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Variations sur le témoignage et les témoins


par Paul Rassinier

 

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La fragilité du témoignage humain est, aujourd'hui, à peu près universellement reconnue. A s'obstiner contre l'opinion commune, il n'y a plus guère que les juges et encore faut-il remarquer que les raisons de leur attitude sont loin d'être nobles et de relever de la conviction: la loi qui est toujours en retard sur le fait, le règlement de la profession qu'ils interprètent comme l'adjudant celui de la caserne, le dévouement au régime que les emploie, etc.

L'expérience est cependant concluante: l'histoire de la justice est jalonnée d'erreurs judiciaires qui sont le fait du témoin et du crédit qui lui est accordé.

Même quand le témoin est sincère, on ne peut être sûr de son témoignage. Je ne sais plus quel commissaire de police a raconté que, voulant être fixé sur ce point, il avait déguisé en gangsters trois de ses agents, qu'il les avait dotés d'une traction avant et lâchés dans la ville.

Ainsi équipée, la traction en question s'arrangea pour se faire remarquer, s'arrêta à un poste d'essence, fit le plein, prit à partie le pompiste et repartit. Un peu plus loin, les trois hommes en descendirent et s'engouffrèrent bruyamment dans une pharmacie, puis dans un bureau de tabac, puis dans un café où ils se disputèrent entre eux.

Une heure après, les policiers se mirent en chasse: non seulement en aucun des endroits où les prétendus gangsters s'étaient arrêtés et n'avaient pas pu ne pas être remarqués, personne ne put donner d'indications sérieuses sur leur signalement, mais encore, le pompiste ne fut même pas capable de dire la couleur et le numéro d'immatriculation de la voiture.

Il y a mieux: en novembre 1948, près de Couzon au Mont-d'Or, trois policiers furent agressés et grièvement blessés par un repris de justice dans le rapide Paris-Nice. L'un des trois succomba et l'affaire fit du bruit. Les deux autres donnèrent comme signalement de l'agresseur: taille 1 m. 80, fort accent italien. Quelques jours ou quelques semaines après on arrêta l'homme: taille 1 m. 66 et il était breton! Etant du métier, les témoins étaient pourtant gens avertis.

On pourrait multiplier les exemples et remonter aux causes célèbres qui, de Sacco et Vanzetti aux Rosenberg en passant par Almazian, Landru, Marie Besnard et le tout récent procès de Saint-Omer, ont défrayé la chronique: point n'est besoin, les faits sont dans toutes les mémoires.

Dans tous ces cas, il ne s'agit, la plupart du temps, que de témoins de bonne foi qui ont inopinément été appelés à dire ce qu'ils avaient vu et qui ont très sincèrement cru avoir vu ce qu'ils ont dit.

Il est d'autres cas dans lesquels le témoin est de mauvaise foi et il en est presque toujours ainsi en matière politique.

Quelques exemples empruntés à l'actualité le feront mieux voir.


Trois cas-types

Au cours de l'autre guerre, tous les journaux ou presque publièrent la photographie de l'enfant aux main coupées. Quelques années après la guerre, on établit facilement qu'il s'agissait d'un truquage photographique dont l'origine était au journal Le Matin.

Mais, en 1919, dans une réunion électorale, j'ai moi-même entendu un candidat du Bloc national expliquer aux paysans d'un village de l'Est qu'il avait été témoin sinon de la scène elle-même, du moins de ses conséquences dans les instants qui l'ont suivie.

Il y a quelques années, j'ai été violemment pris à partie par M. Louis Martin-Chauffier, dans Le Droit de vivre, parce que j'avais relevé dans un de ses ouvrages [note 1: L'Homme et la bête, p. 95. - Gallimard.] la phrase suivante:

"Il semble que rien ne leur plaise (aux S.S.) qui ne soit artificiel: et la margarine qu'ils nous distribuaient chichement prenait pour eux toute sa saveur d'être un produit tiré de la houille. (La boîte en carton portait: garanti sans matière grasse)."

M. Martin-Chauffier est sûr que la margarine est un produit tiré de la houille et il a vu la boîte en carton qui portait l'inscription "Garanti sans matière grasse ".

Comme il sort de l'Ecole des chartes (si je ne m'abuse) et comme, à la faveur de la libération, il a réussi à se faire publier dans beaucoup de journaux, d'opinions d'ailleurs assez contradictoires, il a fini par avoir un certain crédit et tous ceux qui l'on lu le croient.

Sans doute est-ce pour lui disputer ses lauriers qu'un autre intellectuel, M. Malterre, envoyé en Chine par le Parti communiste pour enquêter sur la guerre bactériologique, de retour, a écrit dans l'Humanité du 9 octobre 1952:

"Ces objections (celles de ceux qui prétendaient que les épidémies dont la Chine se plaignait pouvaient être dues aux mouches et aux rats ou souris) méconnaissent complètement le pas sanitaire gigantesque qui a été accompli par la Chine. Aucune parole ne peut le représenter. Je traiterai cela par des exemples: Il est bien difficile, en plein été, de trouver une mouche dans une grande ville de Chine, et celles-ci sont extrêmement rares même dans les villages. Pas un membre de la commission n'a été piqué par une seule puce, ni par un moustique et les rats et souris sont devenus pratiquement introuvables."

M. Malterre est professeur de Faculté. Il est donc probable que sa vérité politique se confond dans son esprit, avec la vérité scientifique et qu'il enseigne cela aux étudiants qui suivent ses cours.

En vertu de quoi, dans quelques années, les enfants de ceux que M. Martin-Chauffier a persuadés que la margarine tirée de la houille était au surplus emballée dans des boîtes portant la mention "Garanti sans matière grasse" apprendront des élèves de M. Malterre devenus professeurs qu'il n'y a ni mouches, ni moustiques, ni puces, ni rats, ni souris dans les villes de la Chine communiste.

Et vive le Révérend Père Loriquet!


Un grand écrivain

Il y a quelques mois, j'ai signalé le cas de M. Erich-Maria Remarque qui, sans avoir la moindre idée des camps allemands de concentration, prétendait néanmoins que leur étude à laquelle il procédait dans son dernier ouvrage, l'Etincelle de vie, était un témoignage authentique [note 2: Cf. Défense de l'Homme n. 49.].

Mon excellent camarade Ch.-Aug. Bontemps me conseilla la prudence: à l'époque, seule la version anglaise de cet ouvrage avait été publiée et Bontemps, qui ne la connaissait pas, pensait qu'il convenait d'attendre la version française.

Aujourd'hui, cette version française est en circulation et, M. André Rousseaux, du Figaro littéraire, s'accorde avec M. Robert Kemp, des Nouvelles Littéraires, pour reprendre l'essentiel des arguments que j'avais avancés dans Défense de l'Homme.

C'est ainsi et on n'y peut rien: M. Erich-Maria Remarque avait beaucoup plus le souci d'exciter à la haine contre l'Allemagne pour servir une thèse politique que celui de témoigner objectivement, ce qui lui était d'ailleurs impossible.

Voici un autre témoin visiblement animé, lui, par le seul souci de gagner sa croûte: M. Virgil Georghiu.

En 1941, M. Virgil Georghiu, journaliste roumain, était correspondant de guerre accrédité auprès de la Wehrmacht qu'il accompagna en Russie jusque sur les rives du Dniester. Le reportage qu'il fit à cette occasion, il le publia en volume à Bucarest, la même année, sous le titre Les rives du Dniester brûlent et on y peut lire des choses comme celles-ci:

L'amabilité et la camaraderie dont firent preuve chaque soldat et chaque officier allemand à l'égard de tous les soldats roumains qui les rencontrèrent était étonnantes.

Vous n'aviez pas besoin de leur demander quoi que ce soit, car ils s'offraient d'eux-mêmes à vous rendre service.

Je voudrais tellement écrire un hymne brûlant pour ces hommes superbes.

Ou encore, cette description d'un convoi de juifs que des soldats allemands conduisaient au camp de concentration:

Dans ce convoi composé de plusieurs milliers d'individus se trouvent aussi une partie des juifs qui ont dévasté, incendié et pillé la ville de Balti et d'autres villes du nord de la Bessarabie.

Je me rapproche du convoi qui répand de lourds effluves.

De temps à autre, les youpins jettent des regards furtifs et chargés de joie diabolique sur la ville brûlée.

Ces amas de cendres sont leur oeuvre.

Ce sont eux qui ont détruit la ville de Balti.

Et les voilà maintenant qui défilent avec leurs femmes et leurs vieillards comme la plus criminelle des armées de destruction devant leur oeuvre, les voilà qui défilent devant les ruines fumantes de la ville sous laquelle gisent les cadavres de ceux qu'ils ont tués.

Ce sont eux les auteurs de ces assassinats!

Ce sont eux qui ont enfermé les chrétiens dans les caves, dans les innombrables prisons secrètes de la ville, ce sont eux qui ont posé la dynamite, eux qui l'ont fait exploser.

Et combien d'entre eux n'entendirent-ils pas s'élevant de derrière le rideau de flammes, mêlés aux détonations, les cris des victimes implorant du secours.

Mais eux ont pris toutes les mesures afin qu'aucun de ceux qu'ils avaient enfermés et condamnés à brûler vifs, n'échappât... Combien la peine de mort est un châtiment clément pour eux et pour leurs crimes.

Dans ce reportage, il est question d'une actrice nommée Sidy Thal qui appartient à la race des bourreaux (cf. ci-dessus) de la débauche et du sacrilège, qui exécute:

Le plus beau de l'histoire, c'est que M. Virgil Georghiu vient de publier un nouvel ouvrage dont la traduction française nous parvient par le canal de l'Editeur Plon sous le titre: La seconde chance.

Le personnage central en est Eddy Thal - on remarquera la similitude! - mais cette fois, elle appartient à la race des victimes irréprochables des horreurs antisémites commises par ces soldats allemands à l'intention desquels l'auteur aurait voulu, en 1941, écrire un hymne brûlant mais qu'il ne transforme pas moins en indescriptibles soudards en 1952...

Je suis oiseau, voyez mes ailes,Je suis souris, vivent les rats!

Il y a comme cela des gens qui savent s'adapter à tous les régimes.

Avant M. Georghiu, nous avions déjà eu M. Curzio Malaparte qui fut, lui aussi, correspondant de guerre "aux côtés des troupes allemandes"...


Un autre grand écrivain

En janvier 1944, je me trouvais au block 48 du camp de concentration de Buchenwald. C'est là qu'à l'occasion d'une conférence qu'il fit sur "L'Union soviétique de la Révolution à la guerre" je fis la connaissance de David Rousset. Je l'ai dit ailleurs: cette conférence était un monument de flagornerie destinée surtout aux communistes qui faisaient la loi dans le camp. On m'avait dit que David Rousset était trotskyste: j'ai cru qu'on s'était trompé. Après cette conférence, tous ceux qui y avaient assisté étaient, comme moi, persuadés qu'il était communiste stalinien.

Quand, en 1946, parut l'Univers concentrationnaire il me fut d'autant plus impossible d'oublier cette conférence que David Rousset le concluait ainsi:

 

A l'époque, ceci n'avait rien de commun avec la politique du Parti communiste dont le souci était d'utiliser au maximum les camps allemands pour masquer les camps russes. Et je fus étonné qu'un communiste comme m'avait semblé l'être David Rousset, pût tenir un tel langage. En 1948, pour se faire pardonner, M. David Rousset fit l'apologie des communistes dans Les jours de notre mort.

En 1949, notre homme a découvert les camps russes et, depuis, il a monté une commission d'investigation qui tend à prouver quotidiennement que, contrairement aux camps allemands, ces camps russes relèvent d'une conception unique au monde.

Longtemps, je fus à peu près seul à subodorer chez lui une extraordinaire aptitude au mimétisme politique et des desseins inavouables.

Aujourd'hui, David Rousset revenant d'Espagne et de Tunisie où il est allé enquêter sur place trouve que "le régime pénitentiaire est un régime de droit commun évolué" chez Franco et que, "dans les camps d'éloignement et les prisons tunisiennes, pour être médiocres, les conditions de vie ne sont cependant point inhumaines."

Après avoir été conforme à la vérité soviétique, le témoignage de David Rousset l'est, maintenant à la vérité atlantique.

Sans commentaires.


Un témoignage interprété

Albin Michel publie actuellement sur papier bible, les oeuvres de Romain Rolland. C'est ainsi que nous avons eu, successivement, Jean-Christophe, l'Ame enchantée, puis, ces temps derniers, Le journal des années de guerre (1914-1919).

On sait ce qu'est ce journal de guerre: en même temps qu'il écrivait Au-dessus de la mêlée, et les articles qui ont suivis, travestis et truqués pour les besoins de la cause dans les pays belligérants, Romain Rolland consignait ses impressions sur des carnets intimes. Il y a ainsi 29 carnets qui ont été déposés sous scellés à la bibliothèque de l'Université de Bâle en 1934, avec autorisation de publier intégralement à partir de 1955.

Mais, en 1934, Romain Rolland venait d'écrire Le Journal d'un homme de soixante ans et ses convictions de 1914-1919 avaient quelque peu évolué. En même temps qu'il faisait ce dépôt, il dicta donc à ses héritiers une version de ses carnets dans laquelle il fit certaines coupures et les autorisa à la publier avant 1955.

C'est cette version qu'Albin Michel nous donne aujourd'hui.

Mais avec l'assentiment de Mme Vve Romain Rolland, il a expurgé ce texte déjà expurgé par l'auteur lui-même.

On ne nous dit pas pourquoi. Toutefois, il est permis de supposer que c'est pour mettre Romain Rolland au goût du jour.

L'opération était assez difficile, Romain Rolland ayant beaucoup évolué -- tout en restant sincère, tout le monde en convient -- au cours de sa longue carrière littéraire et journalistique. en l'occurrence, elle tire toute sa valeur de celui qui la patronne et la préface: M. Louis Martin-Chauffier.

Car, qui mieux que M. Louis Martin-Chauffier, pouvait se livrer sinon à un tel truquage, du moins à une telle sollicitation des textes?

Il ne nous reste donc qu'à reporter nos espoirs sur 1955 et le loyalisme ou la loyauté de l'Université de Bâle.

Tristes temps.


De la façon de témoigner

M. Jacques Madaule est un historien. Mais il est aussi un catholique militant et, comme tel, il a quelque faiblesse pour la Russie soviétique. Le parti communiste avec lequel il entretient les meilleures relations l'a donc délégué sur place pour enquêter sur le régime stalinien.

De retour, il a donné des interviewes et publié, sur ce qu'il avait vu, des articles dans les journaux suivants: Défense de la Paix (octobre 1952), l'Humanité (16 octobre 1952), Ouest-Matin (20 octobre 1952), Le Courrier de l'Ouest (1er nov. 1952). Une conférence de presse qu'il fit à Paris a été reproduite par France-U.R.S.S. (n. 87) et l'essentiel en a été rassemblé dans un tract que l'association France-U.R.S.S. de la Seine a diffusé à un million d'exemplaires.

Par exemple, quand M. Madaule parle pour France-U.R.S.S. ou pour l'Humanité, il se montre intéressé par l'effort de reconstruction, la volonté de paix de la Russie, son immense effort culturel et son extraordinaire esprit de tolérance religieuse. Quant aux conditions de vie du peuple elles sont excellents, il n'y a pas de chômage et la sécurité sociale assure une existence décente à tous les ouvriers pour leurs vieux jours.

Sur la tolérance religieuse, le lecteur pourra rapprocher ces deux textes tirés, le premier du tract édité par France-U.R.S.S. (communiste), le second du Courrier de l'Ouest (catholique).

1. - Du tract "France U.R.S.S.":

"Nous avons pu constater qu'il existe en U.R.S.S. une certaine liberté religieuse. Je m'explique à cet égard. Les églises sont ouvertes au culte, je crois en assez grand nombre, en nombre suffisant pour les besoins du culte. Mais il n'y a pas d'enseignement religieux, ce qui, évidemment, du point de vue de ceux qui sont croyants, est grave. Mais aucun obstacle n'est apporté à la fréquentation des offices religieux."

2. - Du Courrier de l'Ouest:

"Il y a 55 églises orthodoxes ouvertes à Moscou. Elles sont toujours remplies de fidèles, surtout de femmes. Aucun enseignement catéchiste n'est autorisé. Il n'y a pas de sermons aux offices. J'ai entendu parler d'un certain renouveau du sentiment religieux mais je n'ai pas été à même de le constater. Les autorités semblent se désintéresser de cette question. Elles autorisent de temps à autre l'ouverture d'une nouvelle église, mais ne ferment pas le musée des sans-dieu. La formation religieuse des enfants reste interdite. On joue à Stalingrad Notre-Dame de Paris en insistant assez lourdement sur son aspect anticlérical. En somme, tout se passe comme si on attendait patiemment que le régime ait définitivement triomphé de vieilles superstitions d'origine bourgeoise."

Nuance!

Si on en croit le Bulletin d'Etudes et d'informations politiques internationales (B.E.I.P.I.) n. 80 du 15 janvier 1953, M. Jacques Madaule aurait fait, en date du 17 octobre 1952, une conférence à la salle du Musée social devant une assemblée du Comité d'action des gauches indépendantes.

Et c'est seulement là qu'il aurait, de bonne grâce et sans qu'on le lui demande, dit tout ce qu'il avait sur le coeur.

Par exemple qu'ayant demandé à visiter une république musulmane, on le lui refusa poliment.

Par exemple encore qu'ayant manifesté le désir d'entrer en contact avec les populations, les interprètes qui accompagnaient la délégation lui répondirent qu'il serait mieux renseigné en se contentant de leur contact à eux.

Par exemple enfin que M. Célestin Ferré, un socialiste qui faisait partie de la même délégation ayant insisté pour voir Thorez et pour visiter un camp de concentration, il lui fut répondu sur le premier point que ce n'était pas possible et, sur le second, qu'il n'y avait pas de camps de concentration en Russie. La délégation ayant eu, par la suite, tout à fait par hasard, l'occasion de voir travailler le long des routes des civils en loques surveillés par des policiers, les interprètes précisèrent qu'il s'agissait de pensionnaires des camps de rééducation.

Nuance (bis!)

C'est à cette conférence que M. Madaule aurait déclaré avoir eu des preuves de la rareté des produits en U.R.S.S. (queues devant les magasins), de l'inégalité des salaires, échelonnés, dit-il, de 500 roubles mensuels à 3.000, de l'existence des taudis à Moscou même, en nombre surprenant, etc. C'est aussi à cette occasion qu'il se serait plaint de n'avoir pu se procurer un plan de Moscou et le nombre des ouvriers employés par l'usine de tracteurs "Octobre rouge".

En résumé et comme le fait judicieusement remarquer le bulletin d'où ces renseignements sont tirés, quand M. Madaule donne ses impressions à France-U.R.S.S., elles sont vagues, générales et favorables; quand il écrit pour le Courrier de l'Ouest, c'est-à-dire pour des catholiques, ses souvenirs se précisent au point de se contredire et les réserves commencent; enfin, quand il s'adresse à un auditoire choisi dans une conférence privée, il est à peu près objectif, quoique à contre-coeur.

Autrement dit, son objectivité est inversement proportionnelle au degré de communisme de son public.

Dès lors, la seule question qui se puisse poser est celle de l'honnêteté intellectuelle du témoin Madaule.

Et, subsidiairement, si elle est de même facture dans tout ce qu'il entreprend, du cas que l'on peut faire de ses travaux d'historien!


La magie du talent

On m'a dit que MM. Louis Martin-Chauffier, Erich-Maria Remarque, Virgil Georghiu et David Rousset avaient beaucoup de talent et qu'il n'y avait pas lieu de leur en tenir grief d'en mettre "la magie au service d'un idéal" qui était souvent nôtre. Au moins en ce qui concerne Virgil Georghiu et David Rousset, je me permettrai de faire remarquer que leur talent est tout aussi magique quand ils le mettent au service, le premier des nazis dans Les rives du Dniester brûlent, le second du capitalisme dans les témoignages qu'il a rapportés de Tunisie et d'Espagne.

On me permettra aussi de dire que je n'ai jamais mis ce talent en doute. J'avouerai même que lorsque ce philosophe tortu et poussiéreux qu'est M. Gabriel Marcel découvrit La vingt-cinquième heure de M. Virgil Georghiu et nous la révéla, je fus des premiers à applaudir.

A l'époque, j'étais personnellement plongé dans la littérature concentrationnaire et j'avais observé, non pas que La vingt-cinquième heure était plus proche de la réalité que tout ce qui avait été écrit sur le sujet, mais qu'elle était la réalité même. Le phénomène concentrationnaire y était situé dans son contexte historique et dans une perspective qui faisait de sa généralisation à l'échelle universelle, une impitoyable et inéluctable fatalité. La vingt-cinquième heure c'était cela: sur les ruines du capitalisme enfin mort, la naissance d'une société mécanisée dans laquelle ministres, députés, médecins, savants, techniciens, etc. sont transformés en kapos, prévôts et autres gardes-chiourmes au service de l'Etat, impersonnel, immatériel et tout-puissant Moloch. La mort de l'Homme-individu. La termitière dont un jour, Alain Sergent parla, ici même...

La remarquable précision de ses analyses et l'extraordinaire puissance de ses évocations firent que M. Virgil Georghiu passa pour un témoin authentique et sincère aux yeux du monde entier.

J'ai partagé l'opinion commune.

Mais quand M. André Parrinaud nous révéla l'existence de Les rives du Dniester brûlent, à mes yeux, avec tout son talent, M. Virgil Georghiu ne fut plus qu'un vulgaire salaud.

De même -- et malgré tout leur talent aussi, -- ne furent plus pour moi que de vulgaires salauds deux autres grands écrivains français que je ne nommerai pas ici pour ne point attirer d'ennuis à Lecoin et qui publièrent sur les camps allemands de concentration deux chefs-d'oeuvre d'art dont à peu près pas une ligne ne pouvait être considérée comme reflétant la vérité. Et quand j'appris que l'un d'eux avait travaillé à Lyon jusqu'en 1943, en étroite collaboration avec le capitaine Schwoenn de la Gestapo à la récupération des métaux non ferreux pour le compte de l'armée allemande, tandis que l'autre avait, jusqu'à la même date, été un important personnage des services de M. Pucheu avec de grandes et petites entrées au Ministère de l'Information de M. Paul Marion, cela ne fut pas pour me faire revenir sur mon opinion.

Le public eut beau faire une grande fortune à leurs ouvrages, mon siège était fait.

Je ne suis allé ni en Tunisie, ni en Espagne, mais quand je lis tous les jours dans les journaux les mieux pensants que M. Fehrat Hached a été lâchement assassiné, que les prisons beylicales sont surpeuplées, que des militants syndicalistes sont à jet continu envoyés dans des camps d'éloignement, que d'autres sont torturés pour obtenir d'invraisemblables aveux sur lesquels ils reviennent devant les tribunaux, qu'en Espagne Franco met en prison et souvent fusille avec la bénédiction de N.S. le pape les pauvres gens sur le visage desquels ses sbires lisent seulement le délit d'intention, M. David Rousset a beau me dire que les camps tunisiens sont des camps "d'éloignement" -- éloignement, ça fait mieux que rééducation! -- dans lesquels les conditions de vie ne sont pas inhumaines et que les prisons de Franco sont modernes et de type évolué (sic) avec "la magie de son talent" il ne fait que confirmer les réserves que j'avais faites sur ses témoignages antérieurs.

Que ceci serve de leçon à ceux qui lui avaient assez imprudemment fait confiance et dont les yeux finiront bien par s'ouvrir sur son "cas" pris en bloc.

Sur un plan plus général on a aussi voulu me dire en dernier argument qu'il était vain d'exiger de l'artiste qu'il fût un être moral et qu'il n'y avait aucune parenté entre l'art et la moralité. A ce propos, on m'a cité François Villon. Mais, où a-t-on vu que François Villon était un être immoral?

François Villon était un truand qui avait à son usage une morale assez peu en harmonie aussi bien avec celle de son temps qu'avec la morale tout court. Et il le savait. Il savait aussi que son comportement individuel n'avait rien de particulièrement louable et jamais il n'en disconvint. Jamais non plus il n'essaya de nous laisser de lui un portrait qui ne fut rigoureusement vrai, ni de son époque un témoignage contestable. Il fut donc un être essentiellement vrai, même quand la vérité lui était défavorable: il fut la vérité même et cette vérité avec laquelle il s'identifiait fut tout son art. Au-dessus de la morale et de toutes les morales, il était. Comme le sont tous les inadaptés et tous les révoltés sur lesquels on ne peut porter aucun jugement sans poser cette question: à qui la faute?

Vrai au point où il l'a été, François Villon ne pouvait être immoral. Car, toute la morale, c'est la vérité. Il se trouve que c'est aussi tout l'art et tout le talent. En dehors d'elle, il n'y a ni art, ni artistes: "le vrai, seul, est aimable et beau". Le mensonge est toujours laid. Un beau désordre est un effet de l'art: un beau mensonge ou un crime parfait sont des effets du vice. L'art qui se ment à lui-même et aux autres n'est plus l'art, mais l'imposture. Qu'il y ait des imposteurs de génie, je n'en disconviens pas, mais ils sont des imposteurs et non des artistes. Il faut appeler les choses par leur nom: un chat est un chat et, souvent, le porc est un cochon.

Il y a cependant une chose que cet authentique truand de François Villon ne savait pas et c'est précisément qu'il était François Villon. Là est toute la différence entre lui et les truands de plume d'aujourd'hui qui ne savent ni qu'il ne faut pas confondre "la magie du talent" avec le génie de l'imposture, ni que le génie ou le talent qui ne reculent pas devant le mensonge ou le crime perdent les meilleures causes sous couvert de les servir.

Et qui, parce qu'ils sont des truands croient un peu trop volontiers qu'ils sont aussi des François Villon!

 

 


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