Défense de l'Homme, numéro 81, juillet 1955, p. 15-17.
Planisme
Je me méfie des faiseurs de plans. En 1947, M. Jean Monnet en mit un sur pied qui devait courir cinq années et dont, en 1952, on n'aurait qu'à louer les résultats. Or, en 1952, on s'aperçut que les objectifs visés étaient loin d'être atteints : les plus bienveillants à l'égard de M. Jean Monnet furent bien obligés de convenir qu'alors que des résultats sensationnels avaient été obtenus, quasi sans plan, dans la plupart des autres pays d'Europe, la France était restée à la traîne avec une production à peine supérieure à celle de 1929 et un revenu national qui n'avait pratiquement pas augmenté en l'espace d'une génération.
On mit donc sur pied un second plan quinquennal -- les Russes font école -- qui est actuellement en cours d'exécution et dont on entend obtenir d'ici 1957 une augmentation du revenu national de l'ordre de 25 % par rapport à 1952. Dans le détail, cette augmentation du revenu national serait obtenue par :
20 % d'augmentation de la production agricole ;
30 % d'augmentation de la production industrielle ;
60 % d'augmentation dans l'activité du bâtiment.
Si ces objectifs sont atteints, le niveau de vie individuel pourrait être élevé de 4 % -- selon le plan.
Cela est écrit noir sur blanc.
Question : si le revenu global de la nation est élevé de 25 % et si le revenu individuel ne l'est que de 4 %, il y a un mystère à éclaircir pour les 21 % d'écart.
Je propose de confier le dossier de cette affaire à M. Wybot.
Ça tombe bien !
Justement, l'O.C.D.E. vient de diffuser un rapport de cent cinquante pages sur « la situation économique dans l'agriculture et l'alimentation en 1954 ». La production agricole des pays membres, dit en substance ce rapport, tend à augmenter à une cadence annuelle de 3 à 5 % et un grave problème d'écoulement des excédents se pose dans tous les pays.
Comble de malheur, tandis que la production s'accroît de 3 à 5 %, la population n'augmente que de 1 % environ, chaque année.
Et c'est le moment que la France choisit pour essayer d'augmenter sa production agricole de 20 %.
On n'a pas fini d'acheter de la viande aux chevillards pour la vendre à moitié prix aux Anglais et du blé aux paysans eux-mêmes pour le revendre avec 30 % de perte aux Allemands.
Vent d'ouest
On n'a pas accordé assez d'importance à la grève qui mit récemment aux prises les 140.000 ouvriers de Ford avec leurs patrons.
Le lecteur sait que je ne suis pas très chaud pour les grèves partielles avec cahiers de revendications modèle 1900.
Celle-ci, pourtant, n'était point banale.
Les 140.000 grévistes se battaient, non pas pour une mesquine question de salaire, mais pour un principe : une garantie effective contre le risque du chômage.
Aux termes de l'accord passé avec Ford après sept semaines de combat, la direction de l'usine versera désormais à un fonds spécial une indemnité pour chaque heure de travail fournie par chacun de ses salariés. Ce fonds attribuera automatiquement à chaque ouvrier mis en chômage, en sus de l'allocation d'Etat, une indemnité représentant 65 % de son salaire habituel pendant une durée minimum de six mois.
C'est, reconnu à l'ouvrier, le droit de vivre, même quand la société n'a pas de travail à lui proposer. Bien sûr, ce droit ne lui est reconnu qu'à 65 % mais ce qui compte, c'est qu'enfin le principe ait été admis.
Commentant cet événement, Marceau Pivert écrit dans la « Correspondance socialiste » (n° 53 -- juin 1955) :
« C'est la plus grande victoire qui ait jamais été acquise par n'importe quel syndicat dans toute l'histoire ouvrière. »
Et ce n'est pas exagéré.
Natalité
A la veille de cette geurre, il naissait en France, environ 600.000 enfants chaque année.
Grâce à l'habilité du M.R.P., il en naît, depuis 1946, environ 800.000, soit 200.000 de plus.
Depuis 1952, ces 200.000 naissances supplémentaires font, dans les écoles primaires élémentaires, des classes de 45 à 50 élèves, car on n'avait, bien entendu, pas créé les quelques 15.000 postes nouveaux d'instituteurs et d'institutrices qui eussent été nécessaires pour faire face à cette situation.
L'année prochaine, les candidats à l'entrée en 6e dans les lycées, les collèges et les établissements techniques seront 200.000 de plus qu'en octobre 1955.
Et on n'aura sans doute pas plus augmenté le nombre des professeurs que celui des instituteurs.
Quand ils auront 20 ans, il faudra les caser, ce qui signifie que si le rythme actuel des naissances ne s'atténue pas, il faudra, chaque année, pendant 35 à 40 ans, créer environ 200.000 empois nouveaux. (Un peu moins, peut-être, parce que toutes les femmes ne travaillent pas.)
A une époque où le travail humain tend de plus en plus à être remplacé par des machines.
Il est vrai que la première promotion de ces naissances supplémentaires aura 20 ans en 1966 seulement.
Et que d'ici là, qui sait, une guerre peut survenir...
La défaite travailliste
Les travaillistes anglais, malgré les divisions internes qui les opposaient les uns aux autres, ne s'attendaient pas à être battus à si plates coutures aux dernières élections
Et ils épiloguent à qui mieux mieux.
Ici, nous n'accordons qu'une importance très relative aux résultats des élections en général. Tout au plus donnent-elles un reflet assez lâche de l'opinion.
Dans le cas des travaillistes anglais, nous avons bien ri quand nous avons vu que leur manifeste électoral réclamait d'une part « la cessation immédiate des expériences atomiques » et proclamait de l'autre que « les armes de destructions massives entre les mains de la Grande-Bretagne et de ses alliés constituaient le plus efficace obstacle à toute agression par un quelconque perturbateur de la paix ».
Ce n'était pas très cohérent.
Et pas tellement différent de ce que disaient les conservateurs.
Que les électeurs se soient demandés si cela valait bien la peine de voter travailliste n'a donc rien d'étonnant.
Gauchisme intéressé
J'ai dans cette revue, maites fois traité du problème de l'alcool que la France fabrique à un prix de revient moyen de 100 frs le litre environ et qu'elle met sur le marché mondial au prix de 25 frs le litre, ce pourquoi elle ne trouve pas de clients, tous les autres pays du monde mettant le leur sur le même marché à un prix qui oscille entre 15 et 19 frs le litre.
Cette brillante opération se fait par le truchement de l'Office national des vins et alcools dirigé par les distillateurs, les betteraviers-sucriers et les importateurs-exportateurs, lesquels se partagent des subventions d'Etat de l'ordre annuel de 40 milliards.
Or, ces distillateurs, betteraviers-sucriers, importateurs-exportateurs sont dans leur grande majorité des clients de la Banque Lazard qui tient leurs comptes courants et escompte leur papier, les autres étant clients de Rothschild.
Quand l'État accorde une subvention à l'un quelconque d'entre eux, cette subvention va directement à la Banque Lazard et à Rothschild ou à une de leurs succursales.
Quand M. Mendès-France s'attaqua au régime de l'alcool dans le sens, sinon de la suppression, du moins de la diminution des subventions d'État, il se heurta à Lazard et Rothschild, c'est-à-dire à Jacquinot et à René Mayer.
Si les Servan-Schreiber et les Gradis soutinrent M. Mendès-France, c'est que la suppression des subventions d'État dans le domaine de l'alcool ne diminuait en rien le volume de leurs affaires.
Par contre, des crédits ainsi libérés pouvaient être affectés à des produits coloniaux, à des trafics avec la Chine de Mao Tse Toung et l'Indochine de Ho Chi Minh, voire la Russie et le volume de leurs affaires s'en fût trouvé singulièrement augmenté, car, dans ce domaine, il était impossible de ne pas passer par eux.
Or ces projets étaient dans les intentions de M. Mendès-France.
La politique des Servan-Schreiber était axée à gauche et elle l'est encore par leurs journaux, L'express et Les Échos.
Elle le sera de plus en plus s'il est exact, comme on le dit, qu'ils financent le grand journal que M. Mendès-France a l'intention de créer pour aller aux élections législatives de 1956.
Mais elle est intéressée.
Et c'est pourquoi elle ne nous dit également rien qui vaille.
Les grands requind et les petits
En 1953, M. Laniel, à peine installé au pouvoir, annonça que, désormais, tout irait mieux en matière d'échanges avec l'étranger et que notre balance commerciale ne pouvait manquer de se retrouver bientôt dans une position d'équilibre très rassurante : il avait un secret, je ne vous dis que ça.
Quelques semaines après, tous les journaux faisaient état de contrats industriels passés principalement avec l'Amérique du Sud et qui ramenaient dans les caisses de la Banque de France un nombre impressionnant de milliards en devises étrangères.
Comme par hasard, ces contrats étaient passés au profit des établissements Hammelle, alors au bord de la faillite, dont le frère dudit Laniel, sénateur du Calvados, était le directeur.
M. Laniel quitta le pouvoir et, quelques semaines après, les établissements Hammelle furent déclarés en faillite. Autrement dit, le mandat de Président du Conseil avait servi, pendant une année, à renflouer une affaire de famille.
A fin juin, les journaux nous ont appris que, retour des Amériques et descendant d'avion à Orly, M. Antoine Pinay, ministre des Affaires étrangères, avait déclaré :
« J'ai eu là-bas des contacts et des échanges de vue très fructueux. »
Tout le monde a traduit : « Très fructueux pour l'économie nationale ».
C'est que pour bien comprendre, il fallait se donner la peine de lire attentivement les journaux pour y découvrir, perdue dans un fatras de nouvelles diverses, la dépêche suivante de l'A.F.P. :
« PARIS. -- L'armée américaine a adjugé à « l'Union industrielle centre-sud S.A. (« U.E.C. » de Saint-Chamond (Loire), dans le cadre du programme d'aide et de défense mutuelle, un contrat « off shore » d'une valeur totale de 1.700.000 dollars environ (595.000.000 de francs) relatifs à la fabrication de munitions. »
M. Antoine Pinay est maire de Saint-Chamond (Loire). Ce n'est donc pas une affaire familiale : c'est une affaire municipale. M. Pinay est le ministre des Affaires étrangères non de la France, mais de la ville de St Chamont.
En 1956, cette affaire municipale deviendra une affaire départementale : on pense bien qu'au moment des élections législatives, la Société industrielle Centre-Sud se souviendra de ce signalé service.
Décidément, ce Capdeville (député de la Seine-Maritime et vice-président de la Commission de l'armée), qui va se faire prendre dans une toute petite affaire de vente de graisse à l'armée pour un pauvre petit chèque de 50.000 frs avancé sur une misérable « commission » de 10 millions, est un enfant de troupe.
On baisse toujours
Le 28 juin dernier, un Conseil de Cabinet a mis au point un certain nombre d'aménagements fiscaux entrés en vigueur le 1er juillet dernier et qui doivent amener une baisse sensible de l'indice des prix à la consommation familiale. Ces aménagements portent sur l'eau, l'électricité et le gaz.
En ce qui concerne l'électricité de France, ils entraînent, paraît-il, une diminution de recettes de l'ordre de 10 milliards de francs par an. Les usagers domestiques -- vous entendez bien : domestiques, pas industriels -- devront combler ce manque à gagner : on a donc élevé de 50 fr. le rpix de location de tous les compteurs.
On donne d'une main, aux gros industriels et, ce qu'on leur donne, on le reprend de l'autre main aux petits consommateurs.
Comme les petits consommateurs acceptent toujours tout, il n'y a pas lieu de se gêner avec eux.
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