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COURS NOUVEAU ?

 

par Paul Rassinier

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L'Actualite politique, économique et sociale

 

 

Les grèves d'août

 

 Il se peut qu'en dépit de la date qui était mal choisie, des objectifs qui étaient puérils et de la voie empruntée qui ne pouvait conduire bien loin, le mouvement de grève d'août -- sur lequel tout est loin d'avoir été dit -- prenne un jour rang parmi les succès de la classe ouvrière. Je conviens volontiers, pour ma part, qu'avoir obtenu la réunion de la Commission supérieure des conventions collectives, systématiquement reportée -- reportée étant synonyme de refusée -- depuis dix-huit mois, une recommandation du C.N.P.F. à ses ressortissants de ne plus payer de salaires au-dessous du taux horaire de 110 fr. au lieu de 100 une élévation si minime soit-elle des traitements de 302.000 fonctionnaires soit près d'un quart), la mise en pièces du projet gouvernemental sur l'âge de la retraite, et quelques menus avantages du côté de la S.S. et des A.F., est déjà un résultat. Mais il ne manquera pas de bons esprits pour penser qu'en comparaison de ce qui reste à obtenir pour accéder à la justice sociale, ce résultat est bien maigre. Et comment leur donner tort, si l'on veut bien tenir compte que, les nouvelles mesures étant appliquées, 5 millions de salariés ont encore moins de 25.000 fr. par mois pour vivre et 5 millions 1/2 d'autres, moins de 40.000 fr. ?

 Si donc on veut porter des jugements sur les grèves d'août, pour éviter des discussions sans issues, il est recommandé de le faire à un autre niveau : en fonction de ce qu'elles représentent pour elles-mêmes, et non d'un résultat qui ne donne, après tout, que la mesure des possibilités d'une classe ouvrière toujours incapable de passer à l'offensive et, dans le mouvement de régression sociale que nous vivons depuis 1910, acculée à une défensive sans beaucoup de gloire.

 Sous cet angle, elles constituent, à mes yeux, un événement d'une exceptionnelle importance. Une date mal choisie, des objectifs puérils, des moyens d'action désuets[1] par delà tous les inconvénients que cela signifie, c'est le propre des mouvements spontanés. Et un mouvement spontané qui, en quarante-huit heures, contre la volonté des leaders syndicaux de toutes les tendances qui les encadrent, entraîne l'adhésion de quatre millions de salariés soit le tiers du total et la presque unanimité de ceux dont le pouvoir d'achat est reconnu sans commune mesure avec le prix de la vie) c'est une chose qu'on avait jamais vue. L'avenir nous dira si cette chose qu'on n'avait jamais vue peut être considérée comme un indice de revirement dans la situation et de possibilités de passage, de la défensive à l'offensive. Mais, -- tant il est vrai qu'on passe facilement du pessimisme à l'optimisme, -- j'avoue que j'ai, dès maintenant, tendance à penser que si un mouvement a pu prendre une telle ampleur dans de telles conditions, un autre qui serait minutieusement préparé, dont les objectifs seraient sérieusement étudiés et les moyens d'action modernisés, serait incoercible.

 On a beaucoup médit de la classe ouvrière. Par exemple, on a pris pour de l'avachissement -- certains ont dit de l'aveulissement -- le fait qu'elle n'était syndiquée que dans une très faible proportion guère plus de deux millions de syndiqués, soit 15 à 18 % des salariés), qu'elle fuyair les réunions, manifestations, etc..., il semble bien que ce soit seulement par manière de dire indistinctement sa méfiance à tous ceux qui, par ces jeux de passe-passe qu'on appelle la démocratie syndicale, et la démocratie tout court, se sont institués ses mentors, ont réussi à l'encadrer dans la division et se disputent crasseusement des faveurs qu'elle ne veut accorder à aucun d'entre eux. Mais qu'à tort ou à raison un mot d'ordre lui inspire confiance, elle est prête à passer à l'action : on l'a vu en 1936, et, en 1953, elle s'est même forgé ses propres mots d'ordre...

 Qu'elle soit capable de se forger des mots d'ordre et de se définir un moyen d'action au niveau de la situation, c'est-à-dire qu'elle en ait une claire conscience, je ne le crois pas : les grèves d'août l'ont prouvé et j'ai assez souvent déploré que des luttes intestines sans merci  en soient arrivées à rendre totalement impossible toute éducation politique, économique, syndicale et sociale. Il y a certes, dans le sein de la classe ouvrière, un nombre appréciable de gens qui mettent en cause les structures et sentent la nécessité d'une révolution, mais, comme nous, ils n'ont que peu d'audience, la grande masse en est toujours à la revalorisation des salaires dans le cadre du régime. Et le cheminement des idées est lent !

 L'expérience aidant, je ne désespère cependant pas de les voir, un jour, réussir à se faire entendre. Je compte d'ailleurs beaucoup sur les circonstances qui, étant donnée l'orientation politique actuelle, ne peuvent manquer de créer -- peut-être plus tôt qu'on ne le pense -- une situation objectivement révolutionnaire et d'être sans cesse plus favorables à leur promotion : un moment viendra où, quel que soit son degré de maturité et dans quelques dispositions d'esprit qu'elle se trouve, la classe ouvrière ne pourra absolument plus accepter les conditions matérielles de vie qui lui seront faites par le capitalisme. Dans cette éventualité, la seule chance de succès est, dès maintenant, une lutte impitoyable contre les cadres syndicaux, dans toutes les centrales.

 Un tel conseil peut paraître paradoxal et comme une excitation à un redoublement des luttes intestines : il ne manquera pas de gens -- surtout parmi les intéressés ! -- pour le prétendre et qu'il y a mieux à faire. Mais les cadres syndicaux de toutes les tendances, on le a récemment vus à l'ouvrage et on les y voit encore : après avoir tout fait pour torpiller les grèves d'août, ils font tout, maintenant, pour en atténuer les effets et pour empêcher que se constitue un front cohérent de combat susceptible de renouveler l'exploit dans de meilleures conditions et, cette fois, avec toutes les chances de réussite. Je ne parle pas de la confédération générale des cadres qui ne rate jamais une occasion de proclamer son indéfectible attachement aux structures hiérarchisées du régime actuel. Mais comment qualifier l'attitude de F.O. et de la C.F.T.C. refusant conjointement de réclamer la convocation du Parlement -- dont, il est vrai, il y avait peu a attendre sinon sa mise au pied du mur -- au moment critique, puis déconseillant les manifestations de mécontentement provoquées par l'insuffisance des décrets gouvernementaux concernant la revalorisation des traitements des petits fonctionnaires ? De toute évidence, cette attitude ne pouvait avoir d'autre objet que de sauver le gouvernement Laniel pour ne point compromettre les prochaines élections à l'Elysée que, chacun de son côté, visent également le Parti socialiste et le M.R.P. Il y a bien les cadres de la C.G.T., mais, chaque fois qu'ils se mêlent à un mouvement, ou tentent d'en déclencher un, ils lui fixent tant d'objectifs étrangers à la condition ouvrière et manifestement inspirés de la politique du Parti communiste, qu'il n'est pas possible de ne pas penser que leur seul souci est de servir les intérêts de Moscou. Il faudrait donc être bien naïfs et avoir totalement perdu jusqu'au sens des mots pour parler de luttes intestines dans ces conditions : tous ces gens-là n'appartiennent plus à la classe ouvrière et ils n'ont aucune idée des luttes sociales. A la faveur des événements troubles de la libération, à grands coups d'épuration souvent sanguinaire, ils ont réussi à s'installer aux postes de commande du syndicalisme comme d'autres se sont parallèlement hissés aux postes de commande de la politique et de l'économie. Ils sont maintenant des permanents en pantoufles comme d'autres sont députés ou ministres pour la forme. Ils ont un « Job », ils en vivent et ils le défendent comme ils peuvent, c'est-à-dire par des moyens qui sont au niveau de leut mentalité de ronds-de-cuir.

 La meilleure façon pour nos camarades de mener cette lutte contre ces imposteurs qui font, dans leur seul intérêt, prédominer sur les raisons d'être du syndicalisme toutes les influences qui lui sont étrangères et le rendent impuissant, me semble être, je l'ai déjà dit, de parler sans cesse de la refonte totale des structures par la réforme de la fiscalité et de la révolution par la grève générale. Le malaise social est si ample et si grave qu'on peut parler de crise sinon finale, du moins aigüe du capitalisme et que la politique gouvernementale met elle-même cet objectif et ce moyen à l'ordre du jour.

 

La politique gouvernementale

 

 Aussi loin que l'on remonte dans l'histoire des gouvernements de la République, on ne trouve dans leur politique, et malgré leurs proclamations souvent violemment contradictoires, que des nuances souvent à peine sensibles. Aucun ne s'est jamais attaqué aux raisons fondamentales du malaise social : tous se sont bornés à des manipulations plus ou moins heureuses des rapports humains ou de classe dans le respect à peu près absolu de structures politiques, économiques et morales vieilles de près de deux cents ans. Un seul eût pu faire exception : celui de Juin 36, porté au pouvoir par un mouvement populaire dont l'idéologie était précisément à base de transformation complète des structures. Sous prétexte de parer au plus pressé, il a, au petit bonheur la chance, modifié quelques détails dans les rapports sociaux et, quand le moment fut venu de s'attaquer aux structures, son leader, buttant contre elles et comme désemparé, a, de bonne foi ou non, déclaré qu'il fallait d'abord faire une pause...

 Depuis la libération, cette disposition au respect de l'ordre établi, a été la caractéristique commune de tous les gouvernements qui se sont succédés au pouvoir, qu'ils soient de gauche ou de droite, et il semble que ceux qui s'en sont le plus rendus coupables, soient justement ceux qui étaient le plus axés à gauche : rappellez-vous le « Retroussons nos manches », le « Produire d'abord, revendiquer après », etc. du communiste Ambroise Croizat, alors ministre du travail... En tout cas, jamais on n'a moins parlé de la nécessaire réforme des structures qu'en cette après-guerre. Qu'on soit en droit de trouver cela pour le moins paradoxal, de la part de gens qui voulaient nous conduire « de la Résistance à la Révolution » personne, je pense, n'y contredira.

 Mais aussi puissants que soient les gouvernements, il y a deux choses contre lesquelles ils ne peuvent rien : l'évolution des événements et l'évolution parallèle des idées. Et voici que, maintenant, il faut bien parler de ces structures.

 Autre paradoxe, c'est de l'autre côté de la barricade que vient l'initiative d'en parler. Dans les partis qui se réclament de la classe ouvrière, on a d'autres préoccupations et, dans les syndicats, on se tait sur ce point sous prétexte qu'il faut se garder de mêler les problèmes politiques et les problèmes sociaux.

 Depuis juin donc, les grands ancêtres de 1789 hantent les nuits de tous les ministres en exercice et de tous les candidats à leur succession. Paul Reynaud et René Pleven s'en sont confessés quelque temps avant les grèves et, après, tous les journaux bien pensants leur ont fait écho. Au récent congrès du Parti radical, à Aix-les-Bains, M. Mendès-France, à qui on doit au moins reconnaître qu'il a de la suite dans les idées, n'a pas hésité à déclarer que nous étions en 1788.

 Personnellement, -- prescience ou prémonition ? -- je m'étais mis au diapason sans le savoir, en consacrant, dans le N° de fin juin, un article aux analogies qu'on pouvait relever entre la situation actuelle et celle à la veille de la Révolution française.

 Les raisonnements par analogie, surtout quand ils prennent l'Histoire pour objet, sont toujours assez aventureux. Mais plus on s'enfonce dans une situation dont il est de plus en plus difficile de dissimuler la gravité, plus je pense que nous sommes en train de vivre une période pré-révolutionnaire et que cette période pré-révolutionnaire a effectivement d'étranges ressemblances avec celle qui se sublima dans la Révolution de 1789.

 Le problème à résoudre c'est, cela me paraît d'une évidence criante, celui de la distribution d'une production, existante certes, mais qu'un certain nombre de dispositions structurelles, empêchent irréductiblement d'arriver au consommateur. En 1789, les dispositions structurelles du régime se définissaient par les formes légales sinon toujours intactes de la propriété la féodalité), le système fiscal essentiellement indirect gabelles) quoique portant sur un nombre de produits infiniment moindre, les cloisonnements provinciaux de l'administration avec les frontières commerciales qui en étaient la conséquence et le pouvoir royal incontrôlé et incontrôlable qui assurait la durabilité du système par la hiérarchisation des classes sociales. Aujourd'hui, le pouvoir n'est plus royal mais parlementaire et théoriquement contrôlable -- pratiquement... -- mais le problème des cloisonnements, de provincial est devenu national, et il constitue à l'échelle internationale le même obstacle à la circulation de la production que jadis à l'échelle nationale. De féodale, la propriété est devenue individuelle et, quant au système fiscal, la bourgeoisie -- et la petite bourgeoisie ! -- ont reconquis pour leur compte tous les privilèges de l'ancienne noblesse et du clergé : les boutiquiers d'aujourd'hui, ce sont les fermiers généraux de 1789 et, toujours comme en 1789, les ressources de l'Etat sont couvertes dans la proportion des 4/5 par les impôts indirects, c'est-à-dire la gabelle ressuscitée et étendue à tout. Une seule différence : la nature de la propriété et de la production qui étaient essentiellement agricoles et qui sont aujourd'hui essentiellement industrielles. Je doute que cette différence ait une importance de principe.

 Donc, par une loi qui porte les dates du 23 novembre et du 1er décembre 1790, l'Assemblée constituante issue, comme on sait, des États-Généraux, décida la création de deux impôts seulement : la contribution foncière sur le revenu net des terres[2] qui devait subvenir, à elle seule, aux 4/5 des dépenses publiques et la contribution mobilière personnelle qui devait fournir le complément. Du jour au lendemain, les classes possédantes qui vivaient, comme aujourd'hui, de la manipulation des impôts indirects furent ruinées et il n'est pas douteux que semblable mesure prise maintenant ruinerait de même tous les boutiquiers dont, pour la plupart, le seul moyen d'existence est la fraude fiscale.

 Parallèlement fur décidée la réorganisation administrative de la France qui supprima les barrières douanières inter-provinciales et uniformisa le prix à l'échelle nationale et à des taux bien inférieurs à ceux qui étaient jusqu'alors pratiqués.

 Est-il besoin de préciser à quel point les effets conjugués de ces deux mesures firent diminuer les prix intérieurs au stade du consommateur?

 L'accession à la propriété individuelle et les mesures édictées pour la favoriser, vinrent par-dessus le marché et eurent un effet beaucoup plus psychologique dans la mesure où elles entraînèrent l'adhésion des masses) qu'économique et directement social.

 La suppression des barrières douanières étant aujourd'hui susceptible des mêmes effets à l'échelle européenne, que jadis à l'échelle de la France seulement, les gouvernements de la République se sont, particulièrement depuis la Libération, engagés dans cette voie, pour se dispenser du reste et limiter les dégats. Malheureusement, si dans la plupart des pays intéressés, l'idée ne rencontre que peu d'obstacles d'ordre intérieur, il n'en est pas de même en France par la raison que les prix des industriels français étant de 40 à 60 % supérieurs à ceux des autres pays où le capitalisme a tout de même les dents moins longues, les 3/4 d'entre eux seraient ruinés du jour au lendemain. La tactique gouvernementale actuelle est donc d'obtenir un relèvement des prix de revient dans les autres pays, préalablement à l'unification : indépendamment des autres raisons de politique intérieure qui l'ont motivé, c'est dans cette manière de voir que s'inscrit le réarmement allemand. Envisagée selon ce processus, qui en appelle uniquement à l'âpreté au gain, l'affaire réussira sans doute, mais, alignant -- à l'inverse des mesures de 1789 -- les prix les plus bas sur les prix les plus hauts, si elle a des résultats sur le plan militaire et stratégique, il est exclu qu'elle aboutisse à une reprise économique par un accroissement du pouvoir d'achat et c'est pourquoi elle ne peut nous intéresser que par la méfiance qu'elle nous inspire.

 A l'égard du système fiscal, l'attitude gouvernementale est tout autre : depuis le début du XIXe siècle, l'impôt est devenu un moyen d'augmenter le profit et même, pour certaines classes sociales, il est maintenant, sinon l'unique, du moins la plus importante source de profit. D'où la nécessité, pour tout gouvernement de n'y toucher qu'avec beaucoup de précaution et seulement dans la mesure où ils ne compromet pas les privilèges acquis. C'est dans ce sens qu'il faut interpréter les décrets-lois pris par le gouvernement Laniel, et la réforme de la fiscalité qu'il envisage. Tout récemment, à Chatelaillon, M. Edgar Faure a proclamé qu'il était indispensable et urgent de revenir à la fiscalité directe mais, en même temps, il envisage une diminution de l'impôt sur le revenu abattements à la base plus importants) et un appel au commerce et à l'industrie : saisisse qui pourra la cohérence de ce raisonnement. En réalité la politique de M. Edgar Faure pour le compte du gouvernement Laniel prend tout simplement la suite de ceux qui les ont l'un et l'autre précédés dans la carrière et semble bien tendre à réduire encore la part de l'impôt direct sur le revenu) pour augmenter, à la première occasion, les impôts indirects[3].

 Pour échapper avec plus de chances de succès à la réforme de la fiscalité dans un sens rationnel on a inventé un mot, la productivité, dont le corollaire est la politique d'assainissement périodique de tous les marchés : produire plus pour faire baisser les prix de toutes les denrées par la concurrence dans l'abondance, ce qui dispenserait de toucher à la fiscalité indirecte, tel est le slogan du jour, et il faut reconnaître qu'il est astucieux. Le malheur est seulement que les exemples du vin, du sucre, des betteraves, du blé, des fruits, du poisson, du charbon, etc. s'insurgent contre la prétendue rigueur de ce raisonnement : quand il y a trop de vin, de sucre, de blé, de poisson, etc... on détruit les surplus et on appelle cette opération « l'assainissement des marchés ». Il n'y a pas de raison pour qu'on ne détruise pas un jour des locomotives, des maisons, des casseroles, des outils, etc. si un jour les marchés en étaient irrémédiablement encombrés. Ce matin même, j'ai lu dans les journaux que le rendement des cheminots aviat augmenté de 61 % par rapport à 1938, que dans les charbonnages de France il avait augmenté de 28 % et de 225 % chez Péchiney : on n'a pas entendu dire que dans ces différentes branches, le pouvoir d'achat des salariés ait suivi la même progression. Mais, soyez-en sûr, quelqu'un a encaissé la différence... La productivité ? Il semble bien que son seul avantage soit de rendre nécessaire[4] la politique d'assainissement des marchés qui permet, comme dans le cas du mur de l'Atlantique, aux industriels de certains secteurs d'encaisser deux fois le même profit : une fois sur la production elle-même et une autre sous forme de subventions d'Etat, pour détruire ce qui est déclaré excédentaire. Un expédient au service du profit[5]. Voilà tout ce qu'est la productivité!

 La politique gouvernementale telle qu'à nouveau vient de la redéfinir le gouvernement Laniel est donc sans issue. Qu'il le sache n'est pas douteux. Qu'il en éprouve quelque gène, il n'y parait pas : la rentrée parlementaire s'est effectuée dans le calme, comme s'il n'y avait pas eu les grèves d'août et on n'a discuté que pour la forme des raisons qui ont motivé la convocation anticipée -- au fait : de six jours seulement! -- du Parlement. D'où vient donc cette assurance qu'il affiche si ostensiblement dans de telles circonstances?

 D'où elle vient, on ne le sait pas exactement. Probablement a-t-il une arrière pensée qu'on ne discerne encore pas bien. Toujours est-il qu'un bruit court dont plusieurs journaux et revues Carrefour, Libération, le Rayon Z alias André Frossard de l'Aurore, Les Documents de Roger Mennevée, etc...) se sont fait l'écho, -- dans les termes suivant pour ce qui concerne Carrefour du 9 septembre :

 « Sait-on que l'éventualité d'un gouvernement dirigé par une personnalité non parlementaire, civile ou militaire, investie ou non par l'Assemblée, a été envisagée sans hostilité par plusieurs ministres en exercice ? »

 Vous avez bien lu : ... « non parlementaire, civile ou militaire, investie ou non par l'Assemblée... »

 En d'autres termes, plusieurs ministres en exercice envisageraient un coup d'État.

 On ne sait pas dans quelle mesure cette information peut être prise au sérieux, mais il n'y a pas de fumée sans feu et l'agitation du Maréchal Juin, ces temps derniers, comme les réactions qu'elle a provoquées n'ont rien, ni qui soit de nature à infirmer cette thèse, ni de rassurant : il se pourrait que, pour sauver les privilèges qu'ils ont hérités dans leur formes même de la Noblesse et du Clergé, les descendants des bourgeois de 1789 aient envisagé un 18 brumaire ou un 2 décembre...

 Si cette information était fondée, les leaders politiques et syndicaux qui se réclament de la classe ouvrière ne seraient que plus coupables de maintenir celle-ci en éta d'alerte -- ou de faire semblant ! -- autour de moyens d'action d'une inefficacité certaine et sur des objectifs qui trahissent une désarmante indigence idéologique.

 

Donner un sens à l'action ouvrière

 

 L'Histoire officielle s'est attachée à donner un sens et une portée exclusivement politique c'est-à-dire détachés des contingences objectives à la convocation des Etats-Généraux de 1789 et à la Déclaration de droits de l'homme. Aujourd'hui encore, il n'est pas facile de faire admettre que si le pouvoir royal se résolut à convoquer les Etats-Généraux dont il avait fait fi pendant plus de 400 ans, ce fut sous la pression d'un fait exclusivement économique : la situation financière. Il n'est pas non plus facile de mettre en valeur les points les plus importants des « Cahiers de doléances » rédigés préalablement à cette convocation, au cours d'une enquête, décidée elle aussi par le pouvoir royal, dans toutes les villes et campagnes du royaume, sur les besoins et les aspirations des populations.

 Si on parcourt ces cahiers, on s'aperçoit que les libertés individuelles revendiquées y occupent une place importante, mais qu'une place plus importante encore est faite aux problèmes de la propriété, de la liberté des échanges et des impôts. Sur ce dernier point, ils étaient unanimes pour réclamer la suppression radicale des tailles, des gabelles, des péages, des douanes intérieures, des droits d'entrée dans les villes et, d'une manière générale, de tous les impôts indirects. La plupart d'entre eux déclaraient d'ailleurs que « tous les impôts existants n'ayant pas été consentis par la nation étaient illégaux » ce qui était une manière de traduire leurs aspirations démocratiques et de donner à leur formulation son caractère révolutionnaire.

 A la partie constructive, on demandait à peu près partout la réduction du système fiscal à quelques taxes dont on précisait qu'elles devaient être directes et payées par tous, chacun « en fonction de ses facultés ». A Coutances, à Comminge et en Touraine, pour ne citer que ces exemples, on allait jusqu'à deux impôts : le personnel sur le revenu de la fortune acquise) et le réel sur le revenu en cours). Il n'est guère qu'à Nantes et à St Brieux qu'on ait souhaité voir les impôts calculés, non sur le revenu, mais sur la valeur vénale des propriétés. Le seul impôt direct admis était le droit d'enregistrement sur les transactions concernant les propriétés immobilières et encore n'était-il envisagé que comme la rémunération d'un service rendu[6].

 Le caractère économique et social de ces « doléances » ne parait pas discutable et il ne parait pas davantage discutable qu'à ce stade et dans cette formulation, ce caractère économique et social soit tout aussi politique au sens littéral du mot, puisque sont mis en cause les principes fondamentaux de l'administration de la Nation.

 Aujourd'hui, on est obligé de préciser ces choses et de discutailler autour du caractère des « doléances » sur lesquelles le pouvoir, pour démocratique qu'il se prétende, ne semble pas disposé à se renseigner : en 1789, l'élite intellectuelle de la Nation n'était pas encore byzantinisée et, dans son esprit, le politique, l'économique et le social, c'était tout un.

 A vrai dire, c'est surtout depuis 1906 que ces distingos nous ont été imposés et parce qu'en 1906 il y a eu la Chartes d'Amiens qui a proclamé l'indépendance du syndicalisme. On oublie simplement une toute petite chose et c'est que l'indépendance proclamée à Amiens visait, en même temps que l'Etat, les mouvements politiques, philosophiques ou religieux, non leur contenu et que, par ce moyen, les syndicalistes de l'époque voulaient échapper à l'influence des éléments étrangers à la classe ouvrière qui s'y infiltraient par le canal de la politique et n'eussent pas manqué, tôt ou tard, de placer la C.G.T. dans la dépendance plus ou moins directe de l'Etat en lui assignant le rôle à peu près exclusif de soutien d'une action parlementaire quelconque. Il ne s'agissait donc que d'une indépendance purement organique et qui, en aucun cas, n'excluait pour la C.G.T., la possibilité de reprendre à son compte les mots d'ordre de mouvements dont l'idéologie était la même que la sienne. Cela est si vrai que la Charte d'Amiens réaffirmait la nécessité de la suppression du salariat comme but principal du syndicalisme bien que le Parti socialiste de l'époque prétendît poursuivre le même but. Laissant au Parti socialiste le soin de mener sa lutte dans ce sens par tels moyens que bon lui semblerait -- au nombre desquels figurait en bonne place l'action parlementaire ! -- la C.G.T. prétendait seulement mener la sienne par des moyens qu'elle définirait elle-même et plus particulièrement par l'action directe -- c'est-à-dire à l'écart des subtilités parlementaires -- contre le patronat. De fait, à l'occasion de tous les combats qu'elle mena dans la suite, pour l'amélioration immédiate des conditions de vie des travailleurs augmentation des salaires, etc...) jamais elle ne manqua de rappeler que les problèmes de la rétribution du travail ne seraient définitivement résolus que par la suppression du salariat.

 Or, la suppression du salariat était tout à la fois un problème politique, économique et social : comme en 1789 la suppression des impôts indirects et, comme aujourd'hui, la distribution de la production à ceux qui la créent. Comment ne pas tenir compte que dans ce problème actuel de la distribution, celui de la fiscalité directe est de nouveau le plus lourd pour la masse des salariés ? Si, cependant, on demandait aux divers tronçons du syndicalisme, issus de cette C.G.T. qui voulait la suppression du salariat, de le mettre à l'ordre du jour de leurs préoccupations, ils invoqueraient la Charte d'Amiens pour répondre qu'il s'agit d'un problème exclusivement politique. C'est la raison pour laquelle la C.G.T., la C.G.T.-F.O. et la C.F.T.C. n'ont pas de doctrine fiscale, c'est-à-dire d'opinion sur la question cruciale du moment et qui conditionne les profondes réformes de structure, seules susceptibles de garantir aux salariés, une fois pour toutes, la part qui leur revient dans les richesses qu'ils créent. Que ce soit aussi la raison de leur impuissance ne fait pas de doute.

 Proclamer que la réforme de la fiscalité dans le sens de la suppression de tous les impôts indirects est un mot d'ordre syndical et, à l'occasion de toutes les revendications sur le thème de la revalorisation du pouvoir d'achat, en faire le premier objectif à atteindre, est donc du devoir de tous les syndicalistes. Ce faisant, ils auront, en outre, l'appréciable avantage d'apporter une solution définitive au problème de l'action directe lequel ne se posera plus s'il est admis que patronat, Etat et gouvernement ne sont, comme l'autre qu'un seul dieu en trois personnes. Et ils inscriront à nouveau le mouvement ouvrier dans ce qu'avait d'objectif la tradition révolutionnaire de 1789.

 Ce que les paysans d'autrefois ont réussi contre la propriété féodale de la terre et le pouvoir royal autocratique qui était sa garantie juridique, les ouvriers d'aujourd'hui peuvent le réussir contre la propriété industrielle dont la forme est tout aussi féodale et la garantie juridique à peine moins autocratique. Le problème qu'ils ont à résoudre n'est pas différent quoi qu'on dise : c'est le même qui s'est seulement mis à l'échelle de notre temps, c'est-à-dire qui est passé du plan de la civilisation agricole à celui de la civilisation industrielle. Et il leur est proposé, sinon dans les mêmes termes, du moins dans des termes identiques. Le parallélisme est à tel point rigoureux que -- je l'ai déjà dit -- s'ils entreprennent sérieusement un jour de le résoudre, ils auront à redouter de voir leur action détournée de son sens par les boutiquiers-petits-bourgeois-parvenus, comme le fut celle des paysans de 1789 par les bourgeois. Attention aux petits bourgeois des carrières dites libérales dont les attaches avec le négoce sont certaines et qui se sont infiltrés dans le mouvement ouvrier ! En 1906, leurs tentatives de déviation du mouvement ouvrier vers l'action parlementaire avaient rendu nécessaire la Charte d'Amiens en 1953, leur influence contrebalance celle des fonctionnaires dans le Parti socialiste et ils ont en mains le Parti communiste, ce qui explique pourquoi le premier est si timoré devant la nécessaire réforme des structures et pourquoi toute la politique du second tend à gonfler encore l'appareil de distribution de la production avec tous ses inconvénients.

 C'est intentionnellement que je ne m'attarde pas aux moyens d'action que les syndicats devraient envisager s'ils en arrivaient à considérer que l'allègement de l'appareil de distribution et la suppression des impôts indirects sont une étape nécessaire sur la route qui conduit à la suppression du salariat et à la société communautaire : il va de soi que seule la grève générale est au niveau d'un tel objectif et que tout le reste n'est que littérature de diversion.

 

 

 

N.B. -- Je remercie les lecteurs de « Défense de l'Homme » qui ont fourni le plus fort contingent des lecteurs de mon Discours de la Dernière chance où cette question de la réforme des structures par celle de la fiscalité et de l'appareil de distribution, est traité en détail. Grâce à leur fidélité, l'édition est aux deux tiers écoulée. Il me reste donc quelques centaines d'exemplaires et je rappelle qu'on peut encore se procurer l'ouvrage contre 600 francs à Mme Rassinier-Pons à Mâcon, C.C.P. Lyon 3046-71.

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Défense de l'Homme, numéro 60, octobre 1953, p. 40-48.


[1]. Voir le dernier n° de Défense de l'Homme, dans lequel j'ai dit pourquoi la date me paraissait mal choisie, les objectifs puérils et les moyens d'action désuets

[2] . C'est de cette mesure que les économistes de l'école dite Georgiste (au nombre desquels A. Daudé-Bancel) tirent, aujourd'hui encore, argument pour réclamer le remplacement de tous les impôts par un impôt foncier unique. Je fais remarquer que l'impôt voté par la Constituante de 1790 était avant tout un impôt sur le revenu -- donc direct -- et qu'il n'était foncier que parce qu'à l'époque le revenu était essentiellement foncier. Aujourd'hui, le revenu est essentiellement industriel et c'est pourquoi les points de départs de l'école georgiste sont à leur tour dépassés.

[3] . Les gouvernements justifient leur préférence pour les impôts indirects par des facilités de recouvrement que n'offre, paraît-il, pas l'impôt direct. En réalité, c'est parce qu'ils rendent plus, sont plus facilement détournés de leur destination et sont payés par les pauvres.

[4] . D'autant plus nécessaire que, produire pour exporter est devenu un rêve : tous les Etats se suffisant à eux-mêmes ou à peu près et tous les pays sous-développés étant intégrés dans la politique économique d'un Etat, on ne voit pas bien à qui la France pourrait arriver à " fourguer " ce qu'elle appelle ses excédents.

[5] . Cela est si vrai que les gouvernements qui ont le plus prôné la productivité, sont ceux qui, parallèlement, ont le plus freiné la production. Exemple : René Mayer qui ferma des mines de charbon et importa du charbon d'Amérique ; Pinay qui réduisit les investissements productifs, etc.

[6] . Sur cette question, on lira avec profit une étude particulièrement documentée parue sous la signature de Max Toureau, dans Terre et Liberté, n° 5 de fin septembre


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