déstalinisation, de déposer le bilan. Le schisme d'occident (socialisme parlementariste) et le schisme slave (bolchévisme) ont, de concert et en un demi-siècle, tué l'internationalisme prolétarien clé de voûte du mouvement ouvrier.
La guerre de 1939-45 a achevé l'entreprise de démolition commencée avec celle de 1914-18 : il y a un parti socialiste anglais, un parti socialiste allemand, un parti socialiste français entre lesquels il n'y a aucune possibilité de concevoir une internationale socialiste. Le socialisme est, à l'ouest, tout aussi empêtré dans les rouages de l'État que le bolchévisme à l'Est.
Le parti socialiste français vient d'accorder une écrasante majorité au tandem Guy Mollet -- Robert Lacoste sur le problème algérien et ce n'est pas étonnant : les documents publiés à l'occasion du 48e congrès attestent que ce parti a perdu 50 % de ses effectifs depuis 1946. Les votes par mandants se traduisent par un total de 3.600 contre 6.000 en 1946 !
C'est la gauche qui l'a déserté.
En vain Marceau Pivert s'évertue dans une entreprise de redressement : les mandats qu'il obtient ont passé, en deux ans, de quelque 1.800 à 363, ceux de la majorité restant sensiblement au même niveau ou même s'accroissant plutôt.
En Angleterre, Bevan n'arrive pas à s'imposer dans le Labour Party.
En Allemagne, il n'y a pas de gauche possible sans faire le jeu du bolchévisme.
Un temps, tous les regards se sont tournés vers l'Inde et Ramanohar Lohia : le congrès de Rangoon en 1953 n'a pas réussi à faire renaître l'internationalisme prolétarien de ses cendres.
Une formule de socialisme libertaire a été lancée en France il y a un an ou deux.
Elle n'a pas eu d'écho.
Un mouvement socialiste libertaire autrement dit anarchiste qui prendra conscience de sa mission est cependant la seule chance de regroupement des survivants de la tradition révolutionnaire.
P.R.
[1]. « Paris-Match » du 7 juillet prétend que l'armement des Fellagha comprend 40 % d'armes de fabrication française.
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